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Géographie Économie Société : Article pp.199-222 du Vol.10 n°2 (2008)

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Géographie, économie, Société 10 (2008) 199-222

GÏOGRAPHIE ÏCONOMIE SOCIÏTÏ GÏOGRAPHIE ÏCONOMIE SOCIÏTÏ

Analyser le développement régional De l’innovation territoriale à la géographie

de « dépendance du sentier »

1,2

Analysing regional development: from territorial innovation to path dependent geography

Frank Moulaert

a

et Abid Mehmood

b

a Professeur à l’Université de Newcastle, APL / GURU, KU Leuven, Belgique et IFRESI – CNRS

bChercheur associé, Université de Newcastle, APL / GURU, Claremont Tower, Claremont Road, Newcastle upon Tyne NE1 7RU, UK

Résumé

Cet article présente un panorama des modèles utilisables pour analyser le développement régional ainsi que pour concevoir des politiques et des stratégies pour l’avenir des régions et des localités. Il évalue la pertinence de ces modèles en termes de capacité analytique et politique, et propose quelques recommandations pour une approche structurelle plus réaliste de l’analyse spatiale du développement.

La section 1 fournit une perspective des Modèles Territoriaux d’Innovation (MTI), modèles qui théorisent le développement local et régional du point de vue du nouveau régionalisme, et explique en quoi ils s’avèrent insuffisamment « réalistes » en termes d’analyse du développement régional, et de stratégie et de conception de politiques.

1 Dépendance du sentier ou dépendance des trajectoires passées. Cette deuxième expression reflète mieux la complexité ou la multiplicité des sentiers passés.

2 Cet article est largement basé sur F. Moulaert et A. Mehmood, “Analysing regional development: from territorial innovation to path dependent geography”, dans: Wilfred DOLFSMA et John DAVIS eds « The Elgar Handbook of Socio-Economics » (2008). Nous tenons à remercier M. Jean-Christophe Trentinella pour la traduc- tion du texte de base.

*Adresses email : frank.moulaert@asro.kuleuven.be, abid.mehmood@ncl.ac.uk

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La section 2 constitue un plaidoyer en faveur du retour à « l’ancienne » tradition institutionnaliste et structuraliste de l’analyse du développement régional (Ecole historique allemande, Gunnar Myrdal, François Perroux, Alain Lipietz, etc.). Il est vrai que ces approches sont plus catégoriques dans leurs distinctions entre les perspectives analytiques, stratégiques et politiques du développement régional et pourraient aisément être adaptées à l’analyse spatiale en cette ère de globalisation.

La section 3 propose quelques recommandations méthodologiques, se concentrant sur l’analyse spatiale contemporaine du développement dans un cadre intégrant les approches « ré- gulationniste », de l’économie politique du champ culturel, et de la théorie des réseaux. Cette section examine en outre les dimensions structurelles, institutionnelles, « scalaires » et culturel- les des processus et des stratégies de développement.

© 2008 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Summary

This paper gives an overview of models which can be used to analyse regional development as well as to design policies and strategies for the future of regions and localities. It evaluates the analyt- ical and policy relevance of these models, and offers some recommendations for a more structural realist approach to spatial development analysis.

Section 1 provides an overview of Territorial Innovation Models (TIM) – models theo- rising local and regional development from a New Regionalism point of view - and explains why they fall short of ‘realist’ regional development analysis, strategy and policy design.

Section 2 then makes a plea for a return to the ‘old’ institutionalist and structuralist tradi- tion of regional development analysis (German Historical School, Gunnar Myrdal, François Perroux, Alain Lipietz, etc.). Indeed these approaches are more ad rem to distinguishing the analytical from the strategy and policy perspective of regional development, and could be made appropriate for spatial analysis relatively easily in this era of globalization. Section 3 makes some methodological recommendations, focusing on contemporary spatial develop- ment analysis within a framework of integrated regulationist, cultural political economy and network theoretical approaches, and taking full cognisance of the structural-institutional, scalar and cultural dimensions of development processes and strategies.

© 2008 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Mots-clefs : modèles territoriaux d’innovation, nouveau régionalisme, développement régional, dépendance du sentier, structure sociale, institutions et culture.

Keywords: Territorial Innovation Models – New Regionalism - regional development – path dependency – social structure, institutions and culture.

Introduction

Avec le retour du « régionalisme », l’étude du développement régional et de la politique régionale est revenue au centre des préoccupations de la science sociale de l’analyse spa- tiale. Pour tirer profit de la longue tradition de recherches dans ce domaine (qui débute avec l’Ecole historique allemande au XIXe siècle), il faudra utiliser avec raison les contributions d’ « anciennes » et de «nouvelles » positions épistémologiques ainsi que de « retour aux fondamentaux » (« return to basics ») de l’analyse régionale (cette dernière à la demande de

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Lovering en 20013). Sur la période des vingt dernières années, le développement régional a été principalement abordé à travers la vision d’ensemble issue des Modèles territoriaux d’innova- tion et particulièrement des modèles régionaux d’innovation, fers de lance du mouvement du

« Nouveau régionalisme ». Ces modèles, débattus dans la section 1 de cet article en tant que modèles territoriaux d’innovation (expression générique ou nom de famille désignant entre autres : district industriel, milieu innovateur, « région apprenante », etc. ; voir section 2 pour plus de détails) présentaient une avance significative sur l’analyse de croissance régionale néoclassique car ils permettaient de « remplir la boîte noire » - les dynamiques institution- nelles de développement - traditionnellement ignorées par l’économie de type néoclassique.

Toutefois, les modèles territoriaux d’innovation (MTI) ne solutionnent qu’en partie les problè- mes d’analyse du développement régional et d’analyse des politiques.

Le réductionnisme épistémologique des MTI (une ontologie de l’économie de marché capitaliste, fusion des perspectives envers le passé et le futur, confusion de positions empi- riques et normatives, d’institutions et de structures, de normes culturelles et économiques) signifie un retour en arrière en comparaison des précédentes théories de développement régional. En conséquence, la troisième section de ce document argumente en faveur d’un retour à « l’ancienne » tradition institutionnaliste d’analyse du développement régional (Ecole historique allemande, Gunnar Myrdal, François Perroux, Ecole française de dévelop- pement spatial déséquilibré, géographes radicaux des années 70, etc.). En effet, ces théories sont plus à même de distinguer les caractéristiques analytiques du développement régio- nal de ses stratégies de conception ; et en combinant ces caractéristiques avec les récentes découvertes de l’économie politique culturelle et de la géographie économique relation- nelle, ces théories pourraient facilement être adaptées et s’avérer très utiles pour l’analyse du développement régional et de la politique régionale en cette ère de globalisation.

La dernière section est consacrée à des réflexions d’ordre méthodologique autour du développement régional. Elle interroge les récentes tentatives de synthèse (fondées sur l’enchâssement territorial, la complexité relationnelle, le couplage stratégique) et choisit de connecter explicitement l’économie culturelle et politique, les approches « régulation- niste » et les approches de réseau-« capacités » pour étayer l’analyse du développement et des politiques au plan régional. Une telle articulation devrait conduire à la définition d’un cadre métathéorique structurel réaliste, dans lequel des théories spatiales orientées vers des problématiques plus spécifiques pourraient être mises en œuvre.

1. Les Modèles Territoriaux d’Innovation : qu’on-t-ils à nous apprendre ?4

Les « Modèles territoriaux d’innovation » (MTI) sont des modèles d’innovation régio- nale au sein desquels les dynamiques institutionnelles locales jouent le rôle significatif de catalyseur (particulièrement positif) dans les stratégies de développement innovantes.

3 Cet article traite de développement régional et non de théories de croissance. Bien qu’il existe des affinités entre ces traditions analytiques nous ne pouvons ici rendre compte des deux et préfèrerons nous intéresser aux théories du développement plus orientées vers des dispositifs de qualité. En conséquence et à titre d’exemple nous ne présenterons pas le débat sur la Nouvelle économie géographique et les modèles de croissance régionale endogène (voir Fujita, Krugman et Venables, 1999).

4 Cette section a été reproduite et complétée de Moulaert et Nussbaumer (2005). Copyright accordé par SAGE Publications.

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La plupart de ces modèles reflètent les caractéristiques suivantes du développement et de l’innovation aussi bien que les rapports entre elles : le noyau de la dynamique d’innova- tion, le rôle des institutions, la vue du développement régional, la culture, les types de relations entre les agents et les types de rapports avec l’environnement. Principalement trois familles de MTI peuvent être identifiées5. La première contient le Milieu innovateur et le modèle du District Industriel. Le modèle français du Milieu innovateur, qui servait de base à la synthèse produite par GREMI (Aydalot, 1986), souligne le rôle du potentiel institutionnel endogène dans la production de firmes innovatrices dynamiques. La même idée fondamentale est trouvée dans le modèle du District Industriel, qui se concentre encore plus sur le rôle de la coopération et de l’association dans le processus d’innova- tion (Becattini, 1987). La deuxième famille de MTI contient des modèles appartenant à la tradition des Systèmes d’innovation : une traduction des principes institutionnels de coordination trouvés dans les systèmes sectoriels et nationaux d’innovation sur le niveau régional (Edquist, 1997) ou, plus correctement, une interprétation évolutionniste de l’éco- nomie « apprenante » dans l’espace régional (Cooke, 1996 ; Cooke et Morgan, 1998). La troisième tradition des MTI provient de l’école californienne d’économie géographique qui analyse les nouveaux espaces industriels (Storper et Scott, 1988 ; Saxenian, 1994). En outre, il y existe une catégorie résiduelle, incluant les « clusters spatiaux d’innovation », qui ne constitue pas à proprement parler une autre famille de MTI, car elle a peu d’affinité avec l’analyse régionale, mais qui se rapproche des clusters d’innovation de Porter.

Tous ces modèles ont en commun un grand nombre de concepts-clés qui ont été employés pendant longtemps dans les sciences économiques ou l’analyse régionale, ou qui ont été empruntés à d’autres disciplines, particulièrement en science sociale.

Le tableau 1 récapitule la signification de l’innovation territoriale et de ses caracté- ristiques dans la plupart de ces modèles6. Le modèle de la région apprenante n’a pas été inclus parce qu’il peut être considéré comme une synthèse des caractéristiques essen- tielles de plusieurs des MTI.

La plupart des MTI soulignent l’instrumentalité des institutions dans la restructuration économique et la compétitivité améliorée des régions et des localités. Mais dans aucun de ces modèles il n’est fait référence à l’amélioration des dimensions non économiques et des sections des communautés régionales et locales non coordonnées par le marché, à moins que de telles améliorations puissent contribuer d’une manière ou d’une autre à la compétitivité du territoire. Selon les MTI, la qualité de la vie dans les communautés locales et régionales dépend de la croissance de la prospérité, et se manifestera en tant qu’externalité positive d’une croissance économique plus importante ; aucune distinction n’est faite entre bien-être et croissance, culture communautaire et climat économique.

Il ne fait aucun doute que les MTI ont une avance significative en comparaison aux modèles orthodoxes de « développement » économique spatialisés (par exemple les modèles néoclassiques de la croissance régionale) en ce qu’ils reconnaissent le rôle explicite des institutions (entreprises y compris) et de leurs processus d’apprentissage

5 Pour plus de détails se reporter à Moulaert, Sekia et Boyabé (1999).

6 Pour plus de détails voir Moulaert, Sekia et le Boyabé, op.cit. Voir également MacKinnon, Cumbers et Chapman (2002) qui entre autres observations critiques précisent comment le modèle de région apprenante sous-estime l’articulation entre les échelles spatiales dans les dynamiques d’apprentissage.

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Tableau 1 : signification de l’innovation dans les Modèles Territoriaux d’Innovation (MTI) Modèles

Caractéristiques de l’innovation

Milieu Innovateur

(MI) District Industriel

(DI) Systèmes

Régionaux d’Innovation (SRI)

Nouveaux Espaces Industriels (NEI)

Principale dynamique d'innovation

Capacité d'une firme d’innover par ses rapports avec d'autres agents du même milieu

Capacité d'acteurs de mettre en application l'innovation sur la base d’ un système de valeurs communes

Innovation comme processus interactif, cumulatif et spécifique de recherche et développement (dépendance du sentier)

Un résultat de la R&D et de sa mise en application;

application de nouvelles méthodes de production

Rôle des

institutions Rôle très important des institutions dans le processus de recherche (universités, firmes, agences publiques, etc.)

Les institutions sont des "agents"

facilitant la régulation sociale, stimulant l'innovation et le développement

Comme dans le NEI, les définitions varient selon les auteurs. Mais pour tous, les institutions garantissent la régulation du comportement.

Régulation sociale pour la coordination des transactions inter-firmes et la dynamique de l'activité entrepreneuriale

Développement

régional Vision territoriale basée sur des

« milieux innovateurs » et sur la capacité de l'agent d'innovation dans une atmosphère coopérative

Vision territoriale basée sur la solidarité et la flexibilité spatiales des districts. Cette flexibilité est un élément de cette innovation

Vision de la région comme système de « apprentissage par l'interaction et en guidant la régulation »

Interaction entre la régulation sociale et les systèmes de production agglomérés

Culture Culture des liens de confiance et de réciprocité

Valeurs de partage parmi les agents du DI - confiance et réciprocité

La culture est la source de

« l’apprentissage par l’interaction »

Culture de comportement résiliaire et d'interaction sociale Types de relations

inter agents Le rôle d’ « espace de soutien » : relations stratégiques entre la firme, ses partenaires, fournisseurs et clients

Le réseau comme un mode de régulation sociale et une source de discipline. Il permet une coexistence de coopération et de concurrence

Le réseau est un mode d'organisation de « l’apprentissage organisationnel »

Transactions inter firmes

Type de relations avec l'environnement

Capacité d'agents de modifier leur comportement selon les changements de leur environnement.

Relations très

« riches » : troisième dimension d’ « espace de soutien »

Les rapports avec l'environnement imposent quelques contraintes et offrent de nouvelles idées.

Capacité de réagir aux changements de l'environnement.

Relations

« riches ». Vision spatiale limitée d'environnement

Équilibre entre relations spécifiques internes et contraintes d'environnement.

Relations « riches »

La dynamique de la formation de la communauté et de la reproduction sociale

Le tableau 1 récapitule la signification de l’innovation territoriale et de ses caractéristiques dans la plupart de ces modèles . Le modèle de la région apprenante n’a pas été inclus parce qu’il peut être considéré comme une synthèse des caractéristiques essentielles de plusieurs des MIT.

Source : Moulaert, Sekia and Boyabé, 1999.

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en tant que facteurs clefs dans le développement économique. De cette façon, ils rem- plissent la boîte noire du modèle néoclassique de la firme et de ses réseaux, qui néglige la dynamique institutionnelle des agents innovateurs et prend seulement en compte la logique de l’agence économique rationnelle.

Les MTI sont donc socialement plus sophistiqués que les modèles néoclassiques de croissance régionale en ce qu’ils perçoivent les dynamiques institutionnelles (culture, organisations apprenantes, réseaux) comme autant de facteurs d’amélioration de la com- pétitivité de marché de l’économie locale. (Dans le discours orthodoxe du développe- ment, on pourrait dire qu’ils rendent fonctionnel le « développement » pour la croissance : l’adage néoclassique tourné à l’envers !) Mais, dans le même temps, les MTI reflètent une ontologie sociétale avec une vision restreinte du développement économique : innovation et processus d’apprentissage amélioreront la performance d’économie de marché d’une région ou d’une localité, et en cela contribueront à l’accomplissement d’autres objectifs du développement (économique, social, politique, culturel).

En d’autres termes : implicitement, les MTI ne considèrent pas la multi-fonctionnalité ou la diversité allocative de l’économie - une économie qui est en réalité beaucoup plus étendue que l’économie de marché capitaliste - ou les autres sphères existentielles (non économiques) des communautés locales et régionales, telles que : l’environnement natu- rel, la sphère socioculturelle (arts, éducation et service sociaux) ou encore la sphère socio- politique. En dépit de leur dévotion aux dynamiques institutionnelles, ils sont voués à une ontologie économique fondée sur le marché et une vision technologique du développe- ment. Ils négligent d’une manière flagrante le rôle passé et présent des mécanismes struc- turaux de la croissance et du déclin, des échanges interrégionaux égaux et inégaux et du développement négociés par la médiation de ces institutions et leurs agences stratégiques (comparer avec Holland, 1976). On pourrait objecter à cela que dans la vision qu’ont les MTI de l’institutionnalisation, « la légèreté de l’être » de la perspective comportementale rationaliste transforme la complexité institutionnelle du réel et de ses sentiers de dévelop- pement en des comportements stratégiques manifestes de rupture de sentier - rationalisant de ce fait l’histoire comme si elle créait organiquement le futur innovant !

Un autre aspect ontologique de la vision instrumentaliste et d’économie de marché des dynamiques institutionnelles inhérente aux MTI, est la vision restrictive de la politique de développement économique régional. A l’unisson de l’ontologie des MTI, des secteurs économiques de la politique publique sont prioritisés et se basent sur l’innovation tech- nologique et les procédures rationalistes d’apprentissage, alors que d’autres secteurs sont adaptés en direction d’une politique d’économie de marché. Les politiques culturelles, éducatives, de transport, de développement urbain etc. deviennent toutes plus ou moins subordonnées aux critères de la compétitivité du marché et perdent leur raison d’être 7 et le but politique spécifique qui contribuent dans leur logique propre à l’émancipation culturelle, éducative et environnementale des êtres humains et de leurs groupements sociaux (Moulaert et Nussbaumer, 2005).

Enfin les MTI souffrent de ce que nous pourrions appeler « un piège localiste ».

Pour un certain nombre de raisons, ils considèrent que les stratégies de développement régional et local qui emploient les ressources endogènes, constituent la réponse appro-

7 En français dans le texte.

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priée aux conséquences inégales et injustes de la globalisation et des stratégies des acteurs globaux. De là, découle un jugement naïf et erroné sur le rôle de ces dernières et une vision non équilibrée de la façon dont les stratégies réalistes de développe- ment régional devraient tenir compte des acteurs globaux, et particulièrement de leurs

« firmes focales » (voir Coe et autres, 2004, sur la perspective des réseaux globaux de production). En même temps ce déni de « la globalisation maléfique » conduit à une compréhension peu réaliste du pouvoir des ressources endogènes (en termes lacaniens : le déni de l’impact du Réel) et de comment elles ont été gérées. Il serait intéressant, par exemple, d’appliquer cette perspective aux observations de Hassink et Lagendijk (2001) sur « l’attention limitée à la dimension interrégionale de l’appren- tissage » qui contraste avec la focalisation importante sur l’apprentissage régional que l’on trouve dans l’analyse de développement régional. Dans sa lecture la plus extrême

« le piège localiste » signifie également que les MTI sont définis dans un isolement économique et politique du monde extérieur. D’anciennes découvertes, à savoir (voir la section 3) que les MTI ne peuvent réussir que grâce aux économies d’échelle (et non seulement de variété comme les MTI l’affirment) et aux réseaux commerciaux de haute valeur ajoutée, et que les régions et les localités sont des concurrents dans une économie et un système politique plus étendus - avec le risque qu’en l’absence de politiques de développement nationales et supranationales appropriées, seul un nom- bre limité d’entre elles puisse réussir - semblent avoir été oubliées. Il est vrai que les analyses du ‘nouveau régionalisme’ contemporain sont plus réalistes à ce sujet et

« soulignent plus l’importance des dynamiques extra-locales configurant la croissance économique dans les régions » (Coe et autres, 2004 : 469). Cependant cela reste une énigme pourquoi aujourd’hui, pour ramener « le nouveau régionalisme » à ce niveau de complexité géographique, des vérités établies déjà dans les années 70 au sujet de la dépendance du sentier et de la signification pour le développement des échelles spatia- les plus étendues, ont dû être réinventées à partir de zéro.

Ces positions ontologiques des MTI ont inspiré au moins deux erreurs épistémologi- ques majeures qui affectent l’utilité de ces modèles pour le développement régional et l’analyse politique et qui appellent à de profondes révisions.

En premier lieu, les MTI ne parviennent pas à démêler les perspectives normati- ves des perspectives analytiques dans la recherche sur le développement régional.

La conséquence la plus significative de ceci est que « l’intentionnalité de chan- gement dans l’agence » (par exemple les stratégies innovatrices, l’apprentissage organisationnel amélioré) est considérée comme la force motrice du développement régional proprement dit. Ceci mène de façon récurrente à une situation dans laquelle les stratégies conçues pour la vie réelle sont analysées comme autant de compor- tements « imaginés et conçus » pour le futur, comme si le passé et le présent du développement régional pouvaient être expliqués seulement comme le résultat d’un comportement innovateur rationnel au sein de processus d’apprentissage organisés efficacement (Moulaert et Sekia, 2003).

En second lieu, malgré la contribution significative des MTI à ré-institutionnaliser l’étude du développement territorial, leur analyse des dynamiques institutionnelles est limitée par l’interprétation instrumentale des « institutions territoriales pour la croissance de marché » et ce que Hess (2004) appelle une vision sur-territoriale de

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l’enchâssement. Ceci conduit par exemple à une explication sur-déterministe du rôle de la globalisation - le global façonne les institutions locales - ou à une compréhen- sion naïve de la marge de manœuvre laissée aux stratégies endogènes dans l’écono- mie et dans la société globales.8

Pour pallier à ces travers épistémologiques dans l’explication de la politique et du développement régional, nous nous tournons dans la section 3 vers des théories

« plus anciennes » et/ou plus « culturées » qui proposent des explications plus claires des relations entre : passé, présent et futur ; agences, structures et institutions ; déve- loppement et politique.

Des tentatives plus récentes pour surmonter la dévotion à l’endogenénéité locale ont été faites par l’approche du « couplage stratégique » (Coe et autres, 2004), la révision de

« la géographie économique relationnelle » (Yeung, 2005), la contextualisation de l’ap- proche de l’enchâssement territorial (Hess, 2004) et la définition en termes de dépendance du sentier des stratégies de développement local (Cox, 2004). Ces différentes approches, que nous aborderons dans la section 4, serviront de tremplin pour la présentation de notre propre synthèse analytique.

2. Vétérans du développement régional

Nous avons vu dans la section 2 que dans la littérature contemporaine sur le dévelop- pement régional, ce sont « le nouveau régionalisme » et les MTI qui tiennent le haut du pavé. Mais nous avons remarqué que ces modèles souffrent de défauts ontologiques et épistémologiques : ils emploient des catégories idéalisées utilisées pour la conception de stratégies pour le développement futur, également comme des concepts-clé dans l’analyse des dynamiques structurelles et institutionnelles du passé ; de plus, ils abou- tissent à la création d’un prototype de politique de développement régional dont la visée quasi-exclusive est l’amélioration de la compétitivité. À cet effet ils recherchent la bonne ou la meilleure pratique combinant technologie et organisation, soutenue par les catalyseurs institutionnels régionaux et locaux. La plupart des contributions du nouveau régionalisme se rapportent à une dépendance de sentier du développement régional qui se limite habituellement à une continuité de modèles de culture et de modes d’associa- tion sociale entre agents innovateurs, et ne tient pas compte de l’impact contraignant ou incapacitant des sentiers historiques suivis par les prétendues structures « abstraites » de l’économie capitaliste (division du travail, rapport salarial, concurrence entre les capitaux et structures de marché).

Dans cette section nous examinerons brièvement les « vétérans » qui en leur temps ne souffraient pas de l’instrumentalisme institutionnel et « l’a-historicisme » sélectif que nous avons observés chez les MTI. Nous regarderons successivement : l’Historicisme, les écoles de croissance déséquilibrée et la géographie économique radicale. Vers la fin de la sec- tion, nous nous tournerons également vers les récentes contributions en Economie politique culturelle qui apporte une nouvelle dimension à l’analyse du développement régional.

8 Dans une conférence magistrale dans le cadre des ‘Roepke lectures in Economic Geography’ Peter Dicken a montré que le jeu d’interactions entre les Etats et les sociétés dans une économie globale ressemble toujours dans large mesure à une économie inter-nationale dans laquelle les principaux agents politiques et économiques nationaux visent à mettre en application leurs propres ordres du jour nationaux (Dicken, 1994).

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2.1. Historicisme et développement territorial

L’École historique allemande a été la base du développement des théories de la crois- sance et du développement économiques du XXe siècle9. Les contributions de L’École his- torique allemande à une meilleure compréhension de la « Nazionalökonomie » et aux diver- ses analyses des étapes de la croissance économique, ont eu un impact retentissant sur les analyses et théories ultérieures du développement national et régional. Toutefois, la théorie des « étapes de croissance » post deuxième guerre mondiale, ne peut être qu’indirectement reliée à l’École historique allemande, principalement parce Rostow et les autres auteurs de cette théorie ont peu eu accès à la littérature allemande, mais également en raison de l’in- fluence croissante de l’École classique anglaise sur les analyses des « étapes de croissance économique », qui a transformé la lecture du développement historique en une série de rele- vés des indicateurs de performance de la croissance économique (voir Hoselitz, 1960). Une différence significative entre l’École historique allemande et les Economistes Classiques consiste en ce que l’École historique allemande proposait déjà une véritable théorie des dynamiques économiques (par exemple en utilisant le concept de la causation cumulative) tandis que les Classiques ont seulement fourni certains principes des dynamiques écono- miques (tels que le rôle des changements dans la division du travail d’après Adam Smith) tout en maintenant la vision d’une tendance organique à l’équilibre, à la fois de l’économie elle-même et également parmi ses agents10. L’École historique allemande a contribué à la construction de l’analyse du développement territorial et ce des trois manières suivantes :

2.1.1. La reconnaissance du rôle croissant de l’état et de l’industrialisation

Nussbaumer (2002) démontre que nombre d’idées significatives apparues dans la littérature sur le développement local et régional après la deuxième guerre mondiale, étaient dans une certaine mesure déjà présentes dans les écrits de l’École historique alle- mande. Par exemple, l’attention portée aux dynamiques sociales du développement liées à la construction de l’État-Nation à partir des différents états [régionaux] allemands ; les relations sociales entre l’État-Nation et le développement économique ; et l’organisa- tion socio-économique culturellement enchâssée des activités économiques, ont été très débattues au sein de la littérature de l’École historique allemande.

2.1.2. L’espace comme catégorie historique

Les écrits de Gustav Schmoller (1884, 1905) ont appliqué l’enchâssement historique à l’analyse spatiale. En utilisant une perspective anthropologique, il a montré comment la société s’est appropriée l’espace par le développement des institutions, institutions qui organisent cet espace en fonction des besoins de la population. En d’autres termes : les ins- titutions spatiales matérialisent les relations sociales qui se sont développées dans une com- munauté. Par conséquent, l’évolution des besoins et du système économique implique une transformation de la configuration institutionnelle de l’espace. L’importance relative des niveaux institutionnels change selon leur pertinence pour le développement de la commu-

9 L’École historique allemande a également joué un rôle significatif dans la genèse de la théorie de la locali- sation ; ceci n’est pas développé ici. Voir Nussbaumer (2002).

10 Nous devrions également garder à l’esprit que la théorie des étapes de croissance économique a également eu une influence sur la théorie du système des régions de Lösch (Lösch, 1938).

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nauté (régionale, locale). Pour autant, l’évolution institutionnelle n’est pas uniformément harmonieuse mais produit des conflits. Les relations de pouvoir, à la fois au sein des insti- tutions et entre elles, forment en partie un mouvement dialectique. Les interrelations entre les acteurs économiques illustrent la dimension politique du développement : par exemple ceux qui essayent d’influencer les politiques en intégrant les conseils municipaux, ainsi que les pouvoirs politiques qui essayent d’orienter et de promouvoir les activités économiques (voir également François Perroux et Gunnar Myrdal, prochaine sous-section). L’espace, considéré de la perspective de son appropriation à travers l’institutionnalisation (la ré-insti- tutionnalisation), est enchâssé dans le mouvement de l’histoire.

2.1.3. Approche spatiale et territoriale

C’est principalement à Gustav Schmoller que l’on doit l’approche territoriale du déve- loppement de l’École historique allemande. Il a montré comment la concurrence et la coopération au sein des institutions et entre elles sont importantes pour créer des opportu- nités d’intervention politique et des interactions entre l’action politique et la transforma- tion du système économique. Cette idée, liée à l’emphase sur la combinaison des facteurs de développement nécessaires pour produire du développement, et à la reconnaissance des relations sociales au sein d’un groupe ou d’une communauté en tant que partie pre- nante du processus de développement, conduit à une analyse du développement qui lie les mécanismes du marché à l’interaction sociale.

2.2. Développement régional enchâssé et déséquilibre cumulatif

Dans les années 60 (ou vers la fin des années 50) la découverte simultanée des dif- ficultés de développement du Sud et des problèmes régionaux et locaux de développe- ment dans des pays industrialisés dus à une transformation massive du système industriel (Hirschman, 1994), a mis en évidence l’importance des échelles spatiales de développe- ment et de leurs diverses dynamiques politiques et économiques.

Cependant, il serait illusoire de penser qu’un sentier inter-paradigmatique de progrès scientifique sans heurts, a conduit des penseurs de l’École historique allemande aux analystes du développement spatial des années 60. Dans la première moitié du XXe siècle une rupture dans l’analyse du développement spatial [et de la localisation] s’est produite avec l’influence croissante des théories de la localisation néoclassiques et des

« Places Centrales ». Il y avait beaucoup de raisons à cette discontinuité paradigmati- que, parmi lesquelles citons seulement les plus importantes : (i) La désapprobation des universitaires américains (qui jusqu’à l’Interbellum se formaient fréquemment dans les universités allemandes) envers la politique impériale allemande, et particulièrement sous le régime Nazi, a conduit à une profonde perte d’intérêt dans l’École historique allemande qui était fortement centrée sur le rôle des institutions en général, et sur celui de l’Etat en particulier ; (ii) la diffusion euphorique des méthodes scientifiques posi- tivistes dans les sciences sociales ; enfin les sciences sociales accédaient au rang de

« véritables sciences » ! Le développement de la méthodologie positiviste fut fortifié par l’influence croissante de l’analyse de localisation formelle (algébrique), déjà pré- sente à la fin du XIXe siècle, particulièrement en Allemagne, et qui commença à détrô- ner l’approche de l’École historique allemande vers la fin des années 1920.

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Progressivement, dès les années 1930 mais en particulier après la deuxième guerre mon- diale, une séparation grandissante se produisit entre la théorie de localisation ‘pseudo-clas- sique’ ou néoclassique et la théorie de croissance régionale d’une part, et la théorie du développement régional - qui prend ses racines dans l’institutionnalisme - de l’autre. Cette dernière inclut des auteurs comme Gunnar Myrdal (1957), Albert Hirschman (1958) mais également François Perroux (1955, 1983, 1988). On se rappelle particulièrement Perroux pour son analyse des rapports entre agglomération économique d’une part (pôles de crois- sance au sein d’un espace géographique), et externalités (technologique, pécuniaire) et rela- tions de pouvoir de l’autre ; son analyse en termes de pôle de croissance et de développe- ment régional adopte une perspective institutionnelle forte et montre comment les inégalités dans les relations économiques sont institutionnellement confirmées, et comment seule une politique publique bien établie peut contrecarrer un développement inégal.

Une présentation intéressante du travail de Myrdal sur le développement socio-écono- mique spatial est donnée par Meardon (2001) qui argumente :

« Au total, la théorie de Myrdal de l’agglomération faisait partie d’un programme de recherche d’alternative holistique. Ses principaux constituants étaient une critique de la théorie économique prédominante, le développement et l’application interdisci- plinaire du concept de causation cumulative, et la proposition de politiques publiques visaient à réduire les inégalités internationales, interrégionales, et même interracia- les, toutes basées sur des prémisses de valeur explicitement indiquées. » (P. 49).

« L’application » de son cadre de causation cumulative au développement régional et inter- régional présente un intérêt particulier pour notre propos. Myrdal débat de la causation cumu- lative en termes d’une tension entre effets d’entraînement et de diffusion. Il explique comment les agglomérations voient souvent le jour à la faveur d’une ou de plusieurs initiatives économi- ques (accidents historiques), mais que leur développement et leur domination sur les centres de moindre importance sont le résultat d’économies internes et externes toujours croissantes dans les pôles de croissance. Le rôle des processus culturels et politiques y est significatif et l’inégalité croissante entre les centres de croissance et ceux de moindre importance ne peut être surmontée que par une initiative publique active et durable (Myrdal, 1957).

La confrontation entre ces analyses de développement régional institutionnalistes et le nouveau régionalisme est instructive et montre comment ce dernier a simplifié « le monde régional » en un espace d’agences combinant ingénierie institutionnelle et économique - bien loin des vrais espaces de causation cumulative de croissance et de développement dans des régions et localités de pointe, où le commerce basé sur le jeu de pouvoir politique et les échanges inégaux et les réseaux d’investissement jouent un rôle significatif. Cette analyse de Myrdal et d’autres fournit également des arguments expliquant pourquoi à l’échelle de la planète peut-être mille plutôt qu’un million de MTI s’épanouiront dans le vrai monde glo- bal et comment les régions florissantes extorqueront des ressources (capital humain, idées innovatrices, capital financier) à des régions moins prospères ou plus pauvres.

2.3. économie politique du développement régional

L’économie politique du développement régional examine le déploiement des rela- tions de production à la fois au sein des « systèmes des régions » et tel que reproduit par ceux-ci. Les cadres analytiques les plus intéressants ont été développés quasi simultané-

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ment par Doreen Massey (1984) et Alain Lipietz (1977). Tous deux observent l’articula- tion entre la hiérarchie (spatiale) de la division du travail d’une part, et la reproduction des inégalités régionales de l’autre. D’autres analystes plus tardifs tels que Markusen (1983) et Hudson (2001) ont élargi le concept des relations sociales et son rôle dans l’analyse du processus de régionalisation et ont ainsi attribué plus de valeur aux interprétations non réductionnistes du développement régional ; et Sum (2006) a valorisé le potentiel d’une approche culturellement plus forte du développement régional. Ces auteurs, et d’autres, ont souligné le besoin d’une meilleure articulation des différents processus sociaux par lesquels l’espace est constamment reproduit - et ainsi exécutant de fait le concept de Lefèbvre (1974) dans lequel il distingue entre espace perçu, espace conçu et espace vécu, et prépare le terrain pour une approche davantage contre-hégémonique des stratégies spa- tiales de développement, basée sur une diversité vécue.

2.3.1. La division spatiale de l’emploi

Dans son livre « Le capital et son espace », Alain Lipietz (1977) développe une théo- rie marxiste du développement régional. Elle combine une explication du problème de l’inégalité régionale en termes de condition de l’économie rurale en France avec une division spatiale du modèle de l’emploi des activités de fabrication et de services à travers l’espace-économie. Pour ce faire, Lipietz analyse « l’interregionnalité » (« les rapports qui s’établissent entre régions inégalement développées au sein d’une zone d’intégration articulée en circuits de branches desservant un marché unique », p. 84) sur la base des flux ou des circuits des branches de production. À cette fin, il examine l’articulation entre relations de production « pré-capitalistes » - en particulier celles matérialisées dans l’agriculture traditionnelle - et les relations de production capitalistes telles qu’exprimées dans les branches de fabrication [particulièrement fordistes] de la production. Lipietz analyse explicitement à la fois le développement et l’articulation entre les modes de pro- duction dans la complexité des relations entre Etat et capital (c’est-à-dire la complexité des formations sociales nationales, des armatures régionales et l’extrême importance du

« bloc multinational impérialiste »). Il établit une typologie hiérarchique des régions et distingue entre régions centrale, intermédiaire et périphérique. Sa base de travail, origi- nale et empirique, est le développement spatial de l’industrie par rapport à l’agriculture en France ; il complète plus tard son analyse en utilisant des résultats de recherche sur le développement régional du secteur des services, qu’il considère comme une expres- sion supplémentaire, bien que partielle, des lois permanentes de l’accumulation capitale (concentration, agglomération de capital, déqualification des producteurs directs, etc.) et qu’il relie à l’industrialisation déqualifiante des régions métropolitaines, à la fois en leur centre et à leurs périphéries (Lipietz, 1980 : 68). L’analyse de Doreen Massey des divi- sions du travail et de la reproduction du développement spatial inégal au Royaume-Uni a des forts points communs avec celle de Lipietz en France. Massey :

« Si le social est inextricablement spatial, et le spatial impossible à séparer de sa construction et de son contenu social, il en résulte que non seulement les processus sociaux devraient être analysés comme se produisant spatialement, mais également ce qui a été considéré comme des modèles spatiaux peut être conceptualisé en termes de processus sociaux. […] Le processus social fondamental que reflète la

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géographie de l’emploi est celui de la production. La distribution spatiale de l’em- ploi peut donc être interprétée comme le résultat de la manière dont la production est organisée dans l’espace. » (Massey, 1984: 67)

Massey développe ensuite l’argument que les relations sociales de production sont nécessairement déployées dans l’espace et dans une variété de formes qu’elle appelle les structures spatiales de production. De telles structures spatiales, bien que souvent semblables à travers les espaces sociaux, ne devraient jamais être considérées comme des archétypes, reproduits de manière déterministe par la dynamique reproductrice du capitalisme. Au lieu de cela, les formes géographiques de l’organisation de la produc- tion devraient être examinées empiriquement. Dans les systèmes de production capita- listes, deux types de hiérarchies distincts se chevauchent et se renforcent fréquemment : (i) la hiérarchie gestionnaire ou managériale comparable à la structure de commande de Hymer liant les sièges sociaux aux filiales et aux usines (Hymer 1972) ; (ii) la hiérar- chie du système de production dont la fonction de la recherche et du développement est souvent séparée ; et le processus de production lui-même comprenant la production de composants techniquement plus complexes (ingénierie) et l’assemblage final des produits. Massey souligne que dans la plupart des cas la géographie économique natio- nale d’un pays - perçue comme l’ensemble des formes géographiques de l’organisation de l’économie - « reflète sa position dans l’économie politique internationale, dans la division du travail internationale » (p. 82-83).

A la fois Lipietz et Massey ne cessent de souligner que la reproduction de l’espace social n’est pas le résultat à sens unique de l’organisation et de la reproduction du système de pro- duction capitaliste. D’après Massey : « Les structures spatiales sont établies, renforcées, com- battues et changées par des stratégies économiques et politiques et des combats de la part des directeurs, des ouvriers et des représentants politiques » (P. 85). C’est la lutte politique qui déterminera finalement ces formes. Toutefois, les territoires nationaux et leur organisation spatiale reflètent de manière significative l’inégalité enchâssée dans les hiérarchies des entre- prises, qu’elles soient de fabricants (Hudson, 2001), ou de fournisseurs de service et leurs réseaux (Martinelli et Moulaert, 1993). Mais les résultats matériels de cette utilisation de l’es- pace dépendront en dernière instance des relations entre capital et travail au sein du système régional, de la force des syndicats et de la force d’équilibre des classes de l’appareil d’Etat.

2.3.2 Dimensions culturelles et sociopolitiques du développement régional

Nous pouvons constater que ces analyses du développement régional, bien qu’attachant une importance significative aux relations sociales et à la régulation (particulièrement par l’Etat), utilisent toujours une interprétation économique des relations sociales et de leurs for- mes spatiales. Des travaux ultérieurs, telle que l’analyse régulationniste du développement spatial (Leborgne et Lipietz, 1990 ; Moulaert, Swyngedouw et Wilson, 1988 ; Moulaert et Swyngedouw, 1989 ; Moulaert, 1995) ainsi que la littérature sur le genre et la diversité (voir par exemple Blunt et Wills, 2000) élargissent l’idée même des relations sociales dans l’es- pace, et montrent comment les différentes conceptions de l’espace conduisent à une meilleure compréhension du développement régional et de ses opportunités potentielles, et comment celles-ci alimentent les sentiers de développement et les visions du passé et du présent.

Le travail générique de Lefèbvre (1974) analysant la production de l’espace (social) a eu une influence déterminante sur l’analyse spatiale à travers la plupart des disciplines.

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Dans son approche marxiste de l’espace, Lefèbvre fait la distinction entre espace perçu, espace conçu et espace vécu, et s’intéresse au caractère spatial de chaque, en discer- nant pratiques spatiales, représentations de l’espace et espaces représentatifs. Bien qu’il souligne les relations de production et leur déploiement spatial lorsqu’il applique ces

« trialectiques » à la société capitaliste, son approche, plus encore que celle de Lipietz et de Massey, laisse ouvertes toutes les possibilités pour regarder au-delà de l’espace « abs- trait » créé par les dynamiques capitalistes, et pour inclure les relations sociales [autre que celles de production], les représentations de l’espace et les espaces représentatifs impliqués dans la reproduction de la société et l’interaction entre les mouvements hégé- moniques et contre-hégémoniques. Cependant Lefèbvre ne rompt jamais les liens entre les relations de production et les autres relations sociales dans la société.

Au cours des quinze à vingt dernières années plusieurs contributions à l’analyse du développement régional ont employé une perspective plus étendue des relations sociales, englobant la complexité empirique aussi bien que le rôle de la culture et celui de la diver- sité sociale dans leur interprétation. Nous citons ici quatre contributions en particulier :

- Les travaux de Markusen (1983) sur le régionalisme et le développement régional : Markusen explique comment les régions territorialement définies sont pertinentes aux yeux des économistes politiques quand des conflits dans les relations sociales de production sont perçues en tant que conflits régionaux par les acteurs impliqués. Elle appelle cette per- ception un régionalisme, « l’adhésion à une revendication territoriale d’un certain groupe social », ou dans le cas d’un mouvement politique « la revendication politique d’un groupe de personnes territorialement identifié contre un ou plusieurs mécanismes de l’Etat… » Bien que le « régionalisme » pour Markusen soit clairement un terme subjectif et empiri- que, il peut également se rapporter à des dynamiques sociales objectives qui causent des différences territoriales dans les formations sociales. De cette façon il peut se rapporter aux différentes relations et institutions sociales qui incarnent ou régissent les rapports au sein de la communauté humaine : le foyer, l’Etat et les institutions culturelles.

Puisque le terme région, avertit Markusen, « suggère une entité territoriale, et non une entité sociale » son utilisation peut mener à un certain nombre d’erreurs analyti- ques. D’abord, la région pourrait être confondue avec toutes les relations sociales qui sont basées territorialement. En tant que tel, un conflit de classe ou un conflit entre groupes culturels pourrait être incorrectement perçu en tant que conflit entre régions (Markusen donne un certain nombre d’exemples). En second lieu, il est probable que les régions existantes territorialement définies (état, identité culturelle, habitat naturel, etc.) soient seulement partiellement appropriées à la spatialité des relations sociales déterminant les dynamiques de la réalité sociale dans la région. Bien que Markusen explique très bien comment les régions territorialement définies peuvent s’avérer être des problématiques dans l’économie politique, une problématique régionale ne peut elle-même être entièrement comprise que si l’expression spatiale des relations sociales - c’est à dire l’organisation spatiale dont la région fait partie - est entièrement comprise également. Le cadre d’analyse de Markusen reconnaît la diversité des relations socia- les - au-delà de la stricte limitation aux relations (sociales) de production - et est ainsi hautement signifiant pour l’analyse de la nature spatiale du développement économique et social entre et au sein des régions et des localités.

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- Genre et diversité. L’inclusion du genre et la diversité (employant une perspective multi-ethnique par exemple) ainsi que le rôle du rapport salaire-emploi dans l’analyse du développement régional ont amélioré la compréhension du rôle de la main-d’œuvre fémi- nine et de la main-d’œuvre saisonnière sur les marchés régionaux du travail (Massey, 1984), de la reproduction inégale des hiérarchies professionnelles patriarcales (Mullings, 2005) et la conception de stratégies d’émancipation alternatives et de stratégies spatiales de développement (Blunt and Wills, 2000).

- Approche réglulationniste et développement régional / local. La territorialisation de l’approche régulationniste a stimulé la discussion sur les faiblesses analytiques (et stratégiques) de la théorie de régulation et a contribué à les surmonter (Leborgne et Lipietz, 1990 ; Moulaert, Swyngedouw et Wilson, 1988 ; Moulaert et Swyngedouw, 1989 ; Moulaert, 1995). C’est ce que la reformulation du régulationnisme, après une infusion territoriale stimulant, est censée permettre à ce cadre analytique, orienté au départ vers la Formation Sociale Nationale, d’aborder désormais le développement régional. L’approche revisitée du régulationnisme inclut : (i) une approche articulée temps-espace des modes de développement successifs et de leurs formes concrètes ; (ii) une plus grande focalisation sur l’impact qu’ont les dynamiques structurelles non- économiques sur le développement régional et local ; (iii) l’élargissement de la lecture des dynamiques de régulation de « l’économie pure » et « l’agence de l’état » aux diffé- rents types de régulation, formelle et informelle ; (iv) la redéfinition du rôle de l’agence et des codes comportementaux au sein d’une définition plus étendue des dynamiques institutionnelles ; (v) une lecture de la reproduction sociale au niveau local et régional qui est à la fois extensive et respecte la diversité, et qui prend en compte les récentes découvertes sur le rôle de la culture, du genre et de la diversité dans les stratégies spa- tiales de développement, l’institutionnalisation et les transformations structurelles ; (vi) la reconnaissance des rapports de pouvoir ainsi que de la lutte sociale et politique en tant que catégories d’analyse critique dans la théorie de régulation (Moulaert, 2000).

Ces améliorations de l’Approche Régulationniste - déjà effectives ou en voie de l’être au sein de l’approche régulationniste territoriale - font écho à la plupart des préoccupa- tions concernant l’approche univoque de l’économie politique, c’est-à-dire l’accentua- tion exagérée du pouvoir explicatif déterministe des relations sociales de production, et comment les surmonter. Une exception notable à cela est le rôle du discours dans la reproduction de la culture et en tant que « véritable » stratégie, ce qui est et a été une des préoccupations de l’approche de l’économie politique culturelle envers le dévelop- pement socio-économique, et qui n’a été que récemment intégré à l’approche régula- tionniste, comme l’explique l’argument suivant.

- économie Politique Culturelle et Discours :

Le travail récent sur les relations entre Culture, Discours, Identité et Hégémonie (CDIH) a créé les conditions propices à l’intégration de deux analyses : l’analyse de l’enchâssement culturel et social de l’agence, et de la construction sociale du change- ment institutionnel (le virage culturel « pur » en sciences sociales), ainsi que l’analyse de sciences sociales plus « matérialiste structurelle » qui souligne la spécificité histori- que et l’effectivité matérielle des catégories et des pratiques économiques telles qu’ap- pliquées par exemple par l’Approche de régulation ou l’Approche des relations stra- tégiques (Sum, 2006; 2005; Jessop, 2001; Jessop et Sum 2006; Sum et Jessop 2007).

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Selon Sum (2006) : « Le modèle CDIH [dans le cadre de l’approche de l’économie politique du champ culturel] cherche à développer une approche plus équilibrée qui paie l’attention voulue à la nature des relations sociales en tant que matériau discur- sif, quoique fondée sur une conception plus ouverte de la structure sociale ( Smart, 1986; Fairclough, 1992; Jessop, 1990; Graham-Gibson, 1996), ainsi qu’au moment du discours stratégique qui est associé aux aspects sémiotiques ou textuels des relations sociales et de leurs propriétés émergentes. » (P. 6). Au cours des dernières années, les approches d’Economie politique du champ culturel ont enrichi l’analyse du dévelop- pement régional en mettant l’accent sur le rôle du discours et de la construction d’une identité régionale dans la définition de la politique urbaine et l’interprétation « histori- que » des régions et des villes. Les plus prometteuses de ces applications sont basées sur l’intégration de l’analyse critique du discours dans les variantes de l’approche de régulation qui conservent de forts éléments résiduels de critique marxiste de l’écono- mie politique. De cette façon, l’économie politique du champ culturel prend le virage culturel, l’accent étant mis sur les questions de stratégies discursives dans l’analyse du développement socio-économique, sans pour autant sacrifier les leçons d’une analyse matérialiste structurelle des dynamiques socio-économiques historiquement spécifi- ques des économies capitalistes. A la suite de Sum (2005), cette intégration examine le développement des imaginaires économiques et des « grands récits ou narratifs » associés à différentes échelles spatiales imbriquées ; et elle explore la façon dont ces imaginaires et ces récits facilitent l’émergence et la consolidation non seulement des systèmes hégémoniques (dont ils constituent également un moment important), mais aussi des mouvements contre- hégémoniques. Les imaginaires économiques impli- quent des horizons d’action spatio-temporels et sont institutionnalisés dans des matri- ces spatio-temporelles spécifiques, et, en tant que tels, ont des implications impor- tantes pour le développement spatial. En particulier, ils ont un impact significatif sur la façon dont la régulation et l’agence stratégique sont reproduites à l’échelon régio- nal et local. En outre, les modes par lesquels les grands discours sont reproduits par des luttes à l’échelle mondiale et à l’échelle nationale sont très pertinents en ce qui concerne le rôle du discours dans la reproduction et l’accumulation au niveau local et au niveau régional. D’intéressantes illustrations de cette approche sont données par Hajer (1995), Sum (2002) sur Hong Kong, Gonzalez (2005 et 2006 à paraître) pour le Pays basque et Bilbao (Espagne du Nord), Raco (2003) sur l’Ecosse, McGuirk (2004) sur Sydney et Moulaert et coll. (2007) en ce qui concerne la politique de rénovation urbaine à Milan, Anvers, Vienne et Naples.

3. Perspectives méthodologiques : dépasser les contraintes espace-temps de la géographie relationnelle ?

Au cours des quinze à vingt dernières années, la littérature sur le développement régional et la politique de développement régional a été dominée par l’approche du Nouveau Régionalisme et de ses Modèles Territoriaux d’Innovation dont le plus popu- laire aujourd’hui est celui de la Région Apprenante. Même si le Nouveau Régionalisme a réintroduit le rôle des dynamiques institutionnelles et de la dépendance de sentier dans l’analyse du développement régional, son potentiel analytique a malheureuse-

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ment été rapidement affecté par une lecture en termes contemporains des fondements historiques et institutionnels du développement, réduisant ainsi la dépendance de sen- tier à la reproduction d’institutions et d’actifs spécifiques au sein de communautés locales et régionales. Dans un même temps, la géographie scalaire de cette approche a exagéré le rôle du territoire local et régional au détriment des interdépendances avec d’autres échelles spatiales. En procédant de la sorte, les possibilités ou les contraintes découlant de la globalisation ont été souvent mal estimées, et le rôle critique de la gouvernance supra-régionale - avec encore actuellement un rôle important pour l’état national - négligé. En conséquence, les MTI sont devenus des icônes idéalisées de rêves de développement au lieu d’être les modèles dont le politique et la politique du possible ont tant besoin (Novy et Leubolt, 2005; Swyngedouw, 2005).

3.1. Au-delà du nouveau régionalisme

Récemment, plusieurs tentatives ont été entreprises pour surmonter certains des défauts des modèles du Nouveau Régionalisme. Nous nous intéresserons successivement aux approches du couplage stratégique, d’enchâssement social et de la géographie relationnelle.

Coe et coll. (2004) expliquent comment l’approche de couplage stratégique offre un moyen de sortir du « piège localiste » qui nuit aux MIT :

« S’appuyant sur la perspective des réseaux mondiaux de production (RMP) et les découvertes issues de la littérature du Nouveau Régionalisme, de la CCG (Chaîne Marchande Globale) et de la CVG (Chaîne de Valeur Globale), notre approche met l’accent sur le dynamique « couplage stratégique» des réseaux mondiaux de pro- duction et des actifs régionaux, une interface temporisée par la médiation de toute une gamme d’activités institutionnelles entre les différentes échelles géographiques et organisationnelles. Notre thèse est que le développement régional dépendra en fin de compte de la capacité de ce couplage pour stimuler les processus de création, d’amélioration et de capture de valeur » (P. 469).

Bien que l’approche de couplage stratégique constitue une rectification majeure des MTI les plus localistes, elle n’a pas vraiment réussi - comme elle le prétend - à analyser le développement régional comme un ensemble de processus relationnels. Alors que nous soutenions une vue processive du développement régional, à notre avis les processus ne se limitent pas aux dynamiques relationnelles telles qu’analysées dans l’approche de la géographie relationnelle. Deux autres contributions récentes de la géographie (économi- que) se sont penchées sur les relations « spatiales » dans le développement. L’approche de « l’enchâssement social » tente de contourner les limites de l’enchâssement territorial souvent implicitement posées dans nombre de MIT. C’est ce que Hess (2004) vise à faire en éclairant le concept « d’enchâssement ». Il explique d’abord l’évolution de l’enchâssement dans les travaux de Karl Polanyi, puis passe ensuite à la distinction que fait Granovetter entre enchâssement relationnel et enchâssement structurel, « le premier décrivant la nature ou la qualité des relations dyadiques entre les acteurs, tandis que le second se référant à la structure de réseaux des relations entre plusieurs acteurs » (p. 170-171). Deux observations doivent être faites à propos de la synthèse de Hess de l’approche de l’enchâssement « redi- mensionné » : elle transcende la représentation partiale de l’enchâssement au niveau de

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l’échelle locale (l’enchâssement social se produit au niveau d’échelles spatiales articulées entre elles); mais malheureusement, elle s’accroche à une interprétation « interactive » de la structure sociale - en fait, elle définit la structure sociale comme « construite par interac- tions » et pas comme historiquement et « sociétalement » reproduite.

Une observation similaire peut être faite à propos de l’article de Yeung (2005) qui consiste en une analyse critique de la géographie économique relationnelle, qui est à la fois éclairante et provocante en termes de débat. Yeung, inspiré par Jessop (2001), souligne à juste titre que la récente orientation relationnelle en géographie économique est essentiellement une orientation thématique et qu’un tournant relationnel ontologi- que et épistémologique est encore à venir. Il relie en partie la récente popularité de la pensée relationnelle en géographie économique au (présumé) déterminisme structurel, analytiquement limité, des Relations Sociales de Production (et de la Division Spatiale de l’Emploi ; voir la section 2.3.1 ci-dessus) qui laisse peu de place à l’analyse de l’ins- titutionnalisation de moyenne ampleur et de la micro action. Il compare trois récents changements thématiques dans la géographie relationnelle : (i) le développement régio- nal et local en tant que fonction de la synergie d’actifs relationnels; (ii) l’enchâssement relationnel dans les réseaux; (iii) les échelles relationnelles. (i) coïncide largement avec l’approche théorique utilisée dans l’approche du nouveau régionalisme et celle des MTI, tandis que (ii) correspond à la logique de l’analyse en terme « d’enchâssement social » telle que Hess l’a résumée et revisitée. Mais à notre avis (iii) présente un malentendu sur le sens de l’approche de l’articulation scalaire. Swyngedouw, Peck, Brenner etc.

n’offrent pas d’approche de la géographie relationnelle - tout du moins pas dans le sens de l’interprétation interactive de la relationalité que Yeung attribue à ces auteurs - mais font une tentative réussie pour surmonter le problème scalaire de la reproduction des rapports sociaux dans l’espace (voir en particulier Swyngedouw, 1997). Pour ce faire, ils améliorent principalement la version territorialisée de l’approche de régulation qui, même si elle fournit la clef de l’analyse de l’articulation spatiale dont la « relationalité » géographique dépend , n’est étrangement pas mentionnée dans l’article de Yeung. Une telle observation n’a pas pour objectif de couper les cheveux en quatre, mais souligne une importante distinction entre les significations de « relationalité » dans les différents

« changements relationnels » examinés par Yeung : pour les auteurs de l’approche de l’articulation scalaire, relationalité se réfère à des relations sociales au sens qu’en a l’économie politique, et non pas aux dynamiques interactives comme les conçoivent à la fois le nouveau régionalisme et le tournant thématique de l’enchâssement social.

Un véritable tournant « méthodologique » relationnel devrait clarifier cette distinction, comme il devrait aussi clarifier la distinction de la relationalité entre les objets et en tant que processus social. Dans l’économie politique et l’approche de régulation par exemple, les relations sociales ne sont pas des relations entre les objets mais sont des processus sociaux qui sont historiquement et spatialement articulés. En conséquence elles ne peuvent par définition pas être modifiées par l’action des acteurs individuels, mais par des forces sociales actives dans les mouvements contre-hégémoniques, les processus d’institutionnalisation, les transformations culturelles… Et diffèrent ontolo- giquement et épistémologiquement du type de relationalité étudiée dans l’analyse des réseaux dominante. Une étude plus attentive des types de relationalité qui sont adaptés à la géographie économique est donc indispensable.

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3.2. Vers une méta-théorie pour l’analyse du développement régional

Pour rééquilibrer le cadre de l’analyse du développement régional, un retour à l’«an- cienne » interprétation des dynamiques institutionnelles et des relations structurelles est nécessaire. Mais pour mener à bien une analyse inclusive du développement régional, ces structures [redécouvertes] en tant qu’institutions robustes, ancrées dans le temps et l’espace, et que structures sociales soumises à médiation, devraient être combinées avec une vue interactionniste des relations entre agents de « développement » et une perspec- tive culturelle sur leur agence et leur institutionnalisation. Pour parvenir à cette synthèse, il pourrait s’avérer utile de combiner une perspective des réseaux habilités (Moulaert et Cabaret, 2006) avec une perspective de régulation « culturalisée » - intégration d’une approche de régulation avec une perspective d’économie politique du champ culturel (Jessop et Sum, 2006; Moulaert et coll, 2007), qui ensemble constitueraient un cadre méta-théorique susceptible d’accueillir diverses contributions, des anciennes aux nouvel- les approches de l’économie institutionnelle et politique du développement régional.

Notre soutien à cette intégration métathéorique se fonde sur la concordance de notre point de vue avec celui de la géographie relationnelle (socio-)économique en ce que la rela- tionalité revêt de nombreux aspects: interaction, intégration et articulation scalaire. Dans un même temps, notre action constitue une réaction contre l’interprétation abusivement réticu- laire de la relationalité inhérente à la plupart des applications de la géographie relationnelle.

Cette interprétation en effet, insiste sur le rôle central des agents (en tant qu’architectes des réseaux) et de leurs institutions, tout en sous-estimant le rôle des relations structurelles - en

Points forts

Culture: institutionnel et sociétal, discours Processus

sociaux Structures

Relations de pouvoir Structures

sociales

Enchâssement

Multi- scalarité Points forts

Faiblesses

Faiblesses

Hégémonie et contre-Hégémonie Culture au niveau

des réseaux Discours en tant que facteur d’institutionnalisation

Économie Politique Culturelle

actions stratégiques et de politique

Théorie des Réseaux

Fig. 1 : Une synthèse métathéorique pour l’analyse du développement régional.

Théorie de la Régulation

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