CLINIQUE /CLINICS
Neuro-Behçet dans un pays d ’ Afrique subsaharienne : une série de 16 patients au centre hospitalier national universitaire de Fann de Dakar, Sénégal
Neuro-Behçet in a Sub-Saharan Africa Country: a Series of Sixteen Patients in Fann Teaching Hospital, Dakar, Senegal
N.M. Gaye · M.T. Ndiaye-Diop · M. Fall · M. Ka · S.A.A. Fall · A.M. Diop · J. Kahwaji · V.M.P. Cissé-Diallo · M. Mbaye · M. Thioub · A.B. Mbodji · K.A. Mbaye · R. Diagne · M. Bakhoum · O. Cissé · E.H.M. Bâ · N.S. Diagne · M.S. Diop-Sène · A.M. Basse-Faye · A.D. Sow · M.M. Sarr · L.B. Seck · K. Touré · M. Ndiaye · A.G. Diop
Reçu le 20 juillet 2019 ; accepté le 29 octobre 2019
© Société de pathologie exotique et Lavoisier SAS 2019
RésuméLes études africaines sur le neuro-Behçet (NB) sont majoritairement maghrébines, mais l’Afrique noire n’est pas en reste. L’objectif de l’étude était de décrire les particulari- tés diagnostiques et thérapeutiques du NB dans une série sénégalaise colligée à Dakar. Il s’agit d’une étude rétrospec- tive à visée descriptive menée à la clinique de neurologie du centre hospitalier universitaire de Fann de Dakar, au
Sénégal. Tous les patients répondant aux critères diagnos- tiques de NB ont été inclus. Seize patients ont été colligés, 14 hommes et deux femmes avec un âge moyen de 40 ans [18–71]. Les principaux signes neurologiques étaient un déficit moteur (13 cas), des céphalées (10 cas) et un trouble du langage (4 cas). Les signes extraneurologiques étaient dermatologiques (14 cas), oculaires (2 cas) et articulaires (2 cas) à type de gonarthrite unilatérale aseptique. Une fièvre était présente chez neuf patients. L’atteinte neurologique était majoritairement parenchymateuse isolée (8 cas) ou mixte (6 cas). Les principales formes cliniques de NB étaient la rhombencéphalite (8 cas) et la névrite optique rétrobul- baire (4 cas). Sept patients avaient un angio-Behçet cérébral à type de thromboses veineuses cérébrales (3 cas), d’infarc- tus cérébraux (2 cas) et d’hématomes intracérébraux (2 cas).
Sous prednisone (16 cas) et azathioprine (3 cas), l’évolution clinique à court terme était majoritairement favorable (14 cas) avec un score de Rankin modifié de 2 au moment de l’exeat. Le NB est une maladie de l’homme adulte sous- diagnostiquée en Afrique noire. Des études ultérieures mul- ticentriques nationales et sous-régionales sont souhaitables.
Mots clésNeuro-Behçet · Thrombose veineuse cérébrale · Rhombencéphalite · Névrite optique rétrobulbaire · Infarctus cérébraux · Hématomes intracérébraux · Hôpital · Dakar · Sénégal · Afrique intertropicale
Abstract Neuro-Behçet (NB) African studies are mainly North African, but Sub-Saharan Africa is not to be outdone.
Our aim was to describe diagnostic and therapeutic features of NB in a Senegalese series collected in Dakar. This was a descriptive and retrospective study conducted at the Neuro- logy department of Fann Teaching Hospital in Dakar,
N.M. Gaye (*) · M. Fall · M. Ka · S.A.A. Fall · A.M. Diop · J. Kahwaji · A.B. Mbodji · K.A. Mbaye · R. Diagne · M. Bakhoum · O. Cissé · N.S. Diagne · M.S. Diop-Sène · A.M. Basse-Faye · A.D. Sow · L.B. Seck · K. Touré · M. Ndiaye · A.G. Diop
Clinique neurologique, centre hospitalier national universitaire de Fann, BP 5035, Dakar, Sénégal e-mail : ndiagamatar@gmail.com,
ndiagamatar.gaye@ucad.edu.sn M.T. Ndiaye-Diop
Service de dermatologie,
hôpital Institut d’hygiène social de Dakar, Sénégal E.H.M. Bâ
Service de psychiatrie,
centre hospitalier national universitaire de Fann, BP 5035, Dakar, Sénégal
V.M.P. Cissé-Diallo
Service des maladies infectieuses et tropicales,
centre hospitalier national universitaire de Fann, Dakar, Sénégal M.M. Sarr
UFR des sciences de la santé, université de Thiès, Sénégal M. Mbaye · M. Thioub
Service de neurochirurgie,
centre hospitalier national universitaire de Fann, Dakar, Sénégal
DOI 10.3166/bspe-2019-0094
Senegal. All patients who met the NB’s diagnostic criteria were included. Sixteen patients were collected, 14 males and 2 females with an average age of 40 years [18–71]. The main neurological signs were motor deficit (13 cases), headache (10 cases), and language disorders (4 cases). Extra- neurological signs were dermatological (14 cases), ocular (2 cases), and articular (2 cases) with aseptic unilateral gonarthritis. Fever was present in 9 patients. Neurological involvement was mostly isolated parenchymal (8 cases) or mixed (6 cases). The main clinical forms of NB were rhom- bencephalitis (8 cases) and retrobulbar optic neuritis (4 cases). Seven patients had a cerebral angio-Behçet with cerebral venous thrombosis (3 cases), ischemic stroke (2 cases), and intracerebral hematoma (2 cases). Under pred- nisone (16 cases) and azathioprine (3 cases), the short-term clinical outcome was mostly favorable (14 cases) with a modified Rankin scale at 2. NB is an under-diagnosed adult male disease in Sub-Saharan Africa and further studies are needed.
KeywordsNeuro-Behçet · Cerebral venous thrombosis · Rhombencephalitis · Retrobulbar optic neuritis · Ischemic stroke · Intracerebral hematoma hospital · Dakar · Senegal · Saharan Africa
Introduction
La maladie de Behçet est une vascularite inflammatoire sys- témique d’étiologie inconnue qui touche essentiellement les sujets jeunes de genre masculin [3]. Les atteintes neurolo- giques, 5 à 15 % selon les séries [28], constituent une urgence diagnostique et thérapeutique.
La plupart des publications africaines sur le sujet concer- nent les pays maghrébins [7,11,17,22,23], mais l’Afrique noire n’est pas en reste [25,34]. L’objectif de l’étude était de décrire les particularités épidémiologiques, cliniques, paracliniques et thérapeutiques du neuro-Behçet (NB) dans une série sénégalaise colligée à Dakar.
Patients et méthode
Il s’agit d’une étude rétrospective et prospective à visée descriptive allant du 1erjuillet 2012 au 30 septembre 2018.
Nous l’avons menée à la clinique de neurologie du centre hospitalier national universitaire de Fann de Dakar, au Séné- gal. Tous les patients reçus dans le service et répondant aux critères diagnostiques de NB ont été inclus [32]. Les patients dont les dossiers médicaux n’étaient pas disponibles ou exploitables étaient exclus.
Tous les malades ont bénéficié d’un examen clinique complet, en particulier neurologique et dermatologique par
un spécialiste. Une consultation psychiatrique et/ou ophtal- mologique a été demandée si nécessaire. Tous les patients ont bénéficié d’une imagerie encéphalique et/ou médullaire, d’examens électrophysiologiques à type de potentiels évo- qués visuels et d’une étude du liquide cérébrospinal (cyto- chimie, bactériologie, virologie). Les données recueillies dans chaque dossier étaient le sexe du patient, l’âge, le ter- rain et/ou les antécédents, la nature et la durée d’installation des signes neurologiques et extraneurologiques, la nature et le nombre de poussées cliniques antérieures, le(s) diagnostic (s) neurologique(s) retenu(s), les médicaments prescrits et la durée du suivi. L’évolution clinique à court terme était appréciée à l’aide du score de Rankin modifié.
La collecte des données issues des dossiers médicaux était effectuée avec un respect strict de l’anonymat.
Résultats
Seize patients ont été colligés en 6 ans (Tableau 1), 14 hom- mes et 2 femmes. L’âge moyen des patients au moment du diagnostic de NB était de 40 ans avec des extrêmes de 18 et 71 ans. Plus des deux tiers des patients étaient âgés de moins de 45 ans. La durée d’installation des signes neurologiques était comprise entre un et 7 jours chez 6/16 patients, entre 8 et 30 jours chez 6 autres et supérieure à 30 jours chez 4/16 patients. Sept patients avaient initialement consulté soit au service des maladies infectieuses, soit en neurochirurgie.
À l’admission, les signes neurologiques étaient un déficit moteur (13 cas) à type d’hémiplégie, paraplégie ou quadri- plégie, des céphalées (10 cas), des troubles du langage (4 cas), une atteinte de la troisième paire de nerfs crâniens (3 cas), des crises convulsives (2 cas), une confusion mentale (1 cas) et une ataxie cérébelleuse (1 cas) (Tableau 1). Les principaux signes extraneurologiques étaient dermatologi- ques (14 cas), oculaires (2 cas) et articulaires (2 cas). Une fièvre était présente chez neuf patients. Tous les patients ayant une atteinte dermatologique avaient un aphte buccal, scrotal ou bipolaire (Figs 1, 2). Deux patients présentaient en plus des lésions papulopustuleuses (Fig. 3). Les signes ocu- laires étaient symptomatiques d’une uvéite antérieure aiguë ou d’une névrite optique rétrobulbaire. Les manifestations articulaires étaient à type de gonarthrite unilatérale aseptique (Tableau 1).
La neuro-imagerie encéphalique ou médullaire a été effectuée chez tous les patients. Le scanner encéphalique sans ou avec injection de produit de contraste, effectué chez huit patients, était normal chez trois d’entre eux. Il montrait des signes d’hémorragie (2 patients), d’ischémie (2 patients) ou de thromboses veineuses cérébrales multiples (sinus transverse, sigmoïde et jugulaire interne) chez un patient (Fig. 4).
Tableau1Synthèsedesaspectsdiagnostiquesetthérapeutiquesdescasdeneuro-BehçetcolligésàDakar(Sénégal)/Synthesisofdiagnosticandtherapeuticaspectsofneuro- BehçetcasescollectedinDakar(Senegal) No Âge(ans)GenreAntécédentsDurée d’installation(j) Signesousyndromes neurologiques Signes extraneurologiques Diagnostic(s) neurologique(s) TraitementÉvolution 134MOstéomyélite dugenougauche
15Syndromeméningé, convulsion,HIC Aphtosebipolaire, fièvre Méningite lymphocytaire, TVC,HSA,NORB Acénocoumarol, colchicine, prednisone, ceftriaxone
Favorable 259MAucun7ParaplégiespastiqueGonarthrite,fièvre, aphtosebuccale,test depathergie(+)
MyélitePrednisoneFavorable 326MAphtose bipolaire récidivante
90SyndromedeWeber, céphalée Aphtosebipolaire, fièvre,test depathergie(–) Méningite lymphocytaire, rhombencéphalite Méthylprednisolone, prednisone
Favorable 422MAucun21HICMicropolyadénopa- thie,fièvre,AEG, Aphtosebipolaire, BAV,syndrome dysentérique, rectorragies,papules, pustules
TVC,HSA,NORB gauche Acénocoumarol, prednisone
Favorable 536MAphtose bipolaire récidivante
30HIC,hémiplégie spastique,aphasie motrice Aphtosebipolaire, fièvre Méningoencéphalite aseptique Colchicine, prednisone, ceftriaxone
Favorable 633MAphtose bipolaire récidivante
90Céphalées,hémiplégie spastiquedysarthrie, riresspasmodiques, ataxiecérébelleuse Gonarthrite,fièvre, aphtosebuccale,test depathergie(+) Rhombencéphalite, NORB Prednisone, ceftriaxone
Favorable 743MAphtose bipolaire récidivante
10Tétraplégiespastique, syndrome pseudobulbaire AucunInfarctuscérébral, rhombencéphalite Prednisone, colchicine, azathioprine
Favorable 827M3poussées neurologiques etoculaires, TVP,aphtose bipolaire, récidivante
<30Céphalées,syndrome pyramidalbilatéral, nerfscrâniens:III,IX, XII Aphtebuccal,lésions papulopustuleuses, œilrouge,fièvre Rhombencéphalite, FPT Prednisone, colchicine, ceftriaxone
Défavorable (Suitepagesuivante)
Tableau1(suite) No Âge(ans)GenreAntécédentsDurée d’installation(j) Signesousyndromes neurologiques Signes extraneurologiques Diagnostic(s) neurologique(s) TraitementÉvolution 940FAphtose récidivante
1Hémiplégiespastique, syndrome pseudobulbaire AphtegénitalRhombencéphalitePrednisone, colchicine
Défavorable 1018MCéphalées chroniques, aphtosebipolaire récidivante
90HIC IIIgauche
Ulcérationlinguale etscrotale, otorrhée ethypoacousie gauches
TVC NORB
Énoxaparine, acénocoumarol, colchicine, prednisone, ceftriaxone
Favorable 1171FHTA,diabète1Hémiplégiespastique, HIC,convulsions
AphtesbuccauxHémorragie intracérébrale Colchicine, prednisone, carbamazépine
Favorable 1248MChirurgie cataracte
1HémiplégiespastiqueAphtosebipolaireHémorragie intracérébrale rhombencéphalite Énoxaparine, colchicine, prednisone
Favorable 1347MAphtose bipolaire, récidivante
30Tétraplégieplastique, agressivité AucunRhombencéphalite, neuropsycho- Behçet Carbamazépine, amitriptyline, colchicine, prednisone, azathioprine
Favorable 1441MCéphalées chroniques, aphtosebipolaire
90Syndromepyramidal bilatéral,HIC AphtebuccalRhombencéphalitePrednisone, colchicine
Favorable 1542MAucun7Syndrome confusionnel, syndromeméningé, syndrome tétrapyramidal
Fièvre,aphtes buccaux Méningoencéphalite FPT Prednisone, colchicine, azathioprine
Favorable 1655MAphtose bipolaire récidivante
1Syndromepyramidal droit Ulcérationgénitale douloureuse,fièvre Infarctuscérébral, méningite Prednisone, colchicine
Favorable H:homme;F:femme;HIC:hypertensionintracrânienne;TVC:thromboseveineusecérébrale;HSA:hémorragiesous-arachnoïdienne;FPT:formepseudotumorale; BAV:baissedel’acuitévisuelle;AEG:altérationdel’étatgénéral;NORB:névriteoptiquerétrobulbaire;HTA:hypertensionartérielle;TVP:thromboseveineuseprofonde
L’IRM encéphalique, faite chez sept patients, montrait des hypersignaux du tronc cérébral et/ou de la jonction mésodiencéphalique (Fig. 5). L’angio-IRM cérébrale, réali- sée chez deux patients, a permis le diagnostic d’une throm- bose du sinus longitudinal supérieur et des veines corticales adjacentes, associée à une hémorragie sous-arachnoïdienne
chez un patient et une thrombose des sinus longitudinal supérieur et transverse droit chez un autre patient (Fig. 6).
Les PEV ont objectivé des signes de névrite optique rétro- bulbaire chez quatre patients.
L’étude du liquide cérébrospinal effectuée chez 10 patients montrait une pléiocytose lymphocytaire chez
Fig. 2 Aphtose scrotale en guérison /Scrotal aphtous in healing process
Fig. 3 Papules et pustules du front / Papules and pustules of the forehead
Fig. 1 Aphte du bord latéral gauche de la langue /Left-sided ton- gue aphtous
5 patients et à formule panachée chez un autre. Les anticorps antinucléaires et antiphospholipides, dosés chez un patient, étaient négatifs.
L’atteinte neurologique était majoritairement parenchy- mateuse isolée (8 cas) ou mixte (6 cas) (Tableau 2). Les principales formes cliniques étaient la rhombencéphalite Fig. 4 Angioscanner cérébral temps veineux montrant une thrombose veineuse extensive des sinus transverses et sigmoïdes /Cerebral veinous angiography with extensive vein thrombosis of transverse and sigmoid sinuses
Fig. 5 IRM encéphalique montrant un hypersignal T2 bulbopontique /Brain MRI showing a bulbo-pontic T2 hyperintensity
(8 cas), la névrite optique rétrobulbaire (4 cas) et la throm- bose veineuse cérébrale (3 cas). Sept patients avaient un angio-Behçet cérébral à type de thromboses veineuses céré- brales (3s cas), d’infarctus cérébraux (2 cas) et d’hématomes intracérébraux spontanés (2 cas).
La prednisone per os (1 mg/kg par jour) a été prescrite à tous les patients pendant un mois au minimum, jusqu’à sta- bilisation des signes cliniques. Trois patients avaient reçu préalablement un bolus de méthylprednisolone à la dose de 1 g/j pendant cinq jours. La corticothérapie générale a été maintenue pendant 6 semaines environ ou jusqu’à stabilisa- tion clinique, puis diminuée progressivement. Un traitement de fond à base d’azathioprine a été instauré chez 3 patients.
Les autres classes médicamenteuses prescrites étaient, par ordre décroissant, la colchicine (12 cas), les antibiotiques (5 cas), les anticoagulants (3 cas), les anticonvulsivants (2 cas) et l’amitriptyline (un cas).
Tous les patients avec un déficit moteur ont bénéficié d’une prescription de rééducation motrice. L’évolution clinique à court terme était majoritairement favorable (14 cas) avec un score de Rankin moyen au moment de l’exeat de 2. La durée moyenne de suivi était de 2,6 ans avec des extrêmes de 2 mois et 6 ans. Un patient était perdu de vue. Deux décès liés à la maladie ont été notés.
Discussion
La maladie de Behçet est majoritairement rapportée dans les zones historiquement appartenant à la « Route de la soie » Fig. 6 Phlébo-IRM T1 montrant une thrombose du sinus longitudinal supérieur /Veinous MRI T1 showing thrombosis of the superior longitudinal sinus
Tableau 2 Formes cliniques de neuro-Behçet retrouvées dans notre série /Clinical forms of neuro-Behçet found in our series
Formes cliniques de neuro-Behçet Nombre de cas
Atteinte parenchymateuse 20
Rhombencéphalite 8
Méningoencéphalite 2
Méningite 3
Forme pseudotumorale 2
Névrite optique rétrobulbaire 4
Myélite 1
Atteinte extraparenchymateuse 7
Infarctus cérébral 2
Hémorragie intracérébrale 2
Thrombose veineuse cérébrale 3
Neuropsycho-Behçet 1
avec une prévalence plus élevée au Japon, en Turquie et en Iran [6,10,36]. Les plus grandes séries africaines sont magh- rébines [5,12,23]. En Afrique subsaharienne, les études sont rares [1,27]. Au Sénégal, 50 cas ont été rapportés en 2015 [25]. Il s’agissait d’une étude rétrospective effectuée entre 2000 et 2013 dans le service de dermatologie de l’hôpital Aristide-Le-Dantec de Dakar.
Les atteintes neurologiques au cours de la maladie de Behçet sont une cause fréquente de morbimortalité. Les fré- quences les plus élevées ont été rapportées dans les pays arabes et ceux de l’Ouest de la Méditerranée [16,39]. Au Sénégal, Ndiaye et al. avaient trouvé une prévalence de 24 %, et Touré et al. avaient colligé 5 cas de NB entre 1982 et 1987 [25,34]. Entre juillet 2012 et septembre 2018, nous avons pu inclure 16 patients ; mais le nombre est sous- estimé puisque le recrutement est effectué dans l’unique ser- vice de neurologie du Sénégal. En effet, le tableau neuro- logique était soit le mode d’entrée dans la maladie, soit le premier motif de consultation. Dans tous les cas, les signes cliniques et radiologiques étaient compatibles avec le diag- nostic de NB [32]. L’absence des critères de Barkhof à l’IRM encéphalique et celle de germes dans le liquide céré- brospinal nous ont permis d’écarter une éventuelle atteinte démyélinisante ou infectieuse du système nerveux central.
Dans notre étude, le NB prédominait chez l’homme adulte (14 hommes, 2 femmes) avec un âge moyen de 40 ans.
Cette prédominance masculine du NB et un âge moyen entre 20 et 40 ans ont été rapportés par plusieurs auteurs [4,7,14,20,24,39]. Contrairement aux femmes qui présentent plus des lésions cutanées, les hommes développeraient plus fréquemment des manifestations neurologiques [19].
Le diagnostic de NB peut être évident ou aisé si la mala- die de Behçet est déjà diagnostiquée et connue. Dans notre série, les signes dermatologiques avaient précédé les signes neurologiques chez dix patients. Dans ces situations, un interrogatoire rigoureux nous a permis de retrouver l’exis- tence des manifestations muqueuses évocatrices de MB dans les années précédentes, souvent passées inaperçues. Cepen- dant, les symptômes neurologiques peuvent être inauguraux [2], comme ce fut le cas chez 6 de nos patients. Les signes dermatologiques apparaissaient en même temps que les signes neurologiques, en cours d’hospitalisation ou au cours du suivi, nous permettant alors de redresser le diagnostic initial. Un examen dermatologique spécialisé complet à la recherche d’une lésion cutanée évocatrice d’une maladie de système doit être la règle dans la démarche étiologique d’une affection neurologique de l’adulte jeune.
Le polymorphisme clinique et radiologique rend compte de l’errance diagnostique et du retard thérapeutique du NB.
Les manifestations neurologiques sont majoritairement liées à une atteinte parenchymateuse (70 à 80 %) [16]. Il s’agit le plus souvent de céphalées (> 50 % des cas), d’un syndrome pyramidal (50–90 %) et d’une ataxie cérébelleuse [2]. Dans
notre série, le syndrome pyramidal a été retrouvé chez 13/16 patients, suivi des céphalées (10 cas). Le syndrome pseudobulbaire, le syndrome cérébelleux et l’atteinte des nerfs crâniens étaient présents à des proportions égales (3 cas). L’ensemble de ces manifestations cliniques correspond, le plus souvent à l’imagerie, à des atteintes du tronc cérébral et/ou de la jonction mésodiencéphalique.
L’atteinte médullaire est rare et exceptionnellement isolée (5 à 24 %) [21]. Nous avons eu un cas de myélite isolée avec une IRM spinale initiale normale, comme dans la série tuni- sienne (14/34) [8]. Contrairement aux données de la littéra- ture où l’atteinte médullaire est considérée comme un facteur de mauvais pronostic, du fait d’une relative moins bonne réponse au traitement [38], chez notre patient l’évolution clinique fut favorable.
L’angio-Behçet cérébral constitue 20 à 35 % des atteintes neurologiques de la maladie de Behçet. Il s’agit des thrombo- ses veineuses cérébrales (18 à 35 %) et des atteintes artérielles (2 %) [3,14]. Dans notre série, nous avons retrouvé 3 cas de thromboses veineuses cérébrales, 2 cas d’infarctus cérébraux et 2 hématomes intracérébraux spontanés. Pour les cas de TVC, le thrombus siégeait dans le sinus longitudinal supé- rieur et les veines corticales chez deux patients, et les sinus latéraux chez un patient. Ces localisations prédominaient aussi dans la plupart des cas rapportés [14,16,18,26]. Nous n’avons pas retrouvé de manifestations cliniques thromboem- boliques systémiques concomitantes à la poussée neurolo- gique, contrairement à Saadoun et al. [30] qui en avaient trou- vées 62,5 %. Cependant, un patient a présenté une thrombose veineuse des membres inférieurs à distance de l’épisode neurologique.
Les NORB, isolées ou associées à d’autres manifestations neurologiques centrales, sont rares et représentent 0,6 à 2 % des cas [31]. Elles posent le problème du diagnostic diffé- rentiel avec la sclérose en plaques et les maladies du spectre NMO. Dans notre série, elles étaient présentes chez 4 patients et étaient associées aux TVC chez 3 d’entre eux et à la rhom- bencéphalite chez l’autre.
Les principaux signes extraneurologiques étaient la fièvre et l’aphtose uni- ou bipolaire. Le syndrome infectieux pour- rait expliquer l’errance diagnostique initiale et le retard de mise en route de la corticothérapie. La négativité de la recherche d’agents infectieux contrastant avec un important syndrome inflammatoire biologique, la persistance de la fiè- vre et l’absence d’amélioration clinique malgré l’instaura- tion d’une antibiothérapie, nous ont permis de redresser le diagnostic initial.
Malgré l’arsenal thérapeutique disponible, le traitement du NB reste mal codifié du fait de l’absence d’essais pros- pectifs randomisés et de critères standardisés de mesure de l’évolution de la maladie [9]. Dans notre contexte, dès le diagnostic établi ou fortement suspecté, le traitement d’at- taque consistait en l’administration d’une corticothérapie
générale associée à la colchicine (1 mg/j). Il n’existe aucune étude contrôlée prouvant l’efficacité d’une association corti- coïdes et immunosuppresseurs [13,15]. Nous avions prescrit l’azathioprine chez trois patients.
Dans notre série, le traitement des TVC consistait en l’administration d’acénocoumarol avec un INR cible entre 2 et 3, comme recommandé par certains auteurs [30,33], malgré le risque d’accidents hémorragiques graves poten- tiels iatrogènes en cas d’existence d’anévrismes artériels, particulièrement pulmonaires [35]. D’autres auteurs préfè- rent se limiter à une association de corticoïdes et d’immuno- suppresseurs [29,37], compte tenu que la TVC est due à la vascularite et à l’activation des cellules endothéliales.
Conclusion
Le NB constitue une urgence médicale absolue qui nécessite un diagnostic rapide et une prise en charge thérapeutique adaptée. Il s’agit d’une maladie de l’homme adulte dont la rareté en Afrique noire n’est que relative, car sous- diagnostiquée. Il est crucial de faire le diagnostic différentiel du NB avec les infections et atteintes auto-immunes du sys- tème nerveux central qui nécessitent un traitement spécifique.
Des études ultérieures multicentriques nationales et sous- régionales et un suivi au long cours des patients déjà inclus sont nécessaires.
Liens d’intérêts :Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
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