Goutte-à-goutte
par Claude PIROTTE Lycée Chanzy, 08000 Charleville-Mézières
Suite à l’article d’Alphonse CONIL paru dans le B.U.P. nº 742 de mars 1992, page 377, évoquant les difficultés d’utilisation du goutte-à- goutte dans la pH-métrie assistée par ordinateur.
J’utilise le goutte-à-goutte pour l’enregistrement automatique de la variation du pH au cours du temps depuis près de six ans, plus précisément, depuis la parution de l’article intitulé «Tracé automatique de courbes de titrages acido-basiques ou redox» de notre collègue Alain ARBOUET dans le B.U.P. nº 684 de mai 1986.
Sitôt testé, sitôt adopté ! La simplicité du procédé, l’automatisme ne peuvent laisser indifférent et l’apport pédagogique est néanmoins considérable. Les seuls problèmes du modèle hospitalier local furent le colmatage progressif du filtre en bas du goutte-à-goutte et l’oxydation des aiguilles, or le filtre ne résiste pas au passage d’acide chlorhydrique concentré qui nettoie d’ailleurs tout le dispositif, quant aux aiguilles, il suffit de les retirer.
Six ans de bons et loyaux services pour un goutte-à-goutte récupéré par le fils d’un collègue, infirmier ! Il n’a rendu l’âme que parce qu’il est devenu cassant et qu’un malencontreux choc l’a fendu, créant une fuite irréparable. Le remplacement n’a posé aucun problème.
Au cours de ces six années, je n’ai pas constaté de variation du débit incompatible avec la précision des mesures habituelle au lycée où le nettoyage de la verrerie reste souvent au niveau de celui de la vaisselle. Il est vrai que les normadoses utilisées sont exemptes
d’impuretés solides. A débit constant, il suffit de relever le volume total versé dans le bécher à la fin de l’expérience pour programmer pH = f(V) ou d’autres calculs. J’ai obtenu par cette méthode des courbes publiées par le C.R.D.P. de REIMS dans une brochure intitulée «UN NOUVEL INSTRUMENT DE PAILLASSE». Un exemplaire est tracé en figure 1 et la courbe de la dérivée en figure 2.
Figure 1
Si le débit varie, tous ces enregistrements ne sont plus que de la fausse monnaie. Ne subsistent alors que l’aspect qualitatif et la commodité de l’expérience.
Compter les gouttes paraît un palliatif séduisant. Encore faudrait-il que ces gouttes soient de masse constante ! La loi de capillarité permet bien d’établir que la masse d’une goutte est proportionnelle au diamètre extérieur de l’ouverture où elle se forme mais le calcul suppose un temps de formation de l’ordre de la minute et surtout il néglige l’influence des conditions d’arrivée du liquide qui varient avec la hauteur entre l’ouverture et la surface libre de la solution dosante (BRUHAT. Mécanique. Chapitre Capillarité : Formation de gouttes).
Seule l’expérience permet de juger de l’importance de ces diffé- rents facteurs et de vérifier que la précision obtenue reste bien acceptable. Pour en avoir le cœur net, j’ai enregistré au micro-ordina- teur une tension proportionnelle à la masse de liquide versée par le goutte-à-goutte en fonction du temps. Une balance METTLER de portée 610 g à 0,1 g près disposant d’une sortie analogique à 5 mV/g est connectée sur l’une des deux entrées d’une interface BOTENS qui offre l’avantage de nombreux calibres et d’un décalage réglable sur chaque entrée. Sur le calibre 500 mV le logiciel OSCILLO, fourni avec l’inter- face, a donné les enregistrements des figures 3, 4, 5 et 6. Chacun résulte de 1 000 acquisitions programmées sur une durée de 500 secondes.
Figure 3
Figure 4
Figure 5
En figure 3, la courbe est obtenue avec un réservoir constitué d’une bouteille plastique 1,5 L, découpée en son milieu, retournée sur un support et, dans le bouchon de laquelle est simplement planté le goutte-à-goutte comme il est pratiqué à l’hôpital pour les flacons de liquide à perfuser. Il contient de la soude décimolaire provenant d’une normadose. Le résultat est évident. On note seulement quelques passages de pachydermes dans le couloir provoquant la vibration du
plancher et perturbant la courbe. Les poutres ayant des portées un peu longues, la balance joue le rôle d’un sismographe.
En figure 4, la soude utilisée contient des particules en suspension de taille suffisante pour être visibles. Le coincement de telles particules au niveau du clamp pertube l’écoulement.
En figure 5, c’est le coincement d’une bulle d’air, toujours au niveau du clamp, qui est enregistré. On voit nettement ce qu’il faut éviter pour ne pas avoir à compter les gouttes. Par conséquent : – tenir l’appareil propre,
– filtrer toute solution dosante qui contiendrait des particules en suspension,
– Éliminer toute bulle d’air.
Somme toute, le même protocole que pour la burette graduée des élèves !
Figure 6
Pour l’enregistrement de la figure 6, le goutte-à-goutte est raccordé à l’écoulement d’un vase de Mariotte, schématisé en figure 7, qui assure une pression constante au niveau d’écoulement. Ce raffinement n’ap- porte visiblement pas d’amélioration significative et confirme qu’il n’est pas nécessaire d’user des marteaux pour écraser des mouches. Il en irait peut-être autrement à débit plus rapide.
Figure 7
Pourquoi ne pas enregistrer pH = f(m) ou pH = f(V) ?
C’est ce que permet le logiciel pH-métrie livré avec la balance METTLER par le fabricant de l’interface BOTENS. Le montage est schématisé sur la figure 8.
Figure 8
L’agitateur fourni par le fabricant était constitué d’une tige à l’extrémité coudée entraînée en rotation par un petit moteur à réducteur.
Importante source de vibrations, il avait rendu l’âme dès les premiers essais. C’est notre aide de laboratoire, Jean-Claude HENRIET, qui nous a réalisé un agitateur à pile suffisamment léger pour prendre place sur la balance sous le bécher, sans interdire les réglages programmés dans le logiciel. L’enregistrement de la figure 9 montre le résultat du dosage de 40 mL d’acide éthanoïque par de la soude en solutions décimolaires.
Figure 9
Tout serait parfait sans cette erreur systématique sur le point d’équivalence !
A la fin du dosage, avant l’arrêt des acquisitions, j’ai extrait la sonde du bécher pour la remettre dans l’eau distillée. L’origine de l’erreur est alors établie : l’électrode combinée exerce sur le liquide une poussée exactement opposée à celle qu’elle en reçoit, en vertu du principe des actions réciproques. Eurêka ! Archimède est encore utile ! La correction de cette erreur ne serait possible que dans l’hypothèse d’une variation linéaire de celle-ci au cours du temps. Elle serait de toute façon peu commode à établir.
Il m’a paru plus judicieux de placer le goutte-à-goutte sur la balance surélevée par rapport au bécher où se déverse la soude et d’enregistrer la masse restante. Le flacon en polyéthylène et le goutte-à-goutte adopté ne totalisent pas plus de 100 g à vide. Pour déverser moins de 100 g de solution le dispositif permet de rester largement en dessous de la portée maximale de la balance.
De plus, en ôtant le plateau de la balance et en utilisant le décaleur d’entrée de l’interface, la marge de variation est suffisante pour opérer dans la plage de mesure prévue par le logiciel. La qualité initiale des mesures n’est donc pas affectée. Le bécher n’étant plus sur la balance, il est alors permis d’utiliser l’agitateur magnétique habituel à ce type
de manipulation. La masse enregistrée est celle du goutte-à-goutte, du réservoir et de la soude restant. Le montage est schématisé en figure 10.
Figure 10
Il faut retraiter les valeurs de masse en retranchant la masse enregistrée de la masse initiale pour rétablir la courbe pH = f(m). Cette courbe apparaît en figure 11 où l’on retrouve une position correcte pour l’équivalence.
Figure 11
Figure 12
Figure 13
On jugera la précision des mesures en examimant le zoom sur le saut de pH dans la courbe pH = f(m) de la figure 12 ou dans la courbe pH = f(t) de la figure 13. Lors de cette expérience, nous avons effectué 232 acquisitions de valeurs de la masse et du pH à raison d’une entrée
toutes les secondes. Il est flagrant que l’entrée masse est parasitée sans que le goutte-à-goutte soit en cause. L’entrée pH est pourvue d’un filtre RC qui a un effet de lissage mais lors des manipulations classiques, le délai d’affichage ou l’inertie des aiguilles effacent bien davantage les variations parasites. Le point d’inflexion de la courbe indique une masse de solution versée à l’équivalence de l’ordre de 39,6 g au lieu des 40 g attendus. On peut donc espérer une précision de l’ordre de 1 à 2 % par cette méthode.
Une cause d’erreur est le défaut de synchronisation du début des acquisitions avec l’arrivée de la première goutte dans le bécher. La balance complique singulièrement l’opération.
Est-elle bien nécessaire ?
Les poins sont plus régulièrement disposés sur la courbe pH = f(t).
Sans balance, il faut déterminer le débit du goutte-à-goutte avant le dosage, le vérifier à nouveau après et admettre qu’il n’a pas varié entre temps. Dans ce cas, c’est le soin accordé à la mesure du débit qui devient déterminant et la balance de portée 600 g à 0,1 g près peut fournir des valeurs plus fiables que la lecture d’une éprouvette graduée.
Les autres principales causes d’erreurs me paraissent être l’état des solutions et les performances des électrodes qu’il faut veiller à conserver. Une électrode encrassée fournit des valeurs instables qui parasitent irrémédiablement les courbes. La brutalité du saut de pH dépend du temps de réponse des électrodes. La sonde pH-métrique livrée avec l’ensemble utilisé est gélifiée et protégée contre les chocs ce qui réduit efficacement le risque de casse mais ne favorise pas une réponse rapide.
Un débit plus lent pour un plus grand nombre d’acquisitions sur une durée plus longue permettrait sans doute de disposer régulièrement un plus grand nombre de points dans la zone essentielle de la courbe.
La précision y gagnerait à condition que d’autres facteurs liés à la durée du dosage ne viennent pas dégrader les résultats. Des essais restent à réaliser.
Le mieux est l’ennemi du bien. Faut-il compliquer les montages dans un louable souci de précision ou s’en tenir à ce qui est plus rapidement accessible ? C’est le temps dont on dispose pour réaliser les mesures qui détermine le choix.
Le goutte-à-goutte aisément manipulable par les élèves pourrait équiper à moindres frais huit postes de T.P. Comme il avait déjà été signalé dans l’article d’Alphonse CONIL, il peut servir dans bien d’autres montages. Outre les dosages pH-métriques, il peut être utilisé pour les dosages conductimétriques, pour les dosages d’oxydo-réduc- tion, pour le tracé de la droite pH = f(log[B]/[A]) d’un couple acide-base ou pour des courbes de dilutions d’acides et de bases réalisées à volume constant. Un montage simple de ces manipulations est décrit dans la brochure déjà citée au début de l’article. Les courbes des figures 14 et 15 contribueront peut-être à convaincre le lecteur.
Figure 14
Figure 15
Une solution aqueuse d’éthanoate de sodium à 0,1 mol.L–1 a été versée au goutte-à-goutte dans un bécher contenant une solution aqueuse d’acide éthanoïque de même concentration en enregistrant l’évolution du pH à raison d’une acquisition toutes les deux secondes durant 1000 s. La mesure du débit a permis de retraiter les valeurs pour obtenir le tracé de la droite.
Peut-on obtenir de tels résultats aussi rapidement à la main ?