Facult´e des Sciences Universit´e Mohammed V
Alg`ebre V -Ann´ee universitaire 2019-2020 Chapitre 3: Espaces Euclidiens
Cours: Nadia Boudi
Dans tout ce chapitre, E est un espace vectoriel de dimension finie sur R.
1. Notions de base
D´efinition 1.1. Soitq une forme quadratique surE. On dit que q est d´efinie positive sur E si q(x)>0 pour tout x6= 0. La forme polaire f de q est appel´ee produit scalaire associ´e `a q. Dans ce cas, on note f(x, y) :=hx, yi pour tous x, y ∈E et on dit que (E,h., .i) (ou justeE s’il n’y a pas de risque d’ambiguit´e) est un espace euclidien.
Exemples 1.2. (1) Rappelons la structure euclidienne classique deRn (voir TD, S´erie 2):
h(x1, . . . , xn),(y1, . . . , yn)i=
n
X
i=1
xiyi.
(2) Posons E =R3[X]. Soitq :E →Rd´efinie par q(
3
X
i=0
aiXi) =
3
X
i=0
a2i.
Observons que q est une forme quadratique sur E pour laquelle la base canonique {1, X, X2, X3} de E est une base orthonormale. Il est clair que q est d´efinie positive. Cette structure est appel´ee structure euclidienne canonique de E. On peut g´en´eraliser cet exemple `aRn[X], pour tout n∈N∗.
Th´eor`eme 1.3. (In´egalit´e de Cauchy Schwartz), Soit (E,h., .i) un es- pace euclidien. Alors pour tous x, y ∈E, on a
hx, yi2 ≤ hx, xi hy, yi
De plus, on a l’´egalit´e si et seulement si x et y sont colin´eaires.
Preuve. Soit q la forme quadratique associ´ee au produit scalaire de E.
Fixons x, y ∈ E et consid´erons P(t) = q(x +ty) pour tout t ∈ R. Comme h., .i est une forme bilin´eaire sym´etrique, on d´eduit l’´egalit´e
P(t) =t2q(y) + 2thx, yi+q(x)
1
En particulier, P(t) peut ˆetre vu comme un polynˆome en t qui est toujours de signe positif. Donc son discriminant est n´egatif, c’est `a dire
∆ =hx, yi2−q(x)q(y)≤0.
D’o`u l’in´egalit´e. Supposons maintenant que ∆ = 0. Alors il existe t ∈ R tel que q(x+ty) = 0. Autrement dit, x+ty = 0, c’est `a dire x et y doivent ˆetre li´es. La r´eciproque est ´evidente.
Dans un espace euclidien, la notion de produit scalaire nous permet de d´efinir une distance sur E, de parler de longueurs, et de d´efinir une structure g´eom´etrique. Rappelons d’abord la d´efinition suivante de norme qui g´en´eralise les concepts de valeur absolue surRet de module sur C:
D´efinition 1.4. Soit F un espace vectoriel sur K o`u K = R ou C. Soit N :F →R+ une application. On dit que N est une norme sur F si pour tous x, y ∈F, pour tout λ∈K, on a :
(i) N(x) = 0 si, et seulement si x= 0, (ii) N(λx) =|λ|N(x),
(iii) N(x+y)≤N(x) +N(y) (In´egalit´e triangulaire).
Lemme 1.5. Supposons que (E,h., .i) est un espace euclidien. Pour tout x ∈ E, posons N(x) = p
hx, xi, alors N est une norme sur E.
Elle est dite norme euclidienne associ´ee au produit scalaire de E.
Preuve. Soit x ∈ E avec x 6= 0. Alors hx, xi > 0, donc N est bien d´efinie et N(x) 6= 0. La condition (i) pour la d´efinition de norme est clairement v´erifi´ee.
Soit λ∈R alors
N(λx) =p
hλx, λxi=|λ|p
hx, xi=|λ|N(x).
Donc la condition (ii) est v´erifi´ee. Enfin, pour (iii), utilisons encore une fois la bilin´earit´e du produit scalaire et appliquons l’in´egalit´e de Cauchy -Schwartz, on obtient:
N(x+y)2 ≤N(x)2+N(y)2+ 2N(x)N(y) = (N(x) +N(y))2
D’o`u la conclusion d´esir´ee.
S´eance du Mardi 31 Mars 2020
Une caract´eristique importante des espaces euclidiens est l’absence des
´
el´ements isotropes. Dans la suite de ce premier paragraphe, nous ex- ploitons cette propri´et´e et nous d´eduisons des r´esultats importants.
Ainsi, le lemme 3.14 du chapitre 2 devient
Lemme 1.6. Soit B ={u1, . . . , ur} une famille orthogonale telle que ui 6= 0 pour tout 1≤i≤r, alors la famille B est libre.
Notation. Si E est un espace euclidien, on note par k.k la norme associ´ee au produit scalaire de E. Ainsi, pour toutx∈E, on a
kxk=p hx, xi.
Remarque 1.7. On sait que siE est muni d’une forme quadratiqueq, alors tout sous espace vectoriel H de E est naturellement muni d’une forme quadratique de mani`ere naturelle. En particulier, si E est un espace euclidien, tout sous espace vectoriel est un espace euclidien via le produit scalaire induit.
Th´eor`eme 1.8. Supposons que E est un espace euclidien. Alors on a les assertions suivantes:
(1) E admet une base orthonormale.
(2) Si H est un sous espace vectoriel de E, alors H ⊕ H⊥ = E et H⊥⊥ =H.
(3) Toute famille orthonormale de E est libre et peut ˆetre compl´et´ee en une base orthonormale de E.
Preuve. D´esignons parqla forme quadratique associ´ee au produit scalaire de E, q(x) =hx, xi.
(i) D’apr`es le chapitre pr´ec´edent, on sait qu’il existe une base orthog- onale B ={e1, . . . , en} de E associ´ee `aq. On aq(x) = kxk2 pour tout x et q(ei)6= 0 pour tout i. Posons ui = ei
keik. Alors kuik= 1 =hui, uii
En particulier, {u1, . . . , un}est une base orthonormale de E.
(ii) La forme quadratique induite sur H est non d´eg´en´er´ee, puisque N(q |H) ⊆ C(q |H), et on sait que C(q |H) = {0}. Donc d’apr`es le chapitre 2, H⊕H⊥ = E. D’autre part, comme q est non d´eg´en´er´ee, en utilisant encore une fois le chapitre 2, on d´eduit que, H⊥⊥=H.
(iii) SoitB1 une famille orthonormale deE. Alors tous les vecteurs qui la constituent sont non nuls et donc d’apr`es le lemme 1.6,B1 est libre.
Posons H = Vec(B1) et soit B2 une base orthonormale de l’espace euclidien H⊥. Alors d’apr`es (ii), H⊕H⊥ = E. Donc il est clair que
B1∪B2 est une base orthonormale de E.
2. Orthonormalisation de Gram-Schmidt
Dans toute la suite de ce chapitre, on suppose que E est un espace euclidien.
Soient B = {e1, . . . , en} une base orthonormale de E et soit x ∈ E.
Ecrivons x=Pn
i=1xiei. Alors xi =hx, eii. Donc
(1) x=
n
X
i=1
hx, eiiei
Ainsi, si x, y ∈E, on a
(2) hx, yi=
n
X
i=1
hx, eiihy, eii
En particulier,
(3) kxk2 =
n
X
i=1
hx, eii2
N.B. Il est facile de v´erifier les ´equations (2) et (3). N´eanmoins, les d´etails seront donn´es avec le corrig´e de la S´erie 4 de TD.
Exercice ´elementaire. DansR2, trouver les coordonn´ees de (5,−12) dans la base B ={(9
5,1),(−3, 6 13)}.
Il est clair que dans l’exercice ci-dessus, la base B n’est pas orthonor- male. Donc vous ne pouvez pas utiliser la formule (1) pour calculer les coordonn´ees et il faut y aller directement. En particulier, vous r´ealiserez qu’il est beaucoup plus facile de calculer les coordonn´ees dans une base orthonormale qu’une base quelconque (voir aussi TD, S´erie 4). Dans ce paragraphe, nous nous proposons d’associer `a chaque base de E une base orthonormale, qui lui soit proche dans un certain sens.
Exemple 2.1. Dans R2, consid´erons la base B ={e1, e2} avec e1 = (1,1), e2 = (1,2).
Trouvons une base orthonormale {u1, u2} qui soit proche deB dans le sens suivant: e1 etu1 engendrent la mˆeme droite. Trouvons λ de sorte que u1 =λe1 et ku1k= 1. Observons que ke1k=√
2.
kλe1k= 1⇔λ= 1
√2 ouλ = −1
√2 Prenons par exemple
u1 = 1
ke1ke1 = 1
√2(1,1) Trouvons maintenant u2 de sorte que
hu1, u2i= 0 et ku2k= 1 Ecrivons u2 =λe2+αu1. Alors
hu2, u1i= 0 ⇔λhe2, u1i+αku1k2 = 0 Donc on d´eduit que
α=−λhe2, u1i= −3λ
√2 Maintenant
u2 =λ(e2− he2, u1iu1) = λ
2(−1,1)
Posons u02 = e2 − he2, u1iu1 = 1
2(−1,1), alors u2 = λu02 et comme ku2k= 1, il faut avoir |λ|= 1
ku02k. Donc on a deux choix pour λ, λ = 1
ku02k ou λ= −1 ku02k.
Ainsi, nous avons deux choix pour u2. Les deux choix possibles sont u2 =
√2
2 (−1,1), ou u2 = −√ 2
2 (−1,1).
Dans la suite, on va g´en´eraliser l’exemple ´el´ementaire ci-dessus, et im- poser plus de conditions pour avoir une unique base orthonormale as- soci´ee `a une base donn´ee. La proc´edure qu’on suit ici est dˆue `a Gram et Schmidt.
Th´eor`eme 2.2. Proc´ed´e d’Orthonormalisation de Gram-Schmidt. Soit B = {e1, . . . , en} une base de E. Alors il existe une unique base or- thonormale {u1, . . . , un} de E v´erifiant les conditions suivantes:
(i) Pour tout i, Vec{u1, . . . ,ui}= Vec{e1, . . . ,ei}.
(ii) Pour tout i∈ {1, . . . , n}, hui, eii>0.
Preuve. Construisons{u1, . . . , un}par r´ecurrence. Pouru1, il faut trou- ver λ de sorte que kλe1k= 1 et hu1, e1i>0. Il est clair que λ= 1
ke1k. Donc on pose u1 = e1
ke1k.
Supposons qu’on a construit une famille orthonormale {u1, . . . , ur}, r < n, qui v´erifie les conditions (i) et (ii) du th´eor`eme, et que cette famille est unique. Construisons ur+1. On doit avoir
ur+1 =λer+1+
r
X
k=1
λ0kek, λ, λ0k ∈R, avec
hur+1, uii= 0, ∀1≤i≤r; hur+1, er+1i>0; kur+1k= 1
D’apr`es la condition (i) du th´eor`eme, il existe des r´eels λ1, . . . , λr tel que Pr
k=1λ0kek =Pr
k=1λkuk. Donc ur+1 =λer+1+
r
X
k=1
λkuk.
Soit i∈ {1, . . . , r} fix´e. Alors
hur+1, uii= 0 ⇔λher+1, uii+
r
X
k=1
λkhuk, uii= 0 Comme la famille {u1, . . . , ur}est orthonormale, on obtient
hur+1, uii= 0⇔λi =−λher+1, uii
Ainsi,
ur+1 =λ(er+1−
r
X
k=1
her+1, ukiuk) Posonsu0r+1=er+1−Pr
k=1her+1, ukiuk. Les deux conditions qui restent
`
a satisfaire sont
kλu0r+1k= 1, hur+1, er+1i>0 On d´eduit donc que|λ|= 1
ku0r+1k, et le signe de λ est d´etermin´e par la propri´et´e hur+1, er+1i>0. On a
1 = hur+1, ur+1i=hur+1, λer+1i −λ
r
X
k=1
her+1, ukihur+1, uki
Or, ur+1 est orthogonal `auk pour toutk ≤r. Donc 1 =λhur+1, er+1i,
par suite, λ >0. Ainsi, on a construit ur+1 et il est unique.
Ceci montre l’existence et l’unicit´e de la famille {u1, . . . , un}.
R´esum´e de la m´ethode d’orthonormalisation de Gram-Schmidt.
De la preuve ci-dessus, on d´eduit les ´etapes suivantes, pour orthonor- maliser une base quelconque de E. Soit B = {e1, . . . , en} une base de E. Construisons son orthonormalis´ee de Gram-Schmidt{u1, . . . , un}.
Etape 1. Posonsu1 = e1
ke1k Etape 2. Posons
u02 =e2− he2, u1iu1, u2 = u02 ku02k Supposons qu’on a construit {u1, . . . , ur}.
Etape r+1. Posons u0r+1 =er+1−
r
X
k=1
her+1, ukiuk, ur+1 = u0r+1 ku0r+1k
3. Adjoint d’un endomorphisme Soit B ={e1, . . . , en} une base orthonormale de E.
Th´eor`eme 3.1. Soit T : E → E un endomorphisme. Alors il existe un unique endomorphisme T∗ :E →E qui v´erifie
hT x, yi=hx, T∗yi, ∀x, y ∈E
Preuve. Soit x∈E. Alors on a hT x, yi=hT(
n
X
i=1
hx, eiiei), yi
=
n
X
i=1
hx, eiihT ei, yi
=
n
X
i=1
hx,hT ei, yieii
=hx,
n
X
i=1
hT ei, yieii PosonsT∗y=Pn
i=1hT ei, yiei, alors de la bilin´earit´e du produit scalaire on d´eduit queT∗ ∈ L(E). De plus, pour tous x, y ∈E, on a
hT x, yi=hx, T∗yi
Pour l’unicit´e, supposons qu’il existe S ∈ L(E) qui v´erifie hT x, yi = hx, Syipour tousx, y ∈E. Alorshx, Syi=hx, T∗yipour tousx, y ∈E.
Fixons y ∈ E. Alors, hx,(S −T)yi = 0 pour tout x ∈ E. Comme le produit scalaire est une forme bilin´eaire non d´eg´en´er´ee, on d´eduit que
Sy =T y.
Vocabulaire. Avec les notations du th´eor`eme ci-dessus, l’endomorphisme T∗ est appel´e adjoint de T.