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L'abus de pouvoir du fondé de procuration

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L'abus de pouvoir du fondé de procuration

CHAPPUIS, Christine

CHAPPUIS, Christine. L'abus de pouvoir du fondé de procuration. Revue suisse de droit des affaires , 1994, vol. 66, no. 5, p. 232-243

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:42921

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232 SZW / RSDA 5/94

L'abus de pouvoir du fondé de procuration

par Christine C. Chappuis, docteur en droit, avocat, Genève

Le Tribunal fédéral a exceptionnel- lement admis qu'une société ano- nyme n'était pas liée par l'acte ac- compli en son nom par un fondé de procuration ( ATF 119 Il 23). fl a en effet considéré qu'en cas «d'abus du pouvoir de représentation», une inattention légère suffisait pour écarter la bonne foi du tiers contrac- tant. L'auteur procède à une ana- lyse critique des conditions dans les- quelles un Lei abus est retenu ainsi que des conséquences qui en sonl tirées.

Das Bundesgericht hat jüngst die Bindung der AG an das Vertre- tungshandeln ihres Prokuristen ab- gelehnt, weil angesichts eines

«Missbrauchs» der Verlretungs- machL dem VertragsparLner auch eine bloss leichte Unaufmerksam- keit entgegengehalten werden konne ( BG E 119 II 23). Die Ver- f asserin untersucht Tatbestand und

Rechtsfolgen eines solchen Miss- brauchs.

In a recent case, the Swiss Federal Court has denied the /iability of a corporation for the acts pe1formed in its name by a ho/der of procura- tion ( RO 119 Il 23). The reasoning was tltat in case of «misuse of pro- curation» a slight inattention could be opposed to the contractin.g party.

The article analyses the standard of such misuse and the /egal conse- quences to be attributed to il.

Contenu:

J. Introduction

J. Remarques générales 2. L'arrêt

2.1 Résumé des faits 2.2 La solution li. Le raisonnement

1. Remarques préliminaires 1.1 Base légale

1.2 Existence et étendue des pouvoirs du fondé de procuration (art.459 al. l CO)

2. La distinction entre «simple dépassement» et

«véritable abus»

3. Conséquences de la distinction quant à la bonne foi du tiers

3.1 L'intensité du doute

3.2 Application de l'art. 933 al. 2 CO?

Ill. Appréciation critique

1. Les conditions du «véritable abus»

2. Reconnaissabilité pour le tiers

3. Obligation de diligence du tiers (art. 3 al. 2 CC) 3.1 Consultation du Registre du commerce 3.2 Autres mesures

3.3 Inutilité de la distinction entre «simple dé- passement» et «véritable abus» pour l'appré- ciation de la bonne foi dans le cas d'espèce 4. La séparation absolue entre pouvoir («Kôn11en»)

et avoir l'autorisation d'agir («Dürfen») est-elle dépassée'/

l V. Conclusion Ouvrages cités

I. Introduction

1. Remarques générales

L'objet du présent article est un récenl arrêt du Tribunal fédéral 1 qui a trait à «l'abùs du pouvoir de représentation» commis par le fondé de procuration d'une société anonyme. La portée de celte jurispru- dence dépasse Je cadre fixé par la situation de fait sur deux points.

Premièrement, bien qu'un fondé de procuration (arl. 458 ss CO) ne soit pas à proprement parler un organe2 de la personne morale, et qu'un organe ne soit pas un représentant au sens technique (arl. 32 ss CO), les considérations qui suivent peuvent être trans- posées aux organes, ou plus précisément aux «person- nes autorisées à représenter la société» (art. 718a al. 1 CO). En effet, la description légale des pouvoirs qui figure à l'art. 459 al. 1 CO (fondé de procuration) est quasiment identique à celle de l'art. 718a al. l C03 (personnes autorisées à représenter la société). La loi prévoit comme seule limite aux pouvoirs du fondé de

Arrêt de la 1m Cour Civile du 19 janvier 1993, cause H. contre C. M. S.A., ATF 119 li 23, SJ 1993 481.

2 Sur les différentes acceptions du mot «organe», cf. Wat- ter, N°' 138 ss. Plus spécifiquement sur l'assimilation en- tre «organes» et personnes visées par les art. 55 al. 1 CC, 718 ss et 754 CO, cf. Forstmoser, p. 126 ss; Druey, p.

77 ss. Le Tribunal fédéral a récemment suivi ces auteurs et opéré une distinction entre organe au sens de l'art. 55 CC et personnes responsables selon l'art. 754 CO:

ATF 117 li 570, JT 1993 I 80.

Le fondé de procuration/l'organe ont la faculté de faire (art. 459 al. l CO)/le droit d'accomplir (art. 718a al. 1 CO) tous les actes que peul impliquer le but social (art.

7 l 8a al. 1 CO)/que comporte le but (art. 459 al. 1 CO).

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SZW / RSDA 5/94 Chappuis: L'abus de pouvoir du fondé de procuration 233

procuration non organe la nécessité d'un pouvoir exprès pour aliéner ou grever un immeuble (art. 459 al. 2 CO). En revanche, les restrictions qui peuvent être inscrites au Registre du commerce sont les mêmes dans les deux cas; elles concernent la limitation aux affaires d'une succursale ou de l'établissement princi- pal4 et la représentation collectivc5 . Il s'ensuit qu'un fondé de procuration qui participe à la gestion des affaires et assume une position dirigeante peut, du point de vue de l'étendue des pouvoirs à tout le moins, être assimilé à un organe selon l'art. 7 l 8a C06, sous la réserve déjà mentionnée de l'art. 459 al. 2 CO.

En second lieu, la partie défenderesse dans l'arrêt examiné est une société anonyme. Les mêmes princi- pes sont cependant valables pour la société à respon- sabilité limitée (par renvoi exprès de l'art. 814 al. 1 CO) el pour la société coopérative (le texte de l'art. 899 al. 1 et 2 CO reprend à un mot près celui de l'art. 718a al. 1 et 2 CO).

2. L'arrêt

2.1 Résumé des faits

X. est fondé de pouvoir de la défenderesse (ci- après, Z. SA). Le but de cette société est le suivant :

«Exploitation de caves ainsi qu'achat, vente, importa- tion et entreposage de vins, spiritueux et autres bois- sons, commerce de ces articles en gros et détail, parti- cipation à toute affaire ou entreprise analogue et

toutes affaires mobilières et immobilières.»

Dès 1978 et jusqu'en 1984, X. organise, à l'insu de son employeur, un marché parallèle de vins à grande échelle. Ainsi, en août 1983 conclut-il un contrat avec H., par lequel

z.

SA vendait à H. des caisses de Bordeau 1982 (année dont on savait déjà qu'elle serait exceptionnelle) contre paiement de Fr. 100 000. - . Z.

SA s'engageait en outre à conserver le vin en dépôt, puis à le revendre pour un prix majoré au minimum de 40%. Pour toute vente à un prix supérieur, Z. SA avait droit à une commission de 5%. Z. SA s'engageait par ailleurs à racheter Je vin s'il n'avait pas trouvé acquéreur jusqu'à fin avril 1985. H., quant à lui, se réservait le droit de conserver 10% de la marchandise.

Pour

z.

SA, cette convention fut signée par X. et Y., alors tous deux fondés de procuration avec signa- ture collective à deux.

4 Art. 460 al. 1, art. 718a al. 2 CO.

5 Art. 460 al. 2, art. 718a al. 2 CO.

6 Gutzwiller, p. 19 et réf. cit. n. 1.

X. conclut un grand nombre de contrats similaires.

La quantité de bouteilles vendues de la sorte dépassait celle dont disposait Z. SA. H. réclama en vain l'exécu- tion du contrat, puis ouvrit action en paiement du prix majoré de 40%. Z. SA contesta être engagée. La Cour cantonale considéra que X. n'avait pas valablement engagé Z. SA, ce que le Tribunal fédéral confirme dans le présent arrêt.

2.2 La soluLion

Le Tribunal fédéral admet donc dans le cas présent que

z.

SA n'est pas liée par l'acte de son représentant, X., et rejette l'action en exécution du contrat intentée par H.

Cet arrêt consacre une solution exceptionnelle. En matière de représentation commerciale, sécurité des transactions oblige 7, doctrine et jllfisprudence recon- naissent en effet une large étendue au pouvoir de représentation des organes ou représentants de la personne morale8, si bien que rares sont les cas dans lesquels le juge reconnaît que les actes d'un représen- tant ou organe ne sont pas imputables à une personne morale9.

S'agissant d'autres affaires de ce type 10 les tribu- naux ont admis que la personne morale était engagée

7 Zobl, p. 289; Fischer, p. 19; Bucher, p. 623 ss.

8 Bockli, p. 429 ss; Zobl, p. 292 (pour l'art. 718 aCO);

Bürgi, n. 5 ad art. 718 aCO; Walter, N°' 174ss, Basler Kommentar II, n. 3 ad art. 718a CO. ATF 116 Il 320, JT 1991 1 373, 374 et réf. cit., ATF 84 II 168, JT 1959 1 56, 58 (relatif à un fondé de procuration). Ni la jurisprudence ni la doctrine ne font de distinction, quant aux principes, entre l'organe et le fondé de procuration; les arrêts rela- tifs à l'un ou à l'autre seront donc cités indistinctement.

9 Autre exemple d'acte non imputable à une personne morale: arrêt Bank für Gemeinwirtschaft AG c. Masse en faillite de la société Prospera S.à.r.l., ATF 95 U 442, JT 19701 644 (rés.)./\. signaler encore une affaire cantonale:

Vaudoise Assurances c/ Ulysse Nardin SA, RJN 1984 69.

dans laquelle un administrateur utilise une partie des fonds empruntés au nom de la SA pour le rembourse- ment d'une dette personnelle.

10 Par exemple, Vcrrcykcn contre faillite Parsel SA, ATF 96 II 439 (fr.), JT 1971 I 376, SJ 1971 481, SAS 1972 82;

Negresco contre la Masse en faillite de Socsil SA, ATF 111 Il 284 (fr.), SAS 1986 129. Cf. également ATF 50 II 123, JT 1924 I 335 (Banque de Schaffuouse c.

Stromeyer); ATF 33 II 608.

En ce qui concerne le pendant genevois de la présente affaire, Je Tribunal de Première Instance, dans un juge- ment du I 1 février 1993, a admis que Z. SA était engagée par les actes de son représentant, mais que les contrats conclus par celui-ci étaient nuls car illicites (art. 20 CO), ces contrats constituant des escroqueries pour lesquelles leur auteur fut condamné. Le tribunal genevois a cepen-

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234 Cbappuis: L'abus de pouvoir du fondé de procuration SZW / RSDA 5/94

par les actes accomplis en son nom bien qu'ils le fussent à son détriment.

C'est la conscience qu'avait - ou aurait dû avoir - Je tiers de la situation réelle qui justifie la différence dans les résultats. Ainsi, dans la présente affaire, H.

devait-il soupçonner que X. et Y. agissaient au détri- ment de Z. SA, partant il ne méritait pas la protection de la loi. Si l'on peut, pour cette raison, souscrire à la solution de l'arrêt, son raisonnement est en revanche critiquable.

II. Le raisonnement

1. Remarques préliminaires 1.1 Base légale

Sans que la question soit spécialement élucidée, l'arrêt se fonde sur l'art. 459 al. l CO, selon lequel «le fondé de procuration est réputé, à l'égard des tiers de bonne foi, avoir la faculté de souscrire des engagements de change pour le chef de maison et de faire, au nom de celui-ci, tous les actes que comporte le but du commerce ou de /'entreprise 11 ». L'examen de la bonne foi du tiers renvoie à l'art. 3 CC.

L'application de l'art. 459 al. 1 CO se justifie si l'on considère le fait que X. était inscrit comme fondé de pouvoir au Registre du commerce en 1983 (ATF, p.

26). On peut cependant se demander si le rôle progres- sivement assumé par X. au sein de la société ne dépas- sait pas celui d'un fondé de pouvoir 12. X. fut d'ailleurs

danl retenu la responsabilité délictuelle de Z. SA pour les actes illicites commis par X., en sa qualité d'organe (art.

718 al. 3 aCO, art. 722 CO), avec pour conséquence la condamnation de Z. SA à verser des dommages-intérêts correspondant au prix payé par le client avec intérêts à 5% dès le moment du paiement du prix. Ce jugement a été réformé en appel par la Cour de justice genevoise, dans un arrêt du 15 avril 1994, qui a suivi le présent arrêt du Tribunal fédéral, a considéré que Z. SA n'était pas engagée par les actes de son représentant et, partant, a débouté le demandeur de ses conclusions. Cette affaire fait l'objet de recours au Tribunal fédéraJ.

11 Vu la similitude existant entre les art. 459, 718a (718 aCO) et 899 CO, la jurisprudence relative à ces trois dispositions peul être citée, lors même que le présent arrêt concerne plus précisément le fondé de procuration d'une SA (art. 459 al. 1 CO); cf. supra L l. Ces personnes seront ci-après désignées par le terme de «représentant» compris dans un sens large, quoiqu'impropre, tant il est vrai qu'elles ne sont pas des tiers par rapport à la personne morale, mais forment directement la volonté même de celle-ci (ATF 111 II 284, 289; Engel, p. 258).

12 Exemple de pouvoirs tacites dépassant les pouvoirs réel- lement octroyés: ATF 50 II 123, JT 1924 I 335. Pouvoirs

inscrit au Registre du commerce en qualité de direc- teur-adjoint en 1984. Dans cette optique, c'est l'art. 718 aC013 qui trouverait application, et non l'art. 459 al. l CO. Les deux textes présentent une légère différence 14 qui, scion l'interprétation adoptée, pourrait conduire à des solutions divergentes.

Le présent article est limité à l'étude des problèmes abordés par l'arrêt examiné et qui ont trait à l'étendue des pouvoirs du fondé de procuration d'une société anonyme ainsi qu'aux objections opposables aux tiers. Ne sera notamment pas évoquée la question d'une éventuelle action en dommages-intérêts du tiers contre la société anonyme en raison de l'acte illicite de son organe (art. 722 CO, 718 al. 3 aCO) ou de son employé (art. 55 CO).

1.2 Existence et étendue des pouvoirs du fondé de procuration (art. 459 al. 1 CO)

Conformément à l'art. 459 al. 1 CO, le fondé de procuration a la faculté de faire «tous les actes que comporte le but» social, tel qu'inscrit au Registre du commerce.

La question 15 de la conformité de l'acte accompli par X. avec Je but de

z.

SA ne méritait pas de longs

d'un fondé de procuration limités par circulaire à la signature collective à deux. Ledit fondé de procuration conduit des relations d'affaires très actives pendant deux ans pour le chef de maison sous sa seule signature. Signa- ture individuelle tacite admise par le Tribunal fédéral. Cf.

à ce sujet, Gutzwiller, p. 19 ss.

13 Le nouvel art. 718a CO reproduit presque textuellement l'ancien art. 718 CO qui n'a subi que des modifications de pure forme.

14 L'art. 459 al. 1 CO assortit la description de l'étendue des pouvoirs du fondé de procuration de la réserve de la bonne foi du tiers, alors que l'art. 718a al. 1 CO, corre- spondant à l'art. 459 al. 1 CO pour ce qui est des organes de la SA, ne mentionne pas cette réserve (cf. infra n. 58).

L'art. 460 al. 3 CO et l'art. 7 l 8a aJ. 2 CO sont sembla- bles, quoique le premier parle de «restrictionS>>, le second de <<limitations», non opposables aux tiers de bonne foi.

15 Cette question a donné lieu à de vigoureuses controver- ses. Dans un arrêt datant de 1969 (Prospera, ATF 95 Il 442, JT 19701 644, rés., SAS 1971 90) qui s'est par la suite avéré isolé, le Tribunal fédéral, tout en reprenant sa formule traditionnelle selon laquelle «par actes que peut impliquer le but social (art. 718 CO), il faut entendre non seulement les actes qui sont utiles à la société ou que comporte habituellement l'activité de celle-ci, mais aussi ceux qui ne sont pas nettement exclus par ledit but» (JT, p.

645), avait ajouté une condition supplémentaire, à savoir que l'acte litigieux devait servir concrètement le but so- cial (ATF, p. 450: « ... das konkrete Rechtsgeschiift, .. .,

vom Geselfschaftszweck ( unmittelbar oder mittelbar) mit sich gebracht werden konnte»). Ce dernier élément fut

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SZW / RSDA S/94 Chappuis: L'abus de pouvoir du fondé de procuration 235

développements en l'espèce, tant il était évjdent que le contrat de vente/dépôt/revente conclu avec H. était couvert par le but de la SA inscrit au Registre du commerce, à savoir «achat, vente ... et entreposage de vins ... , commerce de ces articles en gros et en détail>>. Comme le constate à bon droit Je Tribunal fédéral, «les opérations litigieuses réalisaient au moins abstraitement et objectivement la conformité à ce but»

(ATF, p. 26). X. avait par conséquent, à première vue du moins, le pouvoir de les accomplir pour Z. SA.

2. La distinction entre «simple dépassement>> et

<<Véritable abus» 16

Après quelques considérations générales sur la pré- somption de la bonne foi posée par l'art. 3 CC17, le Tribunal fédéral entreprend une distinction aussi fon- damentale que critiquable - comme nous le verrons ci-après - entre «un simple dépassement du pouvoir de représentation» et un «véritable abus de ce pouvoir» 18 (ATF, p. 25).

ignoré l'année suivante dans l'arrêt Verreyken c. faillite Parsel SA (ATF 96 II 439, SJ 1971 481, SAS 1972 82;

selon v. Greyerz SPR, p. 210 n. 36, Je Tribunal fédéral est revenu sur la jurisprudence Prospera dans cet arrêt; con- tra: Zobl, p. 292; Kummer, RJB, p. 129), puis cette juris- prudence fut expressément abandonnée dans l'arrêt Ne- gresco c. Soesil (ATF 111 II 284, SAS 1986 129 commen- taire de E. Hamburger). L'arrêt Prospera a été abondam- ment critiqué: Bucher Festgabe, p. 39 ss, 50; Merz, p. 401 ss; lleini, p. 495 ss; cf. par ailleurs réf. cit. par Zobl, p. 292 n. 15, et Watter, p. 137 ss. Le Tribunal fédéral est actuellement revenu à la formule très large d'avant l'arrêt Prospera (cf. par ex. ATF 116 II 320, JT 1991I373, 374).

l6 En allemand, ces expressions peuvent sans doute être traduites par «Übcrschreitung der Vollmacht» et «Miss- brauch der Vcrtrctungsmacht».

17 Le considérant 3 a) s'ouvre sur une afTumation qui peut surprendre. On y lit qu'«aux termes de l'art. 3 al. /CC, la bonne foi est présumée. Cette norme n'i11stitue pas u11e véritable présomption, mais elle constitue une simple règle sur le fardeau de la preuve» (ATF, p. 25). La liberté que prend le Tribunal fédéral à l'égard du texte légal s'appuie, il est vrai, sur un commentateur des plus avisés (Kummer, n. 354 ad art. 8 CC; auquel on pourrait ajouter Jiiggi, n. 98 ad art. 3 CC). Ne pouvait-on œ nonobstant sauver la présomption de l'art. 3 al. 1 CC en lui trouvant la prémisse dont eue a besoin pour mériter le titre de «echte Vermulung» dans l'état de fait de la norme sur laquelle l'art. 3 CC se greffe?

is Il convient de signaler que l'expression d'abus du pouvoir de représentation («Missbrauch der Vertretungsmachl>>) est susceptible d'induire en erreur. En effet, cette expres- sion peut provoquer une confusion entre l'abus de droit du tiers à se prévaloir d'un contrat conclu par le repré- sentant dans certaines circonstances et l'abus du pouvoir de représentation proprement dit qui est le fait du repré-

Ces deux notions ne sont pas expressément défi- nies. On peut cependant déduire du considérant 3 b) et c) l cr § (ATF, p. 25 - 26) que l'abus du pouvoir de représentation présente quatre caractéristiques. Le représentant agit (1) «dans son propre intérêt», (2) «au détriment du représenté», (3) «de façon délictueuse» et (4) sans avoir «jamais eu l'intention d'agir pour le compte du représenté», c'est-à-dire que «la volonté de représenter fait défaut».

En revanche, l'arrêt est laconique sur le «simple dépassement». li indique simplement que l'abus s'op- pose au «dépassement de limites ou de compétences»

voire au «simple mépris de restrictions internes» (ATF, p. 26). Plus bas à la même page, il est fait mention

«d'instructions internes restrictives» !9-20.

sentant agissant dans son propre intérêt en lieu et place de celui de la SA. Il n'est d'ailleurs pas certain que l'abus du pouvoir de représentation puisse être qualifié d'abus de droit de la part du représentant, au sens de l'art. 2 al. 2 CC. En effet, du moins selon une partie de la doctrine, les pouvoirs octroyés au représentant ou à l'organe ne con- stituent pas un véritable droit subjectif que ceux-ci pour- raient faire valoir à l'encontre de la personne morale, droit dont ils pourraient abuser («Die Vollmacht ist eine Fiihigkeit (. .. ) u11d kein (subjektives) Recht»: Ziich, n. 29 ad art. 33 CO cl réf. cil. Contra: Walter, N° 18 a), Basler Kommentar 1 n. 15 ad art. 32 CO; Schone11berger/

Jiiggi, Vorb. art. l ss CO, n. 79 ss, 83; Gauch/Schluep no 1320.

A signaler le raisonnement d'Egger dans son article

«Missbrauch der Vertrelungsmacht», scion lequel Je re- présenté se prévaut à l'encontre du tiers de l'abus de droit du représentant. Dans cette optique l'abus de droit est Je fait du représentant qui utilise la procuration contraire- ment aux buts en vue desquels elle a été accordée, c'est-à- dire à son propre profit cl contrairement aux intérêts du représenté (p. 58- 59).

19 Peut-on déduire de ces quelques lignes que les «instruc- tions internes» sont traitées comme des «restrictions in- ternes» el admettre que, scion cet arrêt, les instructions touchent au contenu des pouvoirs? La jurisprudence était jusque-là plutôt contradictoire sur la question. Von Tuhr/

Siegll'art, p. 315, qui considèrent que les instructions ne touchent que le rapport de base et non les pouvoirs, sont cités dans deux arrêts du Tribunal fédéral. Selon le pre- mier arrêt (ATF 77 II 138, JT 1952 I 45), «cefle concep- tion do11ne au problème u11e solu1ion qui n'est ni définitive, ni satisfaisa111e» (JT, p. 49). Le second arrêt (ATF 99 Il 39, JT 1974 1 162) semble au contraire admettre cette conception, car il en lire les conséquences qui s'imposent, à savoir que «le reprèsenté est valablement engagé lorsque le représe11ta111 conclut 1111 contrat en violation ... d'une instruction» (JT, p. 167). Cette conclusion est tempérée par la constation du fait qu'on en arriverait aux mêmes conséquences juridiques si l'on considérait les instructi- ons comme une restriction des pouvoirs (JT, p. 168). Le présent arrêt, implicitement du moins, met sur le même

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236 Chappuis: L'abus de pouvoir du fondé de procuration SZW / RSDA 5/94

3. Conséquences de la distinction quant à la bonne foi du tiers

Les conséquences tirées de cette distinction entre abus et dépassement de pouvoirs ont trait aux exigen- ces posées par le Tribunal fédéral quant à l'attention requise du tiers dans le cadre de l'art. 3 al. 2 CC.

3.1 L'intensité du doute

En cas de «simple dépassement», «seuls des doutes sérieux sur les réels pouvoirs du représentant peuvent conduire à nier la bonne foi du tiers contractant» (ATF, p. 27). Ce qui a pour conséquence que la bonne foi du tiers est admise aisément.

En revanche, en cas de «véritable abus», «des dou- tes d'une intensité relativement faible suffisent déjà».

Dans cette hypothèse, «l'art. 3 al. 2 CC doit s'appli- quer sans restriction. Les exigences quant à l'attention requise du tiers s'en trouvent ainsi augmentées; une négligence même légère peut déjà faire admettre la mauvaise foi».

3.2 Application de l'art. 933 al. 2 CO ?

Avant d'opérer cette distinction entre doutes sé- rieux et doutes de faible intensité, le Tribunal fédéral pose la question de savoir si la bonne foi doit s'appé- cicr d'après l'art. 3 al. 2 CC ou à la lumière de l'art. 933 CO, se référant à une controverse doctrinale sur le sujet. L'enjeu du débat est de savoir si l'igno- rance du vice par inattention nuit au tiers (art. 3 al. 2 CC) ou si seule la connaissance positive peut lui être opposée (art. 933 al 2 CO).

plan les instructions et les restrictions du pouvoir. Cf.

dans ce sens, la doctrine récente: Ziich, n. 106 et 108 ad art. 33 CO; Wauer Basler Kommentar 1, n. 17 ad art. 33 CO; Zobl, p. 295; Bucher AT, p. 618; Gauch/Schfuep, N° 1443; Da1111ser, p. 10; KoUer, no 278 ss; Chappuis/

Diitwyler, p. 251 -252.

20 Exemple d'un dépassement de pouvoir (avec un élément d'abus du pouvoir de représentation): ATF du 14 sep- tembre 1993, Fiduciaire X. c. Crédit Suisse, SJ 1994 138 (traité surtout du point de vue de l'action révocatoire, art. 285 ss LP). Un administrateur d'une personne mo- rale donne pour ordre à la banque d'utiliser un montant de Fr. 200 000. - , qui venait d'être crédité sur le compte- courant de la personne morale, pour rembourser le crédit en compte courant que la banque avait octroyé à celle-ci.

Ce crédit avait été cautionné par l'administrateur en question. Outre que l'administrateur n'avait pas la signa- ture individuelle, mais la signature collective à deux, il enfreint une décision prise au sein de la personne morale d'affecter ces Fr. 200 600. - au paiement de factures diverses pour éviter le dépôt du bilan.

L'art. 933 al. 2 CO prévoit que <<lorsqu'un fait dont l'inscription est requise n'a pas été inscrit, il ne peut être opposé aux tiers que s'il est établi que ces derniers en ont eu connaissance». Cela étant, la doc- trine s'est demandé s'il fallait étendre l'application de l'art. 933 al. 2 CO à des faits autres que ceux dont l'inscription est requisc21, par exemple à une limitation interne chiffrée des pouvoirs d'un représentant d'une société anonyme22.

Une telle extension de l'art. 933 al. 2 CO à une situation que cette disposition ne vise pas, ne se justi- fierait qu'en cas de lacune de la loi. Or, l'art. 3 CC, auquel renvoyent tant l'art. 459 al. 1 CO que l'art. 71 Sa al. 2 CO, permet une appréciation suffi- samment nuancée des situations. En effet, la prise en compte de <<l'attention que les circonstances permet- taient d'exiger» autorise à augmenter ou à diminuer ces exigences en fonction de la situation. La formule est assez souple pour résoudre de manière satisfai- sante les problèmes qui se posent 23. Il s'ensuit que l'existence d'une lacune doit être niée.

Le Tribunal fédéral, quant à lui, après avoir men- tionné la controverse, ne prend pas directement posi- tion. Faut-il déduire a contrario du fait qu'en cas d'abus l'art. 3 al. 2 CC s'applique «sans restriction», le fait qu'en cas de simple dépassement cette disposition s'applique avec restriction, que par conséquent les doutes doivent être d'un sérieux confinant à la certi- tude, proche de la connaissance positive de l'art. 933 al. 2 CO? Cela signifierait qu'en cas de dépassement de pouvoirs, seule la connaissance positive du vice

21 Les seuls faits dont l'inscription est requise pour qu'ils deviennent opposables aux tiers sont la restriction aux affaires d'une succursale (art. 460 al. 1, art. 7 l 8a al. 2 CO) ou de l'établissement principal (art. 7 l 8a al. 2 CO) et la signature collective (art. 460 al. 2, art. 718a al. 2 CO): Guhl/Kummer/Druey, p. 693; Bürgi n. 9 ad art. 718 CO; Gutzwiller, p.19; Gauch/Schluep, N° 1462.

22 Pour un état de la controverse, cf. Zobf, p. 297 ss et Watter, N°' 76 ss, 223 ss. Principalement en faveur de l'application par analogie de l'art. 933 al. 2 CO: Merz Fcs1gabe, p. 147 ss; dans le même sens quant au résuhat, Biir, p. 146 ss.

23 Le débat peut toutefois être relativisé si l'on considère que la connaissance positive est un fait interne, suscepti- ble de preuve indirecte (sauf aveu judiciaire). Le juge doit dans ce cas se contenter d'indices dont il pourra déduire que le tiers avait connaissance du fait litigieux (Desclie- naux, p. 223, 246, 249; Kummer n. 206 ss ad art. 8 CC. En présence de tels indices, le juge pourrait être amené à admettre tant la connaissance d'un fait (art. 933 al. 2 CO) que l'ignorance par négligence grave du même fait (art. 3 al. 2 CC), selon la norme qu'il doit appliquer.

(7)

SZW / RSDA 5/94 Chappuis: L'abus de pouvoir du fondé de procuration 237

nuirait au tiers (art. 933 al. 2 CO), alors qu'en cas

d'abus, l'ignorance par négligence lui serait également

opposable (art. 3 al. 2 CC).

Cependant, l'arrêt ne semble pas autoriser ce pas entre doutes sérieux et connaissance positive, et ce même dans l'hypothèse d'un dépassement de pou- voirs. C'est ce qui résulte du considérant 3 b) in fine (p. 26), lorsqu'il est dit qu'en cas de dépassement de pouvoirs, le tiers est «protégé dans sa bonne foi, à moins de connaître d'éventuelles instructions internes restrictives(. . .) ou devait24 éprouver des doutes sérieux quant aux réels pouvoirs de représentation>>.

Par conséquent, on peul retenir que l'art. 933 al. 2 CO ne doit pas être étendu aux restrictions qui ne sont pas susceptibles d'inscription. Partant, conformément aux art. 459 al. l CO et 3 CC, tant la connaissance positive que l'ignorance par négligence du vice peu- vent être opposées au tiers25.

En résumé, l'arrêt

- distingue le véritable abus du simple dépassement de pouvoirs;

- admet que dans la première hypothèse des doutes de faible intensité peuvent être opposés au tiers el que, dans le second, seuls des doutes sérieux peu- vent lui être opposés.

ID. Appréciation critique

1. Les conditions du «véritable abus»

Lors même que la distinction opérée par Je Tribu- nal fédéral serait admise, ce qui n'est pas le cas (cf.

infra 2- 4), les deux dernières conditions, I'illicéité de l'acte et l'absence de volonté de représenter, prêtent le flanc à la critique.

En premier lieu, pourquoi exiger que le représen- tant ou l'organe ait agi de manière délictueuse? Une fois admis que ce dernier est intervenu dans son pro- pre intérêt et au détriment de la société, il semble inutile d'imposer en outre la vérification de l'illicéité de son acte, examen qui pourrait se révéler délicat pour des motifs tenant à la définition même de l'illi- céité.

Il est admis que l'illicéité peut se présenter sous deux formes: celle de l'illicéité de résultat («Erfolgsun- rechb>), et celle de l'illicéité de comportement («Ver-

24 Sans doute faut-il lire: m\ moins de connaître ... ou de devoir éprouver des doutes ... »

25 Dans le même sens, quant il la signification du présent arrêt, Thevenaz, p. 6.

haltensunrecht»). Dans le premier cas, c'est Je résultat de l'acte qui est interdit parce qu'un droit subjectif absolu est violé; dans le second cas, la manière d'agir est prohibée parce qu'elle est contraire à une norme tendant à protéger Je bien juridique lésé. Une atteinte au patrimoine, sans violation d'un droit subjectif ab- solu, n'est par conséquent illicite que si elle résulte d'un comportement que l'ordre juridique prohibe, et ce, indépendamment de son effet sur le patrimoine26.

Or dans le cas présent, le plus souvent ce ne sont pas les droits absolus de la personne morale qui sont violés, ce qui conduirait à retenir l'illicéité de résultat.

C'est le patrimoine de la personne morale qui est plus fréquemment touché. Ce qui oblige à vérifier la viola- tion d'une norme de droit pénal (illicéité de comporte- ment). Mais l'application de celles-ci en la matière pose quelques difficultés: que l'on songe par exemple à la notion de chose confiée (art. 140 CPS) ou à la condition de la qualité de gérant (art. 159 CPS)27 -28.

Le Tribunal fédéral ne procède d'ailleurs pas à l'examen de l'illicéité dans la suite de l'arrêt. Il est vrai que M., le fondé de pouvoir de Z. SA, avait été condamné pénalement pour escroquerie par métier, gestion déloyale et faux dans les titres. Quoi qu'il en soit, on voit mal en quoi la qualification délictuelle de l'acte serait déterminante. 11 suffit, pour les besoins de la cause, de constater que l'organe ou le représentant de la personne morale a agi dans son propre intérêt et au détriment de celui de celle-ci.

En second lieu, exiger l'absence de volonté de re- présenter pourrait bien aller à fins contraires. En effet, certaines constructions échafaudées par un représen- tant indélicat peuvent précisément reposer sur Je fait

26 /\TF 118 Ib 473, 476; 115 ll 15, 18- 19, JT 1989 I 595, 597. Brehm. n. 34 ss ad art. 41 CO; Keller, p. 91; Sclmyder, Basler Kommentar n. 15 ad art. 41 CO; Engel, p. 309 C;

Deschenaux/Tercier, p. 71 n. 24.

27 Sur toutes ces questions, cf. Popp, p. 302 ss, resp. p.

287 ss: Notion de chose confiée (art. 140 CPS): ATF 117 IV 429, JT 1993 IV 173; ATF 111

rv

19, JT 1988 IV 141;

ATF 109 IV 27, JT 1984 IV 41; ATF 106 IV 257, JT 1982 IV 39 (rés.); position de gérant (art. 159 CPS): par ex., ATF 105 IV 307, JT 1981 lV 79, 81; laissée ouverte la question de savoir si une fondée de procuration d'une banque avait la qualité de gérant d'afTaires: ATF 105 IV 189, 190 SS, c. 1 d), JT 1981 IV 24 (rés.).

28 Ainsi, paraîtrait douteuse la qualification comme gestion déloyale de l'ordre donné à la banque par l'administra- teur/caution de rembourser le crédit en compte-courant au lieu de payer des dettes urgentes conformément à la décision du conseil d'administration (cf. arrêt cité supra n. 20).

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238 Chappuis: L'abus de pouvoir du fondé de procuration SZW / RSDA 5/94

que la personne morale soit bel et bien engagée à défaut de quoi le représentant n'est pas en mesure de réaliser pour lui-même le profit espéré29.

2. Reconnaissabilité pour le tiers

La critique du présent arrêt s'attachera ensuite aux conséquences tirées de l'opposition entre simple dé- passement et véritable abus.

La première question est de savoir si la différence d'exigences relatives au niveau d'attention du tiers est juste du point de vue de ce dernier. En effet, comme l'observe un auteur, dès lors qu'un tiers est en cause, Je principe de la confiance ne permet de prendre en considération que les circonstances que ce tiers pou- vait connaître30.

Dans cette optique, on se demandera si le tiers est en mesure de savoir que le représentant (ou organe) avec lequel il traite, dépasse simplement ses pouvoirs ou au contraire en abuse véritablement. En fonction de quelles circonstances reconnaissables par lui, le tiers pourra-t-il savoir s'il doit être peu vigilant ou au contraire extrêmement vigilant?

Force est de constater que, du point de vue du tiers, il n'y a aucune différence apparente entre un représentant (ou organe) qui agit contrairement à une décision du conseil d'administration et un représen- tant (ou organe) qui intervient à son propre profit et au détriment de celui de la société anonyme. Deux exemples illustreront ce propos.

Exemple J 31 Le conseil d'administration d'une SA décide d'utiliser un montant de Fr. 200 000. - en priorité pour honorer

29 Aiosi, dans l'affaire Verreykeo (ATF 96 II 439), l'admi- nistrateur de Parsel SA commande différents lots de diamants à Verreyken; il agit au nom de la société avec l'intention de l'engager. En effet, à défaut d'engagement de Parsel SA, le vendeur, Verreyken, n'aurait pas livré les diamants que l'administrateur avait l'intention de s'ap- proprier. De même, lorsque l'administrateur contracte un emprunt au nom de la personne morale et s'approprie une partie des fonds empruntés (cf. jugement cantonal cité n. 9).

30 Waller, p. 138: «Sobald Drille tangiert sind, erlaubt dos Vertrauensprinzip nur Berücksichtigung von Umstiinden, die der Driue auch kennen musste». Dans le même sens, ATF 83 II 126, 138 c. 5.

31 Tiré de l'ATF Fiduciaire X. c. Crédit Suisse du 14 sept.

1993, publié in SJ 1994 138, cf. n. 20. Le comportement de l'administrateur s'explique par le fait qu'il avait cau- tionné le crédit en compte-courant octroyé par la banque.

Le remboursement de la dette de la société envers la banque avait pour effet d'éteindre le cautionnement fourni par l'administrateur.

des factures urgentes. Cc nonobstant, l'administrateur donne pour ordre à la banque d'affecter ce montant au rem- boursement du crédit en compte- courant octroyé par celle-ci et cau- tionné par celui-là.

Exemple 232 Un administrateur achète à un tiers des diamants au nom de la SA, puis dispa- raît avec ceux-ci sans laisser de traces.

Il paraît injustifié d'exiger, a priori et en principe, du tiers vendeur de diamants une attention accrue par opposition à la banque, du simple fait qu'on qualifie- rait l'exemple 2 de véritable abus de pouvoir et l'exem- ple 1 de simple dépassement.

3. Obligation de diligence du tiers (art. 3 al. 2 CC) 3.1 Consultation du Registre du commerce

L'arrêt affirme qu'en cas de «simple dépassement», le devoir de diligence du tiers s'épuise avec la consul- tation du registre public, à moins que celui-ci ne con- naisse d'éventuelles instructions internes restrictives ou ne doive éprouver des doutes sérieux quant aux pouvoirs de représentation (ATF, p. 26).

Il est vrai, et l'unanimité règne sur ce point33, que l'art. 3 al. 2 CC n'impose pas un devoir général de s'informer. S'agissant d'un domaine où existe un re- gistre public, le tiers· a effectivement l'incombance de consulter ledit registre dans la mesure où les informa- tions qu'il contient lui sont opposables (art. 933 al. 1 C0) 34. La non consultation du Registre du commerce constitue dès lors un défaut de diligence (art. 3 al. 2 CC).

3.2 Autres mesures

Il se pose la question de savoir jusqu'à quel point le tiers peut se limiter à cette consultation. Doit-il éprouver des doutes sérieux, ou des doutes d'une intensité relativement faible suffisent-ils déjà, pour qu'il ne puisse se prévaloir de sa bonne foi? Tout dépend, selon le présent arrêt, de la qualification comme simple dépassement ou véritable abus.

32 Tiré de l'ATF96 II 439, cf. n. 10 et 15.

33 ATF 113 Il 397, JT 1988 l 252, 254; ATF 77 H 138, JT 1952 I 45, 53; ATF 83 II 126, 133, 135 c. 3 (fr.); 38 li 465, 468 c. 2; 33 II 608, 613. Walter, N° 80; Zobl, p. 299; Roth, p. 295; Merz, p. 405; Egger, p. 65; Biir, p. 147; Jiiggi, n. 115, 128 ad art. 3 CC; Desche11aux, p. 213; Ko/Ier, no

152, 282; Bucher A.T., p. 574.

34 Kofler, no 156; Jiiggi, n. 145 ad art. 3 CC; Descl1enaux, p.

232.

(9)

SZW / RSDA 5/94 Chappuis: L'abus de pouvoir du fondé de procuration 239

L'unanimité signalée plus haut ne prévaut pas sur la question d'une éventuelle obligation de faire des recherches supplémentaires. Pour certains auteurs, seuls des soupçons graves confinant à la certitude sont de nature à empêcher l'invocation de la bonne foi 35.

Dans le même sens quoique moins exigeant, un arrêt du Tribunal fédéral nous apprend que «la bonne foi n'est détruite que par un soupçon sérieuX»36.

En revanche, selon d'autres arrêts ou auteurs, le tiers est tenu de se renseigner si les circonstances particulières justifient simplement des doutes ou de la méfiance37Ainsi, est-il admis que, dans certaines branches du commerce, le tiers devra faire preuve d'une vigilance accrue38.

Une distinction semblable à celle posée par le pré- sent arrêt entre doutes de faible intensité et doutes graves est faite par Ziich39 . Selon cet auteur, alors que la négligence légère est opposable au tiers en matière de représentation civile, seule la négligence grave nui- rait au tiers lorsqu'il s'agit de représentation commer- ciale. La gradation dans le doute ne tiendrait donc pas à la différence entre simple dépassement et véritable abus mais à la différence entre représentation civile et commerciale. Ce qui, vu les impératifs de la sécurité du commerce, ne semble pas dénué de bon sens. On peut cependant s'interroger sur le bien-fondé d'une pareille opposition entre représentation civile et com- merciale. Elle revient en effet à admettre que le tiers commerçant doit faire preuve de moins d'attention que le tiers non commerçant. Ce à quoi on peut objecter que le tiers averti qu'est censé être le commerçant devrait, au contraire, être plus sensible aux circonstances fai- sant apparaître une affaire comme louche, partant plus apte à débusquer les affaires douteuses.

Plutôt que d'établir des règles rigides quant au degré d'attention requis40, la préférence sera donnée à

35 Walter, N"" 80 el 224; Dasler Kommenlar II n. 11 ad art. 718a CO; Zobl, p. 299.

36 ATF 77 II 138, JT 1952 l 45, 53.

37 ATF 113 II 397, JT 1988 I 252, 254; ATF 100 II 8, JT 19741 576, 583; ATF 38 Il 465, 468. Deschenaux, p. 217;

Jaggi n. 128 ad art. 3 CC; Ko/Ier, no 152, 283.

38 Par ex.: le commerce des autos d'occasion, ATF 113 Il 397, JT 1988 I 252.

39 Zach n. 60 ad art. 34 CO.

40 En cas d'abus du pouvoir de représentation ou si Je tiers est un commerçant, seule la négligence grave empêcherait l'invocation de la bonne foi, alors que la négligence légère nuirait déjà s'il s'agit d'un simple dépassement de pou- voir ou si le tiers n'est pas un commerçant. Dans le même sens, Roth, p. 295, juge insatisfaisante une détermination abstraite des différents degrés de négligence.

une solution plus souple, plus conforme à l'art. 3 al. 2 CC41. La question est ainsi de savoir ce qu'un homme loyal, placé dans les mêmes circonstances, aurait dû savoir et quelles sont les mesures que cet homme loyal aurait prises. Le juge doit établir ici, comme lorsqu'il apprécie la faute délictuelle (art. 41 CO), un certain niveau moyen d'exigences, sans égard à des facteurs subjectifs42. Parmi les circonstances dont le juge doit tenir compte dans cette appréciation (art. 4 CC), le fait qu'il s'agisse de représentation commerciale a bien entendu son importance.

Il s'ensuit que si les circonstances se présentent de telle manière qu'un homme loyal aurait conçu des doutes, le tiers ne peut se dédouaner avec une simple consultation du registre. Il a l'obligation, ou plus exactement l'incombance, de se renseigner, en tout cas

si

le renseignement est de nature à lui faire découvrir l'existence du vice juridique43.

Le présent arrêt ne peut par conséquent pas être suivi dans son appréciation par trop rigide de la bonne foi du tiers, rigidité imposée par la distinction entre véritable abus et simple dépassement.

3.3 Inutilité de La distinction entre simple

dépassement et véritable abus pour /'appréciation de la bonne foi dans le cas d'espèce

Le présent arrêt a ceci de particulier que, quelles que soient les exigences posées quant au degré d'atten- tion du tiers, H. ne pouvait pas être considéré comme étant de bonne foi. Que l'on admette qu'un doute léger suffisait à lui interdire d'invoquer sa bonne foi comme l'a fait le Tribunal fédéral, ou que l'on estime que seul un doute très sérieux avait cette conséquebce, les circonstances interdisaient à H. de se prévaloir de sa bonne foi.

En effet, l'acheteur/déposant/commettant H. de- vait concevoir des doutes sur cette opération. Au titre des circonstances propres à faire naître le doute, les éléments suivants peuvent être mentionnés. H. n'était pas un simple acheteur dénué de toute expérience, mais le directeur financier d'un groupe holding im- portant (ATF, p. 28). Il était par ailleurs connaisseur des vins et client de Z. SA (ATF, p. 24). De plus, il

41 Dans le même ordre d'idées, Thevenaz, p. 6, craint qu'il ne soit «malaisé de déterminer si le tiers avait des <Mutes sérieux> ou seulement des <doutes d'une intensité relative- ment faible»>, et considère que «le seul critère à retenir est celui de l'attention commandée par les circonstances».

42 Deschenaux, p. 216 ss; Jiiggi n. 122 ss ad art. 3 CC.

ATF 79 II 59, JT 1954 I 45, 49.

43 ATF 100 II 8, JT 1974 1 576, 584- 585.

(10)

240 Chappuis: L'abus de pouvoir du fondé de procuration SZW / RSDA 5/94

connaissait bien la société ainsi que ses dirigeants, car il avait été approché peu avant les faits incriminés pour un poste de directeur de

z.

SA.

La transaction ne pouvait par conséquent pas manquer de lui apparaître comme une opération pu- rement financière. En effet, le but recherché n'était pas l'acquisition de bouteilles d'un excellent vin par H., ou oe l'était que très accessoirement, puisque le contrat ne faisait que réserver à H. le droit, non l'obligation, de conserver 10% du vin. H. n'a d'ail- leurs jamais cherché à individualiser les vins achetés.

De plus les prix fixés se situaient entre 15 el 29%

en-dessous du prix officiel de souscription pratiqué par

z.

SA (ATF, p. 24). Les quantités offertes étaient importantes. Cela étant, ce contrat ne pouvait appa- raître aux yeux de H. comme une souscription habi- tuelle de vins, mais comme une mise à disposition de fonds contre une rémunération de 22,8%. Mise à disposition de fonds qui, vu la situation saine de

z.

SA - connue de H. - el le maigre profit qu'elle devait en retirer (commission de 5% sur certaines ventes), devait paraître insolite à H. Autre fait de nature à éveiller les soupçons de H., X. lui avait demandé de mentionner son nom sur le chèque à côté de celui de Z. SA.

Lors même qu'on soutiendrait que seuls des doutes sérieux pouvaient conduire à nier la bonne foi du tiers contractant, H. ne pouvait pas ne pas avoir des doutes sur les réels pouvoirs de X. H. «devait donc, dans les circonstances concrètes, procéder à une vérification»

auprès de Z. SA (ATF, p. 28). Cette obligation de vérification s'imposait d'autant plus à H. que, «de par sa situation, il aurait pu obtenir tous les renseignements utiles directement des organes de la défenderesse, puis- que, à peine un mois plus tôt, il avait eu des contacts avec eux pour un poste de directeur» (ATF, p. 28).

En réalité, force est de constater que le Tribunal fédéral ne se distancie pas des critères traditionnels dégagés pour l'application de l'art. 3 CC dans le pré- sent cas nonobstant le fait qu'il affirme vouloir se montrer plus exigeant44.

Par conséquent, la distinction opérée par le Tribu- nal fédéral entre simple dépassement et véritable abus pour justifier un degré d'attention plus élevé dans le second cas était inutile dans le cas concret, car le

44 Cf. réf. cil. ATF, p. 27 par. 2, qui concernent, à juste titre d'ailleurs, la mesure gènérale de l'attention exigée du tiers.

résultat n'aurait pas été différent si les exigences avaient été moins élevées.

4. La séparation absolue entre pouvoir ( «Konnen») et avoir l'autorisation d'agir («Dürfen») est-elle dépassée?

C'est le lieu de mentionner ici une thèse nouvelle qui a déjà trouvé sa place dans le commentaire bâlois relatif à la partie générale (art. 32 ss CO) ainsi qu'à la partie spéciale du Code des obligations (art. 458 ss, 717 ss, etc. CO). Elle est soutenue par Watter4

5,

selon lequel il y a lieu d'abandonner la traditionnelle dis- tinction entre pouvoir de représenter (Vetretungs- macht, Kônnen) et autorisation de représenter (Ver- tretungsbefugnis, Dürfen). Distinction qui est une conséquencedu principe de l'abstraction 46- 47En vertu de ce principe, il convient de distinguer absolument les pouvoirs du rapport de base, ce qui a conduit à la formation d'autres couples d'opposés: rapports inter- nes («lnnenverhiiltnis») et rapports externes («Aus- senverhiiltnis»), pouvoir («Macht») et autorisation («Ermiichtigung»), «Kônnen» (pouvoir) et «Dürfen»

(autorisation). Il s'ensuit que des considérations tirées du rapport de base (rapports internes) ne devraient jamais interférer avec les pouvoirs tels qu'ils prévalent dans les rapports externes.

Du fait de l'abandon de cette distinction, Walter détermine en première analyse l'existence et l'étendue des pouvoirs en fonction des rapports internes. Ce qui a pour conséquence qu'un acte accompli soit contrai- rement aux instructions du représenté/personne mo- rale, soit au détriment de celle-ci n'est jamais couvert par les pouvoirs48. La raison en est que le représentant ne peut pas raisonnablement se considérer comme autorisé par Je représenté ou la personne morale à accomplir des actes qui lui soient préjudiciables49.

45 D'abord dans sa thèse: «Die VerpOichtung der AG aus rcchtsgeschaftlichem Handeln ihrer Stellvertrcter, Pro- kuristen und Organe», Zurich 1985, puis reprise par le même auteur dans le Commentaire bâlois en 1992. La même idée a été soutenue auparavant par Scl1iirer, p.

62 SS.

46 Cf. Watier N° 26 Il. 46.

41 Celle importation d'Allemagne ne constituerait-elle pas un autre cas de lecture de notre droit privé à travers la

«loupe déformante» du BGB/HGB, selon la formule de B. Foëx, Le numerus clausus des droits réels en matière mobilière, Lausanne 1987, p. 267?

4s Wauer N"" 61, 73, 177 - 178 c).

49 Watter N°" 32, 73, 74 n. 197, 178 n. 636. Cf. dans le mê1:'1e ordre d'idées une réflexion d'une cour cantonale repnsc à son compte par le Tribunal fédéral, ATF 66 II 249, JT

(11)

SZW /RSDA 5/94 Chappois: L'abus de pouYoir do fondé de procuration 241

Lorsque, après ce premier examen, il apparaît que les pouvoirs n'existent pas, il faut se demander si ce vice est guéri par la bonne foi du tiers dans le cadre des dispositions applicables (not. art. 33 al. 3, 34 al. 3, 459 al. 1, 460 al. 3, 718a al. 2 CO).

L'un des avantages de cette construction est de résoudre de manière dogmatiquement satisfaisante le cas de «l'abus du pouvoir de représentation», qu'il est difficile sinon à traiter sous l'angle de la bonne foi (art. 3 CC). En effet, l'abus suppose que les pouvoirs existent. Et si les pouvoirs existent, il n'y a aucun vice auquel la bonne foi pourrait remédicr50. Il ne resterait en bonne théorie que le recours à l'abus de droit (art.

2 al. 2 CC), qui serait susceptible de résoudre le cas de la collusion entre le tiers et le représcntant51 , mais non celui où le tiers sait, sans être complice du représen- tant, ou ne sait pas, mais devrait savoir52, que le repré- sentant ou l'organe abuse de ses pouvoirs.

On peut considérer que l'idée d'un abandon de la séparation absolue entre pouvoirs et rapport de base a fait son chemin pour ce qui est de la question dite des instructions, du moins dans la doctrine. Il est en effet aujourd'hui admis que les instructions du repré- senté (sauf simples souhaits) restreignent effective- ment les pouvoirs53Par conséquent, leur opposabilité au tiers devient une question de bonne foi si les pou- voirs lui ont été communiqués (art. 33 al. 3 et 34 al. 3 CO) ou si les pouvoirs résultent du Registre du com- merce (par ex., art. 459 al. 1, 718a al. 2 CO).

Le pas devrait-il également être fait pour l'abus de pouvoir, hypothèse dans laquelle le représentant agit à son propre profit et au détriment du représenté? Ce qui reviendrait à recevoir la thèse de Watter et à considérer que les pouvoirs ne couvrent jamais des actes contraires aux intérêts du représenté, donc inter- dits par Je rapport de base54li s'ensuivrait logique- ment que la distinction entre abus de pouvoir (le représentant «peut» mais ne «doit» pas) et dépasse-

1941 l 38, 41; «En cas d'acte illicite, il y a toujoLtrs dépas- sement de compétence puisqu'un associé [d'une société en nom collectif} n'est jamais autorisé à commettre un acte illicite».

50 « Wo 11ichts fehlt, ist nichts zu heilen»: Gauch/Sch/Ltep/

Jiîggi, N° 1043. Jiiggi n. 30 ad art. 3 CC; Watter N° 30 b.

SI Exœptio doli: Engel, p. 265, 268 N° 8; v. Tuhr/Peter, § 42, p. 362- 363; Violand, p. 81 - 82.

s2 Egger, p. 64-65, résout également ces deux hypothèses sur la base de l'art. 2 al. 2 CC.

53 Cf. supra n. 19.

54 «Der Vertreter <kann>{. . .) nicht mehr ais er <ciarf>»:

Watter, N° 29.

ment de pouvoir (il ne «peut» pas et ne «doit» pas) n'aurait plus cours, parce que le représentant ne

«pourrait» pas dans un cas comme dans l'autre.

Zob/55 s'y refuse expressément, en maintenant une nette séparation entre «Vertretungsbefugnis» et «Ver- tretungsmacht». Ce nonobstant, il admet avec Watter que l'acte accompli au détriment de la personne mo- rale n'est pas couvert par les pouvoirs56. On peut se demander s'il est possible, sans se contredire, d'ad- mettre l'un sans admettre l'autre, de distinguer nette- ment Je «Kônoen» et le «Dürfen» tout en reconnais- sant que les pouvoirs n'existent pas lorsque le repré- sentant peut, mais ne doit pas.

Il convient cependant de rester prudent, car les conséquences de l'abandon de la distinction, donc d'une relativisation du principe de l'abstraction doi- vent être soigneusement mesurées avant de se lancer dans cette voie.

IV. Conclusion

Il découle des considérations qui précèdent que la distinction entre «simple dépassement» et «véritable abus» est insatisfaisante pour plusieurs motifs:

- elle repose sur une définition contestable du «véri- table abus» (supra III.1);

- elle entraîne des conséquences inéquitables pour les tiers (supra IIl.2);

- elle conduit à un système trop rigide quant à l'ap- préciation de la bonne foi (supra III.3.2);

- elle est inutile dans le cas présent (supra III.3.3);

- elle perdrait sa raison d'être selon une tendance récente de la doctrine (supra III.4).

La solution à laquelle parvient l'arrêt est pourtant satisfaisante, tant il est vrai que H. ne méritait pas la protection de la loi 57 . Or il est possible d'y parvenir tout en renonçant à la distinction opérée par le Tribu- nal fédéral, mais sans pour autant admettre la thèse de

Waller (supra III.4). En effet, en application de

SS Zobl, p. 294 n. 25.

56 Zobl, p. 295 b).

s7 Quelle aurait été la solution préconisée par le Tribunal fédéral si le tiers avait seulement fait preuve d'inattention légère? Aurait-il encore été justifié de libérer la personne morale de toute obligation et de faire supporter entière- ment la charge du risque créé par le directeur félon au tiers? Une solution plus nuancée pourrait se fonder sur une éventuelle action en responsabilité du tiers pour acte illicite de l'organe (art. 718 al. 3 aCO, 722 CO) avec indemnité plus ou moins réduite selon le degré d'inatten- tion dont a fait preuve Je tiers (art. 44 al. 1 CO).

(12)

242 Chappuis: L'abus de pouvoir du fondé de procuration SZW / RSDA 5/94

l'art. 459 al. l C058 (et 3 al. 2 CC), H. ne peut se prévaloir de ce que le contrat conclu par X. est cou- vert par le but de la SA qu'à la condition d'être de bonne foi. Dans les circonstances décrites plus haut (ch. III.3.3), un homme loyal aurait eu des doutes sur les agissements de X. H. ne peut par conséquent pas se prévaloir de sa bonne foi, ce qui signifie que le contrat est conclu sans pouvoirs par X. et n'engage pas Z. SA.

* * * * *

Ouvrages cités

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58 Le raisonnement n'aurait pas été aussi direct s'il avait été fondé sur l'art. 7 J 8a al. 1 et 2 CO/art. 718 al. 1 et 2 aCO, vu la difTérencc de texte existant entre ces dispositions et l'art. 459 al. 1 CO (cf. supra n. 14). L'art. 718a CO pose deux questions successives, la seconde étant elle-même double: - a) l'acte est-il couvert par le but (al. !)? - b) Les pouvoirs tels que définis à l'a!. J ont-ils été restreints (al. 2)? Dans l'affirmative, le tiers est-il de bonne foi? En l'espèce, la réponse à la première question est clairement affirmative, le contrat en cause est couvert par le but de Z. SA. La seconde réponse est a priori négative, Z. SA n'ayant pas restreint les pouvoirs de X. Dans cette hypo- thèse, puisque l'acte est couvert par des pouvoirs qui n'ont pas été restreints, la question de la bonne foi du tiers ne se poserait même pas. Un tel résultat ne serait cependant pas satisfaisant. Pour réconcilier Je résultat souhaitable avec le raisonnement, il faudrait admettre que les pouvoirs ont été tacitement restreints, car l'acte serait contraire à la volonté présumable de Z. SA (Zab!, p. 295-296 b); Watter N° 189). La seconde réponse est alors affirmative, les pouvoirs ont été restreints, et la bonne foi du tiers doit être examinée.

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Références

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