1682 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 8 septembre 2010
actualité, info
… le cancer du sein est le cancer féminin le plus fréquent et aussi la cause la plus fréquente de décès par cancer chez les femmes …
Cancer du sein : disparités européennes
La comparaison des avancées thérapeuti ques en fonction des pays est une source inépui
sable d’enseignements. C’est tout particu
lièrement vrai aujourd’hui avec la publica
tion sur le site du British Medical Journal 1 d’un travail destiné à faire date : l’étude, dans trente pays européens, des disparités con
cernant la mortalité du cancer du sein à par
tir de l’analyse rétrospective des données de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Rappelons que le cancer du sein est le can
cer féminin le plus fréquent (1,4 million de nouveaux cas estimés en 2008) et aussi la cause la plus fréquente de décès par cancer chez les femmes.
Que nous dit, pour l’essentiel, ce travail conduit sous l’égide du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) et coor
donné par Philippe Autier ? Tout d’abord qu’entre 1985 et 1995, la mortalité due au cancer du sein a baissé dans de nombreux pays européens sous l’effet combiné des po
litiques de dépistage et de l’amélioration de l’efficacité des procédures thérapeutiques.
Ensuite que des disparités considérables exis
tent selon les pays ; que la France et la Suède notamment ont mobilisé des ressources im
portantes en matière de dépistage et de thé
rapeutique sans montrer une réduction pro
portionnelle en termes de mortalité. Enfin que la mortalité par cancer du sein est tou
jours en augmentation dans plusieurs pays d’Europe centrale.
Le contexte général est connu. Depuis les années 1990, la prise en charge de cette pa
thologie a profondément évolué du fait du développement des politiques d’incitation au dépistage par mammographie, l’émergence et le développement coordonné de traite
ments médicamenteux et chirurgicaux mieux adaptés et plus efficaces. Ces innovations ont probablement contribué à l’amélioration ob servée en termes de survie. Pour autant, la contribution de chaque facteur n’est pas connue. D’autre part la mise en œuvre des mammographies de dépistage, l’accès aux nouveaux traitements et les dépenses consa
crées à ce chapitre varient considérablement
selon les pays européens.
«De 1989 à 2006, il y a eu une réduction moyenne de la mortalité par cancer du sein de 19%, allant d’une réduction de 45% en Is
lande à une augmentation de 17% en Rou
manie, résument les auteurs de ce travail.
Cette mortalité par cancer du sein a dimi
nué de 20% ou plus dans quinze pays euro
péens, la réduction ayant tendance à être plus importante dans les pays qui avaient une mortalité plus élevée à la fin des années 1980.
L’Angleterre, le Pays de Galles, l’Irlande du Nord et l’Ecosse montrent les deuxième, troi
sième et quatrième plus fortes baisses (entre 35 et 29%). En France, en Finlande et en Suède, la mortalité a diminué respectivement de 11%, 12% et 16%. Dans certains pays, la mor
talité n’a pas diminué ou a augmenté (Grèce, Estonie, Lettonie et Roumanie). C’est chez les femmes âgées de moins de 50 ans que l’on observe les taux les plus élevés de ré
duction de la mortalité.»
Sans doute fautil ici se garder d’une lec
ture par trop simpliste. Les auteurs prennent d’ailleurs soin de préciser les limites de leur travail qu’il s’agisse de la crédibilité des don
nées statistiques sur lesquelles ils ont travail lé ou des situations disparates qui pré valaient à la fin des années 1980. «Les Britanniques étaient alors fortement choqués par leur taux extrêmement élevé de mortalité par cancer du sein à la fin des années 80, mais ils ont pris le taureau par les cornes, a néanmoins expliqué Philippe Autier, cité par l’Agen ce FrancePresse.
Au vu des ten dan ces, dans deux ou trois ans, l’Angleter re aura une mortalité par can
cer du sein inférieure à celle de la France. Il y a trois pays qui vraiment nous ont surpris, la Suède (16%), la Fin
lande (12%) et la France (11%).»
Ainsi donc en dépit d’investissements im
portants dans ces pays en matière de dé
pistage (il y a proportionnellement quatre fois plus d’appareils de mammographie en Fran ce qu’en Angleterre) et de prise en charge par la collectivité, les résultats sem
blent ne pas être au rendezvous. «Il y a un énorme besoin de revoir le système. C’est la seule chose qu’on puisse dire», commente le coordinateur de l’étude. Ce dernier qualifie, d’autre part, de «plutôt catastrophique» la situation des pays d’Europe centrale.
Résumons. Les plus fortes baisses de la mortalité étaient attendues dans les pays qui avaient une forte mortalité dans les an
nées 1980 et qui ont alors développé une forte politique d’incitation au dépistage et de facilitation à l’accès aux traitements mul
tidisciplinaires à compter du début des an
nées 1990. De ce point de vue, le cas du RoyaumeUni est exemplaire : intensification du dépistage des femmes de 5064 ans après 1995 ; incitation à l’utilisation rapide et géné
ralisée du tamoxifène et de la chimiothéra
pie adjuvante ; réorganisation des structures de prise en charge.
À l’autre extrémité du spectre, les pays d’Europe centrale : dépistage généralement non organisé ; pénurie d’appareils de mam
mographie ; faible accès aux médicaments anticancéreux spécifiques, etc. «Ces caracté
ristiques épidémiologiques peuvent aussi être liées à l’évolution rapide des facteurs de risque de cancer du sein qui a eu lieu dans ces pays après l’effondrement des régimes communistes dans les années 1990, tels que la baisse de fécondité et le vieillissement à la première naissance», prennent soin de sou
ligner les chercheurs.
Reste le mystère français : une baisse de mortalité somme toute bien «modeste» au vu des efforts et des ressources consacrés à la lutte contre le cancer du sein (pays disposant du plus grand nombre d’unités de mammo
graphie par million de femmes ; ayant pro
portionnellement les plus fortes dépenses de médicaments anticancéreux en Europe ; avancée thérapeutique
Photo : Raziel
50_53.indd 1 03.09.10 09:36
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 8 septembre 2010 1683 étant à la pointe dans l’utilisation des nou
veaux traitements coûteux, etc.) Or en 2006, la France ne se situait qu’en milieu de ta
bleau européen avec un taux de mortalité de 25,6 pour 100 000 femmes.
En retour, l’Institut national français du cancer (INCa) rappelle que la politique de lutte contre le cancer n’est «particulièrement active» que depuis le premier «Plan cancer 20032007» avec en particulier la généralisa
tion du dépistage organisé du cancer du sein en 2004, la mise en œuvre de mesures d’amélioration de la qualité des soins, en particulier le déploiement des réunions de concertation pluridisciplinaires, l’accès aux thérapies ciblées (dont l’herceptine, en 2006) et ce – le cas échéant – dès le diagnostic por
té. Selon l’INCa, il est «sans doute prématu
ré» de pouvoir évaluer les effets de toutes ces mesures sur la mortalité par cancer du sein.
Jean-Yves Nau jeanyves.nau@gmail.com
1 Autier P, et al. Disparities in breast cancer mortality trends between 30 European countries : Retrospective trend analysis of WHO mortality database. BMJ 2010;
341:c3620 doi:10.1136/bmj.c3620. www.bmj.com/cgi/
content/full/341/aug11_1/c3620
50_53.indd 2 03.09.10 09:36