• Aucun résultat trouvé

Géographie Économie Société: Article pp.295-309 of Vol.10 n°3 (2008)

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Géographie Économie Société: Article pp.295-309 of Vol.10 n°3 (2008)"

Copied!
16
0
0

Texte intégral

(1)

Géographie, économie, Société 10 (2008) 295-309

GÏOGRAPHIE ÏCONOMIE SOCIÏTÏ GÏOGRAPHIE ÏCONOMIE SOCIÏTÏ

Des systèmes productifs locaux

aux pôles de compétitivité : approches conceptuelles et figures territoriales du développement

From local productive systems

to competitiviness poles: conceptual approaches and territorial implamentations

Régis Guillaume

1

Université de Toulouse, LISST-CIEU, UTM, CNRS, EHESS, 5 allées A Machado 31058 Toulouse Cedex 09.

Résumé

Cet article se propose de mettre en lumière les liens de causalité existant entre d’une part l’évolution d’un « patrimoine conceptuel » concernant les « figures territoriales du développement économi- que » et, d’autre part les nouvelles formes de l’action publique de soutien aux économie locales.

L’auteur précise les articulations qui existent entre les travaux menés sur les districts, les SPL, les milieux innovateurs, les parcs technologiques, en montrant quelles sont leurs principales inflexions.

Il s’agit de montrer comment ils sont au fondement des politiques publiques de développement territorial, et notamment celle des pôles de compétitivité.

© 2008 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Summary

This paper proposes to highlight the causality links existing between the evolution of a « conceptual patrimony » regarding the territorial features of economic development on the one hand, and the new forms of public action supporting local economies on the other hand. The author describes

1 Régis Guillaume est enseignant à l’université de Toulouse-Le Mirail et chercheur au laboratoire Lisst- Cieu- CNRS, UMR 5193. Il a été l’initiateur et l’éditeur des trois premiers articles de ce numéro.

(2)

the articulations between studies conducted on industrial districts, clusters, innovative circles and technological parks. The aim is to show how they are at the founding of public policies related to territorial development and especially to competitiveness poles.

© 2008 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Mots clefs : Pôles de compétitivité, Systèmes productifs locaux, districts industriels, dévelop- pement économique, dynamiques régionales

Keywords: Competitiveness poles, local productive systems districts, economic development, regional dynamics

Introduction

Le bilan dressé par le Ministre délégué à l’Industrie du dispositif Pôle de compétitivité le 30 août 2007 est à bien des égards positif. Qu’il s’agisse du rapprochement entre entre- prises, laboratoires de recherche et établissements d’enseignement supérieur, de l’état de consommation des crédits (520 millions d’euros) comme des projets financés, les objectifs initiaux ont été ou sont en passe, selon les responsables gouvernementaux, d’être atteints (déclaration du Ministre délégué à l’Industrie François Loos, 30 août 2007). Certes dans le domaine des créations d’emplois, du nombre de brevets déposés, de la capacité d’une telle initiative à relancer une croissance atone, le succès est moins flagrant. Bien diffi- cile également d’envisager à court terme comment un tel dispositif est susceptible de contrecarrer des tendances lourdes telle la délocalisation d’emplois industriels ou selon l’expression consacrée de freiner la « désindustrialisation » de la France.

Pourtant, l’appréciation du ministre peut être partagée à deux niveaux. Le premier est celui de l’adhésion des acteurs locaux à cette initiative et le deuxième est la recomposition du jeu d’acteurs qui en résulte. Lorsque le projet a été lancé en 2004, ses promoteurs ne s’attendaient pas à ce qu’en lieu et place de 15 à 20 projets initialement prévus, 105 dos- siers soient soumis à évaluation et que 65 (71 depuis l’été 2007) d’entre eux obtiennent une labellisation et un accès à une source budgétaire qui dépasse les 1,5 milliard d’euros.

Si de telles incitations financières ont, en ces temps de rigueur budgétaire, une réelle vertu pédagogique, la dynamique qui est engagée autour de ce processus traduit des évolutions plus profondes dans deux domaines : celui de la convergence d’intérêts partagés par les instances nationales et régionales et l’association des acteurs, privés et publics, autour de la définition d’un projet stratégique de développement mêlant dimension productive et activités de recherche. Pour les premières il s’agit, dans une conjoncture marquée par la multiplication d’annonces de fermetures d’établissements et de décisions de délocalisa- tion d’amorcer une contre-attaque à partir des principes novateurs. Pour les porteurs de projets, en l’occurrence les instances régionales, il s’agit de renforcer leur rôle dans un domaine, celui de l’animation économique, qui faisait certes partie de leurs attributions mais pour lesquelles elles ne pouvaient dégager que des ressources financières limitées.

Le caractère audacieux de cette démarche est revendiqué par ses promoteurs qui développent une argumentation à laquelle adhèreraient bien des spécialistes de l’éco- nomie régionale. Ainsi pour Jacquet et Darmon (2005, p 10) : « la mutation des modes

(3)

de production qui se nourrit d’innovations… implique dès lors un rapprochement ter- ritorial. En passant d’un ensemble de connaissances codifiées et par là maîtrisable à distance à un ensemble de connaissances tacites la distance devient un handicap et la proximité un élément de l’innovation et de la réactivité ». Si le caractère « indus- triel » de cette opération est affirmé et prolonge une vieille tradition nationale qui débute dans les années 1950 avec les premières zones critiques (1956), les plans sectoriels de la fin des années 1970 (Plan acier, ou textile) plus récemment les pôles de conversion (1984), elle exprime néanmoins une nette inflexion de l’action publi- que dans le domaine économique. En lieu et place d’une politique définie au niveau central succèdent la prise en compte et l’évaluation d’initiatives pilotées par des ins- tances régionales devenues les pivots du développement économique contemporain.

En mettant l’accent sur les aspects productifs et sur la diffusion de l’innovation mais également sur des dispositifs de gouvernance rénovés, cette initiative symboliserait la convergence opérationnelle entre des approches conceptuelles diverses allant de l’économie d’archipel chère à Veltz (1990, 1996, 2002) à la thèse de l’innovation socio territoriale défendue par Klein, Fontan et Tremblay (2005).

La mise en œuvre du dispositif Pôle de compétitivité présente, au niveau de la méthode choisie de réelles similitudes avec celle expérimentée en 1999 dans le cadre du soutien aux Systèmes Productifs Locaux : appel d’offres, labellisation, accès à des financements spécifiques. Même si le niveau d’engagement financier est bien moindre pour le dispositif SPL (à la fin de 2007, l20 sites labellisés se sont partagés une enveloppe financière qui, au titre du FNADT, a été inférieure à 4 millions d’euros) l’accent est mis sur les vertus supposées de la proximité (Pecqueur et Zimmermann, 2004). Dans le cas des SPL, à l’échelle d’un ou de quelques bassins d’emploi, généralement situés dans des espaces de faible densité, elle est perçue comme le vecteur du maintien d’activités à vocation productives. Dans celui des pôles de compétitivité l’ambition est autre puisqu’il s’agit de promouvoir les points d’appui du développement économique contemporain grâce au rapprochement géographique des compétences et les capacités d’innovation convergen- tes. L’échelle considérée est alors l’aire métropolitaine ou l’ensemble régional pour des projets qui doivent favoriser la compétitivité de l’ensemble national.

La transition entre ces modes d’action paraît correspondre dans une grande mesure au cheminement et aux inflexions d’un corpus théorique qui s’est affirmé depuis quel- ques années. Ces approches, qu’il s’agisse de la réactivation des thèses marshal- liennes, des districts ou des travaux sur les espaces de la haute technologie, mettent l’accent sur la dimension stratégique que représentent les « ressources locales ». Une large place est faite au rôle que jouent, dans des espaces géographiques relativement restreints, la nature et l’intensité des relations que nouent acteurs privés et publics.

Or, ce corpus théorique s’est construit à partir de l’observation de figures territoriales du développement économique bien réelles qui ont fait l’objet d’investigations visant à décliner les raisons de leur succès. C’est article se propose d’interroger à la fois la construction d’un « patrimoine » conceptuel, son enrichissement progressif et les principales inflexions qui ont jalonné sa production afin de montrer comment il s’af- firme progressivement comme soubassement de nouvelles formes d’action publique dans le domaine du soutien au développement économique.

(4)

1. Les figures territoriales du développement : convergences, articulations et inflexions

Les travaux sur les systèmes productifs locaux (SPL) apparaissent à bien des égards comme la convergence de la réactivation des thèses marshalliennes et de l’intérêt crois- sant porté aux districts italiens. L’articulation entre les deux approches est revendiquée par Courlet (1994) qui rappelle l’apport des chercheurs italiens (Garofoli, 1985, Beccatini, 1987) dans une démarche qui vise à repérer dans d’autres pays des « configurations ter- ritoriales similaires aux districts » Toutefois, si les travaux sur les SPL isolent des proces- sus qui se rapprochent de ceux analysés pour la troisième Italie, ils illustrent également des dispositions qui s’ancrent dans les trajectoires industrielles de chaque pays considéré.

De manière parallèle, au fur à mesure que sont « découvertes » des formes productives se rapprochant des cas italiens, le cadre conceptuel s’enrichit de nouvelles notions… mais perd de sa rigidité. Ainsi, à la différence des districts industriels, les entreprises des SPL ne participent pas nécessairement aux multiples étapes d’un processus dédié à la produc- tion d’un bien industriel, elles peuvent exercer leur activité dans des secteurs distincts. En outre, ces systèmes productifs n’excluent pas la présence d’unités de production appar- tenant à une grande firme. Au total, ce qui est fondamental dans les systèmes productifs locaux réside dans leur capacité d’adaptation aux contraintes d’un marché de moins en moins standardisé grâce à l’externalisation de fonctions assurées par un réseau de sous- traitants beaucoup plus flexibles.

De manière schématique les travaux sur les districts formalisent une organisation socio-économique alors que les approches relatives aux SPL se proposent de décliner un « système socio-territorial ». Courlet et Pecqueur (1993, p. 58) reconnaissent que l’identification d’un SPL d’adresse prioritairement à des « activités pour lesquelles il est possible de morceler le processus de production en plusieurs phases et produits ». Mais ils poursuivent leur argumentation en montrant combien cette caractéristique s’appuie sur un réseau d’interdépendances serrées adossées à un système sous tension qui induit beaucoup d’échanges et de transferts d’informations entre les entreprises. A la souplesse interne inhérente à l’activité des entreprises présentes dans le SPL correspond également un dispositif de régulation, élaboré collectivement, qui détermine « les principes qui gou- vernent à la fois les modes de produire et les modes de vivre qui définissent de véritables systèmes territoriaux d’auto-régulation ».

Ces systèmes se sont forgés en contradiction apparente avec les tendances lourdes de la concentration des activités productives et ont dû également lutter contre des dispositifs de régulation élaborés au plan national. Ils sont considérés comme les figures territoriales d’une forme de résistance à la « norme » fordiste. Cette caractéristique fonde le concept de milieu innovateur mis en évidence par Maillat (1983). L’auteur montre comment le Jura suisse, spécialisé dans l’horlogerie et la production de machines-outils, a pu accom- plir en quelques années une mutation à partir de l’introduction de l’électronique. La dif- fusion de cette technologie qui s’est rapidement imposée, a non seulement pu être captée et assimilée par les industries locales mais a permis un renforcement des liens entre les entreprises appartenant aux deux secteurs. Il souligne également comment un tel milieu recèle une réelle capacité d’adaptation et de redéploiement. L’intensité du choc est à l’origine d’une réaction du milieu portée par des collectivités locales qui développent des

(5)

stratégies visant à la fois à favoriser les entreprises locales et à en attirer de nouvelles.

L’accroissement des contraintes concurrentielles se traduit d’abord par une mobilisation accrue des compétences locales qui est à l’origine du succès de la conversion de l’ensem- ble du tissu industriel local. Le milieu innovateur se nourrit du potentiel local en matière de recherche et développement et les liaisons et les interfaces entre toutes les institutions favorisent la transférabilité des innovations technologiques d’un secteur à l’autre. De plus le milieu innovateur permet d’assurer la diversification des activités économiques et de produire de nouvelles technologies. La région a su recréer des avantages comparatifs dans le but d’en faire un lieu privilégié pour l’implantation de nouvelles entreprises apparte- nant à d’autres secteurs de pointe tout en confortant le déploiement des entreprises exis- tantes. Ces dernières ont un lien direct avec l’héritage issu d’une longue tradition indus- trielle. L’amorçage des filières électroniques et microtechniques apparaît ainsi compatible

« avec les structures locales de production et les expériences de reconversion de la main- d’œuvre dans ces nouveaux secteurs sont positives » (p. 244 et 245). Maillat (1984, p. 89) montre également comment les entreprises locales s’inscrivent au sein de réseaux dont les ramifications s’étendent désormais à une échelle nationale et internationale.

Maillat (1992), Polèse (1994) et Van Doren (1996) insistent sur le contenu « social » inhérent à la notion de milieu innovateur. Pour le premier, « le concept de milieu va de pair avec des notions comme tissu social et société : c’est l’ensemble des valeurs et des rela- tions qui donnent à un territoire, une culture locale, une identité et une culture technique qui lui sont propres ». Le deuxième le définit comme « un ensemble territorialisé dans lequel les interactions entre les agents économiques se développent par l’apprentissage qu’ils font des transactions générales d’externalités spécifiques à l’innovation et par la convergence des apprentissages vers des formes de plus en plus performantes de ges- tion commune des ressources » (p. 150). Tous les deux magnifient sa capacité à valo- riser, grâce à la mobilisation des ressources locales, des inflexions qui s’expriment au niveau global. Ils soulignent la qualité de son ouverture vers l’extérieur qui le positionne non comme un simple réceptacle mais comme un collectif de ressources capable de s’y adapter et, par un phénomène de rétroaction, de prendre une part prépondérante à par- tir de la mise en œuvre de nouvelles combinaisons productives. Cette capacité à tirer parti de mutations dont l’origine est externe, commande une approche qui, selon Van Doren, doit prendre en compte trois paradigmes : technologique, organisationnel, terri- torial. Cette proposition est également défendue par Guesnier (1993, p. 36) qui voit dans le concept de milieu innovateur, « l’opportunité de micro-régions qui développent leur potentialité autour d’un axe privilégié. Il est vraisemblable que la réussite d’un meilleur équilibrage spatial passe par l’émergence d’initiatives locales renforcées par un appui des collectivités locales et conforté par un volontarisme rigoureux de l’Etat ». Quéré et Longhi (1994 p. 207) préfèrent parler de système local d’innovation plutôt que de milieu innovateur. Pour ces derniers, le processus d’innovation est alors défini comme un pro- cessus de création de ressources et « implique non pas l’entreprise de façon isolée mais l’entreprise en relation avec son environnement. Ainsi, le processus de localisation et de territorialisation des activités est un élément essentiel de création de ressources ». Cette proposition est également présente dans les travaux de Cooke (1992) qui met l’accent sur la dimension relationnelle que nouent entreprises, instances d’intermédiation et la société locale. Elle lui permet d’envisager le concept de système régional d’innovation comme

(6)

une conceptualisation du territoire dans sa dimension économique : comme l’indique Benko (2007) : « les entreprises innovantes ne préexistent pas dans les milieux locaux mais elle est secrétée par eux ». Si la capacité du territoire à produire de l’innovation est également présente dans les travaux sur les espaces technopolitains les analyses qui s’y réfèrent insistent sur le caractère volontaire de ces initiatives.

2. Parcs technologiques, action publique et ressources locales

Lorsqu’il évoque l’origine de Sophia Antipolis, Aydalot (1984, p. 52) parle de l’assou- vissement d’un « désir » ; celui du directeur de la recherche de l’Ecole des Mines de Paris, de prendre sa retraite à Antibes tout en poursuivant une activité scientifique. L’expérience initiée dans l’arrière-pays niçois comble son promoteur puisqu’en quelques années le parc d’activité accueille, dans un cadre naturel préservé, l’établissement de quelques 14 000 emplois dont 9 000 à vocation technologique ou scientifique. Dans cet environ- nement, vierge de toute tradition industrielle, semblent s’élaborer les prémices conjoints d’une nouvelle « façon » de travailler et de « vivre ». Marqué du sceau de la post-moder- nité, où innovations technologiques et scientifiques constituent le quotidien, le parc tech- nopolitain devient rapidement un modèle qui suscite un réel engouement. Au-delà de la réponse à un désir, Gaffard (1986) considère que la prise en compte des nouveaux principes de diffusion du progrès technologique est d’un précieux recours pour en com- prendre la genèse et le fonctionnement. Elle ouvre, en outre, de nouvelles perspectives pour analyser les ressorts de processus de développement économique à base territoriale.

Il rappelle comment les théories traditionnelles interrogent la question de l’innovation et du progrès technologique. Elles déclinent le « progrès technique » comme le résultat d’un processus de recherche autonome, extérieur au processus de production. Ce n’est que lorsque ces « découvertes » sont stabilisées qu’elles peuvent ensuite être intégrées au sein des entreprises industrielles. Si les entreprises se localisent à proximité de centres de ressources dédiés aux innovations technologiques c’est en raison de l’existence sur place des ressources nécessaires au moment de leur création. Le rôle des pouvoirs publics se concentre sur des variables habituelles et vise à proposer un principe de discrimination positive basé sur des aides à l’installation ou à la production pour tenter d’influencer les choix effectifs de localisation. Au-delà des innovations technologiques majeures, la vie des entreprises est naturellement rythmée par la mise en œuvre d’innovations organisa- tionnelles dont l’objectif est de s’adapter à un contexte marqué par une incertitude gran- dissante. Ce contexte favorise le développement de PME/PMI au détriment des structures de taille plus importante. Il implique la mise en œuvre de processus de coordination et d’adaptation qui ne sont plus exclusivement gérés en interne, mais reposent sur la qualité et l’intensité des liens qu’elles peuvent tisser avec le milieu environnant. Cette dimen- sion réticulaire s’exprime d’autant mieux qu’elle se noue dans un espace restreint. La proximité géographique est un élément important qui détermine la capacité d’échange d’informations et donc de création de technologies. Cette approche conduit à reconsidérer le rôle des pouvoirs publics dans leurs actions de soutien au développement économique.

Il s’agit désormais moins de jouer sur les facteurs « traditionnels » de localisation que de conduire des actions qui visent à favoriser la coopération entre les PME/PMI. Ces tendances expliquent le succès des technopôles qui renouvellent à la fois la question de

(7)

l’adaptation des structures productives et des dispositifs d’accompagnement qui peuvent être mis en œuvre par les instances publiques

Ces considérations peuvent paraître relativement proches des analyses développées sur les districts industriels, les SPL ou les milieux innovateurs. Toutefois, la pérennité de ces derniers se nourrit de postures dont l’origine s’ancre dans une « tradition » historique relativement longue ou une « réponse à un choc économique » et sont donc difficilement transférable ou reproductible. A l’opposé, le technopôle est d’abord le résultat d’un projet, d’une volonté ou d’une ambition locale clairement affirmée. Il est perçu comme la traduc- tion spatialisée d’un modèle de développement économique qui parvient à dépasser les rigidités du système fordiste. Il n’est guère étonnant, dès lors, que les chercheurs tentent de décrypter les facteurs qui en sont à l’origine et que se multiplient les initiatives visant à doter chaque métropole, puis des aires urbaines de moindre importance, d’un « techno- pôle ». Cette figure nouvelle portée dans le cadre d’une initiative locale démontrerait la validité et la pertinence de dispositifs d’aménagement qui privilégient non seulement les besoins matériels des entreprises mais également leur dimension immatérielle (Marconis et Thouzellier, 1989, Jalabert et Thouzellier. 1990).

La déclinaison du « modèle » technopolitain suscite de légitimes espoirs et rassure quant aux possibilités de sortie de crise. La maîtrise et la diffusion des nouvelles techno- logies apparaît comme un levier qui peut être activé dans des contextes institutionnels, idéologiques et historiques différents. La figure de l’ingénieur devient ainsi le symbole d’un paradigme technologique qui impose une redéfinition de l’ensemble de la chaîne de conception et de réalisation d’un bien industriel. Jusqu’alors ce processus s’organisait à partir de différentes étapes clairement identifiées. Elles isolaient une phase recherche validée ensuite dans le cadre d’un programme de recherche et développement. Ces phases amont précédaient la phase effective de production couplée à la définition d’une stratégie commerciale puis à la structuration d’un service après-vente. Cette configuration vole en éclats et est remplacée, selon Bellet et Boureille (1994), par un mécanisme qualifié de « séquentiel-rétro-actif ». La prédominance des aspects technologiques et la course à l’innovation conditionnent un mouvement de désintégration verticale de la production. Il implique, notamment dans les phases amont, la mobilisation régulière et intense de com- pétences externes à l’entreprise. S’appuyant sur l’exemple du pôle grenoblois (ZIRST de Meylan), Monateri et Chanaron (1994) peuvent définir les technopôles comme des

« complexes industriels d’innovation » où prédominent des aspects relationnels nourris d’une dimension technologique. Cette perspective est théorisée par Grannovetter (2000) qui oppose aux théories orthodoxes du développement économique la notion « d’encas- trement ». Dans les théories économiques traditionnelles, les individus sont censés, par nature, se comporter de manière rationnelle. Ils y apparaissent guidés par la maximisa- tion de leurs seuls intérêts personnels et ne sont que très peu affectés par la nature de leurs relations sociales. A l’inverse, pour M. Grannovetter, il est impossible « d’analyser les comportements des individus et des institutions sans prendre en compte les relations sociales courantes qui exercent sur eux de très fortes contraintes ». Les acteurs ne pren- nent pas leurs décisions indépendamment de tout contexte social pas plus qu’ils ne sui- vent docilement un scénario écrit pour eux et qui serait fonction des catégories sociales auxquelles ils appartiennent. Au contraire, les actions qu’ils impulsent pour atteindre un objectif sont « encastrées » dans « des systèmes concrets, continus de relations sociales »

(8)

qui sont à la base du développement de « la confiance dans les relations économiques ».

L’action économique, selon Grannovetter est fondamentalement une action sociale dans le sens où elle est orientée par des motivations qui ne se réduisent pas à l’intérêt immédiat et peuvent inclure la quête de reconnaissance de statut, de sociabilité, ou de pouvoir. De plus, le comportement d’autrui intervient dans leurs choix, ils sont inscrits dans des sys- tèmes ouverts de relations sociales, enfin les institutions économiques sont des construc- tions sociales et il faut les analyser comme telles.

Le technopôle apparaît donc doté « d’avantages spécifiques » qui permettent la mise en œuvre simultanée de processus locaux de production et d’innovation. Ce saut qualitatif change la nature même du rapport à l’espace. Le technopôle devient un territoire (Greffe, 1989, p134) « non plus en raison de la présence a priori d’une ressource, d’une activ- ité, d’un marché, mais parce qu’il noue entre ces éléments des échanges en ressources immatérielles. En un sens le technopôle produit de la technologie là où l’ancien pôle de croissance ne faisait qu’exploiter la technologie existante ». Certes il est « branché » sur l’extérieur mais le caractère local, les effets de proximité y sont essentiels parce que les agents productifs y résolvent les mêmes contraintes. Cette approche rejoint la proposition défendue par Soulage (1994, p. 298). Il décèle une inflexion de la notion de proximité par rapport à celle mise en lumière dans le cas des districts des SPL ou des milieux inno- vateurs. Pour ces derniers, « la proximité s’entend comme proximité géographique avec ses conséquences en terme de valeurs communes, d’atmosphère. Pour les technopôles, la proximité est une proximité technologique s’appuyant sur la notion d’industrie qui renvoie la restructuration spatiale de la production au rang de facteur secondaire par rapport aux déterminants technologiques ».

Benko (1991) rappelle qu’il est possible d’analyser le succès des technopôles à partir de la mobilisation de plusieurs types d’approches. La première met l’accent sur le paradigme technologique. Si les entreprises de haute technologie sont potentielle- ment beaucoup plus mobiles que les entreprises traditionnelles, elles sont aussi à la recherche d’environnements spécifiques qui ne sont pas répartis de manière homo- gène. La disponibilité d’un capital humain, la présence d’universités, de centres de recherche, l’agrément de l’environnement, l’existence d’infrastructures de transport modernes, la présence de services qualifiés, le climat politique local, figures caracté- ristiques des parcs technopolitains, représentent alors les conditions nécessaires ou préalables à leur localisation. La seconde se concentre sur l’étude des cycles de vie des produits. Le succès des technopôles répond au besoin grandissant en R&D lié à l’élaboration de produits nouveaux. Tant que cette phase n’est pas dépassée, les entre- prises ont besoin de se regrouper près des ressources disponibles. La conjonction entre une révolution technologique et l’apparition de structures transversales (pépi- nières d’entreprises, centres de ressources mutualisés…) favorise une tendance à la concentration géographique des centres de R&D. Les entreprises pourront envisager, dans un second temps, à partir de la « routinisation » de processus enfin stabilisés, une délocalisation vers des zones périphériques. La troisième met en exergue les qualités intrinsèques du milieu qui favorise l’éclosion de nouvelles activités à haut contenu technologique. Si certains milieux sont plus réceptifs que d’autres à l’inno- vation, il faut y voir la présence de facteurs socio-culturels et historiques. Ce substrat particulier est décisif pour expliquer la tendance au regroupement des entreprises

(9)

innovantes dans les parcs technologiques afin d’optimiser la phase d’apprentissage par la mobilisation de réseaux interpersonnels qui conditionnent la diffusion de l’in- formation, source de toute création ou innovation technologique.

3. Dynamiques technopolitaines, économie de la connaissance : du parc d’activité à la ville

Pour Benko (2001, op.cit) chacune de ces approches se révèle incomplète. La première renvoie à un modèle de développement qui valorise exclusivement la dimension exogène ou externe. La deuxième ne prend pas assez en compte les situations inhérentes à cha- que secteur d’activité alors que »les relations interbranches et les conditions optimales de production sont très variables d’un secteur à l’autre ». Enfin, la troisième ne permet pas d’expliquer « la localisation même de ces complexes et néglige les processus globaux d’évolution du système productif ». Pour lui, il faut comprendre le développement des parcs scientifiques à partir d’une analyse de l’organisation industrielle et de la localisation. C’est en couplant l’étude des transformations du système productif avec celles portant sur la loca- lisation des activités productives qu’il est possible de progresser dans la compréhension de ces nouvelles formes du développement. Il convient d’articuler l’appréhension des dynami- ques technopolitaines avec des considérations de portée plus générale qui reposent sur une interprétation des mutations de l’ensemble du système productif.

Dans cette perspective, les technopôles apparaissent comme un lieu privilégié d’une division du travail poussée à son paroxysme. Ils s’inscrivent dans une tendance générale qui promeut la « désintégration » verticale des fonctions productives et conduit à des besoins accrus en terme de proximité spatiale (Benko, 1992). Loin d’opposer de manière binaire des « espaces qui gagnent » aux « espaces qui perdent » la désintégration verticale donne naissance « à une mosaïque de territoires différenciés parmi lesquels les tech- nopôles présentent des spécificités marquées » (Benko, 1990, p. 19). Or, l’avènement des nouvelles technologies remet en cause les principes majeurs de la théorie classique des localisations et des formes d’organisations qui en découlent. Elles contribuent d’une part à combler le fossé existant entre les grandes entreprises et celles de taille plus réduite, favorisant au contraire l’activation et la structuration de réseaux denses et spécialisés qui succèdent à un principe banal de hiérarchisation entre donneurs d’ordres et sous-traitants.

D’autre part, alors que dans la théorie classique, les choix en matière de localisation reposent sur la répartition hétérogène de facteurs préexistants, « l’avènement de la haute technologie suscite l’idée contraire selon laquelle, l’initiative autonome peut créer de nouvelles formations industrielles » (Benko, 1990, op. cit., p. 23).

Les économies d’agglomération y supplantent alors les économies d’échelle grâce à une réduction du coût des échanges entre les entreprises. L’avènement des parcs tech- nologiques symboliserait, selon Moati et Mouhoud (1997), les mutations du système productif dans son ensemble. Il constituerait en quelque sorte une traduction spatiale du « glissement » du principe dominant de la division du travail. Leur hypothèse de travail est fondée sur la généralisation d’une économie basée sur la connaissance qui s’accompagne du passage d’une logique de division technique à une logique de divi- sion cognitive du travail. Elle induit la décomposition des processus de production en fonction de la nature de savoirs mobilisés en blocs de connaissances qu’ils définissent

(10)

comme « un ensemble de connaissances rattachées à un même corps de principes sci- entifiques et techniques » (p. 263). Or, ces derniers sont de plus en plus informationnels, non standardisés et instables et bénéficient, dans les technopôles, grâce aux disposi- tifs de coordination portés par les institutions locales, d’un environnement propice à réduire le degré d’incertitude inhérent à la mise en œuvre de nouvelles technologies.

Manzagol (1990) préfère envisager les technopôles comme des « points d’appui de la nouvelle organisation de l’appareil productif ». Il modère l’importance des facteurs internes dans leur genèse comme dans leur développement en montrant combien, pour les deux plus emblématiques (Silicon Valley et Route 128) la production de connaissan- ces, élément moteur dans l’émergence de nouvelles technologies, repose sur… l’injec- tion régulière et continue de capitaux publics et notamment de dépenses militaires qui soutiennent l’effort d’innovation porté par les entreprises.

Le débat semble, en outre, largement parasité par la dimension quasi mythique et la très large médiatisation qui entourent les parcs technologiques. Mais cela ne suffit pas à définir un nouveau modèle de développement. Il faudrait pour cela que l’on assiste à la conjonction de trois éléments fondamentaux qui poseraient les jalons d’une nouvelle forme d’organisation du travail (paradigme industriel), d’une structure macro-économi- que (régime d’accumulation) et d’un ensemble de normes implicites et de règles institu- tionnelles (modes de régulation). Or, la diversité et la multiplicité des initiatives qui peu- vent être rangées sous la bannière « technopole », tant au niveau national qu’international, rend ce pré requis peu crédible. Est-il d’ailleurs possible d’élaborer un cadre interprétatif commun à partir de situations aussi disparates que celles des technopôles implantés dans les vieilles régions industrielles, (Metz-Nancy, Saint-Etienne, Villenveuve-d’Asq… ), les espaces métropolitains (Paris, Boston, Los Angeles… ) ou les nouveaux espaces indus- triels (Sunbelt nord américaine, régions du Sud en France… )? Cette hétérogénéité est relevée par Monateri et Chanaron (1994, p 196). Ils précisent, à propos de la ZIRST de Meylan, que sa dynamique est « en grande partie liée aux décisions de groupes industri- els extérieurs à la région ». Ils mettent en exergue, au-delà des dimensions relationnelles internes à la zone, la qualité de son ouverture vers l’extérieur. Elle leur paraît illustrer un paradoxe commun à la plupart des parcs technologiques et ils s’interrogent sur la capacité réelle de leurs promoteurs pour construire « des systèmes industriels et tech- nologiques à la fois ouverts et cohérents ? ». Pour Courlet et Pecqueur (1992, p. 99) cette contradiction n’est qu’apparente. Ils analysent le phénomène technopolitain comme un prolongement des districts ou des systèmes de production localisés... dont le fondement reposerait sur l’adoption et la diffusion de nouvelles technologies : « la Silicon Valley ou l’agglomération grenobloise seraient les émules de Birmingham au XIXe siècle […]. Ils en conservent les caractéristiques fondamentales : d’une part la présence de nombreuses PME autour d’une spécialisation d’activités, liées par des relations informelles fortes dans un climat social spécifique et d’autre part une combinaison de relations de marché et de réciprocité ». Certes, ils reconnaissent que leur moteur réside dans l’adoption et la production rapide de technologies nouvelles qui s’éloignent de savoir-faire patiemment élaborés avec le temps et accumulés localement. Mais ils poursuivent leur démonstration en développant l’idée que le réseau social mis à jour dans les districts et les SPL trouve une correspondance dans le cas des parcs technologiques. Dans ce cas prédominent essentiellement des liens professionnels qui structurent les réseaux relationnels en lieu et

(11)

place de liens sociaux décrits dans les études sur les districts ou les SPL. La localisation des technopôles au sein des aires métropolitaines s’expliquerait alors par les qualités intrinsèques des environnements urbains. Ils sont à même de générer des districts multi- sectoriels qui peuvent mobiliser des ressources rares ou spécifiques disponibles dans une aire géographique relativement réduite. Ils apprécient les parcs technologiques comme le symbole « de la montée en puissance des villes comme pouvoir économique en voie d’autonomisation dans la plupart des pays industrialisés » (op. cit.p., p. 101). Districts, SPL et technopôles seraient les facettes d’un « nouveau mode spécifique de dévelop- pement » dont le démarrage diffèrerait certes du point de vue chronologique, mais qui mobiliseraient des ressorts comparables.

Scott (1992) préfère analyser les espaces de la haute technologie dans le cadre d’une approche plus globale des économies métropolitaines. Il émet tout d’abord de sérieuses réserves par rapport à l’avènement d’économies métropolitaines post-industrielles. Selon lui, le rôle de l’industrie dans la ville est toujours prégnant, mais il s’exprime désormais sous des formes moins traditionnelles et se focalise plutôt autour d’activités d’accompa- gnement amont et aval au détriment des fonctions de production qui privilégient d’autres foyers de localisation. Cette tendance fait de l’espace urbain « un lieu où la division sociale est fortement développée[…] où la base économique est constituée d’une myri- ade de fonctions spécialisées, qui sont liées entre-elles en des réseaux transactionnels complexes » (p. 105). Il revendique l’existence d’une corrélation entre la division sociale du travail repérée dans les grandes agglomérations et le niveau des économies externes qu’il est possible d’en attendre. Plus la première est forte, plus le niveau des secondes est vigoureux et favorise la concentration géographique d’entreprises appartenant à la même filière dans le but de réduire les coûts des transactions externes. Il faut donc interpréter le succès des parcs technologiques comme l’illustration la plus visible d’une division du travail spécifique aux aires urbaines. De plus, si les relations sont intenses entre les entreprises du parc, elles sollicitent des ressources spécifiques situées dans d’autres par- ties de l’agglomération. Il privilégie ainsi la mise en évidence de l’articulation externe du parc avec un potentiel de ressources localisées dans l’ensemble de l’agglomération. A cet égard, le cas de Los Angeles s’avère emblématique. Scott distingue ainsi l’intégration de la métropole californienne au sein de l’Arc Pacifique dans lequel elle occupe une position dominante au plan commercial et financier à partir « d’une série de districts industriels basés sur la qualification, bourgeonnant autour de son centre et est entourée d’un noyau de technopôles ou d’agglomérations de hautes technologies centrées sur l’aérospatial et les secteurs électroniques » (op. cit., p. 110).

Même s’il est mobilisé pour décrire des configurations qui sont dans l’ensemble plus homogènes que les districts ou les SPL, le concept de technopôle subit en quelques années une forte inflexion. La plus sensible réside dans l’effort qui est porté pour analyser les modalités et les ressorts de son articulation avec l’ensemble de l’économie métropoli- taine et dans quelques cas régionale. Il apparaît, dans cette perspective, comme la figure de proue d’une profonde mutation des économies urbaines désormais intégrées dans des réseaux nationaux et mondiaux. Progressivement la figure de la modernité symbolisée par les technopôles quitte l’enceinte de la seule zone d’activité pour y associer d’autres zones géographiques de l’agglomération et une attention particulière est accordée à son inser- tion dans des environnements géographiques plus vastes. Le technopôle n’est plus disso-

(12)

cié du « milieu » urbain dans lequel il se développe. L’expression de ce paradigme majeur va de pair avec l’idée que les unités productives des firmes privilégieront, pour celles versées dans des activités de haute technologie, une localisation dans des milieux dotés de ressources spécifiques rares. Au total, ce double mouvement renforcera la prééminence des aires métropolitaines au détriment des espaces moins denses. Progressivement, les liens entre les métropoles régionales et leur arrière-pays se distendront au profit d’une meilleure intégration à un réseau d’aires urbaines comparables.

4. Économie d’archipel et pôles de compétitivité

Cette hypothèse est au cœur des travaux de Veltz, qui tout en focalisant ses réflexions sur la dimension économique, s’attache à en expliciter les traductions au plan spatial.

Une première piste est ouverte dès 1984, à la suite des travaux de Ganne qui portent sur les nouveaux modèles d’organisation de la production. Ce dernier isole le développement des nouvelles techniques d’information et de communication comme le vecteur principal des mutations en cours car elles modifient la carte des avantages comparatifs territoriaux.

Si elles apparaissent dans un premier temps comme un facteur de standardisation de l’es- pace, elles contribuent à favoriser la composante servicielle des activités productives qui

« constituent, pour les plus qualifiés, un quasi-monopole des principaux pôles urbains ».

Cette thèse trouve avec Veltz son principal défenseur. Certes, il partage avec les promo- teurs de thèses sur les districts, systèmes productifs locaux ou milieux innovateurs, l’idée que les modalités du développement économique sont plurielles et qu’elles se traduisent par des configurations territoriales correspondantes. Mais il préconise d’accorder une attention particulière aux « grandes organisations multi territorialisées qui sont aussi le lieu d’intenses transformations ainsi qu’aux logiques polaires et aux logiques des grands réseaux nationaux et internationaux » (Veltz, 1990, p. 53). Les districts, SPL, milieux innovateurs ne représentent qu’un aspect des mutations actuelles. Celles-ci comprennent aussi la poursuite d’extension souvent planétaire, de grandes organisations nées de la production de masse. Quel que soit le type de production, il met en évidence l’importance accrue des phases amont et aval au détriment du processus productif. Cette tendance conduit à une progression significative du tertiaire industriel.

Elle s’exprime à partir d’une mobilisation des compétences internes, mais également par un appel de plus en plus fréquent à des prestataires extérieurs à l’entreprise. Or, ces activités tertiaires, qu’elles soient gérées en interne ou qu’elles soient développées par des entreprises spécialisées, se localisent de manière privilégiée dans les grands centres urbains. C’est notamment le cas des besoins spécifiques d’un « tertiaire supérieur » qui repose essentiellement sur la diffusion et la gestion de l’information dont la dimension communicationnelle est essentielle. Les lieux centraux renforcent leurs pouvoirs de com- mandement tout en confirmant la puissante dynamique d’intégration qui en résulte. Cela induit certes une remise en cause de la logique qui prévaut dans l’organisation taylorienne des tâches pour basculer vers une gestion par projet, qui ne prend pas nécessairement une forme hiérarchisée pyramidale mais inaugure la promotion de réseaux complexes de sous-traitants. L’organisation des firmes est plus horizontale et moins pyramidale qu’auparavant : le réseau supplante la hiérarchie. Toutefois, lorsque Veltz évoque « l’éco- nomie des réseaux » il refuse de l’interpréter comme le symbole de l’émergence d’une

(13)

seconde couche d’intermédiation entre les espaces de production mais bien comme celui d’une restructuration globale. Il estime qu’elle privilégie prioritairement les « nœuds » du réseau. Les années 1990 sont marquées par une tendance lourde « qui traduit le passage d’une polarisation zone vers une polarisation réseau » (op. cit., p. 67). Aux processus de commandement qui s’exprimaient sur des aires concentriques succède une dynamique qui se définit par la capacité à se brancher sur les flux et les réseaux majeurs, et à consti- tuer des têtes de réseau. Elle conduit à une déconnexion progressive entre les principales villes et leur arrière-pays et une intégration croissante des activités motrices des villes de second rang dans des activités à haut contenu technologique.

Conclusion

En privilégiant le soutien aux points nodaux de l’économie d’archipel le dispo- sitif Pôle de compétitivité vise à prendre en compte des principes d’organisation de la production des firmes qui subissent de profonds changements. Au-delà de leurs choix en matière de localisation ce sont les rapports qu’entretiennent les entreprises avec les territoires qui sont affectés. Le besoin en main-d’œuvre est désormais un besoin en main- d’œuvre aux qualifications diversifiées qui agit comme facteur de métropolisation. Elle favorise une réduction des risques pour les entreprises qui pourront trouver un marché de l’emploi ajusté à une demande fluctuante et une réduction des risques pour les salariés qui bénéficient d’une demande de travail accrue correspondant à leur niveau de qualification.

A cette contraction des risques liée aux caractéristiques des marchés du travail métropoli- tain s’ajoute la présence de services spécialisés pour lesquels les effets de proximité jouent un rôle indéniablement plus grand que pour des activités productives plus banales. Cette proximité va au-delà d’une simple proximité géographique mais isole un système relation- nel beaucoup plus intense. Cette dimension, même si elle n’est pas formulée de manière explicite dans le dispositif Pôles de compétitivité, paraît essentielle. Il s’agit bien de per- mettre le passage d’un territoire zone à un territoire réseau qui renouvelle les rapports ville- région en prenant en compte de l’ouverture croissante des espaces économiques. Cette posture conduit à dépasser le point de vue local pour s’engager dans une démarche qui privilégie l’articulation du territoire considéré au sein de l’économie réseau qui se met en place. La conjonction d’un paradigme technologique avec la concentration des lieux de décision participerait ainsi à la définition d’une nouvelle organisation productive dont la lisibilité ne serait ni globale ni locale, mais qui s’exprimerait prioritairement à partir de l’identification des articulations entre les dynamiques globales et locales. Mais privilégier le soutien à ces espaces déjà « gagnants » n’épuise pas la question du devenir d’espaces moins bien branchés, du monde rural comme des petites villes situées à l’écart des axes majeurs de communication. Leur seule destinée réside-t-elle dans une conversion vers une économie résidentielle (Davezies, 2004) ou est-il possible d’envisager d’autres formes d’articulations avec les points nodaux de l’économie d’archipel ? Les deux hypothèses ne nous semblent pas contradictoires et pourrait ouvrir sur le plan conceptuel comme dans celui de l’action publique des chantiers susceptibles d’ouvrir de nouvelles pistes pour faire émerger à la fois de nouvelles figures territoriales du développement tout en prolongeant et enrichissant le « patrimoine » conceptuel existant. Elle permettrait de mettre à jour, selon l’expression de Klein (2007) les nouveaux principes d’un « développement ascendant ».

(14)

Références

Aydalot P. (dir.), 1984 Crise et espace, Paris, Economica.

Beccatini G., ed, 1987, Mercato e forze locale, il distretto industriale, Il Mulini, Bologne.

Bellet M., et Boureille B., 1994, « Diversité d’inscriptions territoriales d’une technologie, l’exemple de la productique en Rhône-Alpes », in Industrie, territoires et politiques publiques, Courlet C. et Soulage B.

(dirs.), Coll. Logiques Economiques, L’Harmattan, p. 143-172.

Benko G. (dir.), 1990, La dynamique spatiale de l’économie contemporaine, Editions de l’Espace Européen.

Benko G., 1991, Géographie des technopôles, Coll. Géographie, Masson

Benko G., 1992, « Espace industriel logique de localisation et développement régional », Sciences de la Société, n° 66-67 p. 129-147.

Benko G., 2007, « Territoires et sciences sociales » in Régimes territoriaux et développement économique, Itçaina X., Palard J., Ségas S., (dirs), Espaces et Territoires, Presses Universitaires de Rennes p. 105, 113.

Cooke P., 1992. « Regional innovation systems: Competitive regulation in the new Europe », Geoforum, 23 : p. 365-382.

Courlet C. et Pecqueur B., 1992, « Les systèmes industrialisés en France, un nouveau mode développement », in Les régions qui gagnent. Districts et réseaux : les nouveaux paradigmes de la géographie économique, Benko G. et Lipietz A. (dirs.), PUF, p. 81-103.

Courlet C., 1994, « Les systèmes productifs localisés, de quoi parle-t-on ? » in Industrie, territoires et politiques publiques, Courlet C. et Soulage B. (dirs.), Coll. Logiques Economiques p. 13-35.

Courlet Cet Pecqueur B., 1993 « Systèmes productifs localisés et industrialisation », in Dix ans de décentralisation, Dupuy C. et Gilly J-P. (dirs.), La Documentation française, p. 57-69.

Darmon D. et N. Jacquet, 2005, Les pôles de compétitivité, le modèle français, La documentation française.

Davezies L, 2004, « Développement local : le déménagement des français. La dissociation des lieux de production et de consommation » in Futuribles, N° 295, p. 45-56.

Fontan J-M; Klein J-L, Tremblay D-G, 2005, Innovation socioterritorial et reconversion économique : le cas de Montréal, L’harmattan.

Gaffard J.-L., 1986, « Restructuration de l’Espace Economique et Trajectoires technologiques », in Milieux Innovateurs en Europe, Aydalot Ph. (ed.), Collection du GREMI, p. 283-303.

Garofoli G., 1985, « Industrialisation diffuse et petite entreprise : le modèles italien des années 1970 », Cahiers IREP Développement, N°9, p. 245-256.

Granovetter M., 1985, « Economic action and social structure : the problem of embeddedness » ,American Journal of Sociology, n° 91, p. 481-510, traduit en français dans l’ouvrage Granovetter M., 2000, Le Marché autrement. Les réseaux dans l’économie, Coll. Sociologie économique, Editions Desclée de Brouwer, p.

75-115.

Greffe X., 1989, Décentraliser pour l’emploi , les initiatives de développement, (deuxième édition), Economica.

Guesnier B., 1993, « Répartition spatiale de l’appareil de production », in Dix ans de décentralisation en France, Gilly J-P. et Dupuy C. (dirs.), La Documentation française, p. 15-37

Jalabert G. et Thouzellier C (ed.), 1990, Villes et Technopoles. Nouvelle Industrialisation, Nouvelle Urbanisation, Actes du colloque international « Villes et technopoles » (Toulouse, septembre 1987), Villes et Territoires, Hors série, PUM.

Klein J-L., 2007, « Geografia y desarollo local » in Tratado de Geografia Humana, Hiernaux D., et Lindon A., dirs, Anthropos, Universidad autonoma metropolitana, Mexico, p 303 à 320.

Longhi C. et Quéré M., 1994, « Les systèmes locaux d’innovation : éléments empiriques et analytiques », in Industrie, territoires et politiques publiques, Courlet C. et Soulage B. (dirs.), Coll. Logiques Economiques, L’Harmattan, p. 203-223.

(15)

Maillat D., 1983, « Potentiel régional et redéploiement des régions industrielles, l’exemple du Jura suisse », in Le développement décentralisé, Dynamique spatiale de l’économie et de la planification régionale, Planque B. (ed.), Litec, Coll. GRAL, p. 251-265.

Maillat D., 1984, « La région horlogère : transformation de l’appareil de production et capacité d’adaptation », in Crise et espace, Aydalot P. (dir.), Paris, Economica, p. 83-97.

Maillat D., 1992, « Les relations des entreprises innovatrices avec leur milieu », in Entreprises innovatrices et développement territorial, Maillat D. et Perrin J.-C. (eds.), EDES/GREMI II.C, p. 3-22.

Manzagol C., 1990, « Réflexions sur la trajectoire d’une technopole, Phoenix », in La dynamique spatiale de l’économie contemporaine, Benko G. (dir.), Editions de l’Espace Européen, p. 153-173.

Marconis R. et Thouzellier C. (ed.), 1989, Technologies nouvelles. Mutations industrielles et changements urbains, Actes des Journées urbaines et industrielles de Toulouse, Coll. Villes et Territoires, n°2, PUM.

Moati P., Mohoud E. M., 1997, « Compétences, localisation et spécialisations internationales », in Economie de la connaissance et organisations. Entreprises, territoires, réseaux, Guilhon B. et al., (dirs.) , L’Harmattan, p. 262-286.

Monateri J.-C., et Chanaron J-J., 1994, « Dynamiques industrielles et technologiques : le pôle grenoblois » in Industrie, territoires et politiques publiques, Courlet C. et Soulage B. (dirs.), Coll. Logiques économiques, L’Harmattan, p. 173-203.

Pecqueur B., J.B. Zimmermann J.B.,ed., 2004, L’économie de proximités, Paris : éditions Hermes-Lavoisier.

Polèse M., 1994, Economie urbaine et régionale, logique spatiale des mutations économiques, Bibliothèque de science régionale, Economica

Scott A., 1992, « L’économie métropolitaine, organisation industrielle et croissance urbaine », in Les régions qui gagnent. Districts et réseaux : les nouveaux paradigmes de la géographie économique, Benko G. et Lipietz A. (dirs.), PUF, 1992, p. 103-123.

Soulage B, 1994, « Des systèmes productifs localisés aux politiques publiques, questions et perspectives de recherche », in Courlet C. et Soulage B. (dir.), Industrie, territoires et politiques publiques, Coll. Logiques Economiques, L’Harmattan, p. 297-306.

Van Doren R. 1996, « Charleroi et le milieu innovateur », in Du local au global, Les initiatives locales pour le développement économique en Europe et en Amérique, Demazière C. (ed.), Coll. Géographies en liberté, L’Harmattan, p. 148-163.

Veltz P., 1990, « Nouveaux modèles d’organisation de la production et tendances de l’économie territoriale », in La dynamique spatiale de l’économie contemporaine, Benko G. (dir.), Editions de l’Espace Européen, p.53-71.

Veltz P., 1996, Mondialisation, villes et territoires, l’économie d’archipel, Coll. Economie en liberté, PUF.

Veltz P., 2002, Des Lieux et des liens, Politique du territoire à l’heure de la mondialisation, Editions de l’Aube

(16)

Références

Documents relatifs

295 Des systèmes productifs locaux aux pôles de compétitivité : approches conceptuelles et figures territoriales du développement Régis Guillaume.. 311 Pôles de compétitivité

Ainsi, pour Lévy et Lussault (2003): « une réalité issue du monde physique ou biologique ne peut être ressource que s’il existe un processus de production identifié dans lequel

Dans un deuxième temps, nous présenterons la réalité effec- tive du système local de compétences à partir des logiques convergentes entre le secteur aéronautique, spatial

Si le calcul économique public utilisé dans la formation de la décision publique est indifférent vis-à-vis des questions d’équité, les dispositifs de droit administratif mis en

Au final, il apparaît que l’émergence d’une dynamique collective territorialisée à partir des ressources environnementales se situe à la confluence d’une triple revendication :

N., ed., 2007, Economic Integration and Spatial Location of Firms and Industries, Edward Elgar, Cheltenham, Glos, 1976 p.. KALLINIKOS J., 2007, The Consequences of Information,

Les réflexions sur l’espace qui sont axées sur l’économie et se développent depuis les années 1810 ou 1820 en retiennent divers aspects : l’idée de dotation en facteurs leur est

Les aspects socio-économiques et environnementaux : le degré de participation des petites entreprises dans un secteur d’activité donné ; l’existence d’une culture de