République Algérienne Démocratique et Populaire
Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique
Université de Jijel *Mohamed Seddik ben Yahya*
Faculté des lettres et des langues
Département de langue et littérature françaises No de série :
No d’ordre :
Mémoire présenté en vue de l’obtention du diplôme de master Spécialité : Sciences du langage
Le plurilinguisme et sa gestion dans les entreprises : Cas de la Sonelgaz de Jijel
Présenté par :
-Soufane Fawzia Sous la direction de : -Bourouis Soumia Madame Bounouni Ouidad
Membres de jury :
-Présidente : Mme Melouah Fatiha -Directrice : Mme Bounouni Ouidad -Examinatrice : Mme Ghimouz Manal
Année Universitaire : 2016/2017
Remerciements :
Avant tout, nous tenons à remercier le bon dieu en disant alhamdoulilah.
Nous tenons à remercier la directrice de notre travail de recherche madame Bounouni pour son soutien et son attention.
Un remerciement particulier aux deux employés de la Sonelgaz : Hanane et Adel pour leurs nobles services ainsi que pour tout le personnel de cette entreprise de nous avoir accueillies sans difficultés.
Nous remercions aussi tous ceux qui nous ont soutenues et aidées tout au long de la réalisation de ce travail.
Un merci particulier à ma chère Fouzia et ma chère
nièce Imane, enfin mille merci à nos superbes
familles.
Dédicace :
J’ai l’honneur de dédier ce travail :
- A mes chers parents, ma sœur et mon frère.
- A ma sœur et amie Soumia qui m’a accompagnée durant mon parcours universitaire et m’a partagée la réalisation de ce travail.
- A mes chères cousines Meriem et Fatima.
- A mes meilleures amies Roukia, Assia et Sofia.
Je le dédie aussi à ceux qui m’ont aidée à réaliser ce travail.
Fouzia
Dédicace :
- Je dédie ce modeste travail à ma défunte mère dont je ne me souviens même pas de son visage et je tends constamment de me rappeler au moins un instant avec elle vainement ….
- Je le dédie aussi à mon cher père et à la petite Tasnim.
Je vous aime
Soumia
Table des matières
Introduction générale………...9
La partie théorique Chapitre 1 : La politique linguistique en Algérie après l’indépendance……….15
Introduction 1- Le cadre théorique de la politique linguistique………...16
1-1- Définition de la politique linguistique……….…16
1-2-Type de gestion de plurilinguisme……….…..18
-In vivo………...……….18
-In vitro……….…………..18
2- La politique d’arabisation……...………20
-Le statut de la langue arabe dans la politique d’arabisation………...24
-Le statut de la langue française dans la politique d’arabisation…….25
3- La mise en œuvre de la politique d’arabisation………..27
4- L’arabisation des entreprises en Algérie...………..28
5- Le statut du français dans les entreprises algériennes…..………...28
Conclusion Chapitre 2 : Le plurilinguisme en Algérie………..………...31
Introduction 1- Définitions de quelques concepts relatifs au chapitre.…………....32
2- Les langues existantes en Algérie………...………....37
2-1- Le berbère………...……….38
2-2- L’arabe……….40
2-3- Le français………...43
Conclusion
La partie pratique Chapitre 3 : L’enquête effectuée à la Sonelgaz et les résultats
obtenus………..47
Introduction 1- Présentation du terrain de recherche………....49
2- Présentation du public visé par l’analyse………..…...53
3- L’enquête par questionnaire…………...………..53
3-1- L’objectif de notre questionnaire………..………54
3-2- L’objectif de chaque question………...………55
4- Les étapes de notre enquête………..57
4-1- L’observation du terrain……….………. .58
4 -2- La passation et la récupération des questionnaires…………..59
5- le bilan de l’analyse………..………60
6-L’analyse et l’interprétation des questionnaires………..…..61
7- L’interprétation des résultats obtenus……….……….88
- Les usages linguistiques à l’entreprise de la Sonelgaz………… ..79
- Les besoins en langues étrangères à l’entreprise………....88
- La politique linguistique dans l’entreprise algérienne………90
Conclusion Conclusion générale…….………...………..93
Liste des références bibliographiques……….………..98
Annexes………..………..102
Introduction générale
La question linguistique est l’un des sujets qui a nourrit des travaux
multiples (comme ceux de K.T.IBRAHIMI) sous divers angles sociolinguistiques et notamment lorsqu’il s’agit d’un panorama linguistique assez complexe et diversifié que le notre.
La série des conquêtes envahissant l’Algérie a permis de laisser après chacune d’elles une langue à part entière :au berbère qui est la langue originale de l’Afrique du nord s’ajoute l’arabe classique, langue du coran, venu en Algérie à travers l’islamisation des berbères, de même, pour la langue française qui a su prendre sa place en Algérie après la longue période de la colonisation qui a duré 132ans. En outre, la mixture de deux langues (l’arabe classique et le français) a mis en lumière l’arabe algérien.
Notre travail de recherche qui est intitulé « le plurilinguisme et sa gestion dans les entreprises : le cas de la sonelgaz de jijel » s’inscrit dans une perspective sociolinguistique et particulièrement dans le domaine du plurilinguisme ainsi que celui de sa gestion dans l’entreprise, ces deux notions ont fait couler beaucoup d’ancre dans le champ de la sociolinguistique. Par « plurilinguisme » nous désignons l’ensemble des langues en présence dans l’entreprise et par « sa gestion » nous essayons de mettre l’accent sur la politique linguistique autour de laquelle s’organise l’entreprise linguistiquement.
De notre part, nous avons opté pour ce sujet pour divers raisons dont les plus importantes sont les suivantes :
D’abord, en tant qu’étudiants en sciences du langage et chercheurs en
sociolinguistique, un thème pareil nous a énormément intéressées en
Introduction générale
11
considération de sa richesse et son hétérogénéité. La deuxième raison pour laquelle nous avons sélectionné ce sujet est le fait de vivre dans un pays assez compliqué linguistiquement que le notre nous laisse toujours poser des interrogations sur le statut réel des langues existantes. De plus, le déplacement au terrain de recherche qui nous a beaucoup motivées est une expérience importante et particulière surtout face à une communauté cultivée telle que celle de la sonelgaz. Enfin, la dernière raison qui nous a poussées à choisir ce thème est la curiosité d’avoir des connaissances et des informations précises sur la situation linguistique qui caractérise cet endroit particulier. Tout cela nous a poussées à aborder cette thématique.
Pour mener notre travail de recherche qui se focalise sur les notions de langue, bilinguisme, plurilinguisme et politique linguistique, nous allons avancer une série d’interrogations :
-Comment l’entreprise gère-t-elle son plurilinguisme ?
-Quelles sont les langues qui existent au sein de l’entreprise soit à l’oral ou à l’écrit ?
-Comment ces langues sont-elles hiérarchisées ?
Avant même d’entamer notre recherche et de se déplacer à notre
terrain, nous supposons qu’il se pourrait que l’administration de cette
entreprise utilise majoritairement la langue arabe comme elle est la
langue nationale et officielle du pays ou la langue française comme il est
le cas de plusieurs administrations en Algérie. Ainsi, il est probable que
les échanges internationaux se feront en anglais en tant que langue
mondiale. On suppose ainsi que l’arabe dialectal primerait dans les
Introduction générale
situations de communication informelle, les conversations quotidiennes entre les travailleurs ou avec les clients... La dernière hypothèse que nous effectuons c’est qu’il est possible que toutes les langues existantes en Algérie sont présentes dans l’entreprise selon les besoins des locuteurs.
Comme nous avons annoncé au début, le champ de notre étude relève de la sociolinguistique, donc, nous allons faire appel à des méthodes qui l’appartient en adoptant, pour cela, l’enquête par questionnaire. Ce dernier contient 15 questions aux choix différents, précis et bien compréhensible visé aux employés de l’entreprise afin d’obtenir des réponses clairs et nettes qui iront confirmer ou infirmer les hypothèses avancées auparavant. A côté d’un court entretien que nous effectuerons avec les employés et qui va soutenir et fortifier davantage notre réflexion.
Dans la finalité d’organiser le travail et de le bien cerner, nous avons suivi un plan qui a guidé notre étude du début jusqu’à la fin.
Notre plan se subdivise en deux parties : la partie théorique et la partie pratique.
La première partie se divise en deux chapitres dans lesquels on met l’accent sur la politique linguistique en Algérie notamment au lendemain de l’indépendance, la situation plurilingue en Algérie ainsi que les concepts ayant rapport avec ce sujet.
Quant à la deuxième partie, elle contient un seul chapitre qui décrit les
étapes de la recherche d’une manière détaillée. Il se focalise sur le
Introduction générale
13
questionnaire, les résultats obtenus, l’interprétation de ces résultats et les objectifs atteints tout au long de l’étude.
Notre mémoire comporte aussi les annexes que nous jugeons
nécessaires pour l’originalité du travail et qui comprennent notre corpus
ainsi que l’autorisation obtenue de la part du chef département et cachée
par le responsable de la sonelgaz.
Chapitre 01 la politique linguistique en Algérie après l’indépendance
Introduction
Au lendemain de l’indépendance, le gouvernement algérien a essayé
de remplacer la langue française, qui était la langue officielle durant la période coloniale, par la langue arabe comme l’unique langue nationale et officielle de l’Algérie indépendante, dans le but d’unifier le pays linguistiquement.
Cependant, la langue française ne cesse apparaitre sur des plans différents et sous diverses appellations : langue seconde, langue étrangère, langue de colonisation, langue de savoir, ainsi que de prestige.
Pour gérer ce plurilinguisme donc, l’Etat algérienne intervient en mettant en œuvre la politique d’arabisation, mais, ceci n’élimine pas l’usage du français ou des autres langues existantes qui persiste jusqu’à nos jours.
1-Le cadre théorique de la politique linguistique Définition
Selon Calvet (2013, p.111), nous appelons « politique linguistique » un ensemble de choix conscients concernant les rapports ente langue et vie sociale. Pour lui, n’importe quel groupe peut élaborer une politique linguistique : on parle dans ce cas, d’une politique linguistique familiales par exemple, ou même une diaspora(les sourds, les gitans…) peut se réunir en congrès pour décider d’une politique linguistique.
Dans un domaine aussi important que celui-ci, seul l’Etat a le
pouvoir et les moyens de passer au stade de la planification, de mettre en
pratique ces choix politiques.
Chapitre 01 la politique linguistique en Algérie après l’indépendance
17
M-L. Moreau (1997, p.229) définit ainsi ce concept en le mettant au même titre que celui d’aménagement linguistique :
Pour certains auteurs, politique linguistique est synonyme d’aménagement linguistique. Il semble utile de spécialiser ce terme pour désigner la phase d’une opération d’aménagement linguistique la pus abstraite, constituant en la formulation d’objectifs, postérieurement à l’évaluation d’une situation faisant apparaître des aspects perfectibles, soit dans le corpus d’une langue (inadéquation de structures par rapport à des besoins), soit dans le statut des langues.
BOYER (1996, p.23), à son tour, définit cette notion en la reliant à celle de planification linguistique qui est, selon lui, la mise en pratique de la politique linguistique. Il dit à ce propos :
L’expression politique linguistique est souvent employée
en relation avec celle de planification linguistique :
tantôt elles sont considérées comme des variantes d’une
même désignation, tantôt elles permettent de distinguer
deux niveau de l’action de politique sur la /les langue(s)
en usage dans une société donnée. La planification
linguistique est alors un passage à l’acte juridique, la
concrétisation sur le plan des institutions (étatiques
régionales, voire internationales) de considération de
choix de perspectives qui sont ceux d’une politique
linguistique.
Chapitre 01 la politique linguistique en Algérie après l’indépendance
-Types de gestion de plurilinguisme :
Nous distinguons, selon Calvet, deux types de gestion de plurilinguisme qui sont : l’in vivo et l’in vitro.
.In vivo :
Le premier « in vivo » concerne la façon dont les gens, confrontés quotidiennement à des problèmes de communication. Ainsi, ce qu’on appelle « les langues approximatives » ou encore les « langues véhiculaires » sont le produit d’une gestion in vivo du plurilinguisme.
.In vitro :
Le deuxième type de gestion « in vitro » concerne l’analyse des situations et des langues, les décrivis par des linguistes qui font des hypothèses sur l’avenir de ces situations dans le but de régler les problèmes.ces hypothèses sont étudiées par les politiques linguistiques qui font des choix et les appliquent.
Dans les deux cas, la communication est assurée grâce à la création d’une langue qui est simplement le produit d’une pratique qui ne résout pas seulement les problèmes du plurilinguisme, mais aussi, chaque jour, dans toutes les langues du monde, des nouveaux mots apparaissent pour désigner des choses que la langue ne désignait pas. Cette néologie se voit clairement pendant la période coloniale des pays africains.
Signalons ainsi que ces deux types sont extrêmement différents et
que leurs rapports peuvent parfois être conflictuels : si les choix « in
vitro » prennent le contre pied de la gestion « in vivo » ou des sentiments
linguistiques des locuteurs. Ainsi, il sera difficile d’imposer à un peuple
Chapitre 01 la politique linguistique en Algérie après l’indépendance
19
une langue nationale dont il ne veut pas ou pense qu’elle n’est pas une langue, mais un dialecte.
-l’action sur la langue :
Selon Calvet, les langues changent sous l’effet de leurs structures internes, des contacts avec d’autres langues et des attitudes linguistiques.
Cette action se manifeste sur : -la réforme de l’écriture.
-l’intervention sur le lexique d’une langue.
-la standardisation d’une langue.
-l’action sur les langues :
Cette action sert à modifier le statut et les fonctions sociales des langues en présence. Les Etats sont parfois amenés à promouvoir telle ou telle langue jusque la dominée ou, au contraire, à retirer à telle langue un statut dont elle jouissait.
Le schéma proposé, ci-dessous, par J. Calvet résume ces deux actions
(la guerre des langues, p.157) :
Chapitre 01 la politique linguistique en Algérie après l’indépendance
Schémas n°1 : la politique linguistique et la planification linguistique 2- La politique d’arabisation
Tout au long la période coloniale, la langue arabe ne jouit aucun prestige ou statut privilégié. C’était le français qui garde une place prioritaire et bénéficie d’un statut officiellement reconnu par l’Etat colonial dans le cadre d’une Algérie française. Ce n’est qu’après l’indépendance que les choses prennent un autre tourneur en accordant à l’arabe une importance de premier plan à la suite de la politique d’arabisation : « ce retour à la culture nationale et à la langue arabe constitue donc tout un programme qui prend en charge les axes
1- POLITIQUE LINGUISTIQUE
à fonction symbolique à fonction pratique
2 -PLANIFICATION LINGUISTIQUE
PLANIFICATION INTERNE PLANIFICATION EXTERNE
action sur la langue action sur les langues
-orthographe -choix de la langue nationale
-lexique -organisation du plurilinguisme
-formes dialectales -répartition fonctionnelle, etc.
Chapitre 01 la politique linguistique en Algérie après l’indépendance
21
prioritaires dans l’édification de l’état
1. »
Cette politique est mise en application le lendemain de l’indépendance, dans le but de rendre à l’arabe sa place originale en élargissant son usage dans tous les domaines, y compris l’enseignement, les administrations, les institutions…
Le gouvernement algérien voulait réaliser la face culturelle de l’indépendance en mettant à la place de la langue française la langue arabe, non pas la langue parlée, mais la langue arabe standard issue de l’arabe coranique, ce fut l’objet de la politique d’arabisation
2.
Ainsi, Ahmed Ben Bella
3affirme, dans sa première allocution publique et officielle, que : « Nous sommes des Arabes, des Arabes, dix millions d’Arabes(…). Il n’ya d’avenir pour ce pays que dans l’arabisme
4. »
Voici les grandes dates de la promotion de cette politique qu’on rencontre fréquemment dans les travaux de K.T.IBRAHIMI
5.
1 Quffélec Derradji, Debov, Smaali Dekdouk, Cherrad Benchefra, 2002, p.47.
2 G.GUILLAUME, La francophonie en Algérie, école des grandes études en sciences sociales, Paris, 09/04/2008
htt://sinistri.canalblog.com/archives/2008/04/09/8718521.html.
3 le premier président de la République Algérienne.
4 Jamel ZENATI, l’Algérie à l’épreuve de ses langues et de ses identités : histoire d’un échec répété Mots.revues.org/4993?lang=en//ftn4.
5 K.T.IBRAHIMI, Les Algériens et leur(s) langue(s), El hikma, Alger, 1995.
Chapitre 01 la politique linguistique en Algérie après l’indépendance
-1963 : l’enseignement de l’arabe dans toutes les écoles primaires, en raison de 10 heures d’arabe sur 30 heures en français.
-1964 : l’arabisation totale de la 1
ereannée primaire, pour cela les autorités firent venir 1000 instituteurs égyptiens.
-1967 : l’arabisation de la 2
emeannée primaire.
-1968 : création d’une licence d’histoire en arabe.
Arabisation de la fonction publique.
-1970 : arabisation complète de l’enseignement primaire et secondaire.
-1971 : perspective pour l’arabisation du supérieur.
-1973 : la création d’une commission nationale d’arabisation chargée de promouvoir et d’appliquer la politique de l’arabisation.
-1975 : première conférence sur l’arabisation.
-1976 : l’arabisation de l’état civil, des noms de rues, des plaques d’immatriculation et de l’affichage.
Le vendredi est déclaré jour de repos hebdomadaire, à la place du Dimanche.
-1979 : la grève des étudiants arabisants pour réclamer l’arabisation de la fonction publique.
-1980 : plan national d’arabisation de l’administration, du secteur économique et de la recherche scientifique.
-1981 : installation d’un haut conseil de la langue nationale chargé du
suivi et du contrôle de l’arabisation.
Chapitre 01 la politique linguistique en Algérie après l’indépendance
23
Mise en place de l’enseignement du calcul en arabe.
-1989 : arabisation totale du primaire et du secondaire, le français n’est plus langue d’apprentissage pour aucune matière autre que le français lui-même.
-1990 : loi sur la généralisation de la langue arabe, rendant obligatoire l’usage de cette langue dans tous les documents écrits.
-1991 : le ministre de l’enseignement supérieur annonce l’arabisation de l’université.
-1996 : réanimation de la loi sur la généralisation de la langue arabe suspendue en 1992. La nouvelle constitution de 1996 reconnaît l’amazighité (l’identité berbère) comme l’une des trois composantes fondamentales de l’identité nationale, à côté de l’arabité et l’islamité.
L’objectif principal donc de cette politique est le remplacement
progressif d’une langue héritée du colonialisme (le français) par la
langue arabe, en tant qu’une langue sacrée véhiculée d’une culture
arabo-musulmane, mais, cela ne signifie pas que les autres langues
existantes en Algérie (le berbère et le français) ne jouissent d’aucun
statut privilégié, au contraire, toutes les deux langues sont bénéficiées de
quelques avantages. D’abord, le tamazight est une branche à l’université
(licence en Tamazight). Face aux revendications des berbérophones, il
accède au statut de langue nationale en 2002 puis au statut de langue
officielle et nationale en 2016. Ainsi, le français est enseigné dès la 3
emeannée primaire comme la première langue étrangère en Algérie.
Chapitre 01 la politique linguistique en Algérie après l’indépendance
-Le statut de la langue arabe dans la politique d’arabisation A la recherche de l’identité perdue durant la période coloniale, l’Etat algérien a accordé une importance particulière à l’arabe en vue qu’elle soit la seule langue de la nation qui véhicule la culture arabo-musulmane de peuple algérien, dans le but d’unifier le pays.
C’est la langue que l’Etat s’efforce d’imposer depuis l’indépendance de l’Algérie (1962). Ayant adhéré depuis cette datte à la Ligue arabe, les dirigeants algériens se sont empressés d’affirmer « l’arabité de l’Algérie, se gardant bien toutefois de la faire figurer dans les
« principes généraux régissant la société algérienne »
6.
L’usage de cette langue a connu son essor surtout avec l’arrivée du
président BOUMEDIENE au pouvoir qui a préconisé l’utilisation et la connaissance obligatoires de l’arabe par tous les algériens.
Cette langue constitue un outil d’enseignement, dans la mesure où les trois cycles scolaires l’utilisent comme la seule langue d’enseignement, jusqu’à l’enseignement supérieur dont quelques filières seulement sont enseignées en arabe (les sciences sociales et humaines, droits…) en utilisant le français cependant dans les autres filières scientifiques et techniques.
La langue arabe est présente aujourd’hui non seulement dans l’enseignement, mais aussi dans les autres domaines et elle couvre l’ensemble des secteurs, administrations, institutions algériens.
6 F. CHERIGUEN, politiques linguistiques en Algérie,In : Mots, septembre 1997, p.62-63. Citée par ROUIBEAH Sara dans son mémoire de Master « les représentations de la langue française dans l’administration algérienne cas du CPA », université de Jijel, Juin 2016.
Chapitre 01 la politique linguistique en Algérie après l’indépendance
25
-Le statut de la langue française dans la politique d’arabisation La langue française, considérée aujourd’hui comme la première langue étrangère en Algérie, c’est l’héritage d’une longue période de la colonisation qui est imposée violemment au peuple algérien en occupant une place particulière dans la vie quotidienne des algériens : « le français, langue imposée au peuple algérien par le fer et le sang, par une violence rarement égalée dans l’histoire de l’humanité a constitué un des éléments fondamentaux de la France vis-à-vis de l’Algérie
7. »
De cette façon, le français est introduit dans la vie des algériens en commençant d’abord par l’élargir dans les grandes villes pour finir ensuite par les campagnes, à ce propos, DESIRAT Claude dit : « dans l’Algérie de 1892, le français langue maternelle, était principalement implanté dans les villes
8. » Durant cette période, c’était uniquement le français qui a pris un statut privilégié officiellement reconnu.
Après l’indépendance, le français est considéré comme la première langue étrangère, mais, en réalité, il est omniprésent dans la vie de tous les jours algériens, K.T. IBRAHIMI confirme à ce propos :
Le français n’est d’abord plus ce butin de guerre, comme l’écrivait Kateb Yacine. Le rapport à la langue a changé. Il ya un bricolage du français en Algérie.
7 K.T.IBRAHIMI,les Algériens et leur(s) langue(s). Citée par SOUILAH Sara dans son mémoire de Master « présence de l’arabe scolaire et du français dans les institutions », université de Constantine, 2010.
8 DESIRAT Claude, la langue française au 20emesiècle. Citée par SOUILAH Sara dans son mémoire de Master « présence de l’arabe scolaire et du français dans les institutions », université de Constantine, 2010.
Chapitre 01 la politique linguistique en Algérie après l’indépendance
En fait, le français est une langue étrangement algérienne, mais qui est toujours considérée dans les textes comme une langue étrangère, au même titre que l’anglais, le mandarin, l’espagnol…
9Il s’agit d’un paradoxe qui nous laisse poser toujours des interrogations sur le statut réel du français en Algérie, Houari BELLATRECHE souligne ainsi :
Son statut réel en Algérie demeure ambigu. Même s’il est qualifié de langue étrangère, il continue d’être une langue de travail et de communication dans différents secteurs (vie économique, monde de l’industrie et du commerce, l’enseignement supérieur, laboratoire de médecine et de pharmacie, médias, etc
10.
Cette idée d’ambiguïté de statut est reprise par Sebaa qui confirme : Sans être langue officielle, la langue française véhicule
l’officialité. Sans être la langue d’enseignement, elle reste la langue de transmission du savoir. Sans être la langue identitaire, elle continue à façonner l’imaginaire culturel collectif de différentes formes et par différents canaux. Et sans être la langue d’université, elle est la langue de l’Université. Dans la quasi-totalité des structures officielles de gestion, D’administration et de
9 www.liberation.fr/planete/2012/12/20/le-français-recquiert-l-algérie_869182
10 H.BELLATRECHE, l’usage de la langue française en Algérie, cas d’étude : le secteur bancaire.
Chapitre 01 la politique linguistique en Algérie après l’indépendance
27
recherche, le travail s’effectue encore essentiellement en langue française
11.
Il ne s’agit donc pas d’une langue étrangère, le français est présent quotidiennement dans l’usage des algériens, soit entre amis et en famille, soit à l’intérieur des différents secteurs, sociétés, administrations…qui font de l’Algérie le deuxième pays francophone au monde après la France.
3-La mise en œuvre de la politique d’arabisation
La deuxième étape d’une politique linguistique consiste à mettre en pratique les différentes lois et décisions que l’Etat prenne concernant l’usage de telle ou telle langue.
En revenant à notre pays l’Algérie, cette étape s’est traduite par une planification et un aménagement linguistique après l’indépendance tenant compte de la situation linguistique héritée du colonialisme en développant une série d’actions et de moyens qui enlèvent l’arabe comme langue au statut supérieur.
Ce fait de généraliser la langue arabe après une longue période de la colonisation ce n’est pas une tâche facile à réaliser, c’est pourquoi, l’Etat algérien a commencé, d’abord, par l’arabisation de l’enseignement des trois cycles en tant que domaine très important. De plus en plus, cette langue s’est généralisé dans l’ensemble des institutions étatiques.
11 Sebaa, 2002, p.85. Citée par SOUILAH Sara dans son mémoire de Master « présence de l’arabe scolaire et du français dans les institutions », université de Constantine, 2010.
Chapitre 01 la politique linguistique en Algérie après l’indépendance
4-L’arabisation des entreprises en Algérie
L’objectif premier de la politique d’arabisation après l’indépendance est de généraliser et restaurer la langue arabe sur toutes les institutions de l’Etat, entre autres, les entreprises.
Les administrations publiques, les institutions, les entreprises et les associations, quelle que soit leur nature, sont tenues d’utiliser la seule langue arabe dans l’ensemble de leurs activités telles que la communication, la gestion administrative, financière, technique et artistique
12.
Cependant, cette politique, qui a essayé d’imposer l’arabe au peuple algérien à l’exclusion des autres langues, n’a pas réussi à occulter le français de façon définitive. En effet, cette langue existe toujours dans la vie des algériens, ainsi qu’au niveau des institutions, y compris les entreprises.
Des cadres exerçant dans les entreprises étatiques ont opté pour une retraite anticipée ou un recyclage vers le secteur privé compte tenu de leur âge et de leur incapacité à traiter des dossiers en langue arabe
13.
5- Le statut du français dans les entreprises algériennes
Pratiqué quotidiennement par les différentes catégories sociales, le français représente, de plus, une langue de travail. C’est une réalité
12 Arabisation et démagogie en Algérie.
www.monde.diplomatique.fr/1997/02/GRANDGUILLAUME/4593 13 Sebaa, 2002, p.103.
Chapitre 01 la politique linguistique en Algérie après l’indépendance
29
qu’on ne peut pas la négliger : plusieurs domaines sont tenus à fonctionner aujourd’hui en langue française permettant à cette langue d’acquérir un statut particulier dans le milieu du travail. Ce statut se voit clairement dans les entreprises privées où on assiste une dominance totale du français vis-à-vis à l’arabe qui est employé, selon les textes de loi, dans les différentes institutions de l’Etat (la mairie, les palais de la justice…)
L’ancrage du français dans le domaine professionnel ne se fait pas par le hasard, c’est le fruit, au contraire, de plusieurs raisons : d’après qu’il est considéré depuis longtemps une langue du colonialisme, elle jouit aujourd’hui d’un certain prestige permettant à leurs usagers de s’ouvrir sur le monde. L’écrivain Bachir Mefti, dans un article publié par El-Watan, écrit que :
Le français fait partie intégrante de notre vie sociale quotidienne. Il se mélange parfaitement à l’arabe parlé, est présent partout, et on ne le considère plus ni comme la langue du colonisateur ni comme langue étrangère
14.
C’est un véritable rapport de force qui s’établit donc entre le français et l’arabe qui sont en relation complémentaire. Malgré l’obligation d’utiliser l’arabe comme étant la seule langue de communication et de fonctionnement, le français demeure toujours dans l’usage linguistique des algériens, à côté de l’arabe algérien et le berbère. Ce qui nous amène à dire que l’Algérie est un pays plurilingue par excellence qui unit plusieurs langues à la fois et le fait d’imposer une seule langue ne signifie pas que les autres langues vivantes doivent être disparues.
14 www.liberation.fr/planete/2012/12/20/le-français-reconquiert-l-algerie_869182
Chapitre 01 la politique linguistique en Algérie après l’indépendance
Dans un pays pareil comme l’Algérie dont le paysage linguistique se
caractérise par une multiplicité des langues, la politique linguistique, qui
voulait unifier le pays par une seule langue nationale et officielle
qui est l’arabe standard, est vain car ce plurilinguisme est une réalité
vécue quotidiennement par les algériens. Ce qui nous pousse à dire qu’il
existe toujours un double conflit entre les pratiques sociales et le pouvoir
de l’Etat, autrement dit entre frontières linguistiques et frontières
étatiques.
Chapitre 02 le plurilinguisme en Algérie
Comme tout pays maghrébin, le français fut implanté depuis 1830 en
Algérie. Son champ linguistique est constitué d’un bouquet de langues et de variétés de langues occupant un statut précis et différent, entre autres cas de figure : l’arabe algérien (langue de la majorité), l’arabe classique pour l’usage de l’officialité, la langue française pour l’enseignement scientifique et enfin le berbère, langue locale parlée notamment dans les régions kabyles du pays.
S.ABDELHAMID disait à ce propos : « le problème qui se pose en Algérie ne se réduit pas à une situation de bilinguisme, mais peut-être envisagé comme un phénomène de plurilinguisme.
1»
1-Définitions de quelques concepts relatifs au chapitre -Langue :
Pour le père de la linguistique moderne, qui a pour objet d’étude la langue, F. de Saussure, le langage verbal est un phénomène trop riche et trop vaste qui comporte des aspects psychiques, physiologiques, physiques…ce qui est difficile à l’analyste de le maitriser, c’est pourquoi, il semble plus facile d’orienter l’étude vers un autre fait existant à l’intérieur de ce dernier qui est la langue. Ce linguiste distingue clairement cette dernière de la parole en la définissant de la manière suivante :
C’est à la fois un produit social de la faculté du langage et un ensemble de conventions nécessaires adoptées par
1 S.ABDELHAMID, pour une approche sociolinguistique de l’apprentissage de la prononciation du français langue étrangère chez les étudiants du département français, thèse de doctorat, université de Batna, 2002, p35.
Chapitre 02 le plurilinguisme en Algérie
33
le corps social pour permettre l’exercice de cette faculté chez les individus. C’est un trésor déposé par la pratique de la parole dans les sujets appartenant à une même communauté, un système grammatical existant virtuellement dans chaque cerveau ou plus exactement dans les cerveaux d’un ensemble d’individus
2.
Selon le Dictionnaire de Linguistique, la langue renvoie à tout système de signes vocaux doublement articulé, propre à une communauté humaine donnée. En linguistique, l’allemand littéraire, l’allemand de Souabe, l’alsacien, le breton, le créole de la Guadeloupe sont des langues au même titre.
Dans ce cas là, la langue représente un outil de communication comprenant un ensemble de signes vocaux qui caractérise une telle communauté. Ainsi c’est le niveau sociolinguistique qui fait la différence entre les langues, alors qu’au niveau linguistique, toutes les langues occupent le même statut. « Au sens courant, une langue est un instrument de communication, un système de signes vocaux spécifiques aux membres d’une communauté
3. »
-Dialecte :
Selon le Dictionnaire Didactique des Langues, le terme dialecte désigne un parler régional considéré comme variante d’une langue dominante dont il diffère par des caractéristiques phonétique, phonologique, ainsi que par particularités lexicales et, plus rarement,
2 Ferdinand de Saussure, Cours de Linguistique Générale, Payot, Paris, 1971, p.25.
3 Jean Dubois, Mathée Giacomo, Louis Guespin, Jean-Pierre Mével, Grand dictionnaire Linguistique et Sciences du langage,p.266.
Chapitre 02 le plurilinguisme en Algérie
morphosyntaxiques. En général, cette variante n’est pas différente de la langue au point d’empêcher l’intercompréhension entre des locuteurs ne parlant que le dialecte et d’autres ne parlant que la langue (ou un autre dialecte de la même langue).
(…)Aussi peut-il désigner aujourd’hui n’importe quelle forme d’écart linguistique, d’emploi restreint (en général quant à la géographie) par rapport à une autre variété relativement proche qui est soit un autre dialecte, soit une norme centrale socio linguistiquement dominante, appelée langue et tenue seule pour correcte
4.
En réalité, il n’ya pas une vraie différence entre ces deux concepts (langue et dialecte) car chacun des deux a son propre système linguistique qui le permet d’enlever au statut de langue dominante : ce sont les circonstances historiques et socioculturelles, ainsi que l’ensemble des représentations que font les locuteurs à propos d’une langue qui déterminent le statut qu’a occupé une langue ou un dialecte.
-Bilinguisme :
Considéré longtemps comme exceptionnel, le bilinguisme est une situation linguistique qui signifie l’utilisation variable de deux langues par un individu. D’après le dictionnaire de langue française, le PETIT LAROUSSE, le bilinguisme est définit par la qualité d’un individu d’une population qui utilise deux langues différentes.
Marie Louise Moreau définit ainsi ce concept comme suit :
4 Marie Louise Moreau, sociolinguistique : concepts de base, Mardaga, Belgique, 1997, p.120.
Chapitre 02 le plurilinguisme en Algérie
35
Le bilinguisme est un phénomène mondial. Dans tous les pays, on trouve des personnes qui utilisent deux ou plusieurs langues à divers fins et divers contextes. Dans certains pays, pour être considérée comme instruite, une personne doit posséder plus de deux langues
5.
Cependant, la majorité des linguistes ne sont pas d’accord sur une définition précise de ce concept, pour certains linguistes, il ya bilinguisme dans le cas d’une maitrise parfaite des deux langues en question, comme le souligne TODROV : « le bilinguisme c’est écrire, parler et penser
6. »
Pour d’autres linguistes, le bilinguisme commence dès qu’il ya utilisation effective de deux langues dans la vie quotidienne, quelle que soit l’aisance avec laquelle l’individu manipule chacune d’elle.
F.GROSJEAN écrit à ce propos : « est bilingue la personne qui se sert régulièrement de deux langues dans la vie de tous les jours et non qui possède une maîtrise semblable (et parfaite) des 2 langues
7. »
Selon le degré de la maitrise des deux langues, le bilinguisme subdivise donc en plusieurs types :
-bilinguisme composé lorsque les deux langues sont utilisées de manière égale.
5 ibid. p.61.
6 TODROV, du bilinguisme,DENEOL, 1985, p.55.
7 GROSJEAN, Life with two languages : An Introduction to Bilinguism, Cambridge, London Harvard University Press, 1982, p.02.
Chapitre 02 le plurilinguisme en Algérie
-bilinguisme asymétrique lorsque les deux langues sont utilisées de manière inégale.
-bilinguisme soustractif lorsque la deuxième langue est valorisée au dépend de la première.
-bilinguisme mixte lorsqu’il ya un mélange des deux codes linguistiques.
-Plurilinguisme :
Selon le Grand dictionnaire Linguistique et Sciences du langage, un sujet parlant est plurilingue quand il utilise à l’intérieur d’une même communauté plusieurs langues, selon le type de communication (dans sa famille, dans ses relations sociales, dans ses relations avec l’administration, etc.). On dit d’une communauté qu’elle est plurilingue lorsque plusieurs langues sont utilisées dans divers types de communication.
Il s’agit d’un phénomène linguistique qui est caractérisé par la présence de plusieurs langues pratiquées par un individu on une communauté dans une situation communicationnelle. TABOURET KILLER définit ce concept comme suit :
Par plurilinguisme ou bilinguisme, il faut entendre le
fait général de toutes les situations qui entrainent un
usage, généralement parlé et dans certains cas écrit, de
deux ou plusieurs langues par un même individu ou
même groupe. Langue est prise ici dans un sens général
et peut correspondre à ce qu’on désigne communément
Chapitre 02 le plurilinguisme en Algérie
37
comme un dialecte ou un patois
8.
J. Calvet propose ainsi une typologie du plurilinguisme dans laquelle il dégage 5 types qui sont :
1-Plurilinguisme à langue dominante unique (exemple de la France).
2-Plurilinguisme à langues dominantes minoritaires (exemple des pays du Maghreb).
3-plurilinguisme à langue dominante minoritaire (exemple de l’Afrique noire).
4-Plurilinguisme à langue dominante alternative (exemple des territoires créolophones).
5-Plurilinguisme à langues dominantes régionales (exemple de la Suisse).
2-Les langues existantes en Algérie
La situation linguistique en Algérie se caractérise par la présence de plusieurs langues, à la suite des invasions et des conquêtes qu’a connues le pays à travers l’histoire.
Le berbère, langue utilisée en Algérie depuis l’antiquité, a été en contact d’abord avec l’arabe depuis la conquête de l’Afrique du nord et l’islamisation des berbères (au début du 8eme siècle) par les Arabes, ensuite avec le français qui est le résultat d’un colonialisme durant plus de 130 ans.
8 TABOURET KILLER, Plurilinguisme et interférence, Denoel, 1969, p.309.
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Trois langues sont donc en usage en Algérie : le berbère, l’arabe et le français qui est pratiquée par les deux groupes berbérophone et arabophone.
2-1-Le berbère :
On entend par la « langue berbère » l’ensemble des langues dérivées du « berbère ancien » qui couvre une vaste aire géographique : l’Afrique du nord, depuis le Maroc jusqu’à l’Egypte, en passant par l’Algérie.
Le mot « berbère » a subi plusieurs transformations phoniques à travers l’histoire cependant son origine remonte à l’année 1308, issu du grec ancien « barbaros » qui veut dire « étranger » pour désigner d’autres peuples n’appartenant pas à la civilisation grecque. Equivalent de « Imazighen », le mot aurait le sens d’ « Homme libre ».
Il est à souligner que le nombre de berbérophones est difficile à évaluer surtout en l’absence de recensements linguistiques fiables, néanmoins S.CHAKER nous renseigne sur ce fait, en avançant que :
Sur l’ensemble de la population algérienne, les pourcentages de l’ordre de 25% à 30% de berbérophones, retenus pendant la période coloniale, sont rejetés comme nettement surévalués. En revanche, les 17,8% de berbérophones que donne le recensement algérien de 1966, sont en dessous de la réalité. En tout état de cause, on peut admettre que l’ensemble des berbérophones doit représenter un pourcentage minimum de 20 % de la population algérienne
9.
9 S.CHAKER, Manuel de linguistique berbère, Bouchène, Alger, 1991, p.08.
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Le berbère est constitué par les dialectes berbères qui sont :
-Le chaoui : parlé dans l’Est algérien, à l’Aurès et les régions avoisinantes (Sétif, Batna, Msila, Mila…)
-Le m’zab : pratiqué et employé dans le Nord du Sahara algérien, et plus précisément à Ghardaïa.
-Le targui : utilisé par les nomades du Sahara ou « Touareg »
-Le kabyle : parlé principalement dans la région Kabyle (Tizi-Ouzou, Bejaïa, Bouïra, Boumerdes…) comme le souligne Salem CHAKER :
En Algérie, la principale région berbérophone est la Kabylie d’une superficie relativement limitée mais très densément peuplée.la Kabylie compte à elle seule probablement plus de deux tiers des berbérophones algérien.
10Bien qu’il soit présent dans les pratiques quotidiennes des locuteurs berbérophones, le berbère ne bénéficie pas d’un statut privilégié, comme le confirme T.ZABOOT : « le berbère n’a jamais bénéficie ni de mesures administratives ou politiques, ni de conditions matérielles pouvant favoriser son développement.
11» Raison pour laquelle, les berbérophones ont également demandé que le berbère sera élevé au statut de langue nationale et officielle au même rang que l’arabe.
Grâce à cette conscience, le berbère est devenu langue nationale en 2002 et il est intégré par la suite en système éducatif et introduit même à la télévision. En 2016, à la suite d’une révision constitutionnelle, cette langue est devenue officielle à côté de l’arabe.
10 SALEM CHAKER, Imazighen ass-a, Bouchène, Algérie, p.01.
11 T.ZABOOT, un code switching algérien : le parler de Tizi-Ouzou, thèse de doctorat, université de la Sorbonne, 1989, p.50.
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2-2-L’arabe :
Elle se compose de deux variétés linguistiques, l’une est haute, prestigieuse, celle de la littérature et les situations formelles, dite arabe standard. L’autre est cependant basse, stigmatisée, réservée à l’orale et parlée par la majorité de la population algérienne, dite arabe dialectal.
-L’arabe classique : (standard)
L’arabe standard occupe une place prioritaire en Algérie, elle est utilisée essentiellement dans l’enseignement, les administrations et toutes les institutions de l’Etat. Ce qui confirme T.ZABOOT : « son espace d’utilisation s’élargit sans cesse et s’ouvre sur de multiples domaines, tels l’informatique, l’enseignement des matières scientifiques, univers autrefois réservé exclusivement à la langue française
12. »
Certes cette langue n’est pas utilisée couramment par la population dans la vie de tous les jours, il s’agit d’une langue absolument incompréhensible pour un public arabophone illettré. A ce propos, G.GRANDUILLAUME dit :
(…) sans référence culturelle propre, cette langue est aussi sans communauté. Elle n’est la langue parlée de personne dans la réalité de la vie quotidienne (…) Derrière cette langue « nationale », il n’ya pas de « communauté nationale »
13.
12 Ibid, p75.
13 G.GRANDGUILLAUME, Arabisation et politique linguistique au Maghreb, Maisonneuve et Larose, Paris, 1983, p.11.
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« C’est cette variété choisie par ALLAH pour s’adresser à ses fidèles.
14» ainsi, « cette langue étant perçue et considérée comme composante essentielle de l’identité du peuple algérien est en quelque sorte le ciment de l’unité nationale.
15» Pour ces raisons politiques et idéologiques qui considèrent l’arabe standard comme étant la seule langue nationale, porteuse d’une culture religieuse, qui peut unir le peuple algérien, la constitution de 1989 stipule que : « l’arabe est la langue officielle et nationale.
16»
Par sa fonction d’identité nationale et comme véhiculaire de la religion islamique, l’arabe standard jouit donc d’un prestige permettant de garder un statut privilégié à travers l’histoire.
-L’arabe dialectal :
L’arabe dialectal, appelé aussi algérien, populaire ou même darija, est la langue maternelle d’une grande majorité des algériens qui l’utilisent souvent dans les situations informelles : « l’arabe dialectal est la langue maternelle de 72% de la population algérienne.
17»
14 K.TALEB IBRAHIMI, les Algériens et leur(s) langue(s),El hikma, Alger, 1995, p.05.
15 T.ZABOOT, un code switching algérien : le parler de Tizi-Ouzou,thèse de doctorat, université de la Sorbonne, 1989, p.80.
16 Article 3 de la constitution, 1989.
17 J.LECLERC, Algérie dans «l’aménagement linguistique dans le monde », Québec, TLFQ, université Loval, 24 février 2007.
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Ainsi, cette langue est le véhicule d’une culture populaire riche et variée. En effet, plusieurs productions artistiques et littéraires se sont réalisées en arabe dialectal (film, pièces théâtrales, poésie…) mais il ne faut pas oublier le fait qu’elle est qu’une langue orale, ni codifiée, ni standardisée, exclue de toutes les institutions gouvernementales :
« malgré l’importance numérique de ses locuteurs, et son utilisation dans les différentes formes d’expression culturelle (le théâtre et la chanson), l’arabe dialectal n’a subi aucun processus de codification ni de normalisation.
18»
L’arabe algérien est en perpétuelle évolution avec l’intégration de nouveaux mots étrangers notamment français, résultat d’une longue période de colonialisme. D’ailleurs, on trouve tout un tas de mots français intégrés dans l’arabe algérien tels que foulera (foulard), birou (bureau), karti (quartier)…De plus, le colonialisme n’est pas la seule raison de ces emprunts, en effet, il y en a d’autres : les échanges commerciaux internationaux, les médias, l’ouverture sur le monde, les relations familiales des émigrés avec leur pays d’origine…
Dans sa forme actuelle, cette langue est le résultat d’une série de relations et rapports, à travers l’histoire, avec les autres langues berbère, turque, espagnole et française c’est pourquoi on trouve souvent des mots qui ne sont pas d’origine arabe : twiza, sniwa, cousina…selon Mohamed Fellag, un célèbre humoriste et comédien algérien, l’arabe dialectal
18 R.CHIBANE, Etude des attitudes et de la motivation des lycéens de la ville de Tizi-Ouzou à l’égard de la langue française : cas des élèves du lycée Lala Fatma N’soumer, mémoire de magistère, université de Tizi-Ouzou, 2002, p.20.
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est une langue trilingue, un mélange de français, d’arabe et de berbère.
2-3-Le français :
Avant 1830, les algériens ont donné une place préférable à la langue arabe qui l’apprennent dans les Zaouïas et les medersas. Cependant, ce statut ne demeurait pas avec l’arrivée des français en 1830 et ces endroits d’enseignement se sont transformés en écoles de langue française, dans le but de remplacer totalement la langue arabe par cette langue étrangère au peuple algérien. Durant cette période coloniale, il existe que la langue française qui jouit d’un prestige et bénéficie d’un statut officiel reconnu par l’Etat colonial. A ce propos, G.GRANDGUILLAUME dit :
La langue française a été introduite par la colonisation, si elle fut la langue des colons, des algériens acculturés, de la minorité scolarisée, elle s’imposa surtout comme langue officielle, langue de l’administration et de la gestion du pays, dans la perspective d’une Algérie française.
19Après l’indépendance, le français a pris, à la suite de la politique d’arabisation, le statut de langue étrangère, ce qui signifie que son champ d’utilisation réduit à l’égard de l’arabe standard qui est utilisé dans les institutions de l’Etat.
La langue française a connu un changement d’ordre statutaire et de ce fait, elle a quelque peu perdu du terrain dans certains des secteurs où elle était employée
19 G.GRANDGUILLAUME, Langues et représentations identitaires en Algérie, (http : //
grandguillaume. free. fr/ar_ar/langrep. htme).
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seule, à l’exclusion des autres langues présentes dans le pays, y compris la langue arabe, dans sa variété codifiée
20.
Cependant, cette langue bénéficie d’un statut particulier. En effet, elle est enseignée, en tant que langue étrangère, dès la 3eme année primaire. Ainsi, elle occupe une place privilégiée dans différents domaines : c’est la langue d’enseignement des matières scientifiques et techniques (médecine, architecture, biologie…) de plus, elle est intégrée et utilisée dans les médias : radios (Alger chaîne trois), télévision (Canal Algérie) et la presse écrite (El Watan, Liberté, Le Soir…) et surtout dans la littérature algérienne d’expression française où on assiste un nombre considérable des écrits littéraires comme ceux de Yasmina Khadra, Assia Djebbar, Kateb Yacine… « Même si le français était au début la langue du colonisateur. A l’heure Actuelle, il est perçu autrement, puisque poètes et romanciers l’utilisent Pour exprimer leur enracinement et leurs aspirations.
21 »Le français garde donc une place non négligeable dans la société algérienne, même s’il est l’héritage d’une longue période de la colonisation, il reste une langue d’enseignement, de communication entre individus et de transmission d’une culture.
20 T.ZABOOT, un code switching algérien : le parler de Tizi-Ouzou, thèse de doctorat, université de la Sorbonne, 1989, p.91.
21 T.BENJELLOUN, la langue de feu pour la littérature maghrébine, in Géo n° 138, Paris, Août 1990, p.89-90.
Chapitre 02 le plurilinguisme en Algérie
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A côté du français, il existe d’autres langues présentes dans le champ linguistique algérien telles que l’anglais, l’allemand, l’espagnol qui sont enseignées comme des langues étrangères secondes.
Pour des raisons multiples donc (invasions, conquêtes, colonialisme…), le pays rencontre plusieurs langues qui se trouvent en usage perpétuel par toute la population algérienne, jouissant d’une fonction complémentaire entre d’un côté, l’arabe dialectal et le berbère, comme langues maternelles, mélangés avec le français, et l’arabe standard ainsi que la langue française d’un autre côté, employés notamment dans les situations formelles et pratiqués dans les différentes institutions algériennes.
Dans le cadre de la politique d’arabisation, qui donne une place prestigieuse à l’arabe standard, l’algérien continue d’utiliser le français, le berbère et l’arabe algérien. Ce qui doive à l’Etat le comprendre, au lieu de négliger l’importance de ces codes et mettre l’accent sur un seul, il faut encourager l’utilisation de ces derniers à fin de vivre dans un pays harmonieux linguistiquement.
C’est au cours du chapitre suivant que nous avons effectué un travail
du terrain qui vise à nous pouvoir répondre à nos interrogations
concernant la question linguistique en Algérie et plus précisément dans
les entreprises algériennes.
Chapitre 03 l’enquête effectuée à la Sonelgaz et les résultats obtenus
Introduction
L’un des plus importants domaines appartenant aux sciences du langage est celui de la sociolinguistique, qui s’intéresse essentiellement à l’étude de la langue au sein de la société. Autrement dit, il a pour rôle l’explication et l’interprétation objectives des phénomènes linguistiques dans un endroit précis et un moment donné en suivant toute une démarche méthodologique qui tient compte le choix d’un échantillon bien précis pour faciliter l’analyse en faisant ainsi appel aux outils d’investigation ( questionnaire, entretien…) pour effectuer l’enquête dans le but d’aboutir aux résultats objectifs et rigoureux.
La sociolinguistique étudie ces rapports en collectant les données à analyser auprès d’un échantillon représentatif de la communauté linguistique, en utilisant les instruments qui assurent l’objectivité et la fiabilité de la recherche
1.
Afin de vérifier donc la véracité de nos hypothèses avancées auparavant, il est nécessaire de se déplacer au terrain de recherche qui est l’entreprise de la Sonelgaz (notre cas), pour pouvoir questionner et interroger les employés de près, à l’aide d’un questionnaire, sur l’ensemble des langues parlées dedans, le statut de chacune d’elle et la politique linguistique suivie par l’entreprise pour gérer l’emploi de ces langues.
Au cours de ce chapitre alors, nous sommes amenées à commenter et interpréter les réponses des employés, mais avant cela, il faudra parler
1 J-L.CALVET et P.DUMOND, Enquête sociolinguistique,l’Harmattan, Paris, 1999, p.15.
Chapitre 03 l’enquête effectuée à la Sonelgaz et les résultats obtenus
49
précisément de notre terrain de recherche (Sonelgaz), l’échantillon (les employés) ainsi que l’outil théorique utilisé durant l’enquête (le questionnaire) dans le but, comme on a annoncé au début, de savoir qu’elles sont les langues utilisées par les employés au sein de l’entreprise et de comprendre aussi comment cette entreprise gère-t-elle ces langues.
1-Présentation du terrain de recherche
Avant de présenter notre terrain de recherche, il sera utile d’expliquer à quoi renvoie-t-il ce concept socioéconomique « d’entreprise » et le donner une définition précise.
Pour le sens commun, une entreprise est une organisation définie par son activité qui est la production de biens ou de services destinés à un ensemble de clients ou usagers, tout en réalisant un bénéfice. « Est entreprise toute activité qui a pour but de produire des biens et des services destinés à être vendus sur des marchés en vue de générer des profits
2. »
D’un point de vue économique, ce concept est présenté comme une organisation caractérisée par sa hiérarchisation et son fonctionnement, reposant sur la mise en œuvre des moyens humains et matériels de production ou de distribution.
Dans les textes de loi, on trouve de façon récurrente la notion d’entreprise dans le Code du travail, au sein duquel le terme doit être interprété comme un ensemble de travailleurs exerçant une activité
2 Définition et fonctions économiques de l’entreprise. (Bts.banque.nursit.com.Definition-et- fonctions.nb1.).