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La notion de révélation ou de mise au jour de la structure des langues qui est caractéristique de l’appréhension martinettienne de la langue comme réalité fonctionnelle

205 On retrouve ici en outre le rôle fondateur de la phonologie. On lira de même, dans la version de « Linguistique structurale et grammaire comparée » publiée dans La Linguistique synchronique (1965), à propos de la notion de marque élaborée par la phonologie : « La notion de marque a été très tôt transposée sur le plan des unités significatives et notamment sur celui des unités grammaticales. A considérer le système des verbes français, on se convainc bien vite que, dans le couple indicatif ~ subjonctif, c’est l’indicatif qui est non marqué et le subjonctif qui est marqué. On cherche ensuite à appliquer certains critères, celui de la neutralisation, par exemple […]

Ici encore, la fréquence représente un critère subsidiaire qui n’est pas négligeable et qui pourrait être d’un grand secours en l’absence de neutralisation convenable. Le raisonnement fondé sur l’économie du langage qui a été développé ci-dessus pour justifier l’emploi du critère de la fréquence vaut aussi bien dans le cas des unités significatives que dans celui des unités distinctives. Il y a donc, jusqu’ici, parallélisme entre le plan des phonèmes et celui des monèmes.

On se gardera d’oublier, cependant, que le monème, produit de la première articulation du langage, est une unité à deux faces : une face phonique et une face sémantique. » (M.Li.LS : p. 188-189)

apparaît ainsi partiellement dépendante d’un structuralisme premier, et l’on retrouve ici, mais

d’une autre manière, le donné de la structure dont il a été question plus haut. Il apparaît à

nouveau que si, comme nous le verrons plus en détail dans le deuxième chapitre, les

structuralistes, et notamment Martinet, s’attachent à construire la notion de structure à partir

de celle de fonction, la problématique structurale renvoie avant tout à une appréhension

structurale des faits de langage. Il ne saurait du reste en être autrement dans une

problématique qui se fonde sur le donné du son et du sens et où, dès lors, le concept

saussurien de système a perdu toute consistance théorique : à la corrélativité des deux

concepts saussuriens de valeur et de système répond dans la problématique structuraliste une

circularité des rapports entre fonction et structure. C’est donc de cette circularité que

témoigne, en réalité, l’ambivalence de la structure martinettienne, dans la mesure où elle joue

à un double niveau. L’ambivalence entre sélection et description, révélation et

représentation

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est liée à la solidarité, définitoire de la notion de révélation, des deux

dimensions de la sélection et de la représentation : la structure martinettienne ne représente

que dans la mesure où elle est révélée, qu’il s’agisse de description ou de mise au jour. Au

premier niveau, la structure transcende la fonction, qui n’intervient que comme gage de la

réalité et fondement de la structure. Le second niveau implique à l’inverse une absolue

corrélativité des deux notions de fonction et de structure, mais sur la base d’un structuralisme

premier.

Le réalisme de Martinet, cependant, ne s’oppose pas seulement à un formalisme, mais

également, derrière celui-ci, à un irréalisme. On lit ainsi dans A Functional View of

Language :

« La réalité linguistique est en effet bien plus complexe et bien moins homogène que beaucoup de descriptivistes ne seraient tentés de l’admettre. On la rencontre souvent inextricablement mêlée à d’autres aspects de la réalité au sein de laquelle elle finit par se perdre, ce qui explique pourquoi il a fallu si longtemps pour que la linguistique acquière son autonomie. Pour un linguiste qui est avant tout soucieux de ne pas mettre en péril cette autonomie péniblement acquise, la réaction normale devant une situation où les limites entre langage et non-langage semblent être assez confuses est de procéder arbitrairement et d’établir des distinctions bien tranchées, même là où il n’est pas sûr de son fait. Une fois que son domaine est ainsi délimité, le linguiste peut commencer à en soumettre toutes les parties à un seul et même traitement.

Cependant il aura peut-être, ce faisant, la pénible impression qu’il déforme ainsi plus ou moins le tableau qu’il est en train de tracer. Il peut, de là, arriver à la conclusion qu’il n’existe pas de “structure” dans la langue elle-même, que ce qu’on appelle ainsi n’est rien d’autre qu’un cadre inventé par le linguiste pour l’aider à classer les faits. En d’autres termes, un structuraliste ne serait pas celui qui découvre les structures, mais celui qui les

206 Cette ambivalence n’est pas totalement absente du passage de Phonology as Functional Phonetics que nous avons cité ci-dessus, comme l’atteste la notion de synthèse, répondant à celle d’analyse. On en trouve également la trace dans le long développement que Martinet consacre, dans A Functional View of Language, à l’opposition entre « totalitarisme formaliste » (M.LF : p. 21) [« formalistic totalitarianism » (M.FVL : p. 11)] et « discrimination réaliste » (M.LF : p. 21) [« realistic discrimination » (M.FVL : p. 11)], entre « description totalitaire » (M.LF : p. 30) [« totalitarian description » (M.FVL : p. 19)] et « optique fonctionnelle et réaliste » (M.LF : p. 30) [« discriminating and functional approach » (M.FVL : p. 19)], où il s’agit le plus souvent de hiérarchie fonctionnelle, mais également parfois de rapports entre les unités. Pour ce développement, qui se subdivise en plusieurs exemples, voir M.LF : p. 15-16 [M.FVL : p. 6-7], M.LF : p. 18-21 [M.FVL : p. 9-11], M.LF : p. 21-25 [M.FVL : p. 11-15] et M.LF : p. 25-30 [M.FVL : p. 15-19].

imagine207. Cette attitude est évidemment une attitude extrême, mais elle éclaire la position plus répandue de ces linguistes qui, au minimum, ne postulent pas l’existence réelle d’une structure. Pour eux, la structure ne serait pas dans la langue mais dans l’esprit du descripteur ; elle ne serait donc qu’un cadre simple et commode qui aiderait à présenter les faits.

Ce point de vue très formaliste se retrouve dans la manière dont la plupart des descriptivistes contemporains envisagent les problèmes linguistiques, encore qu’il ne soit ouvertement soutenu que par une poignée de théoriciens pour qui la cohérence est une exigence fondamentale208. » (M.LF : p. 13-14).

Au-delà d’une description non-conforme à la réalité, le formalisme court le risque d’un

irréalisme, c’est-à-dire d’un structuralisme qui renonce au postulat de la réalité linguistique

telle que la définit Martinet, comme réalité révélée. Dans « Structure et langue » (1965), c’est

à l’inverse l’irréalisme qui est donné comme vecteur de non-conformité avec la réalité, ce qui

est tout à fait en accord avec la conception martinettienne de la description qui, pour être

représentation, doit être fondée sur la sélection :

« Dans la mesure où l’on peut tirer des conclusions soit de certaines déclarations, soit du comportement méthodologique des chercheurs, il semble que la plupart des linguistes hésitent entre un point de vue réaliste selon lequel la structure doit être cherchée dans l’objet étudié et une conception qui voit dans la structure une construction établie par le

207 Martinet renvoie ici à la p. 14 de l’ouvrage de W. S. Allen, On the Linguistic Study of Language, où on lit de fait : « […] linguistics assumes no categories in rebus, no system inherent in the material and awaiting discovery. Linguistics, as I have already suggested, is a creative and not an observational activity : it creates its elements out of the continuum of human speech : it does not observe units unfolding themselves in time, but selects from the continuum such data as are relevant to the characterization of the elements it has established. It is true that some linguists would in fact assume the system to be immanent in the language, and the linguistic analysis to be a process of discovery rather than invention. They might also claim that in any case one’s epistemological outlook makes no practical difference. But if a system is supposed to exist in reality, it is presumably a definite single system ; and the assumption of such a system rules out the possibility of alternative analyses. This seems a high price to pay for the satisfaction of presuming do deal in realities. The essential criteria for linguistic statement are generally agreed to comprise simplicity, exhaustiveness, and self-consistency ; but it is usual to encounter some conflict between these requirements (more especially the first two), and the proportions of each may then be varied according to the predilections of the linguist and the particular purposes of this statement. We may recall a recently published note of de Saussure’s, in which he says : “This is our profession of faith in linguistics… that there are no given objects, no things which continue to exist when we pass from one conceptual framework to another.” » (Allen, 1957 : p. 14-15). Nous avons cité plus haut ce passage des notes de Saussure (voir Saussure, 2002a : p. 201), que nous avons interprété différemment : en termes de langue et non d’idiome.

208 « Language reality is far more varied and far less homogeneous than many descriptivists would be willing to concede. At many points it gradually merges into other aspects of reality, which explains why it has taken such a long time to secure the autonomy of linguistics. For a linguist who is, above all, intent upon not jeopardizing this painfully achieved autonomy, the normal reaction to a situation where the limits between language and non-language seem to be blurred is to proceed arbitrarily and draw clear-cut distinctions even across uncertain ground. Once his domain is thus delimited, he may proceed to submit all its parts to one and the same treatment. Yet he may, all the time, be painfully aware of the fact that this type of procedure will more or less distort the picture he will be drawing. From this he may conclude that there is no such thing as “structure” in language itself, that what is so called is nothing but a frame invented by the linguist in order to help him to classify the data. In other words, a structuralist is not one who discovers structures, but one who makes them. This is, of course, an extreme attitude, but it clarifies the more average position according to which the actual existence of structure is, at least, not postulated.

This highly formalistic approach underlies the practice of a probable majority of contemporary descriptivists, although it is professed only by a handful of theorists for whom consistency is a fundamental requirement. » (M.FVL : p. 4-5).

chercheur pour permettre de mieux comprendre les faits, sans que se pose la question d’une conformité entre cette construction et l’objet lui-même.

Il reste en fait à démontrer qu’une structure de ce dernier type pourrait atteindre son but au cas où elle s’écarterait résolument de toutes les données fournies par l’objet lui-même. Il est, en la matière, plus facile d’étonner, voir d’éblouir par une certaine virtuosité que de convaincre son public. Comme la structure est, sinon toujours celle de l’objet, du moins celle qu’on établit en fonction de cet objet, il semblerait que les rapports de la structure à l’objet ne puissent jamais être considérés comme sans importance209. » (M.St. : p. 291).

Mais la possibilité même de ces deux propositions témoigne de ce que la réflexion