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Du chaos de l'onde-particule à la stabilité du Vivant

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Submitted on 14 Dec 2020

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Du chaos de l’onde-particule à la stabilité du Vivant

Stéphane Douady

To cite this version:

Stéphane Douady. Du chaos de l’onde-particule à la stabilité du Vivant. Le hasard, le calcul et la vie (colloque Cerisy 2019), A paraître. �hal-03063985�

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Du chaos de l’onde-particule à la stabilité du

Vivant

Stéphane Douady Laboratoire MSC, Université de Paris, UMR 7057, stephane.douady@univ-paris-diderot.fr I - Introduction Le cerveau humain aime bien faire des séparations entre objets, dans un objet entre ses différents aspects, ce qui permet de les distinguer facilement, et d’échanger efficacement des informations précises. On aime bien alors faire des oppositions, ce qui permet de transmettre une information binaire. Ce mouvement est balancé par un mouvement contraire, secondaire, de regroupements de caractéristiques communes. Ainsi la fraise mûre, rejoindra la botte en caoutchouc dans la classe de couleur rouge, alors que c’est un fruit (classe, sous-classe des végétaux, comestibles) et non une botte (autre sous-classe des chaussures). Les oppositions que l’on peut questionner ici sont principalement celles du hasard/déterminisme, et vivant /physique (ou « non-vivant »), à travers l’angle du hasard consubstantiel de la présentation classique de la mécanique quantique, vu comme un chaos déterministe sous-jacent, et le miracle du vivant, présent, bien que si fragile, vu comme stabilisé par une mise en cohérence « quantique ». Toutes ces questions permettent aussi de discuter le passage entre l’aventure individuelle, le cas précis, rugueux, affectif, et la loi statistique globale, lisse et détachée. II - Le chaos de l’onde particule En dehors des particules très énergétiques, et des phénomènes radioactifs, dont les découvertes sont relativement récentes et non-intuitives, le monde a l’air de se composer à nos yeux d’une substance très stable, surtout depuis que les chimistes nous ont expliqué qu’il n’y avait pas de transsubstantiation de la matière, mais juste une réorganisation des atomes (et de leurs électrons) entre eux. Si l’on regarde les particules stables courantes, le proton, neutron, électron et photon, ce dernier semble avoir un statut particulier car on a longtemps discuté de sa nature, savoir s’il était une onde, ou autrement une particule. Louis de Broglie a mis fin à cette controverse en expliquant que le photon était à la fois une particule et une onde, et que l’on pouvait considérer l’un ou l’autre aspect selon la commodité de l’expérience ou du calcul. En créant cette dualité onde-corpuscule, qui échappe à la restriction des descriptions précédentes, en particulier à leur pseudo incompatibilité, Louis de Broglie a aussi montré que toutes les particules agissent de même, même si

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l’importance de leur effet ondulatoire est plus restreinte et souvent oubliée. Une des conséquences est le fait que la particule prend un statut un peu étendu, sur la largeur du paquet d’onde associée. A la même époque (début du 20eme siècle), l’accumulation des résultats sur la physique corpusculaire, qui allait s’appeler la mécanique quantique, proposait un modèle formel efficace pour les calculs théoriques et leur comparaison avec l’expérience, en établissant des calculs sur la « fonction d’onde » des particules (à ne pas confondre avec l’onde précédente). La fonction d’onde représente clairement une distribution de probabilité de la particule d’être dans un tel endroit et dans un tel état. Mais il restait à lui donner un sens et une interprétation. Curieusement, l’interprétation qui a dominé (et qui domine toujours), revient à dire que c’est la particule elle-même qui est aléatoire et indéterminée. Comme si elle était dans de nombreux états possibles à la fois. Cette interprétation est curieuse, et a suscité de nombreuses discussions sur les implications d’une telle réalité fondamentalement aléatoire. Tout récemment c’est cette indétermination qui a lancé la mode d’ordinateur quantique, pouvant faire le calcul sur toutes les possibilités en même temps. Figure 1 image instantanée d’une goutte de liquide rebondissante et induisant une onde paramétrique autour d’elle, montrant l’objet global d’onde-particule. Photo groupe d’Yves Couder (avec permission).

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Cependant, une expérience de physique macroscopique récente a relancé une autre interprétation. L’expérience consiste à faire rebondir une goutte d’huile sur un bain de même huile oscillant verticalement. Ce faisant, la goutte d’huile en s’approchant du bain écrase l’air entre les deux, ce qui la ralentie. Si on oscille à une période plus courte que le temps de coalescence typique (quelques dizaines de Hertz suffisent), alors le bain relance la goutte en l’air indéfiniment. En percutant la surface, sur son coussin d’air, la goutte s’étale mais repousse aussi l’huile du bain, créant une petite onde de surface. De plus on oscille à une amplitude qui se rapproche du seuil de l’instabilité de Faraday, ou le mouvement vertical fait apparaître spontanément (en amplifiant le bruit) des ondes de surface. Dans ce cas l’onde créée par la goutte est une perturbation importante qui reste amplifiée par la proximité de l’instabilité, avant de se dissiper et disparaître car on reste sous le seuil. Ce faisant on a créé macroscopiquement une véritable dualité onde-corpuscule (voir figure 1), dualité qui est plus profonde qu’une existence commune, car l’existence même de la paire est conditionnée à leur présence commune : sans l’oscillation de la surface, la goutte disparaîtrait par coalescence, sans la percussion régulière de la goutte, l’onde de surface disparaitrait aussi, par dissipation. Ce qui est fascinant c’est que ce système macroscopique onde-particule peut se mouvoir spontanément (les « marcheurs ») dans certaines conditions : le rebond de la goutte sur le sommet de l’onde qu’elle créé devient instable, et elle glisse sur le côté. Elle se propage alors car elle est envoyée sur le côté par la pente de l’onde, et donc au coup suivant elle se retrouve encore sur le même côté de l’onde qu’elle vient de recréer. Dans une boite, ou au passage d’un ouverture, le mouvement est plus complexe car il réagit avec l’onde réfléchie par les obstacles (figure 2 c). En se déplaçant vers une paroi avec des ouvertures, ces ondes-particules permettent aussi de reproduire les figures d’interférences classiques, montrant qu’elle reproduisent bien le caractère à la fois corpusculaire (la goutte, que l’on peut suivre), et oscillatoire (la partie ondulatoire qui induit les interférences) (voir Figure 2). L’orbite d’une petite goutte autour d’une grosse se retrouve aussi en moyenne quantifiée (par la longueur d’onde). Dans un creux de potentiel global (par confinement magnétique de gouttes de ferrofluides), on retrouve la quantification des orbites des électrons et leurs caractéristiques variées pour les orbites d’énergies plus hautes (voir figure 3). Ce faisant on s’aperçoit que l’on peut décrire le mouvement de l’onde-particule comme chaotique, dépendant d’interactions fines entre l’onde, la particule et les contraintes externes. Il est chaotique car fruit d’une instabilité, celle du marcheur, et de l’importance de la réminiscence de l’onde. Celle-ci, en disparaissant lentement dans le temps, crée une mémoire des positions précédentes, et cette mémoire agit sur le moment présent. Ce que cette expérience montre, c’est que plus on a de mémoire, plus les évènements précédents interviennent, alors plus on est chaotique et en pratique imprédictible. On devient très sensibles à des modifications minuscules, comme par exemple à un paramètre de la dynamique que l’on oublie car considéré comme négligeable, la phase de l’onde et de la particule. La mémoire joue ici comme créateur d’interférences, dont les hauts et les bas vont orienter le présent dans différentes directions.

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Fig.2 Figure d’interférence d’une onde particule macroscopique à travers une fente (image en c). a) Il n’y a pas de lien entre la distance au milieu de la fente de la particule et son angle de sortie. b) Pour une même arrivée (au milieu), on vois aussi des angles de sortie très différents. d) malgré tout, le résultat global donne une statistique lisse d’interférence classique. (Groupe d’Yves Couder avec permission) On voit donc que l’extension de l’onde et sa mémoire donne la richesse de la dynamique de la particule, qui devient non-locale ni en temps ni en espace. Pour conclure, on voit que le mouvement en apparence aléatoire de la goutte, suit non seulement une dynamique duale onde-corpuscule, mais aussi une dynamique sous-jacente chaotique, due à la fois à une certaine mémoire du système mais aussi une sensibilité aux paramètres oubliés comme la phase. Bien sûr cette expérience ne correspond pas parfaitement à un système quantique : on fournit en permanence de l’énergie à un système dissipatif, l’onde obéit à une onde de surface près d’une instabilité de Faraday (et non l’équation de Schrödinger), etc. Cependant le fait de voir macroscopiquement cette dynamique, et en particulier sa dynamique chaotique, donne une possibilité d’interprétation de l’indéterminabilité des particules quantiques que l’on ne

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pouvait pas avoir avant. Et permet même de reposer les mêmes questions dans le contexte quantique (d’où vient l’énergie des particules ? leur confinement ? …). Dans cette optique, on retrouve bien la vision de l’existence d’un particule bien définie dans un état bien précis, et que la fonction d’onde ne fait que décrire une équation d’ensemble, une équation statistique valide pour l’ensemble des cas possibles. Le besoin que l’on a de recourir à cette fonction probabiliste globale viendrait seulement de la nature chaotique de la dynamique de la particule elle-même : même en la connaissant presque parfaitement, il devient très vite impossible de décrire son état après un certain temps (extrême sensibilité aux conditions initiales, « effet papillon »). Figure 3 Quantification des trajectoires d’une onde-particule macroscopique dans un potentiel harmonique. Le premier diagramme représente les états possibles observés expérimentalement, classés par leur niveau d’énergie (pour rayon moyen R, extension), et leur moment angulaire L. La seconde montre des bouts de trajectoires quasi-stables pour chaque ilôt de quantification. Les trajectoires complètes sont chaotiques, alternant de manière imprédictible des bouts de trajectoires quasi-stables. Ces résultats sont identiques à ceux prédits par la mécanique quantique, et utilisés en chimie (orbitales s, p, d, …). (de M.

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Labousse, avec permission, ref S. Perrard , M. Labousse , M. Miskin E. Fort, Y. Couder, Nature Communication, 5, 3219, 2014). Cela permet aussi de résoudre de nombreux paradoxes de l’interprétation courante. A commencer par le principal « problème de la mesure » : si la particule est elle-même probabiliste, le fait de faire une mesure sur elle (par exemple position, ou spin), qui donne un résultat certain, revient alors à interagir fortement avec la particule elle-même à la « projeter » sur le résultat de la mesure, à « réduire sa fonction d’onde ». Mesurer devient alors une action extrêmement perturbante, qui finit heureusement par disparaître au bout d’un certain temps (le système redevenant indéterminé). C’est ce qui est décrit par le paradoxe du « Chat de Schrödinger » , un chat étant placé dans une boite munie d’un détecteur de radioactivité, qui à la détection brise un flacon de poison mortel pour le chat. La désintégration des particules radioactives étant probabiliste (on ne connaît que le temps caractéristique, pas quand cela vas arriver), l’idée de la mesure revient à dire que le chat est dans une « superposition d’états possibles » indéterminés, et que ce n’est qu’à l’ouverture de la boîte (à l’observation) que l’on force le système à choisir entre les deux états, mort ou vivant. Cela conduit à de nombreux paradoxes logiques. Avec l’interprétation de l’onde-particule, Il n’y a plus de problème : le chat est bien vivant ou mort, que l’on ouvre la boite ou non. C’est juste notre impossibilité à le savoir à l’avance, avant d’ouvrir la boite, qui fait qu’il est plus confortable pour l’expérimentateur (et théoricien) de le considérer comme un ensemble de probabilité. Cette interprétation est compatible avec l’absence (démontrée, par exemple par Alain Aspect) de variable cachée. Car on ne crée pas une nouvelle variable, qui serait différente pour chaque particule, même dans le cas intriqué. Ce que l’on considère ici ce sont bien des variables bien connues (comme le spin), mais dont on n’a pas réalisé la nature ondulatoire (comme la phase) et ses implications. Les inégalités de Bell ne viennent que de leur comparaison entre des variables normales, scalaires, dont on connaîtrait la probabilité directement, avec des variables ondulatoires, dont la probabilité est lié au carré de l’amplitude de l’onde (intensité). Si les « variables » sont bien ondulatoires, leurs probabilités ne contredisent pas les inégalités (prouvées, par exemple par Alain Aspect) de Bell. Cela résout aussi naturellement le problème des particules intriquées. Ce sont des particules jumelles, créées au même moment et au même endroit, aussi dans le même état, par une réaction. En les envoyant dans des directions différentes, on peut au bout d’un certain temps regarder leur état. Dans l’interprétation courante, le fait de regarder un état (comme le spin), revient à « projeter » la fonction d’onde, à la « réduire » d’un ensemble probabiliste à une valeur bien déterminée. En faisant la même mesure, à un moment suffisamment proche et sur une distance suffisamment lointaine, on trouve le même état pour la particule jumelle. L’interprétation courante, comme la particule est de manière inhérente une fonction d’onde probabiliste, est que la mesure de l’une envoie (comment ? pourquoi ?) un message à l’autre particule pour être dans le même état. Autrement dit que le mystère de la réduction de la fonction d’onde est

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omnipotent car il est capable d’induire la même réduction sur la particule jumelle (encore une fois, pourquoi ?), même plus vite que la lumière. Des expériences ont aussi été faites ou une première mesure est faite sur la première particule, avant la vérification croisée suivante. Dans l’interprétation courante, comme la mesure est une perturbation extraordinaire (réduire la nature fondamentalement probabiliste de la particule à un état déterminé précis), le fait de retrouver le même état lors de la mesure simultanée prouve que la première transformation a aussi été faite sur la particule jumelle, même sans qu’on le vérifie. Dans l’interprétation du chaos de l’onde particule, cela s’explique directement : les particules sont dans le même état, car lors de leur formation, on arrive en effet à les mettre exactement dans le même état (ce qui en mécanique classique est impossible, mais possible en informatique). Lors de leur dynamique chaotique suivant, elles seront donc aussi dans le même état, tout le temps. Le mystère se résume alors juste au fait que ces particules jumelles soient effectivement dans un état initial aussi proche, que même l’évolution chaotique suivante n’arrive pas à lever la similitude. De même, la mesure redevient une observation classique de l’état actuel de la particule, sans aucune modification. Dans ce cas la mesurer ne fait pas de modification et explique que l’on retrouve encore le même état pour les deux particules plus tard. Une fois cela compris, on pourrait regarder les systèmes quantiques dans leur dynamique temporelle fine, ce que l’on pourrait déjà faire maintenant avec les progrès techniques. Cet exemple montre bien la différence entre une description individuelle d’une dynamique, perturbée, chaotique, et la description lisse de l’ensemble probabiliste des possibles. Le fait de ne pas connaître l’origine de l’indétermination de l’état des particules, a naturellement fait préférer la description probabiliste globale. Mais on constate alors le glissement : lorsque l’on est satisfait d’une description du monde, on a tendance à la substantiver. A prendre cette description, que l’on a construite, comme la nature même et l’explication du monde. Et du coup passer d’une description probabiliste d’un ensemble de possibles à une seule particule intrinsèquement probabiliste et indéterminée elle-même. Ce que montrent ces expériences macroscopiques, c’est que, bien que ce ne soit pas des particules quantiques en elle-même, on est loin d’avoir vraiment exploré ce que voulait dire la dualité onde-corpuscule, et notamment le chaos qu’elle implique. En visualisant directement ces expériences, on peut voir la dynamique sous-jacente chaotique, et comprendre son origine. En bref, le « paramètre caché » de cette indétermination est encore une fois le paramètre que l’on oublie toujours, comme l’avait montré Turing avec sa machine universelle, le paramètre de l’histoire, qui laisse le système développer sa dynamique interne dans le temps pour fournir ces résultats aussi complexes que l’on veut. III - La stabilité du Vivant

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Le vivant nous apparaît toujours comme complexe et mystérieux, même presque plus que le monde quantique dans son interprétation probabiliste. Pourtant le parallèle est possible : Ce qui nous choque, c’est l’imprédictibilité apparente du devenir de chaque être vivant. Il a l’air stable, presque immuable (« n’ai-je pas toujours été là depuis toujours et pour toujours ? »), mais peut s’arrêter brutalement. Les « accidents », « maladies soudaines » sont là pour nous le rappeler. Dans la perspective personnelle, ces évènements sont dramatiques. Mais dans une perspective globale, statistique, tout se retrouve lissé. La mort d’un proche est terrible, mais peut rentrer dans la moyenne statistique normale. Un cas anormal (un crime inhabituel) peut être choquant, mais encore invisible statistiquement. Une mort collective importante, comme une guerre, sera presque moins dramatique, car rentrant dans le cadre des catastrophes naturelles, qui nous échappent et auxquelles nous nous soumettons. Elles seront visibles statistiquement comme des creux dans les courbes des âges ou une légère inflexion sur la population globale. Figure 4. Un écureuil tué par un chat. Sur le plan individuel c’est un évènement catastrophique imprévisible, mais sur un plan global il est lissé dans l’évolution statistique des courbes de populations. (photo S. Douady) Cela montre que l’organisme vivant présente une stabilité qui nous surprend quand tout à coup elle s’arrête. Mais cette stabilité se retrouve globalement : la vie ne fait que prospérer sur terre, même malgré des catastrophes naturelles comme celle qui a suivi la collision d’un astéroïde qui a même entrainé des coulées de laves géantes dans le temps et l’espace, et fait disparaitre presque la moitié des espèces.

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Si on suit cette analogie, alors il semble y avoir une contradiction : dans sa complexité, le vivant (à commencer par une cellule, voire même une bactérie), contient un grand nombre de molécules. Si elle devait suivre une distribution de probabilité globale, alors cela reviendrait à dire qu’elles devraient être globalement dans un état le plus probable, qui est celui d’être mélangées dans le désordre, et devenues inertes. Comme un ensemble de molécules de gaz selon le second principe de la thermodynamique. Or ce n’est pas le cas. Reste à comprendre pourquoi. On se retrouve donc face à un ensemble, l’organisme, dont le comportement global nous impressionne, sans que l’on arrive à le relier simplement à ce qui se passe à l’intérieur. Du coup il est trop tentant de projeter dans cet intérieur des volontés et des phantasmes, des petits « génies » agissant consciemment. Comme la réaction que nous pouvons avoir devant un petit culbuto, qui se mettra à se soulever et rouler « spontanément » après une période de repos, mouvement dû à une bille à l’intérieur dont on ne voit pas le déplacement interne lors des phases de repos. Une des premières caractéristiques du vivant est d’agir « de concert » pour se maintenir, via un mouvement permanent. Si nous avons la perception intérieure d’être constant, il ne faut jamais oublier que l’on ne peut pas se passer de respirer plus de 3 minutes (environ), de boire plus de 3 jours, et de manger plus de 3 mois. Sans cela notre stabilité personnelle est brutalement remise en cause. Mais si on suit une alimentation raisonnable (à laquelle on pourrait rajouter une dose de sommeil quotidienne suffisante), on arrive à se maintenir à peu près à l’identique, physiquement et mentalement. C’est se maintien dans une forme physique et psychique qui nous donne la perception intérieure de la constance de notre existence. Or en fait ce que l’on perçoit c’est la constance… de l’effort pour se maintenir vivant, de l’effort pour percevoir, se percevoir soi-même. C’est la constance d’un mouvement permanent. Evidemment, ce mouvement n’existe, et surtout sa perception interne, que tant que le mouvement se poursuit… et il n’y a pas de raison qu’il soit indéfini. Comme disent les bouddhistes, seul ne meurt pas ce qui n’est pas né. Autrement dit, ce qui est apparu par une construction, aussi improbable soit-elle, n’a pas de raison de ne pas disparaître lorsque cette construction va se délabrer. Et notre désir de sa perpétuation ne suffit pas, d’autant plus si cette construction semble très improbable. Mais comment avoir cette cohérence effective globale de l’organisme vivant ? Ce mouvement cohérent qui permet son maintien, au moins pendant un certain temps. Une réponse possible, partielle, est justement que contrairement à l’image des molécules de gaz thermodynamique, tous les éléments de l’organisme se meuvent « de concert », au lieu de rentrer dedans dans le désordre. Comment le comprendre ? Si on retourne à l’image de la physique microscopique, on peut se rappeler que son fondement est basé sur le fait que c’est un monde… quantifié. Les variables ne peuvent prendre que de valeurs quantifiées, limitées à un nombre entier de possibilités. D’une certaine manière, c’est ce que l’on observe aussi pour le

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monde vivant. En simplifiant, un organisme, comme le chat de Schrödinger, sera en effet … soit mort soit vivant. En gommant le passage difficile à comprendre entre les deux, qui normalement s’effectue de manière assez rapide, mais que l’on arrive maintenant à étendre dans des proportions étranges avec toutes les techniques médicales, le vivant se trouve bien quantifié entre deux états. Comment est-ce possible ? Une explication est justement de revenir sur les mouvements de concert de toutes les parties de l’organisme, pour retourner l’observation. Et de dire que c’est justement parce qu’elles agissent de concert que l’on a un organisme vivant. D’une certaine manière c’est parce que toutes les parties se retrouvent dans le même état, dans un même mouvement collectif, que l’organisme global se retrouve dans un même état quantifié, voire même ici unique, c’est à dire vivant. Si on reprend les images de mouvement collectif, on retrouve bien ce phénomène dans les mouvements de moutons. Un mouton passe essentiellement son temps entre deux états, quantifiés donc, soit brouter, soit se déplacer. Il est difficile d’imaginer un mouton qui est dans le même instant en train de brouter (la tête en train d’arracher des feuilles d’herbes) et d’avancer : la cohésion mécanique de son corps l’en empêche. Si on met un ensemble de moutons ensembles, ce qu’ils aiment bien, on retrouve alors globalement la même quantification : le troupeau va globalement être en train de brouter, ou d’avancer. Il est maintenant plus facile d’imaginer une partie du troupeau qui marche, et une partie du troupeau qui broute, mais la volonté de rester ensemble fait que la séparation est instable et l’ensemble bascule vers un état plus homogène pour retrouver sa cohésion (figure 5). Des expériences récentes ont même montré que ces basculements sont plus brutaux que ceux que l’on peut déduire de la moyenne de basculement préférentiel d’un seul mouton. La raison est justement que lors du basculement, le mouton ne sera pas en partie en train de brouter et en partie en train d’avancer. Cela induit aussi un basculement global plus brutal. Si on imagine que l’état global va aussi être contraint globalement à être quantifié, de la même manière que la mécanique du corps du mouton le contraint à ne pas pouvoir brouter en même temps qu’il avance, alors on conçoit que cette quantification puisse se propager à travers les échelles, de la plus petite (la particule) à l’organisme vivant global. Figure 5. Expérience de mouvement collectif, ou un mouton entraîné à se déplacer vers un apport de nourriture (flèche rouge) arrive à attirer avec lui le reste des 32 moutons, par souci de garder une cohésion du groupe. (ref Toulet S, Gautrais J, Bon R, Peruani F, 2015, PLOS ONE 10(10): e0140188, with creative commons autorisation)

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En bref, la stabilité de l’organisme vivant global pourrait se comprendre comme une conséquence d’un phénomène de quantification global. C’est ce qui explique l’apparition de « l’individu ». IV – Conclusion Dans le cas de la particule quantique, en oubliant sa dualité onde-corpuscule, on a aussi oublié sa dynamique propre, son existence personnelle. Par des premières expériences forcément difficiles, on a alors regardé l’ensemble des résultats possibles, la statistique globale. Son intérêt majeur est que l’on peut la formaliser et l’utiliser de manière pratique, sans à avoir à connaitre ce qui se passe au niveau individuel. L’efficacité de se lissage global a fait oublier de rechercher la nature sous-jacente, voire même de l’oblitérer en reproduisant la nature statistique globale dans la nature même de l’individu. Si on reporte ce processus à des échelles que l’on connaît (la nôtre), comme le fait l’expérience du chat de Schrödinger, l’absurdité de ce processus nous saute au yeux. L’intérêt principal des expériences d’ondes-particules macroscopiques est donc de nous indiquer non seulement ce que peut effectivement être une dynamique sous-jacente, mais en plus que cette dynamique possible est finalement bien plus « classique » et compréhensible que prévu, grâce au chaos et à sa dynamique simple que l’on laisse juste évoluer dans le temps. Mais rien n’empêche vraiment, à part nos propres conceptions, de regarder ce hasard individuel directement. Dans le cas du vivant, le mouvement est inverse. A force de se plonger dans les détails matériels fascinants de l’objet vivant, on est saisi par une complexité que l’on juge inatteignable. On a essayé de s’en sortir en revenant à une formule simple d’information codée qui permettrait (comment ?) un contrôle de l’ensemble des détails. On reporte donc le problème de connaissance à une structure moléculaire qui elle connaîtrait tout. On pourrait plutôt insister sur la cohérence qui fait son unité, et qui pourrait provenir tout simplement d’une cohésion globale. Rester ensemble, même de manière mécanique, implique une certaine mise en harmonie, et finalement une certaine quantification des états possibles. Dans ce cas le chaos de tous les mouvements possibles particuliers sont effacés, non pas par une statistique globale, mais par une mise en cohérence de toutes les parties pour former un individu dans un état quantifié. Le hasard, chaos sous-jacent, ne reste visible que sur le temps très long de l’évolution, où il se retrouve dans le fourmillement des formes de vie, des espèces. Dans les deux cas on se trouve bien face à une gestion difficile du hasard. Le premier revient à en imaginer être la substance même de l’individu particule, en le lissant et en niant son origine possiblement chaotique. Le deuxième, revient à faire disparaître ce hasard, non pas de manière statistique, mais de manière concrète dans le cas précis de chaque individu vivant, par une mise en cohérence quantique. Mais l’intégrer dans la description permettrait peut-être d’avoir une vision plus réaliste ou au moins sereine de nous même et du monde, en comprenant et acceptant mieux ces moments de décohérence où tout, nous compris, pouvons disparaître.

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Remerciements Aux membres de l’équipe d’Yves Couder, en particulier Emmanuel Fort et Matthieu Labousse, pour le partage des données, aux membres de la Fondations Louis de Broglie pour leurs réunions stimulantes, et à Bernard Hennion pour son amitié et sa relecture inspirée.

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Figure 1 image instantanée d’une goutte de liquide rebondissante et induisant une onde  paramétrique autour d’elle, montrant l’objet global d’onde-particule
Figure 3 Quantification des trajectoires d’une onde-particule macroscopique dans un  potentiel harmonique
Figure 4. Un écureuil tué par un chat. Sur le plan individuel c’est un évènement
Figure 5. Expérience de mouvement collectif, ou un mouton entraîné à se déplacer vers un  apport de nourriture (flèche rouge) arrive à attirer avec lui le reste des 32 moutons, par  souci de garder une cohésion du groupe

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