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L'institutionnalisation de la géographie académique dans les universités de la Suisse romande pendant le XIXème siècle. Une comparaison du rôle des sociétés de géographie de Genève et Neuchâtel

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Master

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L'institutionnalisation de la géographie académique dans les universités de la Suisse romande pendant le XIXème siècle. Une

comparaison du rôle des sociétés de géographie de Genève et Neuchâtel

HEITMANN, Maximilian Miles

Abstract

Le XIXème siècle a vu la naissance de beaucoup des Sociétés de géographie partout dans le monde. En Suisse romande furent fondées la Société de géographie de Genève (1858), et la Société neuchâteloise de géographie (1885). Les activités de ces deux sociétés ont contribué à l'institutionnalisation de la géographie dans les universités de leurs cantons respectifs.

Pendant cette période la géographie subi donc un lent processus de professionnalisation, qui la transforme petit à petit d'un passe-temps pratiqué par des individus aisés à une activité régularisée et rémunéré. Ces deux sociétés ont été au cœur de ce processus.

HEITMANN, Maximilian Miles. L'institutionnalisation de la géographie académique dans les universités de la Suisse romande pendant le XIXème siècle. Une comparaison du rôle des sociétés de géographie de Genève et Neuchâtel. Master : Univ. Genève, 2018

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:102730

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L'INSTITUTIONNALISATION DE LA GÉOGRAPHIE ACADÉMIQUE

DANS LES UNIVERSITÉS DE LA SUISSE ROMANDE PENDANT LE

XIXème SIÈCLE

Une comparaison du rôle des Sociétés de géographie de Genève et Neuchâtel Mémoire de Master en Géographie politique et

culturelle

Maximilian Heitmann

sous la direction de Betrand Lévy juré : Jean-François Staszak

Faculté des Sciences de la Société

Université de Genève 2018

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Abstract

Le XIXème siècle a vu la naissance de beaucoup des Sociétés de géographie partout dans le monde. En Suisse romande furent fondées la Société de géographie de Genève (1858), et la Société neuchâteloise de géographie (1885). Les activités de ces deux sociétés ont contribué à l'institutionnalisation de la géographie dans les universités de leurs cantons respectifs. Pendant cette période la géographie subi donc un lent processus de professionnalisation, qui la transforme petit à petit d'un passe- temps pratiqué par des individus aisés à une activité régularisée et rémunéré. Ces deux sociétés ont été au cœur de ce processus.

Mots-clés : Société de géographie, géographie, institutionnalisation, profession, professionnalisation, science

Abstract

The 19th century saw the birth of many Geographical Societies everywhere in the world. In the Romandy, the Société de géographie de Genève (1858) and the Société neuchâteloise de géographie (1885), were created. The activities of these two societies took part in the institutionalization of geography in the universities of Geneva and Neuchâtel. During this period of time geography went through a slow process of professionalization, which transformed it little by little from a pastime for wealthy people, into a regularized payed activity. These two societies were at the heart of this process.

Key words: Geographical society, geography, institutionalization, profession, professionalization, science

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Table des matières

Introduction...6

PREMIÈRE PARTIE : DÉFINITION DU SUJET...9

1.1Revue de la littérature... 9

1.1.1 Histoire de la géographie...10

1.1.2 Sociologie de professions...13

1.1.3 La science comme profession...18

1.2Concepts et Théories...20

1.2.1 Géographie... 20

1.2.2 Profession... 22

1.2.3 Professionnalisation...24

1.3Méthodologie... 29

DEUXIÈME PARTIE : CONTEXTE HISTORIQUE...31

2.1La géographie au XIXème siècle...32

2.1.1 La naissance d'une science moderne : Humboldt et Ritter...32

2.1.2 L'essor de sociétés de géographie...34

2.1.3 Les universités aux XIXème siècle...38

2.2La Suisse au XIXème siècle : la naissance de l'Etat moderne ... 40

2.3Le canton de Genève...42

2.3.1 Société et culture au XIXème siècle...42

2.3.2 De l'Académie impériale à l'Université cantonale...45

2.4Le canton de Neuchâtel...51

2.4.1 Société et culture au XIXème siècle...51

2.4.2 L'Académie de Neuchâtel...53

TROISIÈME PARTIE : ANALYSE...54

3.1La Société de géographie de Genève...54

3.2La Société neuchâteloise de géographie...76

3.3Différences et similitudes entre la SGG et la SNG ... 97

3.4La professionnalisation de la géographie ...102

QUATRIÈME PARTIE : RÉFLEXIVITÉ SUR LA DÉMARCHE... 106

Conclusion... 108

Bibliographie...113

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Introduction

La première partie du XIXème siècle fut une période prolifique pour la pensée scientifique, en particulier pour les penseurs allemands, qui ont contribué à un retour d'intérêt pour la géographie. Les travaux d'Alexander Von Humboldt (1769- 1859) et Carl Ritter (1779-1859), entre autres, ont participé de manière significative à la modernisation de la discipline.

Pendant cette période d'activité scientifique, la majorité des sciences qu'on connait aujourd'hui fut définie en termes d'objectivité et de méthodologie, et subit un lent processus d'institutionnalisation, qui vit l'établissement de leur enseignement dans les principales universités et écoles d'Europe et des Etats Unis (Bowen, 1981). La géographie n'est pas une exception.

Avant d'être pratiqué et diffusé à l'intérieur d'un cadre institutionnel, le savoir géographique était produit par des individus désintéressés, qui ne jouissaient pas d'un titre particulier, ou d'un statut professionnel. La production des connaissances scientifiques faisait partie de la sphère des loisirs, et souvent, les auteurs des textes scientifiques avaient d'autres types d'occupation (Fisher, 1980). Au XIXème siècle, il n'y avait pas de procédures institutionnalisées pour occuper un rôle scientifique. Les scientifiques étaient simplement ceux qui à un moment donné étaient considérés comme tels par la communauté scientifique de référence (Ben-David, 1972).

Le XIXème siècle a vu la création de beaucoup de Sociétés de géographie – des sociétés savantes qui avaient comme but explicite le progrès et la diffusion de la science géographique – dans toutes les grandes puissances européennes (entre autres : la Société de géographie fondée à Paris en 1821, la Gesellschaft für Erdkunde fondée à Berlin en 1828, et la Royal Geographical Society fondée à Londres en 1829). Ces sociétés étaient des centres de production scientifique, qui accueillirent les principaux intellectuels de l'époque (Alexander

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Von Humboldt, Jules Vernes, Elisées Reclus faisaient partie de la Société de géographie de Paris ; la Royal Geographical Society a financé des expéditions pour Charles Darwin, et David Livingstone entre autres). Elles ont aussi largement contribué à l'institutionnalisation de la science géographique à l'intérieur de leurs différents pays, et à l'établissement et la reconnaissance de la géographie en tant que discipline académique. Entre la fin du XIXème siècle et le début du XXème siècle, toutes les principales universités du monde occidental présentaient une chaire de géographie. Au cours du XIXème siècle donc, la science en Europe et aux Etats-Unis s'est lentement transformée d'un passe-temps pour des individus aisés, à une activité régularisée (Morrell, 1990).

Beaucoup de recherches sur l'histoire de la géographie et ses développements institutionnels ont été faites, notamment en qui concerne les principaux pays du monde occidental : France, Allemagne, Angleterre, Etats-Unis. Cependant, très peu a été dit sur l'histoire de la géographie de notre pays, la Suisse. Mon objectif vise à combler ce vide, au moins en partie. Pour des raisons temporelles et matérielles, je vais me concentrer sur la partie francophone de la Suisse, notamment sur les cantons de Genève et Neuchâtel. J'aimerais donc retracer l'évolution de la discipline pendant le XIXème siècle sur une partie du territoire helvétique. Plus précisément, je voudrais étudier l'évolution de la géographie et des géographes suisses à travers le concept de

« profession ».

À partir du XXème siècle beaucoup de sociologues se sont intéressés au concept de « profession » (Carr-Sauders, Wilson, 1933 ; Wilensky, 1964 ; Ben-David, 1972 ; Johnson, 1972), la plupart des travaux portant sur des métiers tels que (le) médecin, (l’) avocat, ou (l’) ingénieur. Peu d'attention a été portée sur la science, et les hommes de science. La professionnalisation a souvent été défini comme une occupation stratégique d'un champ social (Carr-Saunders, Wilson, 1933), ou le pouvoir de contrôler et définir un segment de la réalité sociale (Johnson, 1972) ; en ce qui concerne les scientifiques, il s'agit du

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pouvoir de contrôler la connaissance. Pour mon travail de mémoire, je voudrais appliquer ces approches pour étudier le développement de la géographie en Suisse romande pendant la deuxième moitié du XIXème siècle. Plus précisément je voudrais répondre à la question suivante : de quelle manière la géographie, en tant que discipline académique, est devenue une profession en Suisse romande pendant la seconde moitié du XIXème siècle et le début du XXème siècle?

Pour répondre à cette question, je vais me concentrer sur l'histoire et les activités de la Société de géographie de Genève (fondée en 1858), et la Société de neuchâteloise de géographie (fondée en 1885). Je chercherai à retracer les développements institutionnels successifs qui ont amené à la création des chaires de géographie à l'Université de Genève, et à l'Université de Neuchâtel. J'ai décidé d'enquêter sur ces sociétés savantes car j'estime qu'elles ont été parmi les premières formes d'organisation (in)formelle de la science géographique en Suisse romande, et elles ont participé à la construction d'une identité et d'une solidarité de groupe pour les géographes. Donc, étant donné que la ville de Lausanne et celle de Fribourg n'ont jamais eu de sociétés de géographie, je ne m'occuperais pas de l'évolution de cette science au sein des leurs universités respectives.

Pour conduire mes recherches je vais m'appuyer sur les archives laissées par ces sociétés (bulletins, statuts, règlements, compte-rendu, etc.), ainsi que les archives patrimoniales et administratives de l'Université de Genève, et les archives de l'État de Neuchâtel. À partir de ces données je vais essayer de retracer l'évolution de la discipline à travers le processus de professionnalisation. L'hypothèse générale de ma recherche est que ces deux sociétés savantes ont eu un rôle fondamental dans le développement institutionnel de la géographie en Suisse romande.

Je diviserai mon travail en quatre parties principales. La première partie sera dédiée à la définition et l'encadrement du sujet ; plus précisément, elle sera composée d'une revue de la

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littérature, d'une sous-partie concernant les concepts et les théories employés au cours de la recherche, et une dernière sous- partie méthodologique. La deuxième partie portera sur la contextualisation historique de l'époque ; je vais notamment parler de l'état de la science géographique au XIXème siècle, et de la Suisse – avec un approfondissement sur les cantons de Genève et Neuchâtel – pendant cette période. La troisième partie, qui constituera le cœur de ma recherche, sera dédiée à l'analyse documentaire des données, et à la discussion de ses résultats. Il y aura ensuite une quatrième petite partie réflexive, dans laquelle je discuterais les limites de la démarche scientifique adopté, et des résultats obtenus. Je vais enfin, bien sûr, faire mes conclusions.

PREMIÈRE PARTIE : DÉFINITION DU SUJET

1.1 Revue de la littérature

Avant d'entamer ma recherche il me semble judicieux de faire une revue de la littérature pour voir ce qui a déjà été dit sur le sujet. Dans un premier temps, je vais donc passer en revue les principaux ouvrages couvrant l'histoire de la géographie, dans un second temps, je vais présenter les apports majeurs de la sociologie de professions, pour finalement constater ce qui à déjà été dit sur la professionnalisation de la science.

1.1.1 Histoire de la géographie

Selon Paul Claval, géographe et épistémologue français, on peut

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dire que l'histoire de la géographie est aussi ancienne, ou presque, que la discipline même, car dès son origine il est apparu nécessaire de dresser l'état des données, et des observateurs qui les ont rapportées. La préoccupation de recenser les sources et d'établir de manière précise ce que l'on peut retirer, pousse à peu près la totalité des géographes à pratiquer d'une manière partielle l'histoire de la géographie (Claval, 1972). Cependant, l'étude de la pensée géographique, ne se constitue qu'à l'époque de la Renaissance, quand les Humanistes ont commencé à redécouvrir les travaux des Anciens. Grâce à leurs efforts, on apprend à reconstituer la progression de la pensée géographique grecque, et les étapes de l'exploration du monde (Claval, 1972). À partir du XIXème siècle, l'histoire de la géographie devient un genre majeur ; les travaux qui touchent aux grands voyages, et aux progrès de la connaissance de la Terre, se font de manière systématique (Burney, 1803 ; Favenc, 1888 ; Malte-Brun, 1808). Pendant cette période, les intellectuels européens découvrent aussi les géographes arabes du Moyen-Âge (Sprenger, 1864 ; Amari, 1854-1872; Carmoly, 1847). Au fur et à mesure que la géographie progresse, les chercheurs prennent conscience de l'importance qu'il faut donner à tous ceux qui ont modelé la connaissance dans les siècles passés ; par conséquent, beaucoup de recherches sur les géographes et cartographes humanistes font aussi leur émergence (Gallois, 1890 ; Denuce, 1908).

Toutefois, ces travaux d'histoire de la géographie, qui apparaissent à l'époque de la Renaissance et prospèrent jusqu'à la fin du XIXème siècle, s'intéressent très peu à l'évolution de la pensée : ils portent plutôt sur les explorations, et sur les antécédents antiques. L'histoire des idées est analysée de manière partielle, fait qui rend souvent ces travaux sans beaucoup de profondeur épistémologique (Claval, 1972).

Entre la fin du XIXème siècle et le début du XXème siècle, les études d'histoire de la géographie se font moins nombreuses. Cependant, quelques ouvrages montrent l'élargissement progressif du domaine ; l'histoire de la

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géographie commence à devenir autre chose qu'un récit de la découverte du monde. Les chercheurs se tournent vers l'évolution des idées et de la conception de la géographie ; l'ouvrage de Hettner (1927) d'une part, et Hartshorne (1939) d'autre part, sont des précurseurs de cette nouvelle démarche qui met l'accent sur la réflexion épistémologique. L'ouvrage de Wright (1925) sur la géographie au temps des Croisades, et celui de Dainville (1940) sur la géographie des humanistes, ouvrent d'autres perspectives : ils visent à comprendre le savoir géographique d'ensemble qui caractérise une époque (Claval, 1972).

À partir de la deuxième moitié du XXème siècle, les travaux relatifs à l'évolution de la géographie se multiplient à nouveau dans le monde occidental. En Allemagne, on peut notamment citer les travaux de Beck (1954 ; 1967). Dans le monde anglo-saxon on peut citer, entre autres, les ouvrages de Bunge (1962), de Livingstone (1992), et de Bowen (1981). Pour ce qui concerne l'univers francophone, Paul Claval a dédié plusieurs ouvrages à l'histoire et l'épistémologie de la géographie (1964 ; 1968 ; 1995 ; 1998 ; 2001). Parmi les autres chercheurs, nous pouvons notamment citer les travaux de Vallaux (1925), Clozier (1942), et Sorre (1943-1953).

Selon Paul Claval (1968), les études d'histoire de la géographie peuvent être regroupées en deux grandes familles : celles qui mettent davantage l'accent sur les crises, les révolutions, et les mutations, et celles qui, au contraire, voient l'évolution de la géographie comme une continuité. Selon la première famille, l'histoire de la géographie est constituée de moments où l'ensemble des valeurs traditionnellement partagées par la communauté scientifique se trouve remise en question.

L'évolution de la discipline est donc analysée comme une succession des deux ou trois grandes ruptures. Deux grandes phases sont souvent mises en évidence par la plupart des chercheurs partageant cette vision : celle de la géographie soit- disant traditionnelle, et celle de la géographie moderne. Le point de rupture se situe dans la deuxième moitié du XIXème siècle,

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mais il n'y a pas un consensus général par rapport aux moments clés de cette rupture (Claval, 1968). Selon certains auteurs (Vallaux, 1925), la grande coupure se situe au moment où la géographie humaine se constitue, grâce aux enseignements de Ritter et Humboldt, aux environs de 1870. Selon d'autres (Febvre, 1922 ; Clozier, 1942), elle coïncide avec la publication des grandes œuvres de Vidal de la Blanche, qui ont permis de passer du paradigme déterministe, au paradigme possibiliste.

D'autres auteurs dans le monde anglo-saxon placent ailleurs les articulations essentielles (Crone, 1964; Bunge, 1962), mais restent fidèles au modèle mutationniste.

La deuxième manière de présenter l'histoire de la géographie est celle de mettre l'accent sur sa continuité, de voir son évolution comme un chemin droit qui a amené la discipline à son état présent. L'oeuvre de Richard Hartshorne (1939) est l'emblème de cette seconde vision. Selon ce courant de pensée, la géographie prend sa forme moderne par l'affermissement progressif d'une certaine conception de son objet (Claval, 1968).

Ce genre d'historiographie a souvent été critiqué par sa façon de concevoir le passé en fonction du présent : l'histoire de la géographie est conçue comme un inévitable mouvement d'un passé mal informé vers un présent glorieux (Livingstone, 1990).

Il est clair que l'opposition entre ces deux manières d'écrire l'histoire de la géographie n'est pas absolue. D'autres approches plus contemporaines essayent de voir l'évolution de la discipline à travers la coexistence de courants parallèles.

Ma recherche ne va pas couvrir un espace temporel si large, elle va se concentrer sur une période spécifique : la deuxième moitié du XIXème siècle, le moment où la géographie s'est institutionnalisée. Ainsi, il n’y aura pas lieu pour analyser la discipline soit en terme des crises et révolutions, soit en terme de continuité.

Nous avons jusqu'à présent parlé des principaux ouvrages qui ont traité de l'histoire de la géographie dans sa conception transnationale, il y a néanmoins tout un corpus de littérature plus spécialisé, qui s'occupe des développements

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nationaux de la géographie, surtout à partir de la période qui nous intéresse : la fin du XIXème siècle. Dans les principaux pays occidentales, des études portant sur l'évolution de la science géographique ont été menés ; notamment en Allemagne (Arnhold, 1965 ; Black, 1947 ; Brogiato, 1995 ; Büdel, 1982), en France (Berdoulay, 1995 ; Buttimer, 1971 ; Claval, 1998 ; Godlewska, 1999 ; Soubeyran, 1989), en Angleterre (Brown, 1971 ; Butlin, 1995 ; Cormack, 1997 ; MacKenzie, 1995), en Italie (Gambi, 1973 ; Caraci, 1982), aux Pays-Bas (Velde, 1995 ; Ginkel, 1996), en Russie (Bassin, 1999 ; Hooson, 1968), et aux États-Unis (Berry, 1980 ; Martin, 1985 ; Wright, 1952).

Cependant, à part quelque bref essai (Crivelli, 2003 ; Huber, 2003 ; Bailly, 2003 ; Fischer, Mercier & Raffestin, 2003), très peu a été dit sur l'histoire de la géographie en Suisse, et encore moins en Suisse romande.

1.1.2 Sociologie de professions

Dans le monde francophone, les débuts d'une réflexion approfondie sur la signification sociologique de la spécialisation professionnelle et du groupement en métiers, peuvent être situés dans les thèses de Durkheim sur l'organisation économique et la division du travail. Selon lui, le lien social dans les sociétés industrielles se fonde sur la division du travail, qui doit être source de solidarité organique et de coopération volontaire (Durkheim, 1893). Il préconise donc la création des corps intermédiaires, entre L'État et la société civile, constitués sur des bases professionnelles, qui doivent fonctionner comme des autorités morales départageant les conflits et assurant l'ordre (Durkheim, 1902-1903). Le penseur français, insiste aussi, à l'instar d'autres auteurs classiques comme Tönnies, Weber, et Spencer, sur les différentes fonctions sociales de la communauté professionnelle : à la fois organe de socialisation par transmission des connaissances et valeurs, et à la fois moteur du

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développement technique et sociale (Demazère, Gadéa, 2009).

Il faut toutefois noter que cette posture est très normative et moraliste. De plus, Durkheim n'a pas véritablement proposé une théorie des professions ; il serait plus approprié de dire que les groupes professionnels forment une partie constitutive de sa théorie sociologique. Cependant, ce facteur d'analyse – les groupes professionnels – a été peu repris dans le monde francophone, on pourrait même dire qu'il a été oublié pendant plusieurs décennies (Demazère, Gadéa, 2009).

Après la Deuxième Guerre mondiale, on assiste à un développement rapide des recherches portant sur le travail et les activités de production, qui débouchent sur la formation d’un domaine de recherche appelé sociologie du travail, symbolisé par la fondation de la revue Sociologie du travail en 1959 (Borzeix, Rot, 2010), et par la publication du Traité de sociologie du travail (Friedmann, Naville, 1961-1962).

Toutefois, les professions et les groupes professionnels occupent une place mineure dans ces ouvrages, et ces termes sont généralement utilisés dans le sens de catégorie de travailleurs (ingénieurs, techniciens, employés, ouvriers, etc.) (Demazère, Gadéa, 2009). Au cours de cette période, la sociologie du travail s'intéresse surtout aux ouvriers de la grande entreprise industrielle.

Inversement, aux Etats-Unis et en Angleterre, l'analyse sociologique des professions a connu, depuis les années 1930, des développements rapides et des débats intenses, notamment entre les approches fonctionnalistes et interactionnistes (Menger, 2003).

Dans la langue anglaise, le terme professional a une double signification. Il peut à la fois être utilisé pour distinguer une occupation d’une profession libérale, par exemple un charpentier d'un médecin, et à la fois pour distinguer un professionnel d'un amateur. La majorité de la littérature sur la sociologie des professions de la première partie du XXème siècle se concentre sur le premier usage du terme (Fisher, 1980).

Une grande partie de cette littérature essaye d'identifier les

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éléments essentiels qui caractérisent une profession (Carr- Saunders, Wilson, 1933 ; Parsons, 1939 ; Lewis, Maude, 1952).

Il n'y a pas un consensus général concernant ces caractéristiques fondamentales ; cependant, on peut dégager plusieurs traits qui sont souvent mobilisés : la possession des compétences basées sur un savoir systématique, théorique et ésotérique, le degré d'autonomie au travail, un apprentissage spécialisé, un système des procédures pour tester et certifier les compétences des membres, une forme d'organisation. L'importance de chacun de ces éléments est une grande source des débats et désaccords (Morrell, 1990). Ces questionnements font partie de l'approche fonctionnaliste, qui consiste à étudier la société à partir des fonctions qui lui sont attribuées, qui la structurent et lui assurent sa stabilité en distribuant les différents rôles et statuts aux individus. Dans cette optique, il y a une distinction claire entre une occupation et une profession, qui est considéré comme attribuant un rôle et un statut à ses membres (Vezinat, 2016).

L'autre grande thématique des approches fonctionnalistes se traduit par l'étude du processus de professionnalisation, c'est- à-dire l'histoire de la transformation d'une occupation à une profession. Un représentant de cette démarche, H. L. Wilensky (1964), affirme que les métiers passent à travers une série d'étapes avant de devenir des professions. Encore une fois, il n'y a pas consensus par rapport à l'identification et la dynamique de ces différentes étapes. En outre, ce type d'analyse reste confinée à l'intérieur d'un territoire national ; dans le sens où ce qui pourrait être vrai pour l'histoire des professions en Angleterre, ne pourrait l'être pour la même histoire en Allemagne (Fisher, 1980).

Les approches fonctionnalistes ont souvent été catégorisées comme conservatrices par leurs adversaires, car elles véhiculent souvent un présupposé normatif faisant l'apologie des professions et de leur rôle dans le corps social, avec une vision très structurée de la société (Demazère, Gadéa, 2009).

L'autre grande tradition de pensée dans la sociologie de

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professions c'est l'interactionnisme, qui considère la société comme le résultat des interactions des individus entre eux, c'est- à-dire une attribution continue de sens par les individus qui définissent les situations en fonction de leurs interactions avec les autres (Vezinat, 2016). Ces approches se veulent plus distanciées et conçoivent les notions de profession et professionnalisation comme des folk concepts relevant du sens commun (Becker, 1962), et pas comme des concepts sociologiques (Demazère, Gadéa, 2009). Les interactionnistes se sont donc intéressés à tout type de métier, même les moins prestigieux dans le discours social, pour étudier les processus qui permettent aux groupes exerçant une même activité d'obtenir une autorisation d'exercice, une reconnaissance de leur monopole ou une extension de leur domaine de compétence (Vezinat, 2016). Les principaux représentants de cette pensée sont Hughes, Becket, Goffman, et Strauss, tous issues de L'École de Chicago. Leurs travaux, apparus au cours des années '60 et '70, se focalisent sur les « petits métiers », afin de permettre d'établir une différence de degré, plutôt que de nature, entre métier et profession (Vezinat, 2016).

Pendant la période de la Guerre Froide et la Guerre du Vietnam, les approches fonctionnalistes ont plus de succès parmi la communauté scientifique. En réponse, les années '70 voient naître des courants de pensées alternatives, parfois d'inspiration marxiste (Johnson, 1972), dénonçant la soi-disant domination des professions établies (Freidson, 1970), et les privilèges ainsi que les monopoles dont elles jouissent (Demazère, Gadéa, 2009).

Cependant, ce n'est que à partir des années '80 que toutes ces théories et approches forgées outre-atlantique commencent à être assimilées par les chercheurs du monde francophone. On assiste à l'apparition des différentes recherches portant sur des catégories des travailleurs autres que les ouvriers, comme les artisans boulangers (Bertaux-Wiame, 1982), les artistes (Moulin, 1999), les médecins (Baszanger, 1990), enseignants du secondaire (Chapoulie, 1987), (Damazère, Gadéa, 2009) etc. La

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majorité de ces travaux se réfèrent aux théories anglo-saxonnes, notamment l'interactionnisme. À partir des années '90, la sociologie des professions élargi son champ d'étude, pour prendre en compte les multiples transformations du monde du travail et de la société dans son ensemble. De nouvelles thématiques commencent à faire partie de l'analyse, comme les restructurations industrielles, la croissance des activités de service, la tertiarisation de l'économie, l'entrée massive des femmes dans l'activité professionnelle, ou encore le développement des technologies de l'information et de la communication. L'analyse sociologique des professions investit ainsi de nouveaux terrains, comme l'émergence de nouvelles activités professionnelles, et/ou les activités illégitimes ou marginales. Le paradigme dominant de cette nouvelle ouverture est l'interactionnisme (Damazère, Gadéa, 2009).

Dans les dernières décennies, dans la sociologie française, le terme « profession », emprunté à la terminologie anglaise (sociology of professions), a été remplacé par l'expression « groupes professionnels ». Comme dit précédemment, le mot anglais profession désigne les travailleurs détenant un haut niveau d'expertise, situés au sommet de l'échelle de prestige et des rémunérations. En France, on le traduit généralement avec l'expression « professions libérales » (Damazère, Gadéa, 2009). Cependant, le mot « profession » est extrêmement polysémique, et il peut être employé pour catégoriser plusieurs types de position dans le système productif, selon que l'on mette l'accent sur les composantes statutaires de l'emploi, les composantes cognitives des métiers, les responsabilités dans l'organisation du travail, des savoir-faire, les composantes indentitaires des appartenances ou des valeurs.

L'expression « groupes professionnels » permet de contourner les ambiguïtés liées à ce mot, en agrandissant le champ d'analyse au-delà des professions libérales. Elle permet donc de désigner des groupes de travailleurs exerçant la même activité, dotés d'une visibilité sociale, occupant une place spécifique dans la division du travail, et caractérisés par une légitimité symbolique.

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Les groupes professionnels ne sont donc plus conçus comme des ensembles immobiles, mais au contraire, comme des processus évolutifs (Demazère, Gadéa, 2009).

1.1.3 La science comme profession

Dans la première moitié du XXème siècle, la plupart de la littérature sociologique concernant les professions, portait sur des métiers tels que les médecins, les avocats, et les ingénieurs.

Elle s'intéressait généralement à des métiers au sommet de la hiérarchie sociale. Avec les approches interactionnistes, cette sociologie a commencé à enquêter sur toute sorte de travail, du plus humble au plus prestigieux. Toutefois, peu d'attention a été portée sur la science en tant que profession, et les scientifiques en particulier. En outre, la majorité des travaux portants sur la science s'est intéressé aux sciences soi-disantes naturelles (Morrell & Thackray, 1981 ; Crosland, 1975 ; Ben-David, 1972).

Une première difficulté rencontrée dans l'étude de la science en tant que métier, s'explique par le fait que, différemment de professions classiques, tels que le médecin, ou l'avocat, elle ne possède pas une vraie clientèle. Les scientifiques ne vendent pas leur savoir ésotérique à un client profane, mal informé. Au contraire, les clients des scientifiques sont les scientifiques eux-mêmes, qui sont aussi les juges de la qualité de leur travail (Hughes, 1958 ; Morell, 1990). Cet obstacle est propre à l'approche fonctionnaliste, qui essaye de définir ce que c'est une profession, de la démarquer des autres occupations, et d'y retrouver les caractéristiques fondamentales.

C'est un obstacle propre à la première signification du mot

« profession », compris comme profession libérale, et à la volonté de faire correspondre les scientifiques à cette catégorie de la pensée. Si, au contraire, on ne s'intéresse pas à créer une hiérarchie entre les métiers, cette difficulté devient obsolète.

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Une grosse partie de cette littérature se focalise sur le processus de professionnalisation historique, elle s'intéresse donc plutôt au deuxième sens du terme « profession », compris comme le contraire d’« amateur ». Différentes recherches concernant le développement et l'institutionnalisation de la science, et des scientifiques comme catégorie professionnelle, ont été menées dans la deuxième moitié du XXème siècle, notamment pour la France (Crosland, 1975 ; Fox, 1992), le Royaume Uni (Morrell, Thackray, 1981 ; Russell, Coley, Roberts, 1977), et les Etats-Unis (Thrackray, Sturchio, Carroll, Bud, 1985). Encore une fois, ces travaux s'intéressent surtout aux chimiste, aux biologistes, et dans une moindre mesure aux géologues. La majorité de cette littérature essaye de retracer le chemin qui a transformé l'activité scientifique d'un passe-temps pour les classes aisées, à un travail à temps plein rémunéré et socialement reconnu. La période enquêtée se situe entre le XVIIIème siècle et le début du XXème, plusieurs variations en fonction des contextes nationales sont présentes. Les étapes principales qui ressortent de ce processus de professionnalisation sont : l'augmentation des postes à temps plein rémunérées, l'apparition des qualifications spécialisées, l'Université comme lieu de formation, l'émergence d'une solidarité de groupe, et la mise en place d'un système de primes.

Certains chercheurs, notamment Ben-David (1972) et Johnson (1972), ont aussi mis l'accent sur le pouvoir inhérent à la profession de la science, qui comme toute autre profession essaye de contrôle et monopoliser une portion de la réalité sociale. Dans le cas des scientifique, le monopole consiste dans la connaissance, et la production de celle-ci, c'est-à-dire la définition de ce qui est vrai ou faux à l'intérieur de chaque discipline spécifique.

Pour ce qui concerne la géographie, l'histoire de son institutionnalisation, et les géographes en tant que catégorie professionnelle, un ouvrage a été écrit spécifiquement à ce sujet par Gary S. Dunbar, géographe et historien de la géographie américaine, intitulé Geography : Discipline, Profession and

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Subject since 1870, an International Survey. Il s'agit d'une récolte d'essais concernant les développements institutionnels de la géographie à l'intérieur de différents pays ; il y a notamment un chapitre pour l'Allemagne, la France, l'Angleterre, l'Italie, les Pays-Bas, la Suède, la Russie, les États-Unis, et le Canada. Les différentes parties suivent les étapes principales de la modernisation de la science géographique pendant la deuxième moitié du XIXème siècle. Comme déjà dit dans les sections précédentes, rien n'est dit par rapport à la Suisse, sa géographie, et ses géographes.

Mon travail de recherche s'inscrit dans une optique d'intersection entre ces trois champs d'études : l'histoire de la géographie, la sociologie des professions, ou des groupes professionnels, et l'histoire sociologique des sciences. Par conséquent, pour poursuivre mes objectifs, je vais combiner des théories sociologiques, avec des approches d'historiographie de la géographie plus classiques.

1.2 Concepts et Théories

1.2.1

Géographie

La géographie et les géographes sont les sujets principaux de cette recherche. Il me semble donc judicieux, avant d'entrer dans l'analyse, de poser la question suivante : qu'est-ce que la

« géographie » ? Ceci n'est pas le lieu pour exposer de longs débats historiques et épistémologiques sur la discipline, cet exercice, bien qu’intellectuellement stimulant, risquerait de trop nous éloigner de notre champ d'études. Toutefois, quelque éclaircissement sur la nature de ce savoir, me semble nécessaire pour pouvoir poursuivre la réflexion. De plus, l'histoire de l'institutionnalisation de la géographie est strictement liée à sa modernisation et son affirmation en tant que science.

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Aujourd'hui, parmi la communauté scientifique, la géographie est définie comme science de l'espace, ou plus précisément comme « science des interactions spatiales reposant sur l'usage des échelles, des réseaux, des modèles, des stratégies […] étude des rapports entre une société et les espaces qu'elle produit » (Ferras, 1994). Les géographes cherchent donc à analyser l'organisation spatiale des collectivités humaines, en traitant l'espace géographique comme le résultat des pratiques que l'on peut modéliser (Bailly, Ferras, 1997). Cette conception contemporaine de la géographie est généralement appelée Nouvelle Géographie est-elle est issue des débats et des renouvellements épistémologiques des années '70 du siècle dernier. À partir des années '80, d'autres défi font leur apparition : la composante culturelle des sociétés est ajoutée à la démarche géographique (Claval, 1995). Mais la géographie n'a pas toujours été conçue de cette manière ; avant d'arriver là, elle a subi une évolution millénaire.

Pendant plusieurs siècles, la géographie était définie comme la « description de la surface de la terre et de ses habitants ». Après la révolution scientifique, cette conception de la discipline devient de plus en plus insatisfaisante, car incapable de créer des lois universelles et de proposer des modèles théoriques. Au tournant du XVIIIème et XIXème siècle la géographie traverse une période d'incertitude, une sorte de crise d'identité, car il n'y a aucune unité ni du point de vue de l'objet d'étude, ni du point de vue de la méthode. La géographie peine donc à s'imposer pour elle-même parmi les disciplines enseignées. Ce retard est le reflet de l'absence d'une structure fédérative, dans laquelle se trouve la discipline durant cette période (Blais, Laboulais, 2006).

Les travaux de Humblodt et Ritter ont largement contribué à la modernisation de la géographie, et à l'acquisition de son statut scientifique. Les deux chercheurs allemands ont été parmi les premiers géographes à proposer de véritables théories liant les hommes à leur environnement, en allant au-delà des simples descriptions régionales. Leur démarche a ouvert des

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nouvelles dimensions à la géographie, qui commence à s'intéresser à l'influence que les caractéristiques territoriales d'un lieu ont sur les sociétés humaines qui l'habitent. La géographie, d'une science descriptive, devient ainsi une science explicative (Bailly, Ferras, 1997). C'est cette géographie moderne, scientifique, qui cherchera à acquérir une légitimité tout au longue du XIXème siècle, à travers la fondation de sociétés des savantes dans les principales villes d'Europe – comme Paris, Berlin, Londres – dans un premier temps, et puis par la création des chaires de géographie, et l'établissement d'une carrière professionnelle pour les géographes. Il faut noter que pendant cette période, la géographie, ainsi que les activités des sociétés de géographie, seront étroitement liées à l'entreprise coloniale, et répondent aux intérêts des classes dirigeantes et de la bourgeoisie européenne. L'émergence de ces sociétés de géographie, doit donc aussi être compris dans l'esprit impérialiste de l'époque (Rossinelli, 2016).

1.2.2 Profession

Comme exploré dans la section précédente, le terme

« profession » est polysémique. Il peut à la fois être compris comme un type d'occupation qualifiée de profession libérale (par exemple le médecin, l'avocat, ou l'ingénieur), ou simplement comme l'adjectif désignant une activité exercée dans un cadre institutionnalisé contre une rémunération, le contraire d'amateur (Fisher, 1980). En ce qui concerne la première signification du mot, beaucoup de tentative de définition ont été effectuée parmi divers chercheurs tout au long du XXème siècle. La recherche des caractéristiques fondamentales propres à une profession est source de débat parmi la communauté scientifique. On peut néanmoins dégager toute une série d'éléments apparaissant souvent dans cette littérature. Les traits les plus souvent évoqués sont : la possession de compétence basée sur un savoir

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systématique, théorique, et ésotérique (dans le sens où il est inaccessible au grand public) ; la mise à disposition d'une formation spécialisée, très exigeante, généralement de longue durée ; l'existence d'une série des procédures internes pour tester et certifier la compétence des membres ; un haute degré d'autonomie dans l'organisation du travail ; la création d'organisations, souvent autogérées et sanctionnées par l'Etat, pour faire respecter les standards du métier, créer et maintenir une identité de groupe, et garantir un monopole sur l'activité (Morrell, 1990). Cette conception de la profession, issue des approches fonctionnalistes, présuppose qu'elle soit différente des autres types d'occupations.

En ce qui concerne ma recherche, j'estime que cette distinction – entre profession et tout autre type de métier – n'est pas pertinente, et même inutile du point de vue analytique. Se demander si un métier ou une activité de travail est, ou n'est pas, une « profession », peut constituer une impasse, car il empêche de comprendre comment un certain groupe a émergé, dans quels buts et avec quels effets il s'est progressivement constitué (Vezinat, 2016). L'objectif de cette recherche n'est pas celui d'établir une hiérarchie entre les différents groupes professionnels, il ne s'agit pas ici de savoir si la géographie est une « profession » dans le sens classique anglo-saxonne du terme. Ce qui m'intéresse c'est la deuxième signification du concept de « profession », de savoir plutôt comment la géographie est passée de l'état d'activité pratiquée par de amateurs, à celui d'une activité rémunéré pratiquée par des professionnels. Donc, en me rapprochant des courant interactionnistes, je vais définir le concept de « profession » de la manière suivante : une activité de travail institutionnalisée exercée à plein temps contre une rémunération. J'utilise le terme

« plein temps » pour souligner le fait qu'il doit être possible de vivre de cette activité pour qu'elle puisse être qualifiée de profession. Je voudrais souligner aussi le fait qu'un géographe est, comme on a vu dans la partie précédente, avant tout un scientifique, son travail c'est la géographie, c'est à dire la

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recherche des connaissances liées à cette matière. Son travail réside principalement dans le questionnement et l'enrichissement du savoir géographique ; pour cette raison, je considère que seulement les professeurs d'établissements d'enseignement supérieurs, notamment les universités, peuvent jouir du titre de

« géographe professionnel ». Les enseignants au niveaux primaire et secondaire ne sont pas des chercheurs, leur métier consiste en la transmission des connaissances acquises et validées par la communauté scientifique de référence ; au sein de leur travail, ils ne s’occupent pas de l'avancement de la science géographique. Je crois donc qu'il y a une grosse différence entre les tâches de ces deux occupations. Les géographes universitaires s'occupent de la progression du savoir, alors que les professeurs des écoles secondaires s'occupent de sa diffusion au sein de leurs élèves. Donc, quand je parle de l'institutionnalisation de la profession du géographe, c'est bien des géographes académiques dont je parle. À travers cette définition je voudrais rendre compte du fait que la géographie est aujourd'hui un métier, mais il n'en a pas toujours été ainsi. Au cours de cette recherche donc, j'emploiera les termes

« profession » et « métier » comme des synonymes. Il faut toutefois noter que il y à aussi des géographes professionnels hors enseignement (qui travaillent par exemple pour des services topographiques, dans l'aménagement du territoire, etc.).

1.2.3 Professionnalisation

La professionnalisation est le processus au travers duquel une occupation acquiert le statut de profession (Wilensky, 1964 ; Johnson, 1972 ; Parsons, 1939). La majorité des théories qui ont été formulées à cet égard, ont été proposées par des sociologues fonctionnalistes, et emploient le concept de « profession » dans son première sens – type d'occupation qui requiert un haut niveau de compétence, située au sommet de la hiérarchie sociale (par exemple médecin, avocat). Même si, comme nous avons

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vue dans la partie précédente, je ne m'intéresse pas à établir une hiérarchie sociale entre les différentes occupations, j'estime que certains points soulevés par ces théories peuvent être utiles dans la compréhension de l'émergence de la géographie en tant que métier. Ceci est aussi dû au désaccord général concernant la définition de « profession », fait qui rend la plupart de ces théories applicables à presque chaque type d'occupation rémunérée.

Beaucoup de chercheurs ont essayé de dégager les étapes principales se succédant dans ce processus. Le sociologue américain Harold L. Wilensky, dans son histoire de la professionnalisation, identifie les étapes suivantes: a) l'émergence d'un groupe d'activité travaillant à temps plein sur un domaine précis, b) la fondation d'une école de formation, c) la création d'une association professionnelle, d) la recherche d'un support légal et une légitimité publique pour le contrôler l'accès à la profession, et sa pratique, e) l'adoption d'un code éthique formel (Wilensky, 1964). Ce schéma peut être utile dans un premier temps, pour concevoir la professionnalisation dans son caractère dynamique, et pour comprendre les pas de son évolution. Néanmoins, le problème principal de cette approche c'est d'insister trop sur le caractéristiques « essentielles » propre à une profession, et d'oublier qu'il s'agit d'un processus historique, lié à une culture spécifique ; ces étapes ne se sont pas forcément succédées dans le même ordre et avec la même incidence dans les différents pays d'Europe (Johnson, 1972).

Une approche alternative, qui met l'accent sur le caractère stratégique du processus de professionnalisation, a été proposée pour la première fois par les deux sociologues américains A.M Carr-Saunders et P.A Wilson (1933), dans la première moitié du XXème siècle. Même si maintenant il est assez daté, il reste très utile pour comprendre ce processus, car il insiste sur la notion de pouvoir, et la recherche de celui-ci ; et j'estime que tous les rapports sociaux peuvent se lire en terme de pouvoir. Selon cette vision donc, la professionnalisation est perçue comme une occupation stratégique d'une portion de la

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réalité sociale, dans le but d'acquérir des statuts élevés, autonomie, et contrôle sur cette activité (Carr-Saunders, Wilson, 1933). Cette vision n'est pas incompatible avec des schémas par étapes, mais elle a l'avantage de ne pas préconiser un chemin déjà établi à travers lequel toutes les différentes occupations passeraient (Morrell, 1990). Encore une fois, cette approche est née pour essayer d'expliquer comment certains métiers ont acquis le statut de « profession », cependant, je crois qu'il peut aussi être utile pour comprendre comment des activités pratiquées par des amateurs, sont devenues des métiers établis.

En effet, plusieurs auteurs se sont servis de cette approche pour rendre compte du développement de la science en Europe et aux Etats-Unis, qui au cours du XIXème siècle s'est lentement transformée d'une passe-temps pour individus aisés, à un emploi régulier (Ben-David, 1972 ; Crosland, 1975 ; Morrell, 1990).

Les principales recherches à ce sujet ont identifié au moins six caractéristiques principales présentes dans le processus de professionnalisation de la science. Je voudrais souligner encore une fois, que ces caractéristiques ne sont pas forcément apparues dans l'ordre présenté ci-dessous, et ne se sont pas nécessairement toutes présentées dans les différents contextes nationaux. Elles ne doivent donc pas être lues comme une série d'étapes. Les six traits sont les suivants :

1)

Une augmentation du nombre de poste à temps plein rémunérés, directement ou indirectement liées à la possession d'un savoir scientifique. En France, la carrière scientifique typique était celle de professeur, ou celle d'un officiel dans la bureaucratie étatique. Beaucoup des savants français de l'époque étaient des fonctionnaires. En Allemagne, avant l'unification de l'Etat, la carrière scientifique dominante était celle du professeur universitaire.

Après l'unification, aux postes universitaires se sont ajoutées des carrières dans des entreprises privées, et dans des instituts de recherche soutenues par le gouvernement impérial. En Angleterre, la période entre 1820-1850 a vu le

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doublement des chaires universitaires.

2)

Des qualifications spécialisées, qui fonctionnaient comme des certifications publiques de compétence scientifique, ont étés établies. Ces qualifications, qui ont remplacé les forces du marché, ont accentuée l'importance de la réussite mesurée à travers l'examen. La création de doctorats pour les chimistes dans les universités allemandes des années 1840 est un exemple, aussi comme l'introduction des baccalauréats pour les étudiants des sciences de Oxford et Cambridge dans les années 1850.

3)

Les laboratoires universitaires, originairement conçus comme des chambres préparatoires, deviennent petit à petit un véritable dispositif d'enseignement, d'importance égal aux salles de conférence.

4)

Dans les publications scientifiques on assiste à une croissance rapide de la spécialisation. Ces sciences spécialisées se détachent de plus en plus de la culture générale et deviennent inaccessibles au lecteur commun.

Dans cette période plusieurs sciences se démarquent comme des spécifiques champs de la connaissance.

5)

L'émergence d'une solidarité de groupe et la construction d'une identité collective parmi les divers scientifiques, témoignée par la naissance de différentes sociétés des savants, créées dans le but de promouvoir la science, dans tous les principaux pays occidentaux.

6)

La mise en place d'un système des primes. Ainsi, beaucoup des sociétés de savant sont devenues fonctionnellement moins efficaces dans la promotion de la science, et plus concernées dans l'attribution des prix. En 1901, avec l'inauguration du Prix Nobel, le système des primes scientifiques est devenu international.

Ces six éléments ont été conçus pour expliquer les changements qu'ont subi les différentes sciences en Europe et aux Etats-Unis pendant le XIXème siècle, notamment les sciences naturelles.

(27)

En effet, la majorité de la littérature sur la professionnalisation de la science, s'intéresse aux sciences, soi-disant, « dures », le point 3, concernant les laboratoires universitaires en témoigne.

Je crois que ceci est, en partie, dû au fait que les sciences humaines n'ont toujours pas acquis le statut de scientificité, et d'exactitude, accordé au sciences naturelles. Donc, quand on parle de « science », dans le discours commun, ainsi que dans le discours académique, souvent on sous-entend « science naturelle », comme la chimie, ou la biologie. Les sciences humaines, malgré leur développement, sont toujours considérées hiérarchiquement inférieures aux sciences naturelles, en ce qui concerne leur rapport à la vérité. J'estime que la raison principale de cette « mauvaise réputation » c'est la faible capacité des sciences humaines à faire des prévisions précises sur des phénomènes observables. Je ne vais pas m'éloigner dans ce passionnant débat épistémologique ; on aurait besoin de toute une autre recherche pour poursuivre cette réflexion. Je voudrais juste clarifier que, pour moi, la catégorisation des sciences en

« naturelles » et « humaines », est plus discursive qu’effective, et empêche de voir que du point de vue de leur structure, ces deux « types » des sciences, sont identiques. La grande différence entre les deux réside en leur objet d'étude, dans leur posture ontologique : si d’un côté on enquête sur la nature, sur des phénomènes plus facilement mesurables, de l'autre côté, on enquête sur l'Humain, sur des phénomènes plus difficilement quantifiables. Cependant, leur rapport à l'objet est égal, et la manière d'en tirer des connaissances est la même : la méthode.

En effet la science est méthode, et ceci est valable pour les sciences naturelles, ainsi que pour les sciences humaines. C'est pour cette raison que je considère qu'il n'y a pas vraiment de distinction entre ces deux univers. Par conséquent, je crois que des théories formulées pour expliquer l'évolution institutionnelles des sciences naturelles, peuvent aussi être appliquées pour comprendre le développement des sciences humaines, comme la géographie.

Dans la suite de mon travail, je vais donc essayer

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d'appliquer ces théories dans le cas de la géographie en Suisse romande. Plus précisément, je vais voir si les six point présentés ci-dessus vont apparaître dans le cas de la professionnalisation de la géographie. L'hypothèse centrale de mon analyse c'est que les sociétés de géographie, notamment celle de Genève, ont joué un rôle fondamental dans le développement institutionnel du métier du géographe, donc, j'estime que le point 5 – l'émergence d'une solidarité de groupe et la construction d'une identité collective parmi les scientifiques – va être le facteur plus important.

1.3 Méthodologie

Pour donner une réponse à mon hypothèse, je vais conduire des recherches en archive. Mon travail sera axé sur deux études de cas : celui de Genève, et celui Neuchâtel. Donc, pour rendre compte de l'émergence de la profession de géographe dans ces deux cantons, je vais consulter quatre bases des données principales : les archives de la Société de géographie de Genève, les archives de l'Université de Genève, les archives de la Société neuchâteloise de Géographie, et les archives de l'Université de Neuchâtel.

En ce qui concerne la Société de géographie de Genève, je vais surtout regarder les extrait des procès-verbaux des séances du Bureau qui se sont tenues entre 1858 et 1910 ; presque la totalité de ces extraits est contenue dans le Globe, la revue géographique genevoise, fondée par la Société en 18601. Cette revue revue a été intégralement mise en ligne en 2015, dans le site web www.persee.fr2, donc, je vais consulter les extraits des procès-verbaux dans leur version numérique. En analysant les transcriptions des séances de la Société de

1 https://www.unige.ch/sciences-societe/geo/publications/leglobe/

2 http://www.persee.fr/collection/globe

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géographie de Genève, je voudrais, dans un premier temps, cerner le discours de ses membres par rapport à l'enseignement de la géographie, et à son institutionnalisation au niveau universitaire, pour ensuite voir dans quelle mesure la Société s'est engagée pour accomplir cette institutionnalisation.

Parallèlement, je vais consulter les archives de l'Université de Genève, pour voir comment l'enseignement de la géographie a évolué entre la fin du XIXème siècle et le début du XXème siècle au sein de cet établissement. Plus précisément, je cherche des informations concernantes la création des premières chaires ordinaires en géographie, l'augmentation des postes fixes pour des professeurs en géographie, l'augmentation des thèses de doctorat, ainsi que l'augmentation des cours en géographie. Je vais donc consulter les procès-verbaux de la Faculté des Lettres et Sciences Sociales, principalement entre 1872 et 1910, les programmes d'études au sein de cette Faculté, les dossiers d'étudiants, et la base de données numérique concernant les enseignants. Ces documents font partie des archives patrimoniales et administratives de l'Université, ils se trouvent sous le fond d'archives Facultés (UPER), notamment la Faculté de lettres (Cote : CH UNIGE/aap/20). Ces documents sont consultables gratuitement aux Archives administratives et patrimoniales de l'Université, à l'adresse : Quai du Seujet 14, 1201 Genève.

Pour le cas de Neuchâtel, je vais suivre les mêmes opérations. Je vais consulter les extraits des procès-verbaux des séances du Comité de la Société neuchâteloise de géographie, ainsi que les rapports annuels du président sur la marche de la Société. Comme dans le cas de Genève, ces documents sont contenus dans le Bulletin de la Société, entièrement consultable en ligne dans la bibliothèque digitale RERO3. L'objectif est toujours celle de cerner le discours des membres de la Société par rapport à l'enseignement de la géographie au sein de

3 http://doc.rero.ch/search?f=author&ln=it&p=Soci%C3%A9t

%C3%A9%20neuch%C3%A2teloise%20de%20g%C3%A9ographie

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l'Académie de Neuchâtel, et de voir dans quelle mesure ils ont contribué à son développement. À côté de cela, je vais consulter les archives de l'Université de Neuchâtel, pour voir quelle a été l'évolution de la géographie au sein de cette institution. Comme dans le cas de Genève, les informations qui m'intéressent sont : la création des chaires ordinaires en géographie, l'augmentation des postes fixes pour des professeurs en géographie, l'augmentation des thèses de doctorat, et l'augmentation des heures des cours en géographie. Je vais donc consulter les dossiers des professeurs, entre 1866 et 1909, les règlements et les programmes de cours, entre 1866 et le milieu du XXème siècle, ainsi que le dépôt des thèses de doctorat. Ces documents font partie des Archives de l'Etat de Neuchâtel (AEN), ils sont consultables gratuitement au Château de Neuchâtel : Rue de la Collégiale 12, 2000 Neuchâtel. Les thèses de doctorat sont consultables en ligne, dans le site de l'Université de Neuchâtel4.

DEUXIÈME PARTIE : CONTEXTE HISTORIQUE

Avant de me projeter sur les cas des sociétés de géographie de Genève et Neuchâtel, je crois qu'il va être utile de dire quelque mot sur le contexte historique qui a vu leur essor. Dans la partie qui suit, donc, je vais présenter, dans un premier temps, l'état de la géographie en Europe au début du XIXème siècle, ses développements théoriques et institutionnelles. Pour ensuite parler du contexte historique de la Suisse de cette période, et notamment de la Suisse française, une attention particulière sera portée aux cantons de Genève et Neuchâtel.

4

https://www.unine.ch/bibliotheque/home/depot_des_theses_et_memoires_1/t heses.html

(31)

2.1 La géographie au XIXème siècle

2.1.1 La naissance d'une science moderne : Humboldt et Ritter

Dans la deuxième moitié du XVIIIème siècle, les révolutions techniques qui se succèdent, à partir du Royaume Uni, ont rendu possible la culture continue des terres. La mobilité des hommes et des biens progresse de la même manière ; sur mer, grâce au bateau à vapeur, à partir des années 1810, et sur terre, grâce au chemin de fer, dès les années 1820. Les rapports entre l'homme et l'environnement changent ; les campagnes commencent à se vider au profit des villes, qui maintenant peuvent faire venir de loin l'eau, l'énergie et les denrées alimentaires destinées à la consommation (Claval, 1995).

Le monde devient de plus en plus élargi, et de plus en plus proche ; les géographes sont fascinés par ces transformations, et s'intéressent moins aux changements en cours en Europe, qu'aux pays dont on disposait peu d'information jusque là. Cette période voit aussi le renouvellement et la modernisation de la discipline géographique, qui avait traversé un moment de crise pendant la fin du XVIIIème siècle (Claval, 1995).

La volonté de trouver des explications scientifiques aux faits observés n'était pas absente de la géographie traditionnelle, mais elle n'occupait qu'une place moindre dans les récits d'auteurs, qui souvent se contentaient des longues descriptions régionales. Le XIXème siècle, au contraire, donne une impulsion décisive à la recherche des causes et des mécanismes des phénomènes observables. Dans cette époque, caractérisée par le triomphe des philosophies de la nature, et les progrès des sciences naturelles, la géographie se définit davantage comme une science de la nature que comme une science sociale (Claval,

(32)

1995).

Alexander von Humboldt (1769-1859) contribue amplement à cette nouvelle orientation. Son long voyage – entre 1799 et 1804 – autour de l'Amérique hispanique, avec le botaniste français Aimé Bonpland, lui permet de recueillir une masse de données très vaste qui sera la base de son ouvrage le plus célèbre : Cosmos (1845-1862). Différemment de ses collègues, pour la plupart des hommes de cabinet, Humboldt est un voyageur naturaliste, un homme du terrain. Grâce à ses connaissances en minéralogie, géologie, et botanique il a essayé de comprendre comment les phénomènes se conditionnent, au lieu de simplement juxtaposer des informations. Dans ces explications il cherche à rendre compte des interactions multiples présentes dans la nature, et des harmonies qui en résultent. Humboldt sait aussi se servir des statistiques accumulée par l'administration coloniale, pour traiter des sociétés humaines de l'Amérique hispanique. En tant que naturaliste, il est un des premiers à introduire le concept de

« milieu » dans l'analyse géographique, concept-clef de la discipline moderne (Claval, 1995).

L'oeuvre de Carl Ritter (1779-1859), notamment sa Géographie générale comparée (1817-1859), est souvent considérée comme l'autre grande contribution à la modernisation de la discipline. Dans son ouvrage, le penseur allemand essaye de rendre compte de la genèse des formes de la civilisation, en partant des terres classiques de la Grèce, de Rome, de l'Asie Mineure et du Moyen Orient. Son ambition est si grande que, en quarante ans de labeur, il n'a pu que couvrir le monde classique.

Il se sert des instruments de la géographie physique – il est au courant des progrès de la géomorphologie, de la climatologie, ainsi que de l'océanographie – pour expliquer les développements des peuples dans un environnement donné.

Dans son œuvre on peut dégager une vision téléologique de l'histoire, dans le sens où les peuples parcourent la voie qui leur a été tracée par le Créateur, et qui s'impose à eux à travers l'environnement qu'ils habitent. Son travail est moins explicatif

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que celui de Humboldt, il ne propose pas de réflexion systématique sur la nature des constructions régionales, mais son ambition, et surtout la place qu'il confère à la géographie en tant que science de la nature, rendent son œuvre très importante dans l'histoire et le développement de cette discipline (Claval, 1995).

Grâce à l'œuvre des deux pionniers allemands, la géographie affirme son ambition explicative, elle systématise l'étude des rapports que les hommes tissent avec leur environnement, en se légitiment en tant que science naturelle (Claval, 1995).

2.1.2 L'essor de sociétés de géographie

Le renouvellement de la discipline géographique a contribué à l'apparition des différentes sociétés géographiques, des sociétés de savants à caractère bourgeois, pendant la première période du XIXème siècle (Rossinelli, 2016). Ces sociétés se situent dans les principales villes d'Europe ; la Société de géographie, fondée à Paris en 1821, constitue le premier exemple de cette nouvelle forme d'institutionnalisation. Elle va être suivie par la Gesellschaft für Erdkunde, fondée à Berlin en 1828, la Royal Geographical Society, fondée à Londres en 1830, et beaucoup d'autres moins influentes sur le plan international. Le mode de fonctionnement de ces entreprises s'appuie sur des expériences antérieures, comme l'African Association, fondée à Londres en 1788. Ces sociétés ne sont pas établies à partir du même modèle, des différences existent en fonction des territoires nationaux, mais leurs pratiques, surtout celles qui régissent les relations qu'elles entretiennent avec les voyageurs (correspondances, prix, instructions, subventions) tendent à s'uniformiser au milieu du siècle (Surun, 2006).

Même si ces sociétés se réclament de « géographie », il est intéressant de noter que la plupart de leurs membres ne se considèrent pas forcement comme des géographes. Un examen

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