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1.1 Revue de la littérature

1.1.1 Histoire de la géographie

Selon Paul Claval, géographe et épistémologue français, on peut

dire que l'histoire de la géographie est aussi ancienne, ou presque, que la discipline même, car dès son origine il est apparu nécessaire de dresser l'état des données, et des observateurs qui les ont rapportées. La préoccupation de recenser les sources et d'établir de manière précise ce que l'on peut retirer, pousse à peu près la totalité des géographes à pratiquer d'une manière partielle l'histoire de la géographie (Claval, 1972). Cependant, l'étude de la pensée géographique, ne se constitue qu'à l'époque de la Renaissance, quand les Humanistes ont commencé à redécouvrir les travaux des Anciens. Grâce à leurs efforts, on apprend à reconstituer la progression de la pensée géographique grecque, et les étapes de l'exploration du monde (Claval, 1972). À partir du XIXème siècle, l'histoire de la géographie devient un genre majeur ; les travaux qui touchent aux grands voyages, et aux progrès de la connaissance de la Terre, se font de manière systématique (Burney, 1803 ; Favenc, 1888 ; Malte-Brun, 1808). Pendant cette période, les intellectuels européens découvrent aussi les géographes arabes du Moyen-Âge (Sprenger, 1864 ; Amari, 1854-1872; Carmoly, 1847). Au fur et à mesure que la géographie progresse, les chercheurs prennent conscience de l'importance qu'il faut donner à tous ceux qui ont modelé la connaissance dans les siècles passés ; par conséquent, beaucoup de recherches sur les géographes et cartographes humanistes font aussi leur émergence (Gallois, 1890 ; Denuce, 1908).

Toutefois, ces travaux d'histoire de la géographie, qui apparaissent à l'époque de la Renaissance et prospèrent jusqu'à la fin du XIXème siècle, s'intéressent très peu à l'évolution de la pensée : ils portent plutôt sur les explorations, et sur les antécédents antiques. L'histoire des idées est analysée de manière partielle, fait qui rend souvent ces travaux sans beaucoup de profondeur épistémologique (Claval, 1972).

Entre la fin du XIXème siècle et le début du XXème siècle, les études d'histoire de la géographie se font moins nombreuses. Cependant, quelques ouvrages montrent l'élargissement progressif du domaine ; l'histoire de la

géographie commence à devenir autre chose qu'un récit de la découverte du monde. Les chercheurs se tournent vers l'évolution des idées et de la conception de la géographie ; l'ouvrage de Hettner (1927) d'une part, et Hartshorne (1939) d'autre part, sont des précurseurs de cette nouvelle démarche qui met l'accent sur la réflexion épistémologique. L'ouvrage de Wright (1925) sur la géographie au temps des Croisades, et celui de Dainville (1940) sur la géographie des humanistes, ouvrent d'autres perspectives : ils visent à comprendre le savoir géographique d'ensemble qui caractérise une époque (Claval, 1972).

À partir de la deuxième moitié du XXème siècle, les travaux relatifs à l'évolution de la géographie se multiplient à nouveau dans le monde occidental. En Allemagne, on peut notamment citer les travaux de Beck (1954 ; 1967). Dans le monde anglo-saxon on peut citer, entre autres, les ouvrages de Bunge (1962), de Livingstone (1992), et de Bowen (1981). Pour ce qui concerne l'univers francophone, Paul Claval a dédié plusieurs ouvrages à l'histoire et l'épistémologie de la géographie (1964 ; 1968 ; 1995 ; 1998 ; 2001). Parmi les autres chercheurs, nous pouvons notamment citer les travaux de Vallaux (1925), Clozier (1942), et Sorre (1943-1953).

Selon Paul Claval (1968), les études d'histoire de la géographie peuvent être regroupées en deux grandes familles : celles qui mettent davantage l'accent sur les crises, les révolutions, et les mutations, et celles qui, au contraire, voient l'évolution de la géographie comme une continuité. Selon la première famille, l'histoire de la géographie est constituée de moments où l'ensemble des valeurs traditionnellement partagées par la communauté scientifique se trouve remise en question.

L'évolution de la discipline est donc analysée comme une succession des deux ou trois grandes ruptures. Deux grandes phases sont souvent mises en évidence par la plupart des chercheurs partageant cette vision : celle de la géographie soit-disant traditionnelle, et celle de la géographie moderne. Le point de rupture se situe dans la deuxième moitié du XIXème siècle,

mais il n'y a pas un consensus général par rapport aux moments clés de cette rupture (Claval, 1968). Selon certains auteurs (Vallaux, 1925), la grande coupure se situe au moment où la géographie humaine se constitue, grâce aux enseignements de Ritter et Humboldt, aux environs de 1870. Selon d'autres (Febvre, 1922 ; Clozier, 1942), elle coïncide avec la publication des grandes œuvres de Vidal de la Blanche, qui ont permis de passer du paradigme déterministe, au paradigme possibiliste.

D'autres auteurs dans le monde anglo-saxon placent ailleurs les articulations essentielles (Crone, 1964; Bunge, 1962), mais restent fidèles au modèle mutationniste.

La deuxième manière de présenter l'histoire de la géographie est celle de mettre l'accent sur sa continuité, de voir son évolution comme un chemin droit qui a amené la discipline à son état présent. L'oeuvre de Richard Hartshorne (1939) est l'emblème de cette seconde vision. Selon ce courant de pensée, la géographie prend sa forme moderne par l'affermissement progressif d'une certaine conception de son objet (Claval, 1968).

Ce genre d'historiographie a souvent été critiqué par sa façon de concevoir le passé en fonction du présent : l'histoire de la géographie est conçue comme un inévitable mouvement d'un passé mal informé vers un présent glorieux (Livingstone, 1990).

Il est clair que l'opposition entre ces deux manières d'écrire l'histoire de la géographie n'est pas absolue. D'autres approches plus contemporaines essayent de voir l'évolution de la discipline à travers la coexistence de courants parallèles.

Ma recherche ne va pas couvrir un espace temporel si large, elle va se concentrer sur une période spécifique : la deuxième moitié du XIXème siècle, le moment où la géographie s'est institutionnalisée. Ainsi, il n’y aura pas lieu pour analyser la discipline soit en terme des crises et révolutions, soit en terme de continuité.

Nous avons jusqu'à présent parlé des principaux ouvrages qui ont traité de l'histoire de la géographie dans sa conception transnationale, il y a néanmoins tout un corpus de littérature plus spécialisé, qui s'occupe des développements

nationaux de la géographie, surtout à partir de la période qui nous intéresse : la fin du XIXème siècle. Dans les principaux pays occidentales, des études portant sur l'évolution de la science géographique ont été menés ; notamment en Allemagne (Arnhold, 1965 ; Black, 1947 ; Brogiato, 1995 ; Büdel, 1982), en France (Berdoulay, 1995 ; Buttimer, 1971 ; Claval, 1998 ; Godlewska, 1999 ; Soubeyran, 1989), en Angleterre (Brown, 1971 ; Butlin, 1995 ; Cormack, 1997 ; MacKenzie, 1995), en Italie (Gambi, 1973 ; Caraci, 1982), aux Pays-Bas (Velde, 1995 ; Ginkel, 1996), en Russie (Bassin, 1999 ; Hooson, 1968), et aux États-Unis (Berry, 1980 ; Martin, 1985 ; Wright, 1952).

Cependant, à part quelque bref essai (Crivelli, 2003 ; Huber, 2003 ; Bailly, 2003 ; Fischer, Mercier & Raffestin, 2003), très peu a été dit sur l'histoire de la géographie en Suisse, et encore moins en Suisse romande.