HAL Id: tel-00788676
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00788676
Submitted on 15 Feb 2013
HAL is a multi-disciplinary open access
archive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.
L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés.
”Montrer au linguiste ce qu’il fait”. Une analyse
épistémologique du structuralisme européen (Hjelmslev,
Jakobson, Martinet, Benveniste) dans sa filiation
saussurienne
Anne-Gaëlle Toutain
To cite this version:
Anne-Gaëlle Toutain. ”Montrer au linguiste ce qu’il fait”. Une analyse épistémologique du structural-isme européen (Hjelmslev, Jakobson, Martinet, Benveniste) dans sa filiation saussurienne. Linguis-tique. Université Paris-Sorbonne - Paris IV, 2012. Français. �tel-00788676�
UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE
ÉCOLE DOCTORALE V « Concepts et langages »
Équipe d’accueil « Sens Texte Informatique Histoire » (EA 4509)
T H È S E
pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE
Discipline / Spécialité : Linguistique
Présentée et soutenue par :
Anne-Gaëlle TOUTAIN
le 24 novembre 2012
« M
ONTRER AU LINGUISTE CE QU
’
IL FAIT
»
Une analyse épistémologique du structuralisme
européen (Hjelmslev, Jakobson, Martinet,
Benveniste) dans sa filiation saussurienne
Thèse effectuée en codirection avec l’université de Paris III-Sorbonne nouvelle
Laboratoire « Histoire des théories linguistiques » (UMR 7597)
Sous la direction de :
M. Georges MOLINIÉ
Professeur des universités, Paris IV-Sorbonne
M. Christian PUECH
Professeur des universités, Paris III-Sorbonne nouvelle
JURY :
M. Michel ARRIVÉ
Professeur émérite, Paris Ouest-Nanterre-La Défense
M
meJoëlle GARDES-TAMINE Professeur des universités, Paris IV-Sorbonne
R
ÉSUMÉ
Cette thèse consiste en une analyse épistémologique comparée et très détaillée de
l’ensemble du corpus saussurien publié ainsi que d’une portion très significative des œuvres
de Hjelmslev, Jakobson, Martinet et Benveniste. Il s’agit de montrer qu’en dépit d’une
filiation revendiquée le structuralisme européen n’est pas saussurien, et par là de faire
apparaître, par contrecoup, la spécificité de la problématique saussurienne, ainsi que ses
enjeux pour la linguistique et plus largement pour les sciences de l’humain. La problématique
saussurienne avait permis, pour la première fois dans l’histoire de la linguistique, une
appréhension théorique de la langue. La problématique structuraliste est en revanche
entièrement empirique, de sorte que sa scientificité relève en réalité d’une idéologie
scientifique, au sens de Georges Canguilhem. Le point nodal de cette radicale différence de
problématique est l’absence de théorisation structuraliste du rapport son/sens, et
corrélativement la mécompréhension du concept saussurien de système. Celui-ci devient alors
structure, c’est-à-dire, comme nous tentons de le faire apparaître, appréhension structurale
d’un objet dont la définition commune et évidente (celle de la langue comme instrument de
communication) n’est pas remise en cause. A la problématique étiologique saussurienne,
constitutive du concept de langue, répond ainsi une problématique analytique qui conduit
quant à elle à la construction d’un objet (forme ou structure) en lieu et place d’un concept.
Plus précisément, la problématique structuraliste est idiomologique. Elle manque ainsi la
distinction entre langue et idiome dont nous tentons dès lors de démontrer la nécessité et le
caractère constitutif de la théorisation de la langue et, au-delà, du langage, notamment dans le
cadre d’une articulation entre linguistique et psychanalyse.
Mots-clés : idiome, langue, langage, épistémologie, structure, problématique, psychose.
A
BSTRACT
This thesis consists in a compared and thorough epistemological analysis of the whole of
Saussure’s published work and of a significant part of Hjelmslev’s, Jakobson’s, Martinet’s
and Benveniste’s. Its aim is to show that although it has acknowledged Saussure as an
influence, European structuralism is not Saussurean. In doing so, it aims at bringing out the
specificity of Saussure’s problematics and its stakes for linguistics and more widely for the
sciences of the human being. Saussure’s problematics had made a theoretical apprehension of
language (la langue) possible for the first time in the history of linguistics. On the other hand,
the problematics of structuralism is entirely empirical, so that its scientificity is in fact a
product of a scientific ideology (idéologie scientifique), in Georges Canguilhem’s sense of the
word. The very core of this radical divergence in the problematics lies in the lack of
structuralist theorization of the sound/meaning relation, and correlatively, the
misunderstanding of Saussure’s concept of system. This system then becomes a structure, that
is to say, as we try to show, the structural apprehension of an object whose commonly held
and evident definition (language as an instrument of communication) is not questioned. Thus,
Saussure’s etiological problematics, which is constitutive of the concept of language (langue),
is echoed by an analytical problematics, which itself leads to the construction of an object
(form or structure), instead of a concept. More precisely, the structuralist problematics is
idiomological. Thus, it misses the difference there is between language (langue) and idiom, a
distinction we thus try to demonstrate as necessary as well as constitutive for the theorization
of language in the narrow sense of the word (la langue), and beyond it, of language in its
larger sense (le langage), particularly in the context of an articulation between linguistics and
psychoanalysis.
iii
R
EMERCIEMENTS
Tout d’abord, cette thèse n’aurait pu être imprimée sans les dons généreux d’Amandine de la BERNARDIE, Hélène et Thomas BRANDILY, Marie-Pierre CHAUFRAY, Véronique et Jean-Pierre FLEAU, Laure et Mostafa HAMIDI, Muriel INIAL, Alain LEROUX, Gwenaële LEROUX, Janine LEROUX, Patrick LEROUX et Laurence GOURDAULT-MONTAGNE, Yolande LIÉTARD, Nathalie et Philippe MAYEUX, Anaïs MEUNIER, Jean-François PARISOT et Martine FAUCONNIER, Jacques et Claire PICARD, Marie-Louise PICARD, Yves et Annie PICARD, Janine PRADEAU, Nicolas PUCELLE, Judith SRIBNAI, Emmanuelle TOUTAIN et Ismael GARCIA, Jacqueline et Michel TOUTAIN, Marie-Noëlle TOUTAIN et Pierre JULLIEN, Marie-Pierre et Jean-Michel TOUTAIN, Roseline TOUTAIN et Yann-Éric TOUTAIN. Qu’ils en soient tous vivement et très affectueusement remerciés. Je ne peux que leur redire ici à quel point leur générosité et leur soutien enthousiaste m’ont touchée et honorée.
Je remercie également Danièle et Bernard PACAUD qui, après avoir reçu à L’Ambroisie M. Jacques de Saussure, arrière-petit-fils de Ferdinand de Saussure, ont tenu à soutenir mon travail en souscrivant pour un exemplaire de cette thèse, ce dont j’ai été très honorée.
Par ailleurs, je tiens à remercier, à des titres divers : Driss ABLALI, Inna AGEEVA, Daphne AGTEN, René AMACKER, Sylvie ARCHAIMBAULT, Michel ARRIVÉ, Jean-Louis AUDUC, Sylvain AUROUX, Jacqueline AUTHIER-REVUZ, Sémir BADIR, Françoise BERLAN, Gérard BERTHOMIEU, Valentina BISCONTI, Antonino BONDI, Hélène BRANDILY, Ecaterina BULEA, Adam BÜLOW-JACOBSEN, Olga CHAUFRAY, Jean-Claude COQUET, Rossana DE ANGELIS, Mauricio D’ESCRAGNOLLES, Yoshimitsu EGUCHI, †Eli FISCHER-JØRGENSEN, Joëlle GARDES-TAMINE, Odile GERMÈS, Matthieu GUYOT DE
SAINT MICHEL, Mostafa HAMIDI, Kirill ILINSKI, Maud JULLIEN, Pierre Johan LAFFITTE, Chloé LAPLANTINE, Elisabeth LAZCANO, Marie-Anne LEDUBY, Alain LEMARÉCHAL, Rudolf MAHRER, Jeanne MARTINET, Mohammad DjafarMOÏNFAR, Herman PARRET, Yves PICARD, Nicolas PUCELLE, Irène ROSIER-CATACH,Barbara ROTH et le personnel de la Bibliothèque de Genève,en particulier de son service de reprographie, Didier SAMAIN, Patrick SÉRIOT, Olivier SOUTET, Judith SRIBNAI, Pierre-Yves TESTENOIRE,Pierre THIBAUD, Claudine TIERCELIN,Stijn VERLEYEN et Henriette WALTER, ainsi que, plus particulièrement :
à nouveau, Mme le professeur Joëlle GARDES-TAMINE et MM. les professeurs Michel ARRIVÉ et
Patrick SÉRIOT, pour avoir accepté de lire et de critiquer ma thèse, ainsi que de siéger dans son jury ; M. le professeur Georges MOLINIÉ, mon directeur de thèse, pour sa lecture, ses conseils, sa disponibilité, son soutien indéfectible, la confiance qu’il m’a accordée malgré la longueur et la lenteur de mon travail et la totale liberté qu’il m’a laissée dans l’élaboration de ma pensée ;
iv
M. le professeur Christian PUECH, mon co-directeur de thèse, pour avoir accepté de codiriger une thèse déjà commencée, qu’il a nourrie de sa connaissance du structuralisme et de l’histoire de la linguistique saussurienne, pour sa lecture et pour son soutien malgré les divergences de vues qui se sont révélées au fur et à mesure de ce travail ;
Claudine NORMAND, malheureusement décédée, dont la confiance et le soutien me furent précieux aux balbutiements de cette recherche, à laquelle ils ont permis de prendre forme et dont j’aurais tant aimé, dès lors, lui offrir et lui soumettre ce résultat provisoire ;
Estanislao SOFIA, avec qui j’ai pu partager sans réserve références bibliographiques, textes et documents de travail, sans lequel je n’aurais que très difficilement pu travailler sur les manuscrits de Saussure, et que je ne saurai jamais assez remercier pour sa générosité peu commune ;
Alain MANIER, pour les échanges sur la psychanalyse et l’épistémologie historique que j’ai eus avec lui, auxquels ce travail doit beaucoup ;
Marie-Pierre CHAUFRAY, qui a vérifié l’orthographe de tous les termes écrits en caractères grecs ; Célia SCHNEEBELI, Pierre CAUSSAT, Carine BRUY et Stefano CORNO, qui ont gentiment et généreusement accepté de relire et de corriger mes traductions respectivement anglaises, allemandes, danoises et italiennes, Célia SCHNEEBELI ayant par ailleurs également corrigé la version anglaise du résumé ;
Laure HAMIDI, pour sa relecture patiente, intelligente, attentive et précise ;
et Nicolas LEROUX, qui a mis en page ce travail, en a résolu les très nombreux problèmes typographiques et graphiques, en a réalisé les schémas et l’a intégralement revu pour l’impression.
Je remercie enfin Roseline TOUTAIN, ma tante, pour son engagement, sa présence, sa confiance, sa générosité et son soutien depuis le début et tout au long de mes études : sans elle, peut-être, rien n’aurait été possible, et c’est elle aussi qui, la première, m’a donné le désir de me mettre au travail.
C’est à elle que je dédie cette thèse, fruit d’un long travail auquel elle a pris une si grande part.
« M
ONTRER AU LINGUISTE CE QU
’
IL FAIT
».
U
NE ANALYSE ÉPISTÉMOLOGIQUE DU
STRUCTURALISME EUROPÉEN
(H
JELMSLEV
,
J
AKOBSON
,
M
ARTINET
,
B
ENVENISTE
)
« Le commencement de mon article sur l’intonation va paraître. Le 2d article
terminera ce que je veux dire sur l’intonation et contiendra 2° mes remarques sur l’accentuation, ainsi que sur l’intonation lette, qui est (vous l’ai-je dit ?) un effet de l’accentuation – sans rapport avec l’intonation lituanienne !! Mais je suis bien dégoûté de tout cela, et de la difficulté qu’il y a en général à écrire seulement dix lignes ayant le sens commun en matière de faits de langage. Préoccupé surtout depuis longtemps de la classification logique de ces faits, de la classification des points de vue sous lesquels nous les traitons, je vois de plus en plus à la fois l’immensité du travail qu’il faudrait pour montrer au linguiste ce qu’il fait ; en réduisant chaque opération à sa catégorie prévue ; et en même temps l’assez grande vanité de tout ce qu’on peut faire finalement en linguistique.
C’est, en dernière analyse, seulement le côté pittoresque d’une langue, celui qui fait qu’elle diffère de toutes autres comme appartenant à un certain peuple ayant certaines origines, c’est ce côté presque ethnographique, qui conserve pour moi un intérêt : et précisément je n’ai plus le plaisir de pouvoir me livrer à cette étude sans arrière-pensée, et de jouir du fait particulier tenant à un milieu particulier.
Sans cesse l’ineptie absolue de la terminologie courante, la nécessité de la réforme, et de montrer pour cela quelle espèce d’objet est la langue en général, vient gâter mon plaisir historique, quoique je n’aie pas de plus cher vœu que de n’avoir pas à m’occuper de la langue en général.
Cela finira malgré moi par un livre où, sans enthousiasme ni passion, j’expliquerai pourquoi il n’y a pas un seul terme employé en linguistique auquel j’accorde un sens quelconque. Et ce n’est qu’après cela, je l’avoue, que je pourrai reprendre mon travail au point où je l’avais laissé. »
(Lettre de Saussure à Antoine Meillet du 4 janvier 1894 [Saussure, 1964 : p. 95])
5
T
ABLE DES MATIÈRES
V
OLUME
I
Résumés français et anglais
i
Remerciements
iii
Table des matières
5
Avertissement graphique et typographique
13
INTRODUCTION
17
PREMIÈRE
PARTIE – ABSTRACTION
ET
THÉORISATION
DE
LA
LANGUE :
DU
SYSTÈME
À
LA
STRUCTURE
61
I
NTRODUCTION65
C
HAPITRE1 – La problématique phonologique : du concept à l’objet, ou le donné
de la structure
69
I. Jakobson et la lecture continuiste de Saussure
70
A. Lecture des textes saussuriens : de la valeur à la fonction
70
B. Problématique phonologique et intégration de la phonie à la langue
111
C. Problématique saussurienne et théorisation du rapport son/sens
127
II. Martinet et le principe de pertinence
151
A. Problématique phonologique et réalité fonctionnelle
151
1. Intégration de la phonie à la langue
151
2. La linguisticité du son : phonème, fonction et pertinence
157
3. Principe de pertinence et perspective analytique : du classement à la réalité
fonctionnelle
160
4. La langue comme réalité fonctionnelle : entre représentation et révélation
174
5. Réalité fonctionnelle et réalité observable
198
B. Le principe de pertinence comme principe d’épistémologie générale :
l’abstraction martinettienne
215
1. Principe de pertinence et science : la théorisation impossible
215
2. Démarche empirico-déductive et refus du concept
236
C. Principe de pertinence et problématique des rapports son/sens :
la langue comme principe d’analyse
272
1. La langue comme réalité culturelle
272
6
III. Benveniste et Hjelmslev : problématique phonologique et structuralisme
307
A. Benveniste : problématique phonologique et « paradigme » structural
307
B. Hjelmslev : la problématique des rapports forme/substance
317
1. Lecture de Saussure : de la théorisation à la distinction d’objets.
La langue comme existant formel
325
2. Redoublement de la démarche phonologique
399
V
OLUME
II
C
HAPITRE2 – La double problématique des rapports son/sens et des rapports
forme/substance : construction et décomposition du rapport son/sens
455
I. La forme hjelmslevienne
457
A. Élaboration structurale et existant formel
457
1. De la structure à la forme
457
a) Ordre de la grammaire et évidence du système
458
b) Valeur et classement : construction de la notion d’organisation
506
c) Le problème de la structure
599
d) Grammaire et forme
615
e) Syntagmatique et dépendance
653
2. Problématique phonologique et problématique sémantique :
la quadripartition glossématique
672
a) Isomorphisme et problématique sémantique
676
b) Hypothèse structurale et description déductive de la substance
686
c) La question de l’invariant : donné de la structure et lecture formaliste
de Saussure
708
B. Structure et décomposition du rapport son/sens
782
1. Forme et structure : la langue comme réseau de fonctions
782
2. Structure et système : la langue comme système de possibilités de signes
829
3. Du rapport son/sens à la commutation
898
II. Structures jakobsonienne, martinettienne et benvenistienne
986
A. Jakobson et Martinet : de la langue à la communication
986
1. Valeur, fonction et structure
986
a) Jakobson : disjonction des éléments constitutifs du concept saussurien
de valeur
987
b) Martinet : fonctionnalisme et structuralisme
1128
Į- La valeur martinettienne
1128
ȕ- Système et solidarité
1151
7
V
OLUME
III
2. Problématique de l’expression et construction du rapport son/sens
1185
a) Jakobson : construction du rapport son/sens et analyse structurale
1185
Į- « Aliquid stat pro aliquo » : le signe comme principe d’analyse
1185
ȕ- Construction de la structure orientée :
structuration et fonctionnement
1245
i- Hiérarchie paradigmatique et hiérarchie syntagmatique
1245
ii- Le syntagme comme cadre d’analyse :
combinaison et constitution
1249
iii- Simultanéité/successivité
1254
iv- Sélection/combinaison et similarité/contiguïté
1312
Ȗ- Problématique phonologique et problématique sémantique :
autonomie, intégration, analyse structurale et représentation
du fonctionnement de la communication
1439
i- La « recherche du sens » : critère sémantique et analyse
structurale
1439
ii- Analyse structurale des significations : gage des rapports
son/sens et structure du signe
1475
iii- Fonctions et expression : structure orientée et construction
du rapport son/sens
1502
iv- Analyse structurale et fonctionnement
de la communication
1525
v- Inscription du fonctionnement dans la structuration
1568
b) Martinet : construction du rapport son/sens et analyse fonctionnelle
1613
Į- Le signe martinettien : cadre d’analyse et véhicule du sens
1613
i- Critique de l’isomorphisme et définition traditionnelle
du signe
1614
ii- « Signe saussurien » et principe d’analyse
1630
iii- Analyse fonctionnelle et structure orientée
1642
iv- La problématique morphologique : critère du signifiant
et problématique de l’expression
1652
ȕ- Double articulation et fonctionnement de la communication :
construction de la langue comme signifiant
1761
i- Double articulation et type de communication
1761
ii- La langue comme outil au service des locuteurs
1773
iii- Morphologie et outil d’expression : du signifiant
à la structure
1793
iv- Syntaxe et structure : la langue comme outil d’articulation
de l’expérience
1840
v- Synthématique et sémantique : du signe au signifié
8
V
OLUME
IV
Ȗ- Double articulation et sui generis : élaboration
du rapport mot/chose
2105
i- Double articulation et sui generis
2105
ii- Sens, structure et fonctionnement du dire
2141
3. Fonction, structure et problématique des rapports forme/substance
2216
a) Martinet : structure orientée et analyse structurale
2217
b) Jakobson : fonction et principe de structuration
2260
B. Benveniste : de la langue à la signification
2306
1. Valeur, structure et expression
2307
2. La langue comme organisation de l’expression
2482
3. Structure orientée, sémiotique et sémantique
2598
V
OLUME
V
III. Le principe de l’arbitraire du signe
2689
A. Nature du signe linguistique
2689
B. Nécessité et similarité
2732
1. Nécessité de la structure
2733
2. Contiguïté et similarité
2746
C. L’arbitraire des rapports forme/substance
2816
D. Expression et expressivité
2853
E. De l’arbitraire au point de vue sémiologique
2964
IV. Une sémiotique en lieu et place d’une sémiologie
3066
A. La linguistique comme science de la communication des messages verbaux
3066
B. La sémiologie comme organisation structurale de l’univers des signes
3138
C. Une sémiologie structurale
3171
C
HAPITRE3 – La problématique des rapports langue/parole
3203
I. L’extériorité constitutive de la langue
3204
II. Langue, parole et idiome : problématique analytique et extériorité objectale
3271
A. Langue/parole et forme/substance
3271
1. Schéma, usage, langue et texte
3271
2. De la norme au système
3296
B. Forme et énonciation
3354
C. Langue/parole et réalité fonctionnelle
3374
D. Langue/parole et structure : la linguistique des rapports code/message
3420
1. La théorie saussurienne en rétrospection
3420
V
OLUME
VI
C
HAPITRE4 – Science et abstraction, théorie et idéologie, langue et idiome
3537
I. Structuralisme linguistique et sciences humaines
3540
II. L’idéologie scientifique du structuralisme
3557
A. L’invariance jakobsonienne : épistémologie générale et scientificité importée
3562
B. Approche structurale et objet donné
3596
III. L’abstraction en linguistique
3653
A. Forme et abstraction
3653
B. Structure, théorie et objet
3694
C. « Montrer au linguiste ce qu’il fait »
3722
DEUXIÈME
PARTIE – ABSTRACTION
ET
DISTINCTION
LANGUE/IDIOME :
DIFFICULTÉS
DE
LA
STRUCTURE
3735
I
NTRODUCTION3739
C
HAPITRE1 – Synchronie/diachronie : le problème de l’entité
3741
I. Hjelmslev : « dépassement » de la distinction saussurienne et organicisme
3743
A. Synchronie, diachronie et structure
3743
1. Synchronie, diachronie et valeur
3744
2. Synchronie, diachronie et panchronie
3790
B. Une théorie immanente du changement : entité et organicisme
3908
C. Organicisme et formalisme
4064
II. Jakobson : la synchronie comme cadre de la description
4142
A. Synchronie, système et téléologie
4142
1. Synchronie, diachronie et phonologie
4144
2. Téléologie et sujets parlants
4184
3. Entité et affinités
4225
B. La synchronie dynamique
4280
1. Synchronie et statisme
4288
2. Déterminisme morphique et déterminisme temporel
4335
3. Temps et espace : le changement comme diffusion
4366
V
OLUME
VII
III. Martinet : dissolution de l’extériorité objectale
4405
A. Synchronie, diachronie et fonctionnement
4406
1. Une distinction méthodologique
4407
3. Fonctionnement et interférence
4586
B. Fonctionnement et objectalité
4651
1. Fonctionnement et évolution
4652
a) Dynamisme et explication
4652
b) Une théorie fonctionnelle du changement : cause et réaction
4668
c) Fonction et structure
4704
d) Structure et structuration
4729
2. Entité et formalisation
4767
3. Dynamisme et hypothèse structurale
4836
IV. Benveniste : l’entité en lieu et place de toute théorie
4943
V. Synchronie, diachronie et évolution
5009
A. Synchronie, diachronie, morphologie et phonétique
5009
B. Synchronie, diachronie, langue et parole
5046
C
HAPITRE2 – Le problème du constructeur
5137
I. Hjelmslev : grammaire générale et analyse
5138
A. Grammaire générale et sui generis
5138
B. La théorie du langage
5179
1. Grammaire générale et déduction
5179
2. Grammaire générale et théorie
5189
3. Grammaire générale et typologie
5228
4. Théorie et objet, langage et langues
5248
II. Jakobson : l’invariant dans la variation
5262
A. Langage enfantin et aphasie
5262
B. Langage et structure
5318
III. Benveniste : des langues au langage
5362
IV. Martinet : langage et signifiant
5367
V
OLUME
VIII
TROISIÈME
PARTIE – LANGUE
ET
LANGAGE
5381
I
NTRODUCTION5385
C
HAPITRE1 – L’homme et le langage : enjeux de la sémiotique
5387
I. Martinet : le langage comme type de communication
5388
II. Hjelmslev : le langage comme ordonnance
5433
III. Jakobson : le langage comme objet total et continu
5499
11
1. Totalisation et ordonnance
5499
2. Interdisciplinarité et hypothèse structurale
5529
3. L’hétérogénéité du langage : un objet sans espace
5554
B. Construction d’un instrument : structure et genèse
5636
C. Entité et « étiologie »
5688
IV. Benveniste : l’« étiologie » par l’objet
5745
A. Langage et symbolisation
5754
B. Langage et énonciation
5786
C
HAPITRE2 – L’espace du langage
5835
I. Linguistique, phonologie, psychologie
5836
A. Linguistique, idiomologie et neurolangue
5836
B. Psychologie et sémiologie
5856
II. Langue, langage et locuteur
5865
A. Linguistique et psychanalyse
5865
B. Saussure et Manier : de la langue au locuteur ou d’une articulation inédite
entre linguistique et psychanalyse
5931
1. Le double comme « essence de la structure psychotique »
5934
2. De la langue au langage et au locuteur
5939
CONCLUSION
5951
Bibliographie
5955
I. Textes de Saussure
5957
A. Manuscrits (BPU Genève)
5957
B. Textes publiés
5957
II. Corpus d’analyse
5961
III. Autres textes de Hjelmslev, Jakobson, Martinet et Benveniste
5969
IV. Ouvrages et articles d’épistémologie et d’histoire des sciences
5972
V. Ouvrages et articles d’épistémologie et d’histoire de la linguistique
5975
VI. Autres ouvrages et articles témoignant d’une réflexion sur la linguistique,
son objet et ses entours
5982
VII. Ouvrages et articles de linguistique extérieurs à notre corpus
5982
VIII. Ouvrages et articles relatifs à des linguistes ou à des linguistiques
extérieurs à notre corpus, ainsi qu’à des épisodes ou questionnements
précis de l’histoire de la linguistique
5996
IX. Théories anciennes ou philosophiques du langage, ouvrages et articles
relatifs à ces théories
6001
X. Ouvrages et articles de sémiotique, de sémiologie ou d’analyse du discours
12
XI. Bibliographies
6007
XII. Histoires de la linguistique ou de la sémiotique, dictionnaires et manuels
6008
XIII. Ouvrages et articles relatifs au structuralisme ou à des notions
structuralistes
6010
XIV. Ouvrages et articles de phonologie ou relatifs à la phonologie
6013
XV. Ouvrages et articles relatifs à Hjelmslev ou à la glossématique
6014
XVI. Ouvrages et articles relatifs à Jakobson ou au Cercle de Prague
6018
XVII. Ouvrages et articles relatifs à Martinet ou au fonctionnalisme
6023
XVIII. Ouvrages et articles relatifs à Benveniste
6024
XIX. Ouvrages et articles s’attachant à la comparaison des œuvres
de Hjelmslev, Jakobson, Martinet et Benveniste
6027
XX. Ouvrages et articles relatifs à Saussure
6028
XXI. Ouvrages et articles de psychanalyse ou relatifs à l’articulation entre
linguistique et psychanalyse
6044
XXII. Ouvrages et articles de psychologie ou relatifs à l’articulation entre
linguistique et psychologie
6050
XXIII. Ouvrages et articles relatifs à l’aphasie, au langage enfantin, au
langage animal, à l’origine du langage et à la neurolinguistique
6051
XXIV. Autres références
6055
Table des textes du corpus
6059
Table des abréviations
6077
Annexe I : Bibliographies chronologiques des textes du corpus
6093
IA : Hjelmslev
6097
IB : Jakobson
6099
IC : Martinet
6111
ID : Benveniste
6123
Annexe II : Figures
6129
_______________
Le CD-Rom en annexe, qui contient un PDF actif de l’ensemble de la thèse ainsi que de
chacun des volumes, remplace ce nous semble avantageusement les indices rerum et
nominum. Il nous a en effet semblé que ces derniers n’auraient pas rendu cette thèse plus
aisément consultable, tandis que le format électronique, avec les fonctions de recherche qui
lui sont liées, permettra à ceux qui le souhaitent une consultation ciblée de celle-ci.
13
A
VERTISSEMENT GRAPHIQUE ET TYPOGRAPHIQUE
I. Conventions typographiques
Dans les citations des textes des Écrits de linguistique générale
1, nous avons adopté les
conventions suivantes :
– les mots entre crochets sont ajoutés par nous ou par les éditeurs des Écrits de
linguistique générale ;
– les italiques indiquent un soulignement ;
– le gras indique un double soulignement ;
– [mot(s) ill.] signale un mot ou des mots illisible(s) ;
– [?] signale que le mot précédent est de lecture conjecturale ;
– les mots ou groupes de mots en italiques et entre parenthèses en italiques – par
exemple : (signe) – indiquent des mots qu’il faut supprimer pour la lecture mais que Saussure
a omis de biffer ;
– les lignes laissées blanches indiquent soit un changement de page, soit un espacement
conséquent dans le manuscrit, sauf en ce qui concerne les notes item, que nous avons espacées
conventionnellement ;
– enfin nous n’avons pas reproduit les mots biffés, sauf lorsque cela nous a paru
absolument nécessaire ; ils sont alors biffés dans notre citation.
Dans toutes les autres citations – en particulier dans celles des textes de Saussure –, nous
suivons les conventions typographiques des ouvrages cités, et respectons leurs choix
typographiques, sauf pour les interlettrages, que nous avons systématiquement remplacés par
des italiques (ex. : « un s
i
g
n
e représente » devient « un signe représente »).
II. Reproduction des schémas
Pour des raisons techniques, certains schémas n’ont pu être reproduits dans le corps du
texte. Nous les avons reproduits en annexe (dans l’annexe II), où ils sont désignés par un
numéro qui nous permet d’y renvoyer dans le corps du texte.
Concernant les Écrits de linguistique générale, nous avons pu constater que, sans que cela
ne soit indiqué nulle part, certains schémas ou dessins manuscrits qui y sont reproduits ne sont
pas de la main de Saussure, mais ont été recopiés, parfois avec certaines erreurs ou
modifications. Lorsque nous n’y avons pas substitué des reproductions informatiques, nous y
avons donc substitué les schémas des manuscrits de Saussure.
14
III. Modifications typographiques
Pour des raisons techniques, nous avons également dû renoncer à reproduire
scrupuleusement tous les caractères spéciaux ou symboles de nos textes. Nous avons introduit
les modifications suivantes :
* dans le deuxième chapitre de la première partie :
– p. 550 : dans la citation de Saussure & Constantin (2005) : p. 231, men et sheep sont
entourés par des ovales que nous n’avons pu reproduire et que nous avons remplacés
par un tramé (men, sheep) ;
– p. 1022 : dans la citation de J.Ob. : p. 127-128, le carré consonantique « k, c, p, t » a
dû être remplacé par un parallélogramme ;
– p. 1100, note 1149 : dans la citation de Saussure (1972) : p. 83, a p dans apa et r p une
ligne plus bas sont surmontés de > (a et r) et de < (p), signes que nous n’avons pu
reproduire, et que nous avons dû remplacer par : a͗p͑a, r͗p͑ ;
– p. 2052 : dans la citation de Saussure & Constantin (2005) : p. 266-267, io et -ne
devraient être isolés par des courbes arrondies, arrondis auxquels nous avons dû
substituer des angles droits ;
– p. 2489, note 2913 : dans les citations de B.Pas. : p. 179 et B.Pas. : p. 180, le
soulignement dans pussa signale une liaison arrondie souscrite que nous n’avons pu
reproduire ;
* dans le premier chapitre de la deuxième partie :
– p. 3746 : dans la citation de Saussure (2002a) : p. 29-30, le soulignement, dans vâk-ṣu,
signale de même une liaison arrondie souscrite ;
– p. 4060 et 4094 : dans les citations de H.Syll. : p. 179-180 et H.Syll. : p. 180,
ы dans
с горы devrait porter un accent aigu ;
– p. 4079 et 4079, note 333 : dans la citation de H.Rés. : p. 86, nous n’avons pu
reproduire exactement le symbole de la chaîne actualisée, que nous donnons comme
« -[ ]- », alors qu’il ne devrait pas y avoir d’espace entre les tirets et les crochets ;
– p. 4173 : dans la citation de J.Prin. : p. 215-217, le soulignement dans « r’á : rá > ria :
rá » signale là encore une liaison arrondie souscrite ;
– p. 4245 : dans la citation de J.Rem. : p. 90-92, tous les ъ que nous avons tramés
devraient être surmontés d’un
̌ ;
– p. 4441 : dans la citation de Saussure (1996) : p. 23-24, la croche et la « croche
blanche » (notation qui d’ailleurs, à notre connaissance, ne correspond à rien,
puisqu’une blanche équivaut à quatre croches, de sorte qu’une croche est une
subdivision d’une blanche, et non un signe qui peut être combiné avec le signe de la
blanche) ont été remplacées respectivement par une noire et une blanche ;
– p. 4962, note 1232 : dans la citation de B.GVP : p. 124, le soulignement dans xšassam
marque à nouveau une liaison arrondie souscrite ;
– p. 5106 : dans la citation de Saussure & Constantin (2005) : p. 232-233, comme plus
haut dans le cas de men et sheep, le tramé de ennemi doit être lu comme un ovale ;
15
– p. 5135, note 1339 : dans la citation de Burger (1955) : p. 32-33, le soulignement dans
filus signale une dernière fois une liaison arrondie souscrite ;
* dans le deuxième chapitre de la deuxième partie :
– p. 5265 : dans la citation de J.Ob. : p. 127-128, comme plus haut, le carré « k, c, p, t »
a dû être remplacé par un parallélogramme ;
* dans le premier chapitre de la troisième partie :
– p. 5479 et p. 5479-5480, note 72 : dans la citation de H.Rés. : p. 110-111, le symbole
de la complémentarité a été reproduit par une † qui devrait se trouver dans l’autre
sens (verticalement), et que, comme l’a fait Alain Herreman dans sa traduction, nous
avons doublée pour éviter la confusion avec le symbole de l’autonomie ; par
ailleurs, le symbole de la hiérarchie a été reproduit de manière très approximative
par
◨, alors qu’il s’agit normalement de deux petits carrés blancs dont le deuxième
se superpose au premier au niveau de l’angle supérieur droit (angle qui se trouve
ainsi superposé à l’angle inférieur gauche du deuxième) ;
* dans le deuxième chapitre de la troisième partie :
– p. 5845, note 8 : dans la citation de Saussure (1996) : p. 12-13, «
│A│B│A│» et
«
│A│B│B│A│» sont à lire sur le modèle de «
F E N E S T R A» quelques lignes plus
haut.
Par ailleurs, chaque fois qu’il n’a pas été possible d’insérer des fractions dans le texte,
celles-ci ont été reproduites comme
a/
b,
a/
bétant donc toujours
2à lire comme :
???0-#000
.
2 Sauf à la page 2829 dans la citation de H.PGG : p. 195-197, où nous ne faisons que reproduire le texte de
L’œuvre saussurienne de linguistique générale a eu un destin peu commun : œuvre d’un
comparatiste célèbre qui n’a publié d’autres travaux que des travaux de linguistique historique
et comparée, demeurée à l’état d’essais manuscrits et d’enseignement recueilli par une
poignée d’étudiants, elle fut rédigée et publiée post mortem par d’autres, puis lue et mise en
œuvre par le structuralisme européen, avant d’être dépassée avec celui-ci, sans pour autant
cesser d’être lue, commentée, utilisée, actualisée.
Lorsque nous lûmes pour la première fois le Cours de linguistique générale publié par les
soins de Bally et Sechehaye, puis les manuscrits et notes d’étudiants, nous fûmes frappée par
la dimension paradoxale (au sens premier) de ces textes, fussent-ils parfois confus, rigides,
inachevés ou contradictoires, et eûmes le sentiment d’un discours sans précédent, instituant
une problématique radicalement nouvelle et en rupture avec la connaissance commune. Aussi
nous sommes-nous intéressée aux travaux structuralistes, dans la mesure où ils représentaient
la postérité du Cours de linguistique générale, et qui nous semblaient d’autant plus
intéressants à cet égard qu’ils mettaient en jeu, notamment chez Jakobson et Benveniste, la
problématique du langage.
Or, il nous est rapidement apparu qu’en dépit d’une filiation saussurienne revendiquée et
de ce rôle historique de mise en œuvre de la théorie saussurienne, entériné comme tel, le
structuralisme linguistique européen n’était pas saussurien
; que de Saussure au
structuralisme
1, il n’y avait aucune continuité théorique ; enfin que, de plus, la discontinuité
qu’il fallait donc bien constater faisait figure, non pas de rupture – au sens bachelardien –,
mais d’abandon, autrement dit que la lecture structuraliste de Saussure passait à côté de la
spécificité de la théorie saussurienne de la langue et proposait un tout autre type d’élaboration.
Il nous a alors semblé nécessaire d’entreprendre une analyse épistémologique du
structuralisme européen dans sa filiation saussurienne, afin de montrer qu’il n’y a pas de
continuité de Saussure aux structuralistes. Une telle analyse nous semble en effet susceptible
d’une part d’éclairer d’un nouveau jour la spécificité de la théorie saussurienne de la langue,
d’autre part de faire apparaître, par contre-coup, la nécessité et les enjeux pour la linguistique,
mais aussi plus largement pour les sciences de l’humain en tant qu’elles ont affaire au
langage, de la théorisation saussurienne de la langue.
Notre avons travaillé, pour ce faire, à une analyse comparée de l’œuvre de Saussure d’une
part, de Louis Hjelmslev (1899-1965), Roman Jakobson (1896-1982), Emile Benveniste
(1902-1976) et André Martinet (1908-1999) d’autre part
2. Ce sont ces quatre grandes théories
1 Dans un souci d’éviter les lourdeurs inutiles, nous désignerons le structuralisme (linguistique) européen par le
seul nom « structuralisme ». Sauf indication contraire, donc, « structuralisme » renverra toujours, dans ce travail, au structuralisme linguistique européen – tel, par ailleurs, que nous l’appréhendons.
2 Nous nous sommes efforcée de travailler, pour chacun de ces quatre linguistes, sur un corpus, sinon exhaustif,
ce qui nous a semblé presque impossible, du moins significatif et aussi représentatif que possible. Nous avons adopté les critères de délimitation suivants. De Hjelmslev et de Martinet, nous avons retenu tous les ouvrages publiés, ainsi que tous les textes parus en recueils ou repris dans des ouvrages, dans leur version la plus récente dans le cas où ils ont été modifiés. Nous avons adjoint à cet ensemble cinq textes de Martinet qui nous ont paru incontournables bien qu’ils n’aient pas connu d’autre publication que l’originale : l’article « Saussure (Ferdinand de) » de l’Encyclopædia Universalis, le compte rendu de la publication par Eisuke Komatsu et Roy Harris des notes de Constantin du troisième cours de linguistique générale donné par Saussure à l’université de Genève, l’article « Structural Linguistics » paru dans Anthropology Today, enfin les deux articles « Sémantique et axiologie » et « Se soumettre à l’épreuve des faits », auxquels Martinet fait fréquemment référence. De
structuralistes, en effet, qui nous semblent constituer ce structuralisme européen que nous
venons de caractériser brièvement. Jakobson et Hjelmslev, chefs de file, respectivement, de
l’École de Prague
3et de l’École de Copenhague, sont les deux représentants majeurs de ce
que l’on a appelé la « linguistique des Cercles », et qui constitue, après la réception des
comptes rendus, ce que certains historiens et historiographes du structuralisme
4appellent la
Benveniste, nous avons de même retenu tous les ouvrages publiés ainsi que tous les textes parus en recueils. L’œuvre benvenistienne de linguistique générale étant, ainsi délimitée, relativement restreinte, nous avons adjoint à cet ensemble tous les textes de linguistique générale mentionnés par la bibliographie de Moïnfar, ainsi que les comptes rendus des communications faites par Benveniste à la Société de linguistique de Paris et cinq comptes rendus d’ouvrage. Les Dernières leçons au Collège de France (1968 et 1969) publiées par Jean-Claude Coquet et Irène Fenoglio sont parues trop tard pour que nous puissions les intégrer à notre corpus. Enfin, nous avons retenu de Jakobson tous les textes de linguistique et de phonologie qui ont été repris dans les Selected
Writings. Notre corpus jakobsonien comprend ainsi : les volumes I et VIII des Selected Writings, le volume II, à
l’exception des textes de la section D, quelques textes de la première partie du volume III, les parties 2 et 3 du volume VII, à l’exception des textes des sections D et E de la partie 2, enfin les « Retrospect » des Selected
Writings III et VI. Certains textes russes de ce corpus (au nombre de 11) n’ont fait l’objet d’aucune traduction
dans une langue qui nous soit accessible et nous avons malheureusement dû nous contenter de nous les faire traduire oralement (par Inna Ageeva, que nous remercions ici de son aide). N’ayant pu disposer de traduction écrite, nous n’avons pu, à notre grand regret, les intégrer réellement à notre analyse, ce qui constitue une entorse aux règles que nous nous étions fixées. Néanmoins, cette traduction orale nous a du moins permis de nous assurer que ces textes, du point de vue de la problématique qui est la nôtre et concernant les thèmes que nous privilégions dans notre analyse, ne contiennent rien de réellement différent des autres textes de notre corpus, et nous nous croyons ainsi fondée à affirmer que ce défaut d’exhaustivité (dans les limites que nous nous étions fixées) n’atteint pas la légitimité de nos conclusions. Certains passages remarquables ont d’ailleurs été traduits par Patrick Sériot dans Structure et totalité, et nous avons ainsi pu les intégrer à notre analyse. La liste des textes qui constituent notre corpus d’analyse figure à la fin de ce travail sous la forme de quatre bibliographies chronologiques pour la réalisation desquelles nous avons utilisé les travaux bibliographiques de François Rastier (Hjelmslev), Stephen Rudy et Cornelius Van Schooneveld (Jakobson), Henriette et Gérard Walter (Martinet) et Mohammad Djafar Moïnfar (Benveniste). Nous adopterons, pour les références, la convention suivante : chaque texte sera désigné par une abréviation et chaque abréviation sera précédée de l’initiale du patronyme de l’auteur du texte, soit, respectivement, H. (Hjelmslev), J. (Jakobson), M. (Martinet) et B. (Benveniste). Ces abréviations figurent dans les bibliographies chronologiques. On trouvera par ailleurs une liste alphabétique de celles-ci à la fin de ce travail. A l’exception de trois textes de Hjelmslev, deux textes dont la version originale est restée inédite (« Et sprogvidenskabeligt causeri » et Résumé of a Theory of Language, ce dernier dès lors cité en anglais et traduit en français), et une brochure (« Indlening til sprogvidenskaben ») qui nous est demeurée introuvable, les textes seront cités en français et dans leur langue originale, à moins que la traduction ne soit due à l’auteur lui-même, comme c’est le cas pour certains textes de Martinet, et à moins, par ailleurs – en raison, malheureusement, de notre totale ignorance de ces langues – que la langue originale ne soit le polonais, le tchèque ou le russe, auquel cas nous donnerons, selon le cas, la seule traduction française, ou la version des
Selected Writings, ou encore la traduction anglaise. Nous utiliserons chaque fois qu’elle existe la traduction
française publiée, ne proposant notre propre traduction que lorsque le texte est resté non traduit en français. Néanmoins, nous n’avons eu connaissance de la traduction du Résumé of a Theory of Language d’Alain Herreman (Hjelmslev, 2010) qu’à la toute fin de notre travail, ce pour quoi nous n’y avons recouru qu’en cas de difficulté particulière. Enfin, afin de faciliter l’utilisation des bibliographies chronologiques, nous nous référerons toujours aux textes en utilisant leur titre original – sauf pour Jakobson, où nous avons repris chaque fois le titre des Selected Writings, à moins, encore une fois, que celui-ci ne soit russe, polonais ou tchèque – bien que celui-ci ne soit pas toujours celui de la version sur laquelle nous avons travaillé.
3 Il est bien entendu que si Jakobson peut être qualifié de chef de file du structuralisme praguois, ce n’est
assurément pas seul, mais en association avec cet autre grand représentant de la linguistique praguoise qu’est Nicolas S. Troubetzkoy (1890-1938). Troubetzkoy n’occupera cependant dans notre travail, pour des raisons que nous exposerons ci-dessous, qu’une place tout à fait marginale.
4 Voir Puech (2004a), p. 125-127 et Puech (2005) : p. 95-97. Puech distingue « quatre phases principales
étroitement mêlées dans la réalité » (Puech, 2005 : p. 95) dans la réception du Cours de linguistique générale en France : la première réception, contemporaine de la publication du Cours de linguistique générale en 1916, est celle des comptes rendus, la deuxième réception, qui se développe à partir des années 20, est celle des cercles
« deuxième réception de Saussure ». Martinet est le fondateur d’une « linguistique structurale
et fonctionnelle » doublement héritière de Saussure, dans le cadre d’une filiation directe et par
l’intermédiaire de Prague. Benveniste, enfin, a fait œuvre de structuraliste et de saussurien, et
son œuvre est d’autant plus intéressante pour notre propos qu’elle est communément
considérée comme fondatrice de ladite « linguistique de l’énonciation », qui apparaît à maints
égards comme un « dépassement » du structuralisme saussurien.
Ces quatre linguistes revendiquent tous, chacun à leur manière, une filiation saussurienne,
perçue comme fédératrice du structuralisme européen. C’est sans doute chez Benveniste, qui
ne s’embarrasse pas de rapports de rivalité, que les choses sont posées le plus simplement. Le
premier texte de Benveniste où soient exprimées des idées relatives à l’histoire de la
linguistique est l’«
Aperçu historique
» du chapitre «
Structure générale des faits
linguistiques » de L’Encyclopédie française, publiée en 1937. Saussure y apparaît comme le
fondateur de la linguistique générale
5, et l’une des sources, avec Baudouin de Courtenay, de la
linguistique praguoise
6. Cette vision de l’histoire de la linguistique est lisible dans l’ensemble
des textes de Benveniste. Dans « “Structure” en linguistique » (1962), Saussure apparaît
comme le précurseur de la linguistique structurale. On lit en effet dans ce texte
7:
linguistiques de Prague puis de Copenhague, la troisième réception, celle du « structuralisme généralisé », après la seconde guerre mondiale, lorsque la référence à Saussure s’étend hors du cercle des linguistes, enfin la quatrième réception est celle de la philologie saussurienne, inaugurée par Godel en 1957 avec ses Sources
manuscrites (Godel, 1957), se poursuivant de nos jours notamment avec les travaux de Bouquet, et marquée par
« une dynamique de “retour” à ce qui serait la “vraie pensée” de Saussure, pensée qui affleurerait de façon privilégiée dans ses manuscrits » (Puech, 2005 : p. 97).
5 Le texte ne l’affirme pas directement, mais sa structure en témoigne sans ambiguïté : à trois paragraphes
liminaires intitulés respectivement « La grammaire comparée », « La phonétique expérimentale » et « La géographie linguistique » succèdent deux paragraphes dont le titre contient le nom de Saussure : « La linguistique générale : F. de Saussure » et « Influence des idées de F. de Saussure », puis un sixième intitulé « La langue comme objet d’étude », là où le quatrième paragraphe s’achevait sur la proposition suivante : « C’est donc la langue qu’il [Saussure] a proposée comme son objet propre à la linguistique. » (B.Ap. : 1.32-2). On lit par ailleurs, en ouverture du cinquième paragraphe : « La doctrine de F. de SAUSSURE, résumée dans le Cours de
linguistique générale publié après sa mort, a profondément agi sur le développement des études de linguistique
théorique et a marqué, directement ou non, de son empreinte les recherches qui se poursuivent actuellement en différents pays. » (B.Ap. : p. 1.32-2).
6 On lit en effet : « La pensée de SAUSSURE, combinée avec l’influence de Baudoin de COURTENAY, est aussi à la
source du mouvement original que représente le Cercle linguistique de Prague. Sous l’impulsion de TROUBETZKOY, ce groupement, qui comprend surtout des slavistes, tend à étudier la langue au point de vue synchronique et à mettre au premier plan la notion de “phonologie”, c’est-à-dire les sons considérés sous le rapport de leur fonction dans la langue. Ils posent donc un système phonologique, à l’intérieur duquel s’établissent des oppositions et des corrélations toujours plus précises et complexes, et qui est susceptible de s’étendre à la morphologie, à la syntaxe et à la lexicographie. Dans une recherche ainsi conçue, les rapports des langues prennent un sens nouveau, et l’effort du linguiste dégagera des communautés structurelles plutôt que des relations génétiques. En outre, la place essentielle accordée à la notion de fonction dans la langue conduit à y admettre une certaine finalité. Enfin, de par ses principes, la phonologie vise à formuler des lois valables universellement. D’ores et déjà, ce mouvement s’est donné une terminologie et une méthode propres et poursuit par des voies indépendantes l’élaboration d’une doctrine qui doit embrasser l’ensemble des moyens d’expression. » (B.Ap. : p. 1.32-2).
7 Voir également, dans le compte rendu de « Robert GODEL, Les Sources manuscrites du Cours de linguistique
générale de F. de Saussure » (1960) : « Les problèmes qui ont occupé Saussure restent en grande partie ceux de
la linguistique actuelle, et c’est peut-être à la lumière des recherches les plus récentes qu’on restituera dans sa pleine signification l’œuvre du grand précurseur. » (B.God. : p. 26). On lisait à la page précédente : « M. Godel reprend, sur la base des documents manuscrits, l’examen de certaines des notions fondamentales de la linguistique saussurienne : identité des éléments de la langue, opposition de langue et parole, signe linguistique,
« Le principe de la “structure” comme objet d’étude a été affirmé, un peu avant 1930, par un petit groupe de linguistes qui se proposaient de réagir ainsi contre la conception exclusivement historique de la langue, contre une linguistique qui dissociait la langue en éléments isolés et s’occupait à en suivre les transformations. On s’accorde à considérer que ce mouvement prend sa source dans l’enseignement de Ferdinand de Saussure à Genève, tel qu’il a été recueilli par ses élèves et publié sous le titre de Cours de
linguistique générale. On a appelé Saussure avec raison le précurseur du structuralisme
moderne. Il l’est assurément, au terme près. Il importe de noter, pour une description exacte de ce mouvement d’idées qu’il ne faut pas simplifier, que Saussure n’a jamais employé, en quelque sens que ce soit, le mot “structure”. A ses yeux la notion essentielle est celle de système. La nouveauté de sa doctrine est là, dans cette idée, riche d’implications qu’on mit longtemps à discerner et à développer, que la langue forme un système. C’est comme telle que le Cours la présente, en formulations qu’il faut rappeler : “La langue est un système qui ne connaît que son ordre propre” (p. 43) ; “La langue, système de signes arbitraires” (p. 106) ; “La langue est un système dont toutes les parties peuvent et doivent être considérées dans leur solidarité synchronique” (p. 124). Et surtout, Saussure énonce la primauté du système sur les éléments qui le composent : “C’est une grande illusion de considérer un terme simplement comme l’union d’un certain son avec un certain concept. Le définir ainsi, ce serait l’isoler du système dont il fait partie ; ce serait croire qu’on peut commencer par les termes et construire le système en en faisant la somme, alors qu’au contraire c’est du tout solidaire qu’il faut partir pour obtenir par analyse les éléments qu’il renferme” (p. 157). Cette dernière phrase contient en germe tout l’essentiel de la conception “structurale”. Mais c’est toujours au système que Saussure se réfère.
[…]
Ainsi, la notion de la langue comme système était depuis longtemps admise de ceux qui avaient reçu l’enseignement de Saussure, en grammaire comparée d’abord, puis en linguistique générale. Si on y ajoute ces deux autres principes, également saussuriens, que la langue est forme, non substance, et que les unités de la langue ne peuvent se définir que par leurs relations, on aura indiqué les fondements de la doctrine qui allait, quelques années plus tard, mettre en évidence la structure des systèmes linguistiques. » (B.SEL : p. 92-93)
développement que Benveniste fait suivre d’une présentation de la doctrine praguoise
8,
« première expression » (B.SEL : p. 94) de cette doctrine structuraliste, avant d’évoquer le
structuralisme danois qui vint bientôt s’y adjoindre
9. On lit de même un an plus tard dans
« Saussure après un demi-siècle » :
« Cette doctrine [la doctrine du Cours de linguistique générale] informe en effet, d’une manière ou d’une autre, toute la linguistique théorique de notre temps10. L’action qu’elle
etc. Il s’efforce d’élucider chacun de ces termes dans les divers contextes où ils se trouvent employés ; il discute avec le plus grand soin des interprétations qu’ils ont provoquées, il montre les incertitudes, parfois les contradictions dans lesquelles nous surprenons l’effort génial de Saussure pour définir ce que personne n’avait vu avant lui. » (B.God. : p. 25).
8 Voir B.SEL : p. 94-96.
9 Voir B.SEL : p. 96-97. Benveniste cite les déclarations liminaires de Brøndal et Hjelmslev dans Acta
linguistica, avant de conclure : « Tels ont été les débuts de “structure” et “structural” comme termes
techniques. » (B.SEL : p. 97).
10 Benveniste distinguera cinq ans plus tard, dans « Structuralisme et linguistique » (1968) entre linguistique
théorique et linguistique structurale, toutes deux redevables, bien qu’à des degrés divers, envers les idées saussuriennes : « Quelque chose de tout cela [la linguistique générale de Saussure], quelques-uns des principes fondamentaux devaient déjà, je pense, transpercer dans les leçons que Saussure donnait tout jeune à Paris :
a exercée s’est trouvée accrue par l’effet de convergence entre les idées saussuriennes et celles d’autres théoriciens. Ainsi en Russie, Baudoin de Courtenay et son disciple Kruszewski proposaient alors, de manière indépendante, une nouvelle conception du phonème. Ils distinguaient la fonction linguistique du phonème de sa réalisation articulatoire. Cet enseignement rejoignait en somme, sur une plus petite échelle, la distinction saussurienne entre langue et parole, et assignait au phonème une valeur différentielle. C’était le premier germe de ce qui s’est développé en une discipline nouvelle, la phonologie, théorie des fonctions distinctives des phonèmes, théorie des structures de leurs relations. Quand ils l’ont fondée, N. Troubetzkoy et R. Jakobson ont expressément reconnu en Saussure comme en Baudoin de Courtenay leurs précurseurs.
La tendance structuraliste qui s’affirme dès 1928, et qui devait ensuite être mise au premier plan, prend ainsi ses origines chez Saussure. Bien que celui-ci n’ait jamais employé en un sens doctrinal le terme “structure” (terme qui d’ailleurs, pour avoir servi d’enseigne à des mouvements très différents, a fini par se vider de tout contenu précis), la filiation est certaine de Saussure à tous ceux qui cherchent dans la relation des phonèmes entre eux le modèle de la structure générale des systèmes linguistiques. » (B.Sau. : p. 42).
Le texte s’achève sur ces lignes :
« Aujourd’hui, cinquante ans ont passé depuis la mort de Saussure, deux générations nous séparent de lui, et que voyons-nous ? La linguistique est devenue une science majeure entre celles qui s’occupent de l’homme et de la société, une des plus actives dans la recherche théorique comme dans ses développements techniques. Or cette linguistique
leçons de grammaire comparée, sur le grec, le latin, sur le germanique en particulier, parce qu’il s’est beaucoup occupé des langues germaniques. Et Saussure évidemment dès cette époque subissait cette obsession à laquelle il s’est livré dans le silence pendant des années, cette interrogation sur la valeur de la langue, et sur ce qui distingue la langue de tout autre objet de science. De sorte que les idées de Saussure ont été plus facilement comprises en France, quoiqu’elles aient mis aussi longtemps à s’y imposer qu’ailleurs. Ainsi à travers la grammaire comparée c’était malgré tout cette inspiration de linguistique générale qui a passé dans l’enseignement de Meillet. Depuis ce moment-là, on a vu tout ce paysage se modifier à mesure que peu à peu ces notions saussuriennes prenaient pied ou qu’elles étaient redécouvertes par d’autres, ou que, sous diverses influences, notamment en Amérique, se produisaient certaines convergences. Des hommes comme Bloomfield, ceci est peu connu, ont découvert Saussure de leur côté bien qu’en général on considère la linguistique américaine et spécialement le courant bloomfieldien comme issus d’une réflexion indépendante. Il y a des preuves que Bloomfield connaissait les idées de Saussure et qu’il avait conscience de leur importance.
P. D. – Cela nous amène vers les années 40, Bloomfield ?
E. B. – Il y a un compte rendu de Saussure par Bloomfield qui date de 1924. Toute différente a été la formation de Sapir, linguiste et anthropologue américain.
Néanmoins, Sapir aussi a retrouvé certaines notions essentielles comme la distinction entre les phonèmes et les sons, quelque chose qui correspond à peu près à la distinction saussurienne entre la langue et la parole. Vous le voyez, des courants indépendants ont finalement convergé et ont produit cette éclosion d’une linguistique théorique très exigeante, essayant de se formuler comme science et en progressant toujours dans cette aire scientifique. C’est-à-dire essayant de se donner un corps de définitions, de s’énoncer en structure organique. Cela a produit des orientations très différentes. Il y a eu, d’une part, le structuralisme, qui en est issu directement. » (B.SL : p. 15-16). Nous verrons que l’on trouve chez Hjelmslev et Martinet une distinction analogue, mais dotée d’un autre enjeu. Comme en témoigne la fin du développement, il s’agit chez Benveniste de situer le structuralisme parmi les divers mouvements de linguistique générale, au double plan spatial et temporel : « Pour un linguiste qui est habitué à pratiquer le travail linguistique et qui a eu de bonne heure, c’est mon cas, des préoccupations structuralistes, c’est un spectacle surprenant que la vogue de cette doctrine, mal comprise, découverte tardivement et à un moment où le structuralisme en linguistique est déjà pour certains quelque chose de dépassé. Dans mon ouvrage, j’ai retracé brièvement l’histoire en quelque sorte lexicale de ce terme. En cette année 1968, la notion de structuralisme linguistique a exactement quarante ans. C’est beaucoup pour une doctrine dans une science qui va très vite. Aujourd’hui un effort comme celui de Chomsky est dirigé contre le structuralisme. Sa façon d’aborder les faits linguistiques est exactement inverse. » (B.SL : p. 16).