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Abus du pouvoir de représentation : le fondé de procuration devenu organe

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Abus du pouvoir de représentation : le fondé de procuration devenu organe

CHAPPUIS, Christine

CHAPPUIS, Christine. Abus du pouvoir de représentation : le fondé de procuration devenu organe. Pratique juridique actuelle , 1997, vol. 6, p. 689-702

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:42929

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Abus du pouvoir de représentation

AJP/PJA 6/97

Abus du pouvoir de représentation:

le fondé de procuration devenu organe

,

Plan:

Christine Chappuis, avocate, chargée de cours à l'Université de Genève

I. Introduction l. Premier arrêt 2. Second arrêt

3. Comparaison des résultats Il. ReprésenLation

A. Remarques préalables l. Organe ou employé

2. Restriction Lacite des pouvoirs

B. Incidence du présent arrêt sur le principe dit de l'abstraction des pouvoirs

1. Le principe de "l'abstraction"

2. La théorie de l'abus du pouvoir de représentation 3. L'"abus de pouvoir", un simple cas de représentation

sans pouvoir 4. Conclusion

C. La bonne foi du tiers (art. 3 CC)

1 . Déternùnation de la personne dont la bonne foi doit être considérée

2. Incidence de la distinction enLre "véritable abus" et

"simple dépassement" sur l'appréciation de la bonne foi 3. Appréciation de la bonne foi en l'espèce

D. Résumé

ID. Responsabilité délictuelle A. Remarques préalables

l. Absence d'illicéité

2. Modification de la base légale de la prétention 3. Incidence de la mauvaise foi du tiers sur la prétention

délictuelle

4. Admissibilité de principe de la responsabilité délictuelle B. Fondement légal, conditions, réalisation

1. Fondement légal de la prétention délictuelle 2. Qualité d'organe

3. Acte illicite

4. Dommage, lien de causalité, intention C. Faute concomitante du lésé

D. Faute additionnelle de la personne morale IV. Conclusion

1. Introduction

La présente contribution a pour objet un arrêt du Tribunal fédéral rendu le 21 mars 1995 en la cause S. c. Caves Movenpick SA (ci-après C.M. SA)1Cet arrêt fait suite à une décision rendue deux ans auparavant dans une affaire similaire2

1. Premier arrêt

Le 19 janvier 1993, le Tribunal fédéral rendait une décision3 qui avait pour toile de fond un marché parallèle de vin orga- nisé à son propre profit par X., alors fondé de pouvoir, au détriment et à l'insu de son employeur. Etaient en cause deux conventions du 29 août 1983 aux termes desquelles H. (demandeur) achetait à C.M. SA des vins. La marchan- dise devait être déposée dans les caves de C.M. SA qui s'engageait à les revendre dans un délai de 18 mois au prix

initial, majoré de 40%; si elle pouvait obtenir un prix

supérieur, C.M. SA avait droit à une commission de 5 % sur le profit supplémentaire. H. avait payé le prix, mais n'avait reçu ni vin, ni produit d'une quelconque revente. Il ouvrit aclion en exécution desdites conventions et fut débouté aussi bien par le Tribunal cantonal vaudois que par le Tribunal fédéral.

2. Second arrêt

Le même X. avait proposé des affaires similaires à un client genevois, S. Ainsi, le 11 avril 1983, S. achetait-il, aux con- ditions expliquées ci-dessus, près de 4500 bouteilles de grands vins de Bordeaux pour un montant total de 150025 fr.

X. fut promu directeur-adjoint en janvier 1984.

S. était également organe d'une société genevoise F. SA à qui un autre type de convention fut proposé, soit l'achat et' la revente, avec un bénéfice important, de caves de restaurants. Agissant à titre fiduciaire pour un certain nombre d'investisseurs, dont S., F. SA chargea, par con- vention du 20 février 1984, C.M. SA, représentée par X.

et Y. (tous deux titulaires de la signature collective à deux), d'acheter en son nom le stock de vins du restaurant G. pour le montant d'environ 780000 fr. Cc stock devait être revendu

Seuls les considérants 4 et 5 ont paru aux ATF 121 ID 176, JT 1995 1 319 (extrait), Pr. 1995 919; le considérant 3 est partiellement publié in SJ 1996 222.

2 Arrêt du Tribunal fédéral du 19 janvier 1993 dans la cause H. c. Caves Movenpick SA, ATF 119 ll 23, SJ 1993 481, Pr. 1995 38.

3 Cf. supra n. 2. Cet arrêt a ét6 commenté par: BAR, in RJB 1995 430 ss; SCHNYDER, in RJB 1995 129 ss; ENGEL, in RSJ 1996 149 ss; KONZLE in PJNAJP 1993 999 ss; THEVENAZ, in Bulletin CEDIDAC 1994 6; CHAPPUIS, in RSDA 1994 232 ss. L'arrêt de 1995 est mentionné par ScHNYDER, in RJB 1997 34 s, en rapport avec l'art. 3 CC.

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Christine Chappuis

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dans les trois mois pour le même montant majoré de 10,5 %. Une convention similaire fut passée le 5 mars 1984 entre F. SA et C.M. SA pour le prix d'environ 970000 fr.

F. SA règla les deux montants par chèques bancaires libellés à l'ordre de C.M. SA et remis en mains de X.

Tant la souscription d'avril 1983 que les rachats de caves de février et mars 1984 étaient fictifs. En réalité, ils cons- tituaient pour X. un moyen de se procurer de l'argent pour ses besoins propres ou pour combler les déficits creusés dans les caisses de C.M. SA.

F. SA céda une partie de ses droits (600000 fr.) à S. qui actionna C.M. SA en paiement de 900035 fr., plus intérêts à 6 % dès le 15 juin 1984 (montant correspondant à l'intérêt à l'exécution au contrat). En première instance, le demandeur obtint 750025 fr., plus intérêts à 5% dès le 5 mars 1984•.

En seconde instance, il fut débouté de toutes ses conclu- sions. Le Tribunal fédéral, par arrêt du 21 mars 1995, con- damna C.M. SA au paiement de 562518 fr. 75 au total (avec intérêts à 5 % dès la date de conclusion de chacune des conventions).

3. Compar aison des résultats

Au premier client, le Tribunal fédéral refuse toute protec- tion, au second il accorde sa bienveillance à raison des trois quarts de sa mise de fonds initiale. Dans le premier cas, on considère que l'abus du pouvoir de représentation de X.

pouvait et devait être reconnu par H. et que, vu l'absence de bonne foi de H., la convention n'était pas opposable à C.M. SA. Le second arrêt part de la même constatation, c'est-à-dire de l'absence de bonne foi d'un autre tiers, S:, et de l'inopposabilité de la convention à C.M. SA. Mais il admet la responsabilité délictuelle de celle-ci pour acte illicite fautif de son organe. C.M. SA est cette fois con- damnée au paiement de dommages-intérêts. On peut se demander si une telle différence de traitement entre les deux tiers (rien pour le premier, trois quarts pour le second) est jutifiée.

Nous allons suivre Je raisonnement du second arrêt en conservant l'ordre dans lequel il aborde les problèmes, c'est- à-dire successivement la question de la représentation de C.M. SA par son organe (considérant 3)~. puis celle de la responsabilité délictuelle de C.M. SA pour le comporte- ment de son organe (considérant 4).

II. R eprésenta tion

A. Remarques pr éalables

Les parties en présence sont toutes deux des personnes morales, C.M. SA et F. SA.

·n

s'agit donc de déterminer quelles personnes physiques ont agi pour C.M. SA de manière, le cas échéant, à l'engager et quelles sont les per- sonnes physiques dont la bonne ou la mauvaise foi peut être imputée à F.

1. Organe ou employé

Les deux hommes qui agissent au nom de C.M. SA sont X., fondé de procuration jusqu'en janvier 1984, puis direc- teur-adjoint, et Y., fondé de procuration. Tous deux ont la signature collective à deux. Le premier contrat (du 11 avril 1983) est conclu par deux fondés de procuration, les deux autres conventions (des 20 février et 5 mars 1984) le sont par un fondé de procuration et un directeur-adjoint. Ce qui amène le Tribunal fédéral à comparer les pouvoirs de l'organe6 (art. 718 al. 1 et 2 aCO, art. 718a al. 1 et 2 CO) avec ceux du fondé de procuration (art. 459 al. 1 CO). Il renonce cependant à distinguer les deux notions parce que

"malgré un libellé différent, l'art. 459 al. 1 CO et l'art. 718 al. 1 et 2 aCO aboutissent au même résultat en l'espèce"7 La question centrale dans les deux cas est en effet celle de la compatibiLité de l'acte avec le but social.

Si la différence entre un organe et un fondé de procura- tion est effecli vement sans pertinence en matière de repré- sentation de la société anonyme8, il n'en va pas de même au plan de la responsabilité délictuelle: responsabilité pour son propre fait9 dans le premier cas, pour le fait d'autrui10 dans le second.

Une fois admis que les trois conventions sont couvertes par le but social de C.M. SA et que celle-ci est en principe contractuellement liée, demeure une différence de texte entre l'art. 459 al. l CO et l'art. 718 al. l aCO (718a al. l CO) qui ne peut être ignorée. Conformément à la première de ces dispositions, ce n'est qu'à "l'égard des tiers de bonne foi" que les pouvoirs englobent tous les actes que comporte Je but social. En revanche l'alinéa )"de l'art. 718 aCO (718a CO) ne mentionne pas la condition de la bonne foi. C'est l'alinéa 2 de cette disposition qui l'introduit, mais dans l'hypothèse seulement où les pouvoirs ont été limités. Or en l'espèce, à première vue du moins, C.M. SA n'avait pas limité les pouvoirs de X. Dans cette optique, la différence entre organe (arc. 718 al. 1 aCO, 718a al. 1 CO n'exigeant pas la bonne foi du tiers) et fondé de pouvoir (art. 459 al. l CO exigeant la bonne foi) paraît conserver son impor- tance.

Mais, et c'est là qu'il pose un jalon essentiel et nouveau, le Tribunal fédéral supprime la différence apparente entre

4 Le Tribunal de Première Instance de Genève avait admis la responsabilité délictuelle de C. à concurrence de 750025 fr ..

montant correspondant au prix payé par S. en exécution de la première convention additionné des parts cédées par F ..

sans réduction pour faute concom.ittante.

5 Le considérant 3 est résumé en un seul paragraphe dans l'ATF 121 Ill 176, 179, et partiellement reproduit in SJ 1996 223.

6 Ce faisant il considère implicitement comme évident que le directeur-adjoint a la qualité d'organe.

7 Arrêt du 21 mars 1995, p. 13 (partie non publiée).

8 Sous réserve de l'art. 459 al. 2 CO qui prévoit que le fondé de procuration ne peut aliéner ou grever des inuneubles, s'il n'en a reçu le pouvoir exprès. Mais il ne s'agissait pas en l'espèce d'affaires immobilières.

9 Art. 55 al. 2 CC, an. 718 al. 3 aCO, art. 722 CO.

lO Art. 55 CO. Cf. infra Ill/B/2 et D.

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Abus du pouvoir de repré se ntation

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les deux dispositions en cas d'abus du pouvoir de repré- sentation. Son raisonnement se fonde sur la notion de restriction tacite des pouvoirs et a pour résultat que seul le tiers de bonne foi peut se prévaloir de l'étendue des pou- voirs telle que définie par la loi à l'art. 459 al. 1 comme à l'art. 718a al. 1 CO.

2. Restriction tacite des pouvoirs

Pour qu'un acte accompli par un organe ou un fondé de procuration engage la personne morale, il ne suffit pas que cet acte soit couvert par le but social, encore faut-il que les pouvoirs de l'organe ou du fondé de procuration n'aient pas été restreints. li est incontesté que, dans les rapports inter- nes, cette restriction peut intervenir soit expressément, soit tacitement11La notion de restriction tacite des pouvoirs est celle qui nous intéresse plus particulièrement dans le cas présent. Il convient à ce propos de citer le texte même de l'arrêt12: "(. •• ), La restriction des pouvoirs au sens de l'art. 718 al. 2 a CO peut intervenir tacitement, lorsque l'acte envisagé est contraire à la volonté présumable de la société13 (ZOBL, Probleme der organschaftlichen Vertre- tungsmacht, in ZBJV/RJB 12511989, p. 295/296). En ce cas, la bonne ou la mauvaise foi du tiers qui traite avec l'organe doit - comme dans la situation visée par l'art. 459 al. 1 CO - être prise en compte pour juger si l'acte lie ou non la société (CHAPPUIS, L'abus de pouvoir du fondé de procuration, in SZW/RSDA 5/1994, note 58, p. 242; ZOBL, op. cit., p. 296/297; WATIER, Commentaire bâlois [ ... ], n. 8 ss ad art. 718a CO). En conclusion, les mêmes princi- pes s'appliquent pour déterminer si les contrats en cause lient la défenderesse". ·

Plus loin, le Tribunal fédéral constate que l'organe, X., avait abusé de son pouvoir de représentation, hypothèse dans laquelle une négligence même légère peut empêcher le tiers de se prévaloir de sa bonne foi14

Il faut en conclure que le Tribunal fédéral reçoit dans cet arrêt la thèse soutenue par WAîTER15, selon laquelle un abus du pouvoir de représentation, ou un acte entrepris par le représentant contrairement aux intérêts du représenté, n'est pas couvert par les pouvoirs. Selon cet auteur, le repré- sentant n'est pas en droit d'admettre qu'il est autorisé à accomplir des actes contraires aux intérêts du représenté.

Il s'ensuit que les pouvoirs sont restreints, dans les rapports internes, aux actes accomplis dans l'intérêt du représenté.

Le problème de l'abus du pouvoir de représentation se transforme dès lors en un problème classique de restriction tacite des pouvoirs dont l'opposabilité au tiers dépend de sa bonne foi. Dans cette optique, l'abus du pouvoir est un cas de représentation sans pouvoirs (art. 38 al. l CO), et non une hypothèse d'abus manifeste d'un droit non protégé par la loi (art. 2 aJ. 2 CC) 16Le problème posé trouve par conséquent sa solution dans les règles relatives au droit de la représentation, notamment l'art. 38 al. 1 CO, selon lequel le représenté n'est pas lié, et des dispositions prévoyant une exception en faveur du tiers de bonne foi (art. 34 al. 317, 459 al. 1, 7 l 8a al. 2 CO, art. 718 al. 2 aCO). Cela revient à traiter l'abus du pouvoir comme un cas de dépassement des pouvoirs.

-

Il est à noter que la même conception prévaut pour régler les situations de conflit d'intérêts existant en cas de contrat avec soi-même· ou de double représentation ("Selbsvertrag"

et "Doppelvertretung", regroupés en "Insichgeschafte").

Dans ces hypothèses, en effet, la jurisprudence et la doc- trine considèrent que les pouvoirs sont restreints de manière tacite, de telle sorte que, en cas de danger de conflit d'intérêts, l'acte entrepris n'est pas couve1t par les pouvoirs, sauf consentement exprès du représenté'8

L'objection fondamentale qu'on pourrait opposer à cette manière de régler l'abus du pouvoir par les règles applica- bles à la restriction tacite des pouvoirs, donc à la repré- sentation sans pouvoirs, tient au principe dit de l'abstraclion des pouvoirs.

B. Incidence du présent ar rêt sur le principe dit de l'abstr action des pou voirs

1. Le principe de "l'abstraction"

Paraphrasant un auteur français, on serait tenté de dire du principe de l'abstraction qu'il "tire une partie de sa majesté du mystère qui l'environne"19Le principe de l'abstraction a

li WATTER, no 187; Ba. Ko., n. 6 ad art. 718a CO; ZOBL, p. 295-296; ZACH, n. 3 ad art. 34 CO; GAucHISCHLUEP, nos 1364-1365; v. TuHRIPETER, § 42 VI 4, p. 367.

12 Arrêt du 21 mars 1995, SJ 1996 223.

13 Caractère italique ajouté.

14 Arrêt du 21 mars 1995, p. 16 (partie non publiée).

15 WATIER, nos 29, 32, 72 SS, 177 SS, 189; Ba. Ko., n. 8 SS ad art. 718a CO; RDS, p. 543; thèse reprise par ZoBL, p. 295-296, déjà soutenue par DB SAUSSURE, p. 59 SS, el DANUSER, p. 39.

Dans le même sens, MESSERLI, p. 18 et n. 11; KOLLER, AT I, nos 1398 et 1413.

16 Une partie de la doctrine règle le problème par le recours à l'abus de droit: ZA.CH n. 15 et 17 ad art. 38 et réf. cit. Cf. par ailleurs, infra B/2.

17 L'art. 34 al. 3 CO, applicable à la représentation civile, sup- pose que les pouvoirs aient été communiqués aux tiers. En matière de représentation commerciale, cette communication est remplacée par l'inscription au Registre du commerce des personnes habilitées à représenter la société (fondé de procu- ration ou organe: art. 458 al. 2 et 720 CO).

18 ATF 120 II 5, 9-10: "Eine Beschrankung der Vertrctungs- macht liegt regelmassig bei Insichgeschaften vor, wenn die Gefahr einer Interessenkollision besteht und nicht eine bcson- dere Ermlichtigung der dafür zustlindigcn Organe gegeben ist". Cf. par ailleurs WATIER, nos 196, 59; ZoBL, p. 301-302, 305; GuHL/MERz/DRUEY, § 18 III; SCHARER, p. 139 ss. La jurisprudence et la doctrine moins récentes, tout en passant par le comblement d'une lacune (art. l al. 2 et 3 CC), pla- çaient le débat sur le plan de l'illicéité pour admettre qu'un acte accompli avec soi-même ou par un double représentant était nul ("unzulassig", par conséquent "ungültig", ce qui ne correspond d'ailJeurs pas tout à fait à "illicite", donc "nul"):

cf. parex.,ATF95Il 617,JT 1971I130, 133;ATF 8911321, JT 1964 1 226, 228 et 230; ATF 39 Il 561. ZACH, n. 78 ss, 80 ad art. 33 CO et réf. cit.

19 JAPIOT, Des nullités en matière d'actes juridiques, p. 302 (cité par ENGEL, p. 113), parlait ainsi de l'ordre public.

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Christine C h appuis

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été importé d'Allemagne20.1au milieu du siècle dernier2223

Sa réception en droit suisse n'est cependant pas incon- testée2•.

Conformément au principe de l'abstraction, il convient d'opérer une séparation nette entre les pouvoirs de repré- sentation et le rapport de base (contrat de travail, mandat, entreprise, etc.). Les pouvoirs sont dits abstraits en ce sens qu'ils sont tout à fait indépendants du rapport de base. Cc dernier rapport détermine le "Dürfen" (ou "Sollen", "Ver- tretungsbefugnis"), c'est-à-dire ce que le représentant a le droit de faire, mais est sans influence sur l'étendue du

"Konnen" ("Vertretungsmacht"), sur ce qu'il peut faire. Le représenté ou la société ne peut donc opposer au tiers des objections tirées de son rapport avec le représentant ou l'organe. Le principe de l'abstraction répond à un soucis de protection des tiers et de sécurité juridiquc25

Appliqué au problème qui nous occupe, le 'principe de l'abstraction a pour conséquence que l'acte accompli par un représentant ou organe qui abuse de son pouvoir est un acte accompli avec pouvoirs. En effet, le représentant ou l'organe qui abuse de son pouvoir peut ("kann"), mais ne doit pas ("darf nicht ") accomplir l'acte. Puisque le repré- sentant ou l'organe agit avec pouvoirs et que les objections issues du rapport de base ne sont pas opposables au tiers, le représenté ou la société sont liés, .lors même que le tiers savait ou aurait dû savoir que le représentant ou l'organe agissait de manière contraire à ses obligations.

Le principal inconvénient de ce raisonnement est de favoriser également le tiers qui ne le mérite pas, en raison de ce qu'il sait ou doit savoir~. Aussi, pour corriger ce que la théorie pouvait avoir d'excessif et d'inéquitable, la doc- nine allemande dut-elle avoir recours à la théorie du "Miss- brauch der Vertretungsmacht"27A nouveau la doctrine suisse s'en fit l'écho28, malgré le fait que Je Code suisse des obligations ne contient pas de dispositions équivalentes aux dispositions allemaodes29, encombrant notre système juridique de cieux notions, l'abstraction des pouvoirs de représentation et l'abus du pouvoir, dont il n'a nul besoin.

Dans la présente espèce, l'organe, X., conclut des con- trats mixtes de vente, dépôt, commission avec S., qui sont couverts par le but social de C.M. SA. Mais il agit en violation des obligations résultant du rapport le liant à C.M.

SA. Si l'on voulait s'en tenir au principe de l'abstraction des pouvoirs, ces contrats seraient couverts par les pou- voirs de X., sous la seule réserve de l'abus de droit (art. 2 al. 2 CC).

20 Cf. LABAND, p. 203 ss. Le grand mérite de LABAND fut de concevoir le pouvoü· de représentation comme distinct du rapport de base, ce qui, à l'époque, était révolutionnaire, au point que la pensée de LA BAND fut qualifiée d'exploit et de découverte juridique ("grossartige Leistung", "juristische Erfindung"): FLUME, Rechtsgeschaft, § 45 II 2, p. 787 et n. 20; ZOBL, p. 294 n. 25. Cf. par ailleurs, FLUME, Rechtsge- schli.ft, § 45 Il 1 et 2, p. 784 ss; PALANDT-HEINRlCHS, n. 2 ad

§ 163 BGB; SoERGELILEP'T'IEN, n. 45 ss ad § 164 BGB;

MüKo-SCHRAMM, n. 90 SS ad § 164; ERMAN-BROX, n. 6, 8 Vor § 164 BGB; STAUDINGERISCHlLKEN, n. 34-35 Vorbem zu

§§ 164 ss. C'est un pas qui n'a été fait que tardivement en

droit français par la doctrine, mais non par la loi elle-même, puisque le CCF règle la représentation dans le cadre des dis- positions relatives au mandat (art. 1984 ss CCF). Le mandat français se conçoit essentiellement comme un mandat de représentation. La doctrine admet cc nonobstant l'existence du mandat sans représentation (GHESTIN, p. 317) et celle de la représentation sans mandat (GHESTL"I, p. 318; MALAURIFI AYNES, p. 279).

21 En droit allemand, le principe de l'abstraction trouve un fon- dement légal dans différentes dispositions. Ainsi, au § 50 I HBG, selon lequel "Eine Beschriink1111g des Umfa11ges der Prokura ist Dritten gegenüber unwirksam" et au § 82 I Aktiengesetz: "Die Vertretungsbefugnis des Vorsta11ds kann nicht beschrëi11k1 werden". Cf. MüKo-SCHRAMM, n. 97 ad

§ 164 BGB.

22 D'abord par OSER, p. 146-147; OSER/Sc11ôNENBERGER, n. 26 ss ad art. 32 CO. Cf. par ailleurs, VON TUHR, trad., § 42 II, p. 291-292; VON TUHR, § 42 Il, p. 291, IV, p. 293 ss; VON TuHRIPETER, § 42 II, p. 359, IV, p. 362; ENGEL, p. 382, plus nuancé p. 383; BUCHER, p. 615 ss; GAucH/ScHLUEP, no 1351;

GAuc11/SCHLUEPtrERCIER, no 978; Z.A.c11, n. 160 ss ad art. 32 CO, n. 121 ad art. 33 CO; BuTSCllER-SCHWARZ, p. 22 ss;

KELLER/SCHÔBI, p. 80; ZOBL, p. 294, n. 25; MEIER-HAYOz/

FORSTMOSER, § 2 n. 82.

23 La jurisprudence monue davantage de prudence. L'arrêt

généralem~nt cité à l'appui du principe de l'abstraction, l'ATF 7811369, JT 1953 T 275, 277, n'utilise pas le terme d'abstrac- tion. En revanche, dans l'ATF 95 II 442, 449, le Tribunal fédéral distingue clairement "Vertretungsmacht" et "Vcrtre- tungsbefugnis" et dans I'ATF 77 Il 138, JT 1952 1 45, 47, l'obligation ("sollen") ou l'autorisation ("dürfen") du pouvoir d'agir ("kônnen").

24 De SAUSSURE, p. 7 SS, 32 SS, 60 SS, 146, en 1945 déjà et de la manière la plus pertinente, avait contesté que le principe allemand de l'abstraction fût applicable en droit suisse.

S1MON!US, in SJ 1949 522 ss, signalait également l'usage impropre qui était fait du mot "abstrait" en matière de repré- sentation. Plus récemment, WATIER, RDS, p. 541 ss; thèse, nos 12, 13, 29, 61, propose de renoncer à distinguer "Ver- tretungsmacht" et "Vertretungsbefugnis" et ne conserve le principe de l'abstraction que dans un sens étroit (thèse, no 29 n. 46). Cf. par ailleurs, GAUTSClll Vorb. art. 458 ss CO, n. 2, n. 2b ad art. 458 CO; V!OLAKD, p. 49 ss, 51, considère que la pensée en soi exacte de LABANO a été exagérée. D'autres auteurs, tout en admettant le principe, n'utilisent le terme d'abstraction qu'entre guillemets ou précédé du mot "soge- nannt" (par ex., BuCHER, p. 615 ss); KûNZLE, Stellvertretung, p. 51 n. 89, et HEFTr, p. 6, le limitent aux pouvoirs "exter- nes", c'est-à-dire aux pouvoirs communiqués au tiers (art. 33 al. 3 et 34 al. 3 CO). Dans le même sens, ERB, p. 103-104.

25 EGGER, p. 48; DE SAUSSURE, p. 61. Cf. pour le droit allemand, STAUDINGERIScHILKEN, n. 34 Vorbem. ad § 164 ss BGB; SoER- GEL/LEPTIEi'I, n.46 Vorbem. ad§ 164 ss BGB; MüKo-SCHRAMM, n. 94 ad§ 164 BGB; ERMAN-BROX, n. 47 ad§ 167 BGB.

26 "Cc qui n'est guère désirable": SIMONIUS, p. 525.

27 FLUME, Jur. Pers., § IO II 2 d), p. 369 ss; Recbtsgeschaft,

§ 45 ]] 3, p. 788 ss; SOERGELiLEPTŒN, n. 15 SS ad § 177 BOB;

MüKo-SCHRAMM, n. 98 ss ad§ 164 BGB; ERMAN-BROX, n. 46 ss ad§ 167 BGB; ROTH, p. 292; SCHOTT, p. 385 ss;

FISCHER, p. 173 ss; HEYMAN-SONNENSCHEIN, n. 22 SS ad§ 50 HGB; MERTENS, n. 37 ss ad§ 82 AktGcs.

28 EGGBR, p. 58; ZAc11, n. 14 ss ad art. 38 CO; VON TUHR/PETER.

§ 42 IV/3, p. 362; KONZLE, PJNAJP, p. 1001.

29 Notamment, § 50 HGB et § 82 Aktiengcsetz (cf. n. 21).

q

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Abus du pouvoir de représentation

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2. La théorie de l'abus du pouvoir de représentation

Admettre Je principe de l'abstraction, c'est par conséquent admettre en même temps son correctif nécessaire, la théorie du "Missbraucb der Vcrtretungsmacht", de l'abus du pou- voir de représentation, fondée en droit suisse sur l'art. 2 al. 2 CC, appliqué directement ou par analogie30Or, cette théorie est d'application délicate en matière de représenta- tion. En effet, si l'abus de droit est éventuellement suscep- tible d'appréhender la collusion3' entre le représentant et le tiers, il ne donne en revanche aucune solution claire dans deux cas: soit lorsque Je tiers a connaissance positive des agissements du représentant mais n'agit pas en collusion avec celui-ci, soit lorsqu'il les ignore, de manière légère- ment ou gravement fautive. Les inconvénients de la théorie de l'abus du pouvoir de représentation tiennent tant à sa définilion et qu'à son fondement légal (art. 2 al. 2 CC).

a. Définition de l'abus de droit

L'abus de droit se caractérise par l'utilisation contraire à son but d'une institution juridique en vue de satisfaire à des intérêts que cette institution n'a pas pour objet de protégern (détournement de finalité de la norme). L'institution en cause est celle de la représentation dont le but est de permettre l'accomplissement par une personne d'un acte juridique produisant effet en faveur ou à l'encontre d'une autre per- sonne. La représentation en faveur du représenté est donc destinée à faciliter ses transactions avec les tiers, en augmentant son rayon d'action ou en palliant soit son inca- pacité à agir personnellement soit son manque de volonté de le faire. Dans la situation qui nous occupe, l'abus de cette institution qu'est la représentation peut théoriquement être le fait de deux personnes: le représentant ou le tiers.

(1) Abus du représentant

Si l'on considère que l'abus est le fait du représentant", c'est en la personne de celui-ci qu'il faut examiner la réalisation des conditions de l'abus de droit Ainsi donc, le représentant utiliserait une institution juridique, la représentation, à des fins personnelles et au détriment du représenté, c'est-à-dire à d'autres fins que celles protégées par ceue institution. Le tiers resterait en-dehors de la vérification des conditions de l'abus, alors que c'est précisément en raison de sa propre connaissance des faits ou de son ignorance fautive qu'il ne mérite pas la protection de l'ordre juridique. Entre la véd- fieation de l'abus dans la personne du représenté et la faute du tiers, il y a un pas logiquement infranchissable.

(2) Abus du tiers

Si l'on part du point de vue inverse, il faut alors considé- rer que l'auteur de l'abus de droit est le tiers et admettJe qu'en se prévalant du contrat conclu par le représentant, le tiers utiliserait une institution juridique3en vue d'intérêts non protégés par celle-ci. Cependant, si l'acte est couvert par les pouvoirs - résultat auquel conduit l'application du principe de l'abstraction - Je tiers ne poursuit pas un intérêt non protégé par l'ordre juridique en se prévalant du con-

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trat. Car son rôle n'est pas d'assurer la protection des intérêts du représenté. Il n'a à prendre en considération que son propre intérêt. Par ailleurs, il est conceptuellement impossible de passer de la réalisation des conditions objec- tives de l'abus de droit (art. 2 al. 2 CC) à l'examen de la mauvaise ou de la bonne foi du tiers, c'est-à-dire à sa cons- cience ou son absence de conscience d'une irrégularité juri- dique'5.

b) Bonne foi objective (art. 2 al. 2 CC), bonne foi subjective (art. 3 CC)

Or on le sent intuitivement, le point central, qui justifie l'absence de protection du tiers, est la connaissance qu'a ce dernier du fait que le représentant agit dans son propre intérêt et non dans celui du représenté. Telle est la justifi- cation possible d'une solution faisant prévaloir les intérêts du représenté sur ceux du tiers, l'équité contre la sécurité du droit, ou encore, la sécurité "statique" contre la sécurité

"dynamique"36Or cet élément subjectif, la mauvaise foi du tiers, n'est pas relevant du point de vue de l'abus de droit.

D'un point de vue théorique toue d'abord, il faut se gar- der de confondre la bonne foi de l'art. 2 CC avec celle de l'art. 3 CC. La première est dite objective, parce que la loi se réfère à l'art. 2 CC aux "règles" de la bonne foi qui per- mettent d'apprécier un certain comportement. La seconde est subjective, étant donné que l'art. 3 CC a pour objet la connaissance de certains faits par une personne, la cons- cience du droit ou du non-droit de celle-ci, c'est-à-dire un phénomène de la vie psycbique37En outre, l'art.,2 c~ ~St d'application générale dans les rapports de droits civils, alors que l'art. 3 CC ne trouve application que lorsque la loi fait dépendre de la bonne foi la naissance ou les effets d'un droit38Enfin, la mauvaise foi n'est pas une condition de l'abus de droit39

30 VON TuHR/PETBR, § 42 IV/3, p. 363, appliquent l'art. 2 al. 2 CC par analogie seulement.

31 ATF 77 II 138, JT 1952 1 45, 49; ATF 52 Il 358, 361. Le raisonnement peut également passer par la nullité pour con- trariété aux moeurs (art. 19 el 20 CO): VON TuHR/PBTER,

§ 42 IV/3, p. 363 n. 45.

32 ATF 113 Il 5, 8. Cf. également ATF 109 II 153, 159; 107 II 169, 171; 94 l 659, 667, JT 1970 1 216, 218; ATF 86 II 417, 421, JT 1961 1 325, 328. MERZ, a. 50 ad art. 2 CC;

DESCHENAUX, p. 142.

33 II s'agit de la construction adoptée en Allemagne (cf. par exemple FLUME, Rechtsgeschiift, p. 788). Dans l'ensemble, on semble plutôt considérer en Suisse que l'abus esl le fait du tiers: cf. par exemple ZACH, n. 19, 21 ad art. 38 CO.

34 La représentalion ou le contrat?

35 DESCHENAUX, p. 197-198; JÂGGI, n. 37, 44 ad art. 3

cc.

36 GHESTIN/GOUBEAUX, p. 839; ZOBL, p. 289; EGGLER, p. 48.

37 DESCHENAUX, p. 197-198.

38 Sur la distinction entre la bonne foi de l'art. 2 CC et celle de l'art. 3 CC, cf. DESCHENAUX, p. 146 ss, 201.

39 DESCHENAUX, p. 201; MERZ, n. 105 ad art. 2 CC; JXGGI, n. 51 ad art .. 3 CC. KONZLE, PJA/AJP, p. 1002-1003, applique l'art. 3 CC en liaison avec l'art. 2 CC ("in Verbindung mit"), c'e qui ne paraît pas admissible.

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Christine C h appuis

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En outre, la mauvaise foi n'est pertinente que si la bonne foi l'est4°. Or, la bonne foi doit être prise en considération si, et uniquement si, la loi en fait "dépendre la naissance ou les effets d'un droit" {art. 3 al. 1 CC). L'art. 2 al. 2 CC, dont l'application est en cause, ne fait dépendre aucun droit de la bonne foi du tiers. L'éventuelle mauvaise foi de ce dernier ne joue par conséquent aucun rôle dans ce cadre.

C'est la raison pour laquelle il n'est pas possible de conci- lier les conditions objectives relatives au comportement du représentant ou du tiers (art. 2 al. 2 CC) avec celles relati- ves à l'état d'esprit du tiers (art. 3 CC). Or, c'est précisé- ment la combinaison des deux qui rend insupportable l'idée qu'il faille donner raison au tiers contre le représenté.

Il faut relever, pour terminer, la contradiction consistant à affirmer à la fois, et conformément au principe de l'abstraction, que l'acte est couvert par les pouvoirs malgré l'abus et que le tiers de mauvaise foi n'est pas protége1En effet, si les pouvoirs existent, il n'y a pas lieu de protéger le tiers parce qu'il n'y a aucun vice. Selon l'excellente for- mule de GAucH/ScHLUEP"2, "Wo nichts fehlt, ist nichts zu heilen": là où il ne manque rien, il n'y a rien à guérir.

3. L' "abus de pouvoir", un simple cas de r eprésentation sans pouvoir

L'obstacle à la solution du problème de l'abus du pouvoir tient au principe de l'abstraction•3 qui, d'une part, oblige à distinguer le pouvoir ("Konnen") de l'autorisation d'agir ("Dürfen") et, d'autre part, empêche que des objections tenant aux rapports entre Je représenté et le représentant puissent être opposées au tiers. C'est donc ce principe qui doit être remis en question. Il convient de constater tout d'abord que les dispositions relatives à la représentation civile et commerciale ne l'imposent pas. Au contraire, nombre de ces dispositions exigent que le tiers soit de bon- ne foi pour pouvoir se prévaloir d'un acte accompli par le représentant (art. 33 al. 3"', 34 al. 3, 37 al. 2, 459 al. 1, 460 al. 3, 718a al. 2 CO, 718 al. 2 aCO). Ce qui signifie que, contrairement à ce qu'imposerait le principe de l'abstrac- tion, certains faits relevant des rapports internes sont bel et bien opposables au tiers lorsque celui-ci n'est pas de bonne foi, avec la conséquence que l'acte est accompli sans pouvoir et ne lie pas le représenté45

Par ailleurs, les pouvoirs .trouvent leur origine dans l'octroi de ceux-ci par une déclaration de volonté unilatérale adressée par le représenté au représentant. L'étendue des pouvoirs est fonction de cette déclaration interprétée con- formément au principe de la confiance par le représentant46

Or celui-ci ne peut pas raisonnablement admettre que les pouvoirs qui lui ont été accordés couvrent des actes préju- diciables aux intérêts du représenté, accomplis en violation de ses instructions ou, pire, au détriment du représenté et dans l'intérêt du représentant. De tels actes ne sont pas cou- verts par les pouvoirs47Le représenté (la personne morale) n'est pas lié, sous la réserve, importante, des dispositions protectrices de la bonne foi. C'est dire que le tiers, dont la bonne foi est présumée (art. 3 al. 1 CC), ne pourra pas se voir opposer une éventuelle violation par le représentant

de ses obligations, à moins que le représenté n'établisse que le tiers le savait ou devait le savoir.

Le présent arrêt va précisément dans ce sens en admet- tant sans équivoque que les pouvoirs sont tacitement restreints lorsque l'acte envisagé est contrafre à la volonté présumable de la société''·'9Tel est le cas pour l'abus du pouvoir de représentation, comme pour le conflit d'intérêts résultant d'un contrat ave{; soi-même ou d'une double repré- sentation!(). Avec DE SAUSSURE51, on peut ainsi affirmer que si "l'on renonce à donner un caractère abstrait à la procu- ration ( ... ), le problème de l'abus de pouvoirs est sup- primé". Le problème est effectivement supprimé si l'abus de pouvoirs "au lieu d'être traité comme un abus de droit, doit être considéré comme un simple cas de représentation sans pouvoirs"52Il s'ensuit qu'un abus du pouvoir ne lie pas le représenté, à moins que les conditions de la protec- tion de la bonne foi ne soient réalisées. Dans la mesure par conséquent où le tiers est de bonne foi (art. 3 CC et art. 33

40 Cf. infra Ill/N3 et n. 73.

41 Comme le fait Zfi.c11, n. 14 ss ad art. 38 CO.

42 ÜAUCHISCHLUEP, no 1408.

43 DE SAUSSURE, p. 1; WATIER, no 30 d; FISCHER, p. 181.

44 Cette disposition ne pose pas expressément la condition de la bonne foi. Ce nonobstant, la jurisprudence (ATF 120 II 197, 202, JT 1995 1194, 197; ATF 118 Il 313, 316, JT 1993 1 567 [rés.]; ATF 99 Il 39, JT 1974 I 162, 165) et la doctrine (KOLLER, nos 275 ss;ATI, no 1423; Zi\cH, n.155 ad art. 33 CO) l'admettent.

45 Row, p. 291, montre sur ce point la djfférencc entre le droit suisse et Je droit allemand. Selon cc dernier droit, l'opposabilité de restrictions des pouvoirs au tiers est interdite, alors qu'en droit suisse, l'opposibilité des restrictions dépend de la mau- vaise foi du tiers.

46 ATF 93 Il 461, JT 1969 I 232, 239. ZÂCH, n. 114 ss ad art.

33 CO; KOLLER, AT I, no 1394; WATTER, no 32;GAUCH/

SCHLUEP, no 1355; DE SAUSSURE, p. 59.

47 Cela revient à traiter l'abus de pouvoir de la même manière que le dépassement de pouvoir. Expressément dans ce sens:

KOLLER, AT I, nos 1398 ss. Cette optique est contestée par KONZLE, PJA/AJP, p. 1001, du fait qu'en matière commerciale l'étendue des pouvoirs est fixée par la loi; il ne serait donc pas possible d'en faire dépendre l'étendue de ce que le tiers sait ou doit savoir. On peut objecter à cela que la loi elle- même admet l'existence de limitations non sujettes à inscrip- tion au regjstre du commerce, mais opposables au tiers dans la mesure où il est de mauvaise foi, c'est-à-dire qu'il connaît ou doit connaître lesdites limitations (art. 460 al. 3 CO a contrario, art. 718a al. 2 lère phrase CO a contrario).

48 ATF 121fil176, SJ 1996 223.

49 KwlLE, PJNAJP, p. 1001, considère que le Tribunal fédéral, dans le premier arrêt (ATP 119 IJ 23), refusait implicitement la proposition de WATIER de limiter l'application du principe de l'abstraction des pouvoirs, d'une part, et de traiter l'abus de pouvoir comme un cas de dépassement des pouvoirs (cf. supra, n. 24 et 15), d'autre part Le présent arrêt semble donner raison à WATT'ER contre KONzt.,E.

50 ATF 120 II 5, 10.

51 DE SAUSSURE, p. 87.

52 DE SAUSSURE, p. 147.

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Abus du pouvoir de représentation

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al. 3, 34 al. 3, 459 al. J CO etc.), l'acte constitutif d'un abus de pouvoir engage le représenté.

4. Conclusion

Il reste à se demander ce qui subsiste de la séparation nette et claire entre pouvoir et devoir, "Vertretunsbefugnis" et

"Vertretungsmacht", entre "Dürfen" et ''Kônnen", ce qu'il faut retenir du principe de l'abstraction "découvert" par

LABAND53U est clair que les pouvoirs et le rapport de base résultent de deux actes juridiques distincts, l'un unilatéral, l'autre bi-ou multilatéral. Leur naissance et les conditions dans lesquelles il peut y être mis fin ne sont pas soumises aux mêmes règles et ne concordent pas nécessairement dans le temps. L'octroi de pouvoirs peut se greffer sur un certain nombre de contrats obéissant tous à des règles différentes (travail sous ses différentes formes, mandat sous ses dif- férentes formes, entreprise, société simple, etc.). Ainsi, si l'employeur peut en tout temps mettre fin aux pouvoirs accordés à un employé (art. 34 al. 1 CO), il n'en va pas de même du contrat de travail qw les lie (art. 334 CO). Mais n'admettre aucune influence du rapport de base sur les pou- voirs, professer l'imperméabilité totale entre l'un et les autres, refuser de limiter les pouvoirs par les obligations résultant du rapport de base, est aussi artificiel que peu con- forme au droit suisse. C'est pourquoi il semble préférable de renoncer à exprimer sous le terme d"'abstraction" la rela- tion existant entre les pouvoirs et le rapport de base pour éviter l'exagération déjà dénoncée par DE SAUSSURE en

1945s. et ne pas courir le iisque de fausser la réflexion par le recours à l'abus de droit dans des situations directement réglées par les normes relatives à la représentation. Une fois abandonné le principe de l'abstraction, demeure celui de la "séparation"" entre les pouvoirs de représentation et le rapport de base.

Il suit de ce qui précède que le raisonnement, en matière de représentation, doit se décomposer en deux étapes, de manière à véiifier que les conditions en sont bien réunies.

En premier lieu, il faut se demander si, dans les rapports internes, des pouvoirs ont été accordés au représentant ou à l'organe (par acte juridique ou par nomination à la fonc- tion de membre du conseil d'administration). La réponse à cette première question est négative au cas où les pouvoirs n'ont pas été accordés ou ne couvrent pas l'acte, du fait notamment que ce dernier ne correspond pas à la volonté présumable du représenté ou de la personne morale. Il faut, dans un deuxième temps, examiner si Je tiers peut être protégé contre ce vice du fait de sa bonne foi (art. 3 CC et art. 33 al. 3, 34 al. 3, 37 al. 2, 459 al. 1, 460 al. 3, 718a al. 2 CO, 718 al. 2 aC0)56

Ce raisonnement permet de trouver un juste équilibre entre les intérêts du représenté et ceux du tiers, auquel il ne faut pas permettre de se prévaloir d'un contrat alors qu'il n'a pas fait preuve de la diligence nécessaire (art. 3 al. 2 CC). Il a en outre l'avantage de réconcilier les textes diver- gents des art. 459 al. 1 CO et 7 l 8a al. 1 CO, en faisant dans tous les cas de la bonne foi une condition de la protection du tiers contre un défaut de pouvoir résultant d'un abus de ce pouvoir. En admettant l'idée d'une restriction tacite en

cas d"'abus de pouvoir", notre Haute Cour a franchi un pas décisif vers un abandon du principe de l'abstraction". Le tiers est par conséquent protégé en cas d'abus de pouvoir, comme en cas de dépassement de pouvoir ou d'autres restrictions, c'est-à-dire en cas d'absence de pouvoirs, à condition d'être de bonne foi (art. 3 CC).

C. La bonne foi du tiers (art. 3 CC)

1. Détermination de la personne dont

la bonne foi doit être considérée

Il suit des développements qui précèdent que la question de la bonne foi du tiers devait être tranchée dans la pré- sente espèce, comme elle doit l'être chaque fois qu'on retient l'existence d'une restriction tacite des pouvoirs. En ce qui concerne les conventions de février et mars 1984, le tiers en cause est une personne morale, F., qui agit en tant que représentante indirecte de plusieurs personnes~

notamment S. Celte situation de fait conduit le Tribunal fédéral à un double rappel des principes régissant l'impu- tation de la bonne et de la mauvaise foi du représentant direct ou indirect d'une part, et de l'organe d'une personne morale d'autre part.

Le texte de l'arrêt mérite à nouveau d'être cité51: "Dans la représentation indirecte comme dans le représentation direc- te, il convient d'examiner en premier lieu la bonne foi du représentant; si celle-ci est acquise, le représenté peut s'en prévaloir à condition <f être lui-même de bonne foi. A L'inverse, le représenté - même de bonne foi - doit se laisser imputer la mauvaise foi du représentant, en tout cas dans la mesur:e des pouvoirs conférés (DESCHENAUX, op. cit.59, p. 211: JAGGI, Commentaire bernois, n. 137 à 139 ad art. 3 CC)". ( ... )

"Selon La jurisprudence et la doctrine, la personne morale peut invoquer la bonne foi des personnes physiques composant ses organes, mais elle doit également se laisser opposer leur mauvaise foi; à cet égard, il suffit qu'un seul membre d'un organe collectif ou un seul organe individuel soit de mauvaise foi pour exclure la bonne foi de la personne morale (ATF 101 lb 422 consid. 5b, 56 11 183 p. 188;

53 Cf. supra B/ 1 . 54 DE SAUSSURE, p . 84.

55 "Trennungsprinzip": STADLER, p. l. WAITER, no 29 n. 46,

n'utilise pas ce terme, mais limite le principe dit de l'abstrac- tion dans le même sens.

56 Un tel système, basé sur la théorie de la confiance ("Vertrauens- theorie") et non sur Je principe de l'abstraction, implique un changement d'accent La distinction essentielle ne se fait plus entre le rapport de base et les pouvoirs, mais entre les rap- ports internes et les rapports externes (DE SAUSSURE, p. 146).

57 Apparemment, ZosL, p. 305 n. 25, ne voulait-il pas franchir ce pas.

58 Arrêt du 21 mars 1995 (partie non publiée), p. 14-15.

59 L'ouvrage cité de DESCHENAUX est Le titre préliminaire du Code civil, in Traité de droit civil suisse, t. II, I, Fribourg 1969.

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Christine Chappuis

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DESCHENAUX, op. cit., p. 211; }AGGI, op. cit., n. 141 ad art. 3 CC)"00

En affirmant que la mauvaise foi d'un seul membre d'un organe collectif suffit à exclure la bonne foi de la personne morale, le Tribunal fédéral reprend dans sa formulation classique la théorie de la représentation absolue de la con- naissance ("absolute Wissensvertretung") utilisée depuis l'arrêt de 193()'1' mentionné en référence. Les résultats insa- tisfaisants auxquels conduisent cette théorie, notamment pour les grandes entreprises, ont été signalés par une partie de la doctrine62Le cas présent ne pose cependant pas de problème particulier de représentation de la connaissance.

Il s'agit surtout de déterminer quelles sont les personnes dont la connaissance pouvait être imputée à quelle autre.

En l'espèce, c'est la bonne foi du demandeur, S., et des organes de F, dont S. est membre, qui doit être examinée.

2. Incidence de la distinction entre "véritable abus" et "simple dépassement" sur l'appré- ciation de la bonne foi

Avant d'examiner le point mentionné ci-dessus, le Tribunal fédéral rappelle les exigences qu'il a posées dans sa pre- mière décision quant à la mesure de l'attention requise du tiers. Il maintient la distinction qu'il avait opérée entre un

"véritable abus de pouvoir" et un "simple dépassement des pouvoirs" pour imposer une exigence accrue au tiers dont le cocontractant est victime d'une "véritable abus".63 Cette distinction n'a pas rencontré l'approbation d'une partie de la doctrine"', en ce qu'elle impose au tiers une attention plus élevée en raison de faits qui lui échappent complètement.

La distinction contestée était par ailleurs aussi inutile dans le premier arrêt qu'elle l'est dans le cas présent. Quelle que s9it l'aune adoptée Je tiers ne pouvait être considéré comme étant de bonne foi.

Il est à craindre avec BAR que la littérature juridique n'ait été enrichie d'une "geballte Ladung"65 de conditions défi- nissant le "véritable abus". L'auteur des présentes lignes maintient sa critique précédente sur ce point66Critique con- fortée par le fait que le Tribunal fédéral traite aujourd'hui expressément l'abus de pouvoir comme un cas de restric- tion partielle des pouvoirs, et donc applique à l'abus les principes régissant le dépassement. On ne voit dès lors pas pour quelle raison il conviendrait d'appliquer des critères de diligence différents dans les deux cas.

3. Appréciation de la bonne foi en l'espèce S. est la personne dont la bonne foi doit être considérée, à la fois comme client et comme organe de F. SA. On l'a vu, la mesure de la diligence exigée est élevée, une négligence légère pouvant lui être reprochée. Au chapitre des circon- sances propres à éveiller le doute, te Tribunal fédéral relient les éléments suivants. Les contrats litigieux, comme dans la première affaire, constitùaient une opération purement financière (investissements sur trois mois, rémunérés par un intérêt de 10,5 % au moins) el sortant de l'ordinaire; la quantité souscrite était importante (environ 4500 bouteilles) et les prix nettement inférieurs à ceux de la souscription

officielle; le client, S., était chargé de rédiger lui-même le projet de contrat; les u·ansactions étaient entourées de flou (listes manuscrites des vins sans mention de prix, ni indi- cation quant à la valeur marchande). La seule circonstance favorable relevée par le Tribunal fédéral, soit la confiance de S. en C.M. SA, société prospère et sérieuse, est finale- ment retenue comme une circonstance propre à faire naître le doute. Une telle société n'avait pas d'intérêt à emprun- ter avec une charge d'intérêts aussi lourde, à conclure une transaction prévoyant des prestations aussi dispropor- tionnées (tous les risques à charge de C.M. SA, profit important et sans risque pour le client}. A noter qu'il man- quait un élément qui avait été déterminant pour le premier arrêt: l'exigence qu'avait posée X. de faire porter son nom sur les chèques67Les autres circonstances ont cependant été jugées suffisantes par le Tribunal fédéral pour conclure à l'absence d'attention commandée par les circonstances (art. 3 al. 2 CC). S. ne pouvait donc pas invoquer sa bonne foi.

En conclusion, vu l'absence de bonne foi du tiers (S. et F. SA), celui-ci n'est pas protégé contre le vice résultant de la restriction tacite des pouvoirs admise en l'espèce. S'agis- sant d'un cas de représentation sans pouvoirs, C.M. SA n'est pas liée (art. 38 al. 1 CO).

D. Résumé

Le présent arrêt admet qu'une restriction des pouvoirs au sens de l'art. 718 al. 2 aCO (art. 718a al. 2 CO) peut inter- venir tacitement lorsque J'acte envisagé est contraire à la volonté présumable de la société. Par voie de conséquence l'abus du pouvoir de représentation peut être réglé par appli- cation directe de cette disposition, sans passer par le détour de l'abus de droit (art. 2 al. 2 CC).

66 Le second paragraphe est publié in SJ 1996 224.

61 ATF 56 II 183, 188. La théorie de la représentation absolue de la connaissance est elle-même déduite de la théorie de la réalité ou de l'organe ("Organtheorie") sur laquelle on revien- dra plus loin (cf. IIJ/D): R.E1CHWEIN, p. 3 ss; SIEGER, p. 38.

62 WArrER, Mél., p. 135-136.

63 Partie non publiée de l'arrêt, p. 16; ATF 119 Il 23, consid. 3b etc.

64 BÂR, RJB, p. 433; CHAPPUIS, p. 238, 239 ss; KOLLER, AT 1, no 1400. ME.sSLERLI, p. 19, donne partiellement raison au Tribunal fédéral, mais en insistant sur les circonstances qui donnent la mesure de l'attention dont doit faire preuve le tiers.

Approuvent le Tribunal fédéral: KONZLE, PJA/AJP, p. 1001 (no 4); SCHNYDER, RIB 1997, p. 35.

65 B.ii.R, RJB, p. 433. "Geballtc Ladung" est une expression dif- ficile à. traduire, qu'on pouJTait rendre par "lot de conditions",

"lourde cargaison".

66 In RSDA 1994 237.

67 Circonstance qui pourrait être remplacée, dans le second arrêt, par le fait que le client lui-même était chargé de la rédaction des contrats.

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Abus du pouvoir de représentation

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m. Responsabilité délictuelle A. Remarques préalables

Ayant admis que C.M. SA n'était pas engagée contractu- ellement, le Tribunal fédéral examine au considérant 4 si la cour cantonale avait rejeté à bon droit toute prétention du demandeur fondée sur la responsabilité délictuelle de la défenderesse, soit la responsabilité pour acte illicite fautif d'un organe (art. 718 al. 3 aCO, 722 CO).

Avant même de suivre le Tribunal fédéral dans son analyse de la seconde partie du problème, il convient de s'arrêter sur les objections de principe qui pourraient s'opposer à l'admission d'une responsabilité délictuelle de la défenderesse dans le présent cas.

1. Absence d'illicéité

L'instance cantonaJ.e avait admis comme une évidence que l'existence d'un abus du pouvoir de représentation empêchait la réalisation d'un acte illicite. Or, il s'agit de deux institutions juridiques différentes, répondant chacune à des conditions propres. A p1iori, le fait que le représentant agisse au détriment du représenté et à son propre profit (abus du pouvoir de représentation) n'empêche nullement que son comportement soit objectivement contraire à une règle du droit écrit ou non écrit, fédéral ou cantonal, qui tend à protéger le bien juridique lésé68 (par exemple l'inter- diction pénale de l'escroquerie, du faux dans les titres, etc.), c'est-à-dire illicite. L'abus n'empêche pas l'acte d'être illicite.

2. Modification de la base légale de la prétention On peut se demander s'il n'y a cependant pas une certaine contradiction à accorder d'un côté (responsabilité délictu- elle) ce que l'on refuse de l'autre (engagement contractuel).

De manière générale, ce n'est pas parce qu'une prétention ne peut pas être fondée sur une disposition légale qu'il faut s'interdire d'en examiner d'autres. Le passage du plan con- tractuel au plan délictuel est classique. Par ailleurs, la loi elle-même accorde parfois d'une main ce qu'elle reprend de l'autrn: en matière de vices de la volonté, par exemple, l'errans est autorisé à invalider le contrat s'il était dans l'erreur au moment de sa conclusion (art. 23, 24, 31 al. 1 CO).

Mais si cette erreur était due à sa propre négligence, il doit réparer le dommage subi par l'autre partie (art. 25 CO). La loi lui permet de se soustraire au contrat, tout lui imputant une certaine responsabilité. Il n'y a par conséquent pas de contradiction de principe à nier que C.M. SA soit liée con- tractuellement tout en admettant qu'elle le soit délictuelle- ment.

Le présent arrêt, avec ses deux paities, représentation et responsabilité, fait apparaître rétrospectivement une lacune de l'arrêt de 1993. Celui-ci s'était en effet arrêté à la cons- tatation que C.M. SA n'était pas engagée, faute d'avoir été valablement représentée, mais n'avait pas abordé laques- tion de la responsabilité délictuelle. On peut se demander si le Tribunal fédéral, lors même que le recourant n'aurait pas invoqué l'acte illicite, ne devait pas d'office examiner la question. S'il est vrai que notre Haute Cour ne peut pas

statuer ultra petita en allant au-delà des conclusions des parties, elle n'est en revanche pas liée par les motifs qu'invoquent les parties (art. 63 al. 1 LOJ). La doctrine voit dans cette disposition le fondement juridique de l'obligation du Tribunal fédéral d'appliquer le droit d'office, conformé- ment au principe jura novit curia69. Le juge n'est par consé- quent pas lié par la qualification juridique de la demande et peut être appelé à en modifier le fondement. Ainsi devant une action qui avait été fondée à tort sur les ait. 58 et 41 ss CO, le Tribunal fédéral a+il considéré qu'il convenait de

"rechercher si le droit privé n'offre pas une autre voie. La qualification juridique erronée du procès ne saurait nuire à la demanderesse du moment que le Tribunal fédéral appli- que d'office le droit"10La réglementation des droits de voi- sinnage, quoique n'ayant pas été invoquée, est examinée dans la suite du même arrêt71L'invocation de certaines dis- positions légales ne libère donc pas le juge de l'obligation d'en examiner d'autres, pour autant bien sûr que les cons- tatations de fait le permettent, sans quoi il y aurait lieu de renvoyer la cause à l'autorité cantonale. Rien, ni du point de vue des principes, ni de celui de la procédure, ne s'oppo- sait à ce que la question d'une éventuelle responsabilité délictuelle de C.M. SA soit également examinée dans l'arrêt de 1993.

3. Incidence de la mauvaise foi du tiers sur la prétention délictuelle

Il convient encore de se demander si le fait que l'absence d'engagement contractuel soit dû à la mauvaise foi du tiers empêche qu'on lui accorde une prétention en dommages- intérêts72.

La mauvaise foi n'est pertinente que si la bonne foi l'est.

Or, l'art. 3 CC, qui présume l'existence de la bonne foi, s'applique à la condition que la loi en fasse dépendre la naissance ou les effets d'un droit. La bonne foi supplée un vice juridique dans les seuls cas où la loi le prévoit73Ainsi en matière de représentation, la bonne foi du tiers peut remédier au vice résultant d'une restriction des pouvoirs, sur la base des art. 459 al. 1 ou art. 718a al. 1 et 2 CO (a1t. 718 al. 1 et 2 aCO): l'acte engage la société malgré le vice, du fait que la loi attache cette conséquence à la bonne foi. En revanche, la bonne foi du lésé n'est pas une condi-

68 ATF 112 Il 231, 234; 109 ll 123, 124, JT 19841319 (rés.);

ATF 93 Il 170, JT 19681229; cf. également ATF 119 Il 127, JT 19941298, 300. BREHM, n. 33 ad art. 41 CO; DESCHEl':- AUxffERCIER, p. 70 n. 18-19.

69 POUDRET, Art. 63 n. 3.3, p. 523.

70 ATF 96 Il 337, 347. Autre exemple: demande rejetée au tit- re de dommages-intérêts contractuels, mais admise au titre d'enrichissement illégitime (ATF 64 II 264, 269 ss, 270).

71 ATF 96 Il 337, 347 ss.

72 Le Tribunal fédéral examine cette question au considérant 4 d) (p. 181).

73 ATF 107 Il 105, JT 1982 I 106,

us.

DESCHENAUX, p. 207 ss;

J.X.001, n. 11 ss, 63 ss ad art. 3 CC; KOLLER, no 6. Cf. supra,

Il. 40.

(11)

Christine Chappuis

AJP/PJA 6/97

tion de l'octroi de dommages-intérêts fondés sur les art. 41 ss ou 722 CO (an. 718 al. 3 aCO), car ces dispositions ne font pas de la bonne foi une condition propre à suppléer à un quelconque vice juridique1•. Lorsque la bonne foi ne figure pas parmi les conditions d'une norme, la mauvaise foi ne nuit pas non plus. Reste que les faits gui permettent de con- clure soit à l'inattention, et empêchent l'invocation de la bonne foi (art. 3 al. 2 CC), soit à la mauvaise foi au sens strict75, c'est-à-dire à la connaissance pos.itive, peuvent être retenus au titre de la faute concomitante (art. 44 CO).

Lorsque la faute concomitante est suffisamment grave, eUe est propre à interrompre le lien de causalité entre l'acte illicite et le dommage76En l'espèce, selon le Tribunal fédéral77, le lien de causalité serait interrompu en cas de collusion78 entre le tiers et l'organe de la société79. La col- lusion aurait donc un double effet. Au chapitre contractuel, elle empêcherait que le vice résultant de la restriction des pouvoirs ne fût guéri, au chapitre délictuel, elle constituerait une faute concomitante interruptive du lien de causalité.

La collusion ferait donc obstacle à la prétention contractu- elle, comme à la prétention délictuelle. Dans le cas qui nous occupe, la coJJusion entre le client, S., et le directeur, X., n'est ni établie, ni invoquée. C'est le défaut de diligence de S. qui conduit Je Tribunal fédéral à lui refuser toute prétention con- tractuelle. Ce défaut de diligence n'est en aucun cas suffi- samment grave pour interrompre le lien de causalité entre l'acte illicite de X. et le dommage subi par S. Restera donc à l'examiner comme facteur de réduction de l'indemnité'°.

4. Admissibilité de principe de la responsabilité délictuelle

Le passage du plan contractuel au plan délicuel opéré par le Tribunal fédéral dans Je présent arrêt est reconnu sans hésitation dans un arrêt Honeywell Bull de 197911Un directeur indélicat, disposant de la signature collective à deux, avait apposé sur un billet à ordre sa propre signatu- re et celle, imitée, d'un fondé de pouvoir. Le papier-valeur était en apparence valable car il portait deux signatures.

Mais il était falsifié, donc n'engageait pas la responsabilité cambiaire de la société. Le Tribunal fédéraJ examine ensuite si la responsabifüé de la société était engagée en raison de l'acte illicite fautif de son organe. Et admet qu'il impo1tait peu que le directeur en cause eût agi "dans son propre intérêt à lui et non dant l'intérêt de la société: c'est presque toujours le cas dans les affaires de ce genre""· L'existence d'un abus de pouvoir ne constitue pas en soi un obstacle à l'admission éventuelle de la responsabilité délictuelle de la société. C'est dorrc avec raison que le Tribunal fédéral, con- trairement à l'arrêt de 1993, examine ici si la prétention du demandeur pouvait être fondée sur la reponsabilité délic- tuelle de C.M. SA.

B. Fondement légal; conditions, réalisation

1. Fondement légal de la prétention délictuelle Le Tribunal fédéral tire la prétention en dommages-intérêts délictuels de l'ait. 718 al. 3 aCO (an. 722 C0)83. Cette dis-

position, qui est un cas d'application de l'art. 55 al. 2 CC, suppose qu'un organe au sens formel ou au sens matériel , ait agi dans le cadre général de ses attributions. Peu importe

. qu'il ait ou non le pouvoir d'engager seul la société, peu

; importe également qu'il ait agi dans son intérêt personnel

1 et non dans celui de la société. Au surplus, les conditions 1 généraJes de la responsabilité délictuelle, soit celles de l'acte

\

illicite, du dommage, du lien de causalité adéquate et de la faute de l'organe sont applicables8' .

2. Qualité d'organe

X. conclut trois conventions, deux d'entre elles (celles de février et de mars 1984) alors qu'il était "directeur-adjoint", la plus ancienne (avril 1983) en tant que fondé de procu- ration. Le Tribunal fédéral considère comme évident qu'un

"directeur-adjoint" est un organe au sens forrnel8'. La loi, pourtant ne connaît pas ce titre. L'art. 717 al. l et 2 aCO mentionnait les "administrateurs'', les "délégués" (adminis- trateurs à qui tout ou pa1tie de la gestion ou représentation est confiée) et les "directeurs" (tiers à qui tout ou partie de la gestion ou de la représentation est confiée), ainsi que le

"président" (art. 714 al. l a CO). Le nouvel art. 718 CO conserve ces quatre dénominations (art. 712 al. l CO pour le président) tout en séparant clairement la gestion (art. 716b CO) de la représentation (art. 718 ss CO). Si l'on veut bien suivre le Tribunal fédéral et considérer qu'un directeur- adjoint est "manifestement" un organe formel, qu'en sera- t-il d'un "sous-directeur", d'un "directeur de la section com- merciaJe", etc.?

74 En revanche, l'action en dommages-intérêts du tiers contre le représentant est exclue lorsque le tiers "a connu ou dû con- naître l'absence de pouvoirs" (art. 39 al. 1 CO).

75 Dans le langage courant, les tennes "mauvaise foi" désignent à la fois les deux hypothèses (inattention et connaissance positive). Il convient cependant de distinguer l'absence de conscience du vice juridique (la bonne foi, invocable ou non) et la conscience du vice juridique (la mauvaise foi au sens strict). Sans oublier bien sür que l'inattention entraîne les mêmes c-0nséquences juridiques que la mauvaise foi (ATF 121 UT 345, 348; 11311397, 399, JT 19881252, 254; JAGGI,

n. 106-106 ad art. 3 CC.

76 Cf. sur ce point, STARK, p. 154 ss, 158 ss.

77 ATF 119 ID 176, p. 182.

78 Cf. également WATIER, no 246, p. 193, qui traite de la même manière Je dépassement d'une restriction inscrite au Registre du commerce (but, signature collective).

79 Dans l'hypothèse où le tiers connaîtrait positivement le vice, sans pour autant agir en collusion avec le représentant ou l'organe, on pourrait également refuser toute prétention en dommages-intérêts en vertu du principe "volenti non fit injuria•.

80 Cf. infra C.

81 ATF 105 II 289, JT 19801373.

82 ATF 105 II 289, JT 19801373, 379. Cf. également, ATF 89 II 239, JT 1964 1 41, 51, cons. 9 in fine.

83 Cf. WATIER, no 238 et réf. cit.

84 ATF 121m176, considérant4 a), p. 179 et 180.

85 ATF 121 ID 176, considérant 4 b), p. 180.

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