• Aucun résultat trouvé

Master en Sciences de la Population & du Développement

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Master en Sciences de la Population & du Développement"

Copied!
92
0
0

Texte intégral

(1)

Master en Sciences de la Population &

du Développement

La participation des associations belgo-tunisiennes au processus de transition démocratique en Tunisie

Vers une approche complexe et multidimensionnelle

Présenté par : Pierre Beaulieu

Membres du Jury : M Mohamed NACHI (Promoteur)

M Hassan BOUSETTA (Lecteur) M Gautier PIROTTE (Lecteur)

Année Académique 2015-2016

(2)

Remerciements

Nous tenons à exprimer toute notre reconnaissance à notre promoteur, Mohamed Nachi, pour sa patience, sa disponibilité, et la transmission de son expérience. Nous tenons également à remercier nos deux lecteurs de mémoire, Hassan Bousetta et Gautier Pirotte, pour leurs précieux conseils, leur confiance et leur souci des détails.

Ce mémoire est également le meilleur des remerciements que nous pouvons adresser à notre entourage et notre famille pour leur soutien régulier et de manière générale, à toutes les personnes qui n’ont eu de cesse de croire en nous et de nous prodiguer leurs encouragements lors des périodes les plus difficiles de notre vie et de notre parcours scolaire.

Merci, enfin, à toutes les Tunisiennes et tous les Tunisiens de Belgique rencontré(e)s, pour leur disponibilité et leur passion. Nos sincères remerciements, en particulier, à Monsieur Ali Belhaj pour sa générosité, sa compétence, et son encadrement régulier.

(3)

Liste des acronymes et abréviations

ASBL Association Sans But Lucratif OSC Organisations de la Société Civile ONG Organisation Non Gouvernementale PME Petites et Moyennes Entreprises UGTT Union Générale Tunisienne du Travail

(4)

SOMMAIRE

1 Introduction générale ... 1

1.1 Types et profils des acteurs et types d’associations rencontrées ... 3

1.2 Une brève contextualisation du printemps arabe tunisien et de la révolution tunisienne 6 1.3 Un renversement de perspective ... 8

2 Contextualisation et cadre théorique général ... 9

2.1 La notion de société civile, entre consensus bien utile et fortes contradictions d’interprétation ... 9

2.1.1 Définition(s) et ancrages historiques et conceptuels qui fondent notre positionnement ... 10

2.1.2 Une « société civile émancipatrice » ? La nécessaire prise en considération de la prédominance des rapports de force, de domination, des discours et des perceptions ... 13

2.2 L’espace public et les trois dimensions de la société civile ... 14

2.3 Le « Transnationalisme » : brève revue de la littérature et du prisme d’analyse choisi16 2.3.1 Quelques éléments de définition ... 16

2.3.2 Les contextes et les facteurs conditionnant les pratiques transnationales ... 17

2.3.3 Modèle d’analyse de l’action politique transnationale ... 18

2.4 Sociologie des associations, action collective et publicité de l’action : une approche multidimensionnelle ... 20

2.4.1 Définition et présentation des différentes approches concernant les associations ... 21

2.4.2 Quelques éléments de considération ... 21

2.4.3 Définition et présentation des différentes approches de l’action collective ... 22

2.5 Conclusion ... 26

2.5.1 Les limites du paradigme de Transnationalisme : Vers une approche prenant en compte les rapports de force, de domination, et la publicité de l’action collective ... 26

2.5.2 La pluralité des contextes et des formes de pratiques transnationales, l’importance des enjeux de pouvoir, des rapports de force, des perceptions et des constructions de discours et de sens dans les associations et les formes d’action collective ... 27

3 Les associations belgo-tunisiennes et la transition démocratique en Tunisie ... 29

3.1 Introduction ... 29

3.2 Cadre méthodologique ... 30

3.3 Les motifs de l’engagement, l’identification des problèmes, les solutions et les stratégies misent en place ... 32

3.3.1 Les motifs de l’engagement (et les systèmes de valeurs) ... 33

3.3.2 L’identification des problèmes ... 41

3.4 La pluralité des formes d’engagement et des pratiques transnationales des Tunisien(ne)s de Belgique : Entre discours publics et discours cachés, entre résistances ouvertes et résistances couvertes ... 44

3.4.1 Les pratiques transnationales civiques et politiques ... 47

3.5 La révolution de 2011 : Mutation et publicisation du discours caché et des formes infra-politiques de résistance et de contestation ... 48

3.5.1 Les formes de matérialisation et d’explication sociopolitiques de la publicisation du discours des acteurs associatifs tunisiens de Belgique ... 51

(5)

3.6 Les facteurs de réussite ou d’entrave, les enjeux et les clivages qui conditionnent la participation des associations des Belgo-Tunisien(ne)s au processus démocratique en Tunisie

56

3.6.1 Le « Bloc MAT » : Entre statut socio-économique, transmission intergénérationnelle et forte identité

tunisienne ... 57

3.6.2 La transmission intergénérationnelle et la légitimité auprès de l’ensemble des Belgo-Tunisiens ... 59

3.6.3 Les clivages idéologiques, politiques et les conflits autour des engagements partisans ... 61

3.6.4 La difficulté à mettre en place des instances de représentation ... 62

3.6.5 La difficulté à se rassembler, à promouvoir et mettre en valeur sa culture et à se fédérer entre membres de la communauté belgo-tunisienne ... 64

4 Conclusion(s) générale(s) ... 66 Bibliographie ...

Annexes ...

(6)

1 Introduction générale

Dans ce mémoire, nous allons nous demander « quelles sont les conditions et les formes de la participation des associations des Tunisien(ne)s de Belgique à la consolidation du processus démocratique en Tunisie ? ». Cette démarche est le résultat d’un important investissement intellectuel et physique d’un an et demi et de tout un cadre évolutif de réflexion personnelle et d’intérêt porté au Maghreb et au monde arabo-musulman, à leur(s) culture(s), leur histoire, leur langue,… ; depuis plusieurs années. La consécration d’un intérêt également pour les grands changements sociopolitiques en Tunisie, point de départ de ceux qui ont bousculé l’ensemble de la région et du Moyen-Orient. Des changements sociopolitiques et une articulation avec le peuple et la société civile tunisien(ne)s qui selon nous, nous en apprennent également beaucoup sur l’ensemble des dynamiques contestataires et (re)fondatrices d’un nouveau monde, qui sont en train d’émerger à l’échelle de la planète. Bien que notre intention de départ était d’aller étudier ces changements directement sur place, la réorientation de notre étude sur la participation des associations des Tunisien(ne)s de Belgique à la transition démocratique nous donne finalement à réfléchir, et ce de manière tout à fait atypique et passionnante, sur les modalités et perspectives de nos propres engagements citoyens et civiques. De ce fait, dans ce mémoire, bien que le mot « conditions » pourrait le laisser penser, il ne nous appartiendra pas de juger prioritairement « l’impact » ou encore « l’efficacité » de la participation du monde associatif belgo- tunisien mais plutôt l’ensemble des facteurs, des « contextes » et des enjeux qui gravitent autour de cette dernière.

Une compréhension de cette participation et floraison associatives qui, en accord avec l’intuition de la démarche socio-anthropologique, s’est manifestée avant tout par l’observation et la rencontre et puis seulement par le risque de poser des hypothèses de compréhension. A ce sujet, cette étude prend forme dans un espace et un temps consacrés à la recherche inscrits dans les limites de notre dernière année d’études. Elle est donc consciente de la prudence et de la modestie à avoir dans les propos qu’elle tient et dans d’éventuelles normalisations. Une initiative qui nous garde également de la prétention de faire de « l’orientalisme » (la simple curiosité pour des pratiques et des cultures différentes sans s’interroger sur le propre fonctionnement de notre société ou des mondes associatifs belges et occidentaux).

Dans la première partie de ce travail, notre démarche sera de poser le cadre théorique et conceptuel, notamment en vue de comprendre l’identité, les pratiques multiples des acteurs et l’aspect vaste des concepts mobilisés et nécessaires à leur compréhension. A titre d’exemple, le fait de s’interroger sur la participation des Belgo-Tunisien(ne)s, des définitions que nous faisons de la « société civile » et de

« l’espace public » et de la prise de position que nous prenons par rapport à ces concepts. De plus, le caractère incontestablement « transnational » de nos acteurs observés provoque automatiquement un mélange et une complémentarité entre leurs intentions et volontés transnationales et leurs formes

(7)

d’engagement et « d’action collective », parfois transnationales et portées vers la Tunisie, parfois entièrement inscrites dans le cadre socioculturel et sociopolitique belge. C’est indissociable et lié.

Notre analyse a oscillé sans cesse entre les concepts de « société civile », « d’espace public », de

« transnationalisme » et « d’action collective ». Dans une volonté de complexification et de combinaison de différentes approches de compréhension, nous avons également mobilisé tant les outils de l’anthropologie que de la sociologie, que ce soit la sociologie pragmatique et la microsociologie, la sociologie des mouvements sociaux ou de type « tourainienne » ou encore la sociologie des associations. De plus, nous insisterons à de nombreuses reprises sur le prisme des rapports de force, de domination, de pouvoir,… qu’ouvre la situation révolutionnaire et la transition démocratique en Tunisie et leur nécessaire prise en considération dans les concepts et grilles d’analyse mobilisés.

Dans la seconde partie de ce mémoire, il s’agira de présenter ce que nous avons découvert et observé dans le cadre des pratiques (les actions et les logiques) de participation des associations belgo- tunisiennes à la transition démocratique en Tunisie. Nous y découvrirons notamment que les pratiques sont évolutives, plurielles, multiples et variées. A la suite de cette partie, nous cheminerons vers la présentation et la justification de nos interprétations analytiques en regard de ce que nous aurons présentés dans notre partie théorique et nos observations empiriques. Nous présenterons également notre cadre méthodologique et notre méthode qualitative, principalement composée d’entretiens semi directifs, de nombreux déplacements à des évènements (le dernier en date étant le Forum Social Mondial à Montréal), de l’observation participante, etc. Nous découvrirons notamment que l’environnement de la participation citoyenne et associative belgo-tunisienne a tendance à être dominé par des profils socio-économiques précis et que dans le cadre du recul de l’ancien Etat Tunisien et du remodelage des jeux et responsabilités politiques à pourvoir, qu’il ouvre la porte à de nouveaux clivages et dysfonctionnements ou à la superposition et la reproduction d’anciens clivages et dysfonctionnements préexistants.

Enfin, après avoir exprimé les limites de ce mémoire et les pistes de recherche et de réflexion que nous espérons avoir ouvertes pour nous-mêmes et pour toute personne intéressée par le sujet, nous conclurons par ce que nous aurons choisi de retenir de notre analyse. Nous exprimerons notamment notre prise de position contre le déterminisme culturel et rappellerons notre perception de la complexité et de la multidimensionnalité de la notion de culture, chaque acteur social étant porteur d'une diversité de répertoires d'actions et de pratiques sociales multiples, qui, selon nous, aujourd’hui plus que jamais, ne peuvent se laisser enfermer dans une grille de lecture unique.

(8)

1.1 Types et profils des acteurs et types d’associations rencontrées

L’une des caractéristiques inévitables qui s’est imposée à nous quand nous avons commencé notre étude est le caractère transnational incontournable des acteurs observés. Nous avons, dès le départ, écarté l’idée d’utiliser le concept de « diaspora » pour cerner les associations belgo tunisiennes et la communauté belgo-tunisienne en général. Comme l’ont également choisi Sonia Gsir et Elsa Mescoli (Gsir, Mescoli, 2015), nous avons opté pour une approche en partie, transnationale appréhendant nos acteurs, non pas en priorité comme un groupe déterminé ou enfermé dans une catégorie culturelle ou ethnique exclusive mais comme un groupe portant plusieurs catégories de pratiques. Pour souligner notre propos, nous empruntons la définition de Brubaker (Brubaker, 2005 ; p.12 cité par Gsir, Mescoli, 2015; p. 6) : « en tant que catégorie de pratique, « diaspora » est utilisé pour faire des réclamations, articuler des projets, formuler des attentes, mobiliser les énergies, faire appel à des loyautés ».

Le groupe d’acteurs analysé dans ce mémoire est issu de l’immigration belgo tunisienne qui selon les personnes interviewées, aurait débuté dès les années soixante, avec les accords bilatéraux de travail entre la Tunisie et la Belgique, en particulier l’accord du 7 aout 1969 (Gsir, Mescoli, 2015 ; p. 10). Ce dernier a vu l’arrivée en Belgique de travailleurs tunisiens, souvent peu qualifiés (paysans, artisans,…), dans différents secteurs d’emploi, au contraire des accords avec le Maroc et l’Italie qui ont débouché essentiellement sur des postes dans l’industrie minière et métallurgique.

Toujours selon les témoignages et toujours selon ce qu’en disent Sonia Gsir Elsa Mescoli dans leur étude, ce type d’immigration a pris fin en 1974 (Ibidem ; p. 9) en raison du choc pétrolier, ce qui donna place, comme nous y reviendrons plus tard, à une migration par la voie des études, à des regroupements familiaux, à des mariages (mixtes) et, ce qui nous intéressera tout particulièrement dans notre étude, à des demandes d’asile d’opposants au régime ou à des migrations de type « politique ».

Les Tunisien(ne)s résidant à l’étranger correspondent à 10% du total de la population Tunisienne. La plupart vit en Europe dont 58,5% en France (Ibidem ; p 10)1. En Belgique, environ 23 000 y résident (52% d’hommes et 48% de femmes). La majorité de cette population se situerait dans les tranches d’âge de 0 à 10 ans et de 20 à 30 ans (Ibidem). Ces données ont toute leur importance, particulièrement pour quelques-unes des observations et hypothèses que nous détaillerons par la suite. Selon certains répondants rencontrés dans nos divers déplacements, la plupart des Tunisiens de Belgique vivent dans la région de Bruxelles (environ une grosse moitié) et dans une moindre mesure à Liège, Gand, Renaix et enfin Charleroi et le Hainaut. L’une des caractéristiques qui nous a tout de suite marqué dans nos entretiens, nos immersions et notre découverte de la communauté belgo-tunisienne est le fait que les acteurs, au contraire de la communauté marocaine, italienne, turque ou encore congolaise, sont peu ou

1Pouessel, S. 2014. Report on Tunisian Legal Emigration to the EU: Modes of Integration, Policy, Institutional Frameworks and Engagement of Non-State Actors, INTERACT RR 2014/22, Robert Schuman Centre for Advanced Studies, San Domenico di Fiesole (FI): European University Institute, cité par Gsir, Mescoli,… ; p.10.

(9)

pas du tout concentrés dans des zones géographiques ou urbaines communes2. Selon plusieurs intervenants, ce phénomène s’explique majoritairement par le nombre relativement modeste par rapport à d’autres communautés (marocaine ou turque) et également au vu de nombreux mariages mixtes, qui caractérisent visiblement un certain nombre de Tunisien(ne)s de Belgique. Au niveau de la circulation (transnationale) des individus, elle est assez fréquente. Plusieurs répondants affirment rentrer au moins chaque été en Tunisie (souvent avec famille au complet) et y consacrer une part importante de leur revenu et salaire.

Depuis 2011 et la révolution, on observe un foisonnement associatif assez spectaculaire, en Tunisie, mais également en Belgique en ce qui concerne les associations des Tunisien(ne)s de Belgique.

Selon le rapport du PNUD sur la société civile tunisienne datant de 20143, l’ancien régime avait favorisé l’activité de quelques 9700 associations (essentiellement artistiques, culturelles et sportives).

Depuis 2011, on estime que plus de 2000 nouvelles associations ont été créées. En Belgique, parmi les associations identifiées, ce sont 10 et 15 associations créées entre fin 2010 et 2015 avec lesquelles nous avons pu rentrer en contact. Cela dit, selon les entretiens avec des responsables associatifs ou consulaires, il existe un nombre assez important d’associations et d’initiatives citoyennes (belgo- tunisiennes) qui existent en dehors du recensement que nous avons pu faire ou que les mêmes responsables ont pu nous renseigner, qui se manifestent alors en tant qu’associations clairement et officiellement rattachées aux grands partis tunisiens (« ennahda »4, « nidaa tounes »5,

« ettakatol »6,…) ou dans le cadre d’initiatives autour de la sphère religieuse.

Au vu des éléments sociodémographiques présentés, même si certains membres associatifs rencontrés revendiquent pleinement leur citoyenneté belge et sont contre le concept de « communauté » (une divergence d’avis que nous attribuons personnellement à la pluralité et à la divergence des classes sociales de ceux qui se positionnent sur la question…) , il nous semble intéressant de mentionner que certains intervenants nous ont souvent décrit que le travail des associations nées depuis 2011 et les nouvelles formes de participation citoyenne qu’il implique ont un impact positif sur la construction d’une « communauté » tunisienne en Belgique, qu’il serait autrement impossible d’identifier.

A ce titre, il nous semble intéressant de mentionner que beaucoup de personnes rencontrées se comparaient et se définissaient spontanément et volontiers avec les marocains et les turques (de

2 En ce qui concerne cette affirmation, nous nous appuyons sur nos propres observations et expériences de vie dans différents quartiers multi-culturels de villes comme Bruxelles, Namur ou Liège.

3METOUI Mokhtar, MAINSI Ahmed, GAFSI Henda, MALENA Carmen, 2014, « La société civile dans une Tunisie en pleine mutation », rapport du Programme des Nations Unies pour le Développement p.12

4 Le parti islamo-conservateur, longtemps réprimé sous Ben Ali, au pouvoir entre 2011 et 2014, en Tunisie. En arabe,

« ḥarakat en-nahḍa », signifie « mouvement de la renaissance ».

5 Le parti créé par Béji Caïd Essebsi, actuellement au pouvoir depuis 2014. En arabe, « nidaa tounes » signifie « appel de la Tunisie » ou encore « appel pour la Tunisie ».

6 Le parti qui se rapproche le plus d’une forme de parti socialiste ou de centre gauche. En arabe, « et-takatol ed-dīmoqrāṭī min ajl il-‘amal wa l-horiyāt », signifie ce que nous traduisons nous-mêmes par « le forum démocratique pour le travail et les libertés ».

(10)

Belgique), tant au niveau de leurs caractéristiques sociodémographiques, qu’au niveau de la psychologie individuelle des individus, du rapport à l’islam, de l’éducation, des rapports hommes- femmes, etc7 (voir Annexes 3.6 Majid, enregistrement du 5 février 2016 ; 3.7 Majid, enregistrement du 5 février 2016).

En résumé, les pratiques et les formes d’engagement citoyennes et transnationales dont il sera question dans ce mémoire sont le fait d’acteurs ayant des profils différents (des Tunisien(ne)s immigrés depuis plusieurs décennies, des enfants de Tunisien(ne)s issus ou non de couples mixtes, etc.) mais une partie écrasante appartient à la classe moyenne éduquée, ont plus de 40 ans et présentent une expérience dans l’associatif ou la participation citoyenne en Belgique et/ou en Tunisie. Ces considérations impliquent notamment qu’ils et elles sont connecté(e)s à des réseaux, ont la capacité de se promouvoir et de maitriser les nouvelles technologies (réseaux sociaux, mails,…) et bénéficient d’un capital relationnel important.

La liste de contacts et d’associations (en Belgique) sur base de laquelle nous nous sommes appuyé pour rencontrer les acteurs principaux de notre étude nous a été aimablement fournie par Monsieur Ali Belhaj et le Centre socio culturel tunisien « dar tounsi »8. Au vu des restrictions temporelles et géographiques de notre terrain d’étude mais également au vu de la difficulté d’établir des contacts ou de recevoir de réponses avec certains acteurs précis de la «société civile belgo-tunisienne», notamment à cause du fait qu’ils sont en dehors des « réseaux formels » par lesquels nous sommes passés, il ne nous a malheureusement pas été possible de rencontrer ou d’avoir des contacts avec l’entièreté des associations belgo-tunisiennes. Les associations rencontrées ou qui ont été étudiées dans ce mémoire sont :

 L’Amitié Belgo Tunisienne, située à Charleroi

 L’association des Démocrates Tunisiens au Benelux (ADTB), située à Bruxelles

 Asteria Ronse, située à Renaix

 Le Comité de Vigilance pour la Démocratie en Tunisie (CVDT), situé à Liège

 L’Entraide Belgo Tunisienne (EBT), située à Bruxelles

 Ezaitouna Humanitaire, située à Gand

 Forum Euro-Tunisien de Citoyenneté Active (FETCA), situé à Bruxelles

 La Main d’Ilyssa, située à Bruxelles

7 En effet, nombreux sont celles et ceux qui, parmi les personnes interviewées et les arabo-maghrébins eux-mêmes, pensent que les Tunisiens se démarqueraient de façon assez atypique dans le monde arabo-maghrébin. Une exception socio-culturelle qui s’expliquerait majoritairement et en partie par le haut niveau d’éducation prôné dès la moitié du 20eme siècle, la place privilégiée et l’indépendance de la femme dans la famille et la société tunisienne, une certaine laïcité (politique ou individuelle) héritée de l’ère Bourguiba ou encore des avancées sociopolitiques tout à fait particulières que l’on peut identifier dès la période des « bey » (les souverains attachés à l’empire ottoman entre le 16eme et le 20eme siècle). Parmi celles-ci, les premières constitutions (1861) et ligue des droits de l’homme (1976) du monde arabe, les premiers syndicats et parti communiste de la région, le code du statut personnel (1957) qui instaure l’égalité homme-femme, le mariage civil, la scolarisation obligatoire, qui abolit la répudiation, etc.

8 Situé à Bruxelles, il accueille les associations et la communauté belgo-tunisienne pour des expositions, des évènements, des conférences, des réunions, des stages, des cours d’arabe,… En arabe, « dar tounsi », se traduit par « la maison tunisienne ».

(11)

 Passerelles Humanitaires Europe Tunisie (PHET), située à Bruxelles

 Wissal, située à Bruxelles

 Etudiants Tunisiens de Belgique, située à Bruxelles

1.2 Une brève contextualisation du printemps arabe tunisien et de la révolution tunisienne

Le déclenchement du printemps arabe tunisien, qui est le point de départ de toute la vague de contestation qui s’est propagée dans tout le monde arabe ces dernières années, peut, selon les interprétations, correspondre à deux évènements. D’une part, les contestations qui sont parties des régions rurales du centre ouest (Sidi Bouzid) suite, notamment, à l’immolation par le feu du jeune marchand Mohammed Bouazizi, qui s’était vu confisquer sa marchandise par la police. D’autre part, le départ du président Ben Ali et la fin de la dictature. Ces deux dates, respectivement le 17/12/2010 et le 14/01/2011, bien que reconnues toutes deux dans la constitution de 2014, sont discutées selon l’origine des contestataires et des protagonistes. A notre sens, ces deux phases et ce débat touchent intimement la non homogénéité, voire la division, socioéconomique notamment, de la société civile tunisienne. Ils mettent en lumière également la pluralité et la diversité des acteurs de cette dernière. D’un côté, les soulèvements populaires cristallisés depuis de nombreuses années, issus des régions défavorisées et oubliées du pays, et qui portent des revendications essentiellement socio-économiques. D’un autre côté, la propagation de ces contestations à la région de la capitale (Tunis), aux classes moyennes et à une partie des élites, avec des revendications plus seulement socio-économiques mais également politiques (Nachi, 2015 ; Beaulieu, 2015 ; Ben Nefissa, 2011, pp. 5-24).

Les deux mois qui suivirent le départ de Ben Ali marquèrent l’histoire du pays. Ses ministres démissionnèrent mais se retrouvèrent, pour beaucoup d’entre eux, dans le gouvernement de R.

Ghannouchi, ce qui (re)provoqua la mobilisation des deux mêmes types d’acteurs, respectivement dans les régions du centre-ouest, puis à deux reprises sur la place « Kasbah » de Tunis. Les ministres ayant été remplacés par d’autres, peu ou pas plus révolutionnaires, le départ de Ghannouchi et une assemblée constituante furent exigés. Ces deux revendications, le pouvoir révocatoire et constituant, deux invités privilégiés dans l’histoire des révolutions et des changements sociopolitiques majeurs, ont été les deux fers de lance de la révolution citoyenne tunisienne. Ces revendications se soldèrent par les élections du 24/07/2011 et la nomination de Beji Caïd Essebsi, un homme politique d’expérience et ancien collaborateur de Bourguiba, comme premier ministre. Cette issue a permis de démontrer que le processus révolutionnaire de l’époque manquait de convergence et de leadership. Suite à ce dernier, s’en suivirent donc le processus électoral et la logique du dialogue national. De 2011 à 2014, le parti islamiste « Ennahda » dirigea le pays s’appuyant sur les partis « Ettakatol » au gouvernement, et le

(12)

CPR9, à la présidence de la République. A ce stade de la transition démocratique, on peut affirmer objectivement que l’opposition de gauche et la société civile étaient quelque peu biaisées et mises de côté et que nous assistions donc à une bipolarisation du champ politique avec au pouvoir, la « troïka » des trois partis cités précédemment, et dans une position marginalisée, les partis de gauche et d’opposition et une grande partie de la société civile tunisienne (Ben Lamine, 2013 ; Beaulieu, 2015).

Dans une certaine mesure, « le peuple de la révolution » contre « le peuple des élections ». Suite à de nombreux excès de pouvoir d’« Ennahda » (notamment en ce qui concerne son influence sur l’assemblée générale), à de nombreuses contestations, aux assassinats des leaders de gauche Mohammed Brahmi et Chokri Belaid et les accusations qui suivirent, à la montée en puissance des salafistes dans tout le pays,… ; « Ennahda » est obligé d’accepter de faire un pas en arrière. Cette dernière période nous entraîne dans la phase que nous pourrions qualifier de « phase de compromis » durant laquelle le syndicat UGTT et la gauche ont poussé au dialogue national et à la démission du gouvernement (Nachi, 2015). Cette période déboucha sur l’élection législative d’octobre 2014 avec la victoire de « Nidaa Tounes » et l’élection présidentielle à suffrage universel direct les 23 novembre (1er tour) et 21 décembre 2014 (2eme tour) avec la nomination de Beji Caïd Essebsi. L’actualité tunisienne de l’année 2015 et de l’année 2016 a principalement été marquée par la volonté de continuer la construction et l’apprentissage du compromis politique et par les divers attentats qui ont frappé le pays, accentuant ainsi la crise socio-économique, marquée par l’insécurité et les tensions liées à la présence terroriste sur le sol tunisien. Une insécurité et une crise tant liées aux attentats de mars et juin 2015, avec des conséquences désastreuses sur l’industrie touristique tunisienne, qu’à la présence de groupes terroristes armés à la frontière libyenne et à la forte présence de combattants Tunisiens dans les rangs de « Daesh »10.

A ce titre, comme nous le découvrirons plus avant dans ce mémoire, certaines des associations ont fait de ces diverses problématiques les fers de lance de leurs activités et initiatives, à l’image d’associations comme l’Association des Démocrates Tunisiens de Belgique (ADTB) et leur organisation d’un colloque d’échange entre la Belgique et la Tunisie autour de l’art du compromis ou encore le Comité de Vigilance pour la Démocratie en Tunisie (CVDT) et l’organisation d’actions de soutien au tourisme en Tunisie ou d’ateliers autour de la radicalisation chez les jeunes. A la situation d’état d’urgence prolongé du pays se superposent les problèmes qui, selon les intervenants, ne semblent pas avoir tout à fait disparus depuis la chute du régime, à savoir : le chômage11, la difficulté à attirer des investissements étrangers, l’afflux de nombreux réfugiés venus de Lybie, etc.

9 Parti du leader Moncef Marzouki, président de la Tunisie entre 2011 et 2014. En arabe, « al-moʾtamar min ājl al- jomhūriya ».

10 Abréviation de l’arabe « al dawlah al islāmiyya fi-l-ʿirāq wa al shām », que nous traduisons par « l’Etat islamique en Irak et dans le Sham » (les territoires actuels de la Syrie, Jordanie, Israël et Liban).

11 A noter que c’est précisément un taux élevé de chômage chez les jeunes diplômés tunisiens qui s’est avéré être l’un des facteurs qui a amplifié le processus révolutionnaire et la transformation socio-politique du pays.

(13)

1.3 Un renversement de perspective

D’une approche « top down » à une approche « bottom up » des concepts de « société civile » et

« d’espace public »

Comme nous l’avons déjà en partie découvert, les acteurs que nous analysons prennent place à la fois dans le monde associatif, la société civile belge ainsi que dans l’espace public belge et Tunisien.

Au vu des éléments de terrain et du contexte particulier de la révolution tunisienne que nous vous présenterons dans ce mémoire, il apparait clair dès le départ que les associations belgo-tunisiennes, leurs membres et leur entourage, prennent place ou tentent de prendre place dans une forme d’espace public transnational. Un espace interconnecté entre l’espace public belge et l’espace public tunisien, encore jeune et en pleine construction, ainsi que dans une communauté internationale de citoyens (pour ne pas employer le terme « société civile internationale »), que ce soit autour des affinités et engagements particuliers pour des causes bien précises (cause palestinienne,...) ou autour de la participation à des évènements comme le Forum Social Mondial, ou encore à des revues ou des conférences internationales, etc.

Ce type de considérations nous a amené, dès le début de notre étude, à nous poser certaines des questions suivantes : Quelle forme prend l’engagement des associations des Tunisien(ne)s de Belgique dans la société civile ? : Un espace davantage orienté vers un contrôle étatique ou vers la sphère privée ?, Un espace empreint d’influences familiales/communautaires ? Un tiers-secteur classique ou un contre-pouvoir ?, Un espace monopolisé par certains « gros » acteurs ? Une continuité des élites associatives et civiles vers des structures préexistantes de l’ancien régime ? Un tremplin de ces mêmes élites vers les nouvelles formes d’organisation du système politique et vers les nouvelles responsabilités à pourvoir ? Les associations des Tunisien(ne)s de Belgique sont-elles les courtiers entre les deux espaces publics (belge et tunisien) ? Quelles capacités de connexion ont-elles avec l’espace public belge ?

Autant de questions dont, en ne perdant jamais de vue notre question de départ, nous tenterons de répondre dans le présent mémoire. De plus, le modeste apport et la finalité ultime de ce dernier se subdivisent en trois grands objectifs.

D’une part, mettre sur le devant de l’analyse et imposer à des concepts aussi vastes que celui de

« société civile », « espace public » ou encore « transnationalisme », la prédominance des rapports de force, de pouvoir, de domination, les intérêts particuliers ou collectifs, les enjeux passés et présents, les interrelations, les situations de monopole de l’action ou de légitimité s’il y a lieu d’être, les clivages qui séparent, etc. Ce mémoire traduit une volonté claire, à l’instar d’auteurs comme Oliver de Sardan (Olivier de Sardan, 1995 ; pp.10-70), Cefaï (Cefaï, 2001, pp. 6-322) ou encore Barthelemy

(14)

(Aligisakis, 2001 ; pp. 589-591) de considérer notre groupe d’acteurs et l’espace d’interaction dans lequel ils prennent place comme une « arène ». En d’autres termes, pour nous, situer les associations belgo-tunisiennes dans la société civile, dans l’espace public et dans la participation au processus de transition démocratique tunisien, c’est faire état des clivages et des espaces de conquête et de lutte que laissent le recul de « l’ancien » Etat tunisien et la révolution. Cette approche, plus ciblée et davantage socio-anthropologique ou ethnographique, a pour volonté d’essayer de se concentrer plus profondément sur les perceptions et les régimes de sens, ce qui nous a permis notamment et également de nous poser le type de questions suivantes : Qui touchent les associations tunisiennes de Belgique, quelles générations (en âge et en « générations d’immigration ») ? ; Quel type de personnes et quelle population cible, pour quel champ d’action ? ; Quels sont les « gagnants » et les « perdants » ? Quels sont les plus visibles et les moins visibles ?

D’une autre part, aller à l’encontre d’un excès de « mysticisme », d’« essentialisme » ou d’ethnocentrisme ou, au contraire, de culturalisme ou encore de pessimisme s’agissant du regard que l’on peut porter sur les sociétés arabo-musulmanes et sur leurs capacités à s’approprier la démocratie ou à se constituer en société civile de type émancipatrice. Enfin, des types d’analyse qui ont l’ambition de creuser aussi loin dans les logiques et les réalités (parfois sous-jacentes ou infra-politiques) des personnes, permettent la présentation de la complexité, de la diversité et de la multi dimensionnalité de la culture et des formes d’engagement d’un groupe donné d’acteurs.

2 Contextualisation et cadre théorique général

Ce chapitre, porte d’entrée mais déjà aussi matière de notre analyse et de la présentation de nos hypothèses, a pour but de situer et de contextualiser les grands concepts et paradigmes qui ont jalonné notre étude, à savoir « société civile et espace public », « transnationalisme » et « sociologie des associations et de l’action collective ». Ce chapitre, moins le reflet de la démonstration de notre gloutonnerie livresque ou de la passion qui nous a animée autour des trois grands domaines mobilisés que la volonté, déjà analytique, de sélectionner les éléments de définition et d’analyse, ainsi que le cadrage théorique, essentiels à la réponse de notre question de départ et au détail de nos hypothèses.

Ainsi, nous proposerons également une prise de position et une synthèse de nos réflexions personnelles sur ces différents concepts ainsi que ce que nous déciderons précisément et synthétiquement d’en retenir.

2.1 La notion de société civile, entre consensus bien utile et fortes contradictions d’interprétation

Dans les lignes qui suivent, il n’est nullement question pour nous de nous attarder trop longuement et lourdement sur les aspects théoriques des deux concepts de « société civile » et d’ « espace public », nous avons eu l’occasion de le faire dans différents travaux lors de notre cursus de Master. Il s’agit

(15)

simplement de contextualiser et de situer le prisme avec lequel nous avons choisi d’appréhender ces deux concepts et plus important encore, celui avec lequel, à travers notre question de départ, nous avons choisi d’y intégrer les acteurs observés, selon leur histoire, leur historicité et leur contexte actuel.

2.1.1 Définition(s) et ancrages historiques et conceptuels qui fondent notre positionnement La notion de société civile prête à discussion, à contradiction, et à opposition. Il n’y a pas un consensus sur sa définition et le sens qu’il faut lui donner. Au départ, il s’agit d’un concept de la philosophie politique occidentale, issu de la philosophie antique, récupérée et exploitée entre le 17eme et 18eme siècle. En sa qualité de « buzzword » des trente dernières années, il a connu un succès populaire et planétaire sans jamais parvenir à acquérir une définition précise et légitime au niveau sémantique. Ce concept est finalement une sorte de « label du vide » qui donne l’impression de faire consensus tout en désignant finalement des interprétations et des perceptions différentes (Poncelet, Pirotte, 2007 ; p.10).

La société civile est une des notions les plus ambiguës du champ et du débat sociopolitique actuel.

Certains l’ont définie et la définissent toujours par opposition à l’Etat, en englobant ainsi l’ensemble des institutions (famille, entreprise, associations...) à travers desquelles les individus poursuivent des intérêts communs sans interférence de l’Etat (Rangeon, 2014 ; p. 10). Pour d’autres, la société civile ne devrait pas être perçue en opposition à l’Etat mais au contraire, comme étant le lieu où le privé et le public s'interpénètrent (Freund, 1965 ; p.299). Une dichotomie, d’une certaine façon présente en grande partie présente dans notre mémoire et chez les acteurs belgo-tunisiens observés. Comme nous y reviendrons en conclusion de ce mémoire, dans le contexte des « sociétés civiles maghrébines » en particulier, il existe également un réel problème de définition et un déchirement théorique et empirique constant entre la volonté et la perception d’une société civile universelle ou une d’une société civile à l’occidentale (l’exceptionnalisme occidental).

Pour Hobbes, comme pour beaucoup d’auteurs du XVIème siècle (Machiavel,…), la société civile signifie pour la première fois l’Etat. A l’inverse de la cité grecque d’Aristote, il s’agit ici d’une organisation politique et juridique des hommes vivant sous un pouvoir commun souverain, et dans les limites d'un territoire déterminé (l’Etat), créée dans le but d’assurer leur sécurité et leur bien-être (Rangeon, 2014 ; p. 12). Au XVIIème siècle, John Locke concevait la société civile plus ou moins selon les mêmes termes si ce n’est qu’il nous renseignait que sa finalité principale est la conservation du droit, de la liberté et de la propriété. Si l’Etat ne se conformait pas à ces principes, les citoyens avaient le droit légitime de se rebeller (Locke, 2008). Rousseau accentuera dans ses théories la notion de propriété privée et l’autonomisation de la société civile par rapport à l’Etat., en y rajoutant la notion de civilisation, la société civile (ou civilisée) étant un espace de gens « civilisés » (Ibidem ; p.16). La perception de Jean-Jacques Rousseau du concept de société civile nous semble on ne peut plus actuelle

(16)

et liée à notre sujet d’étude dans le sens où il la percevait comme étant autant un giron de progrès social qu’une source d’injustice et d’inégalité. A l’inverse de beaucoup de penseurs de son temps, Rousseau s’oppose donc à l’optimisme d’une société civile (ou civilisée) régie par les bienfaits du marché, de la concurrence, des intérêts particuliers, des besoins et de la modernité (Mandeville, Smith, Ferguson, Constant,…) et introduit les contradictions que comprend cette dernière.

L'œuvre de Kant fait renaitre la société civile face à la croyance de la primauté et l’antériorité de la nation et de l’Etat (l’Etat créé la société civile et non l’inverse), comme l’atteste, par exemple, la loi Le Chapelier (1791), qui prononce la dissolution des corporations en France. A partir du code civil français de 1804, possédant son propre droit, la société civile est désormais capable de s'émanciper et de rompre le lien qui la reliait constamment à l'Etat, ce qui créera par la suite, et jusqu’à aujourd’hui, l'opposition civil-politique, la société civile s'identifiant progressivement à la sphère privée, distincte de la sphère publique où règne en maître l’Etat (Rangeon, 2014 ; p.30). Cette considération, comme nous le découvrions par la suite, est elle aussi intimement liée à notre analyse et aux conclusions que nous tenterons de proposer dans ce mémoire.

Hegel, précédant Marx, est sans aucun doute le penseur à qui l’on doit le plus d’avancées en ce qui concerne la clarification du concept contemporain de société civile (Ibidem, p.22). Sans sa conception de la « bürgerliche gesellschalt »12, l’objet principal est le bourgeois, tout comme l’est la personne dans le système juridique, ou le membre de la famille dans la famille (Hegel, 1989 ; p. 258). La bourgeoisie, lieu d’expression de la société civile, est venue progressivement s’intercaler entre l’Etat et la sphère familiale. Dans le premier espace de socialisation qu’est la famille, tout est mis en commun et rien n’est susceptible d’y être échangé. Ce sera donc l’éclatement ou la sortie de la famille de l’individu qui produira le besoin d’échanges, qui lui-même conduira à la nécessité de se constituer et de s’allier en tant que société civile. Alors que l'individu lambda n'était jusque-là qu’un membre ordinaire de la famille, il s'émancipe dans et par la société civile et devient lui-même la propre fin et le strict enjeu de son action. De par sa nature bourgeoise, elle ne poursuit que des « buts limités et finis », c’est-à-dire différents intérêts individuels ou collectifs (Rangeon, 2014 ; p.23). Suite à cette constatation, Hegel marque les limites de l’émancipation de cette société civile (bourgeoise) en affirmant que c’est via la soumission à l’Etat qu’elle doit se réaliser, ce dernier étant chargé de résoudre (juridiquement) les contradictions internes de la société civile, et de se porter garant de l’intérêt universel (celui du citoyen) et non du particulier (celui du bourgeois ou de l’égoïste). Dans cette logique, la vision de plus en plus contemporaine de « notre société civile » belgo-tunisienne apparaît, dans laquelle ce rapport ambigu entre Etat et société civile est l’expression d’un équilibre constant entre opposition, contrôle, et de plus en plus, complémentarité ou collaboration.

12 En allemand : « société bourgeoise »

(17)

Karl Marx reconnait l’existence de la société civile en tant que société bourgeoise mais à travers la mise en avant de la lutte des classes. La société bourgeoise de son époque n’est pas encore totalement dominante dans l'État, mais fait bel et bien sentir sa prépondérance dans la société civile et, bien entendu, d'abord dans l'économie, à travers le monopole des moyens de production. Marx voit l’être humain comme un « animal politique », grégaire, qui s’individualise au sein de la société civile, perçue comme l’évolution d’un procédé où l’on observe la matérialisation de la défense des intérêts particuliers sous une forme administrative et corporative (Marx, 2008 ; p.84). Cela dit, la différence fondamentale entre Hegel et Marx, réside dans le fait que la propriété privée, au lieu de favoriser l’humanité et la moralisation de l’homme en étant contenue par l’Etat éthique et l’influence de l’esprit (chez Hegel), au contraire, pénètre l’Etat pour maintenir l’aliénation des hommes et des travailleurs.

Marx introduit ici l’idée que la « force spirituelle dominante » est en même temps celle de la classe qui est la force matérielle dominante de la société.

C’est dans ce cadre conceptuel qu’Antonio Gramsci créé une analyse de l’Etat en le divisant en société civile (syndicats, écoles, aujourd’hui OSC, asbl,…), animée par la sphère de l’hégémonie culturelle, et société politique (Etat, institutions, police, armée,…), animée par la sphère de la coercition (Gramsci, 1975 ; pp. 13-31). Cette distinction et la pensée gramscienne sont absolument indispensables à mentionner pour introduire les conclusions et les hypothèses que nous proposerons dans ce mémoire.

Gramsci accuse la société civile, en tant que membre de son Etat, d’être, en quelque sorte, le moyen de légitimation et la deuxième jambe de l’hégémonie idéologique, de la coercition et du contrôle de l’Etat. Il prononce le verdict que si le pouvoir bourgeois tient en place et prospère, ce n’est pas uniquement par la main de fer par laquelle il tient le prolétariat, mais davantage grâce à son emprise sur les représentations culturelles de la masse des travailleurs. Cette hégémonie culturelle amenant même les dominés à adopter la vision du monde des dominants et à l’accepter comme « allant de soi ». Pour renverser la vapeur, la conquête du pouvoir doit passer par un long travail idéologique et une préparation du terrain au sein de la société civile. Si dans les régimes dictatoriaux, comme la Tunisie sous Ben Ali, c’est surtout la société politique qui règne (par l’oppression, la cooptation et par des libéralisations de façade), dans les sociétés occidentales démocratiques, c’est principalement une partie de la société civile qui organise la domination. Comme nous y reviendrons dans les conclusions de notre partie analytique, c’est donc autant en son sein que le combat (culturel) doit être mené et non par une confrontation frontale avec la société politique.

(18)

2.1.2 Une « société civile émancipatrice » ? La nécessaire prise en considération de la prédominance des rapports de force, de domination, des discours et des perceptions Comme nous avons tenté de l’introduire ci-dessus, ce mémoire est à la fois d’influence hégélienne, marxienne13 et gramscienne. Selon nous, la « société civile » et la multitude de ses pratiques gagnent à être envisagées par le prisme des rapports de force, de domination, par les stratégies et les différentes perceptions, par les différents discours,… ; qui gravitent en elles et autour d’elles.

La normalisation des concepts de « société civile » et d’ « espace public » et la pratique d’un discours et d’un savoir trop technique ou trop sémantique permet, certes, de faire consensus mais a également parfois pour conséquence de maintenir le citoyen éloigné de la compréhension de la réalité et l’acteur (associatif) du centre de gravité de l’analyse. Le danger est alors, consciemment ou inconsciemment, de choisir de ne pas se focaliser sur la dynamique politique, conflictuelle et finalement participative de l’action populaire et citoyenne. Le but de ce mémoire est cela dit, comme nous y reviendrons plus tard, d’attirer l’attention du lecteur sur la complexité de la notion émancipatrice de la société civile, et sur la nécessité de prendre en compte et de respecter la diversité des contextes.

En effet, selon les lieux et les contextes, les réactions à l’oppression, l’injustice ou tout simplement à ce qui est défini comme un problème plus ou moins collectif, peuvent prendre des formes bien différentes. Dans certains contextes, comme ce fut le cas de nombreuses fois en Europe, Occident, Amérique Latine, Monde arabe,… et pour les Tunisiens ; l’action contestatrice et émancipatrice d’une « société civile » a pu prendre la forme d’un mouvement social ou d’une mobilisation collective, identifiant une privation hautement valorisée, une frustration plus ou moins forte, un ennemi clairement identifiable, mettant en route une mobilisation plus ou moins conséquente, et débouchant sur une organisation de la mobilisation plus ou moins forte, efficace, et légitime (Bajoit, 2011). Parmi les derniers exemples en date, les printemps arabes et « notre révolution Tunisienne », les indignés espagnols, Occupy Wall Street, Podemos (alliance entre mobilisation collective horizontale et forme de représentation partisane verticale), etc. Dans certains contextes, bien souvent les sociétés du Sud sous régime autoritaire, la société civile émancipatrice ou contestataire peuvent également, ou parallèlement, se manifester sous forme de stratégies de résistance qui recevront un intérêt tout particulier dans ce mémoire.

Une action civile et citoyenne émancipatrice qui occupe également une grande place dans l’étude qui nous intéresse et qui tend à se manifester dans la totalité du monde, à des échelons plus ou moins locaux et selon des dispositifs modestes et irréguliers ou selon des initiatives plus importantes et solidement ancrées (Pirotte, Poncelet, 2007 ; pp. 9-22). Le cas de la Tunisie, bien entendu,

13 Nous différencions volontairement l’analyse marxiste (se voulant fidèle à l’application stricte des concepts de Marx) et l’analyse « marxienne » (adaptant la pensée de Marx à un concept et une réalité contemporain(e)).

(19)

représente un cas particulièrement intéressant et atypique, tant pour les milliers d’associations et d’organisations de la société civile en Tunisie au rôle déterminant dans la transition démocratique, mais que ce mémoire ne nous permet pas d’approcher, que pour les associations des Tunisien(ne)s de Belgique.

C’est la combinaison de ces divers éléments de description qu’il faut retenir. Une société civile qui s’est mondialisée, interconnectée et développée un peu partout, mise en mouvement selon différentes spécificités, historicités et particularités culturelles, sociales et politiques. Une société civile mise en danger par la technocratisation, la normalisation, l’institutionnalisation,… ; mais dont la fibre émancipatrice est toujours vivace, se posant souvent en grand arbitre des directions que prend ce monde. Que ce soit par l’intermédiaire de grands mouvements sociaux capables de faire tomber des gouvernements ou de changer l’ordre mondial (comme en Tunisie), par de grands événements internationaux comme le Forum Social Mondial (auquel participent des associations (belgo)tunisiennes), ou encore par la multitude et la diversité des initiatives locales et dispersées, comme les associations qui nous intéresserons dans ce mémoire.

2.2 L’espace public et les trois dimensions de la société civile

Dans la continuité (historique et conceptuelle) de ce que nous venons de présenté et pour tenter de rendre l’approche de ce mémoire plus fine, plus précise, et plus représentative des enjeux contemporains, nous avons choisi d’isoler la société civile en trois dimensions. Ainsi, la société civile prend forme dans l’émancipation des individus par rapport à leur famille et la sphère privée. La première dimension de la société civile est représentée par la sphère associative ou le fait associatif.

Les associations (réseaux, groupes, organisations, institutions, ONG…) produisent du capital social (ici compris comme les relations familiales, amicales, professionnelles,…) nécessaire au développement économique et donc au fonctionnement d’une société démocratique selon la thèse d’auteurs (anglo-saxons) comme R. Putnam (Putnam, 1993), s’inscrivant dans la tradition tocquevilienne (de Tocqueville, 2010).

Ces associations produisent un système et des structures de normes sociales, de valeurs, d’opinions, de représentations, d’identités,… Cette pluralité et ces contradictions sont projetées dans l’espace public, perçu comme une ou des arènes d'argumentations et de délibérations, sous la sphère d’influence (et d’arbitrage) de l’Etat14.

Bien que notre analyse concernera presqu’exclusivement le monde associatif belgo-tunisien, nous faisons le pari que placer les acteurs dans cette dernière dimension et dans les conditions de l’exercice de leur (nouvelle) citoyenneté (parfois de type contestataire et politique), permet d’éviter une analyse simpliste, réductrice au fait associatif, et quantitativiste, des « sociétés civiles ». En effet, toutes les

14 Pour une schématisation de cette démonstration, voir Annexe 1.

(20)

associations ne sont pas les mêmes et le lien entre vivacité du monde associatif et vivacité démocratique n’est pas toujours si évident et limpide. De plus, comme nous nous en apercevrons plus tard, cette définition est fidèle et importante à retenir, tant par rapport au (nouveau) contexte socio politique post révolution qui caractérise nos acteurs, que par rapport à nos hypothèses et sous hypothèses que nous proposerons dans ce mémoire.

Dans cette perspective, nous entendons par « espace public », l’espace où se noue un processus d’argumentation et de délibération au sein d’un tissu dense d’associations et d’institutions. Et la société civile est donc caractérisée par « les associations, organisations et mouvements qui condensent, répercutent, en les amplifiant dans l’espace public politique la résonance que les problèmes sociaux trouvent dans les sphères de la vie privée » (Habermas, 1997 ; p. 394).

 L’espace public est donc perçu comme un espace s'ouvrant entre l'Etat et la société civile (dans notre cas, les associations), où les citoyens se rencontrent afin de débattre librement des questions d'intérêt général. Pour Arlette Farge, à travers l’espace public, le peuple tente de se forger une identité en s'émancipant par la discussion politique (Farge, 1992).

 Habermas décrit également l’espace public comme « le processus au cours duquel le public constitué d'individus faisant usage de leur raison s'approprie la sphère publique contrôlée par l'autorité et la transforme en une sphère où la critique s'exerce contre le pouvoir de l'État » (Habermas, 1993 ; p. 61). Par rapport à notre surjet d’étude, il s’agit donc ici d’insister sur la capacité de résistance, et surtout le potentiel critique d'un public de masse pluraliste et différencié, qui, en principe et en théorie, déborde les frontières de classe dans ses habitudes culturelles et citoyennes.

 Le concept de sphère publique ou d’espace public renvoie donc également aux conditions de possibilité sociales de formation d'une opinion publique. En effet, chez Habermas, la perspective de l’accaparation de l’espace public par une élite bourgeoise et la question de la légitimité autour de l’intérêt général authentique sont également présentes.

 Dans l’œuvre d’Habermas, l'espace public apparait aussi comme une distinction pour distinguer les sociétés modernes pouvant être appelées « sociétés de la publicité » en opposition aux sociétés traditionnelles ou « sociétés sans publicité » ou encore « société du secret », dans le cas où la plupart des paroles sur lesquelles s'appuie l'autorité sont secrètes ou privées, et ne reposent donc pas sur une diffusion ou un débat public à propos de ces paroles au sein de la population (Miège, 1996).

(21)

L’ensemble de ces éléments de définition sur lesquels nous venons de nous attarder, correspondent aux hypothèses que nous développerons et dont nous avons déjà esquissé les prémices. De plus, l’une de nos intentions dans ce mémoire, est de dépasser la conception de la « publicité » (reliée et limitée à la presse et aux médias) comme indicateur d’analyse des espaces publics dans la tradition d’Habermas et de l’Ecole de Francfort, en analysant dans notre cas précis d’étude, la « publicité de l’action et de la mobilisation » des acteurs belgo-tunisiens observés ainsi que leurs formes sous- jacentes ou infra politiques de résistance et de contestation, dans le contexte bien précis de l’après révolution tunisienne.

2.3 Le « Transnationalisme » : brève revue de la littérature et du prisme d’analyse choisi

Nous avons découvert précédemment que les membres de la communauté belgo-tunisienne sont présents et installés en Belgique depuis maintenant plus de cinquante ans à la suite de migrations de travail, pour raison d’études, de regroupements familiaux, pour mariages (mixtes) ou encore à la suite de migrations de type « politique ». Cette dernière catégorie et composante de l’identité multiple des Tunisiens de Belgique, remise au-devant de la scène par les dynamiques de la révolution, nous renseigne spécifiquement sur les formes de transnationalisme politique dont les membres des associations belgo-tunisiennes sont porteurs. Une présence et une installation sur le sol belge entremêlées à un attachement plus ou moins fort pour le pays d’origine, que ce soit à travers le maintien de voyages fréquents ou de liens familiaux mais également et surtout à travers les nouvelles portes qu’ouvre la révolution. Dans cette partie, nous proposerons un cadrage théorique et une contextualisation autour du concept de transnationalisme, de l’éventail des contextes particuliers que couvre ce dernier et du prisme dynamique avec lequel nous avons choisi d’analyser l’identité transnationale des acteurs.

2.3.1 Quelques éléments de définition

Par transnationalisme nous entendons « les processus par lesquels les immigrés forgent et entretiennent des relations sociales qui lient ensemble leur sociétés d’origine et d’établissement » (Basch, Glick-Schiller, Szanton Blanc, 1994 ; cité par Lafleur, 2005 ; p.7). Cette définition du transnationalisme, certes classique et « droit au but », suggère néanmoins que les liens entretenus entre les migrants et les Etats d’émigration et d’immigration sont multiples et non exclusifs. Les pratiques transnationales renseignent donc un espace qui comprend à la fois l’Etat d’origine et de résidence (Perrin, Martiniello, 2011), mais également une typologie de pratiques transnationales qui oscillent, la plupart du temps, entre pratiques économiques, politiques et socioculturelles (Gsir, Mescoli ; p. 5).

(22)

2.3.2 Les contextes et les facteurs conditionnant les pratiques transnationales

Jean Michel Lafleur et plusieurs théoriciens du transnationalisme distinguent plusieurs pratiques transnationales ainsi qu’un cadre théorique où l’on peut insérer et comprendre différents contextes de transnationalisme (politique).

Une première distinction à effectuer concerne la différence entre le « homeland » et le « host country » ou « host society ». Littéralement, le premier terme désigne la « patrie », et donc la manière dont l’acteur transnational définit sa propre identité et son appartenance (Lafleur, 2005 ; p. 13).

Lafleur confirme également que l’appartenance et l’identification à une nationalité, dépend fortement du contexte (Ibidem). Le deuxième terme, littéralement « pays ou société d’accueil », désigne le pays où l’individu réside suite à son propre départ ou suite à celui de ses ancêtres proches (Ibidem ; p. 14).

Dans cette optique, l’intérêt de l’approche transnationale réside dans le fait qu’elle suggère d’appréhender le « migrant » comme un être partagé entre son pays d’accueil et d’origine, cherchant à maintenir des liens étroits avec ces deux Etats-nations. L’individu n’est donc pas seulement perçu selon la seule question de son intégration dans son pays d’accueil (Ibidem ; p. 7).

Nous découvrirons plus avant dans la partie d’analyse empirique les critères qui conditionnent la légitimité du concept sur notre groupe étudié. En attendant, Jean Michel Lafleur nous en dit également plus sur les facteurs conditionnant l’efficacité des politiques transnationales des communautés immigrées en regard du fait que le transnationalisme correspond à l’émergence de réseaux globaux et de formes diverses, liés et provoqués par le phénomène de la mondialisation (Ibidem ; p. 9). C’est cette approche socioéconomique qui nous permet de comprendre dans quelle mesure des facteurs tels que les conséquences de la mondialisation (économique), l’augmentation de la mobilité, l’utilisation des nouvelles technologies de communication et du phénomène numérique, ont une influence forte sur les pratiques des individus et leur capacité à maintenir des liens (ou non) avec le pays d’origine. Autant d’éléments importants à retenir à ce stade en vue du développement futur de l’une de nos hypothèses centrales dans ce mémoire.

Ainsi, pour conclure, de nombreux immigrés construisent aussi des sphères sociales qui traversent les frontières géographiques, culturelles et politiques traditionnelles. Un élément essentiel du transnationalisme est la multiciplité des participations des immigrés transnationaux à la fois dans le pays d’accueil et d’origine » (Ibidem ; p.13). L’identité est donc ici définie comme détachée d’un territoire exclusif, ce qui fait tout l’attrait du concept, en particulier pour notre groupe d’acteurs observés. La contextualisation des différentes pratiques que nous mettrons en lumière et exemplifierons dans la partie analytique consacrée encore davantage aux rencontres que nous avons faites, implique également notre volonté d’insister sur l’importance de se baser sur les pratiques et les formes d’engagement plutôt que sur la communauté belgo-tunisienne en tant que telle, tant

(23)

par manque de temps et de moyens, tant pour éviter l’essentialisme et la normalisation à partir d’un groupe insuffisamment observé.

2.3.3 Modèle d’analyse de l’action politique transnationale

Selon Jean Michel Lafleur, on parlera de « transnationalisme politique » devant l’organisation de campagnes de soutien, de fond vers des partis ou associations du pays d’origine, ou encore dans le cas où quelques citoyens se mobilisent ou s’associent pour soutenir ou financer un projet de leur région ou village d’origine (Lafleur, 2005 ; p.25). Le lobbying politique, lui, s’exerce, par exemple, quand plusieurs membres d’une communauté font pression sur le gouvernement du pays d’accueil pour défendre ou sensibiliser à une cause de leur pays d’origine (Ibidem).

L’ensemble de ce modèle est emprunté à Jean Michel Lafleur (Ibidem pp. 48-61) et montre une dynamique évolutive et non figée des « contextes » d’une communauté transnationale. Une analyse et une perception, complexe et diversifiée, des particularités des pratiques (politiques) transnationales qui, comme nous le découvrirons plus tard, est particulièrement corrélée à la propre grille de compréhension que nous avons développée intuitivement pendant nos mois d’étude et la rédaction de ce mémoire. Autant d’éléments que l’on peut catégoriser selon :

Le contexte de départ

Les raisons du départ (l’importance des motifs qui poussent un individu à quitter son pays).

La perspective du retour (l’espoir ou l’envie de retourner fréquemment ou définitivement dans le pays d’origine).

La vision qu’a le pays d’origine de sa diaspora (les dispositions légales du « homeland » en relation avec sa diaspora, notamment sur les questions liées à la citoyenneté, éléments que nous aborderons dans ce mémoire).

Le contexte de réception

L’ensemble des dispositions légales sur l’immigration et les normes fixant les conditions dans lesquelles les immigrés doivent être reçus (Ibidem ; p. 52). Le contexte de la législation ou de l’attention aux défis d’intégration de la part des (deux) gouvernements, peut pousser les membres de la communauté à s’organiser selon l’orientation de différents clivages et la naissance de plusieurs aménagements sociopolitiques qui seront analysés dans ce mémoire : l’accès à la citoyenneté, la nationalité, l’ouverture du système politique aux intérêts transnationaux, la faculté de la communauté transnationale à se faire entendre, par le biais d’un système électoral ou via l’opinion publique et les médias, etc.

(24)

Le contexte interne à la communauté

Dans le cadre de notre étude, c’est ce qui nous semble être le plus directement crucial par rapport aux points saillants de notre terrain d’enquête. Ces catégories trouveront un écho tout particulier dans l’analyse des problèmes identifiés par les acteurs, dans les clivages et les dynamiques qui animent le monde associatif Belgo-Tunisien et dans le détail des hypothèses qui seront présentées à l’issue de notre analyse.

Le statut socio-économique.

La mobilisation, la cohésion et la définition de l’agenda politique transnational (concentration géographique, fédération ou division des actions transnationales).

Le leadership dans la communauté (influence la coordination et la visibilité des actions de la communauté).

La gestion de la question générationnelle (l’importante ou faible transmission du combat politique transnational aux générations nées dans le pays d’accueil).

Le contexte international

Par souci de cohérence et par la restriction que nous impose la taille limitée de ce mémoire, ce dernier espace ne sera que peu abordé, si ce n’est de manière ponctuelle dans l’une ou l’autre de nos interprétations ou encore à travers l’évidente influence de la révolution Tunisienne. Il fixe toute une série de contraintes que la communauté doit subir dans ses activités politiques, en termes, notamment, d’idéologie et d’ordre international (qui ont des influences sur les mises en mouvement autour de concepts tels que la « démocratie », la « laïcité », etc.), les relations bilatérales entre les gouvernements du « homeland » et du « hostcountry » qui peuvent influencer la communauté et surtout être influencées par cette dernière.

15

15 LAFLEUR Jean Michel, Le transnationalisme pol… , op. cit. ; p. 61.

Références

Documents relatifs

On remarque que les pics de l’échantillon KT2 sont moins intenses à ceux de l’échantillon KT3B surtout les pics qui représentent la kaolinite... Le pic le plus intense dans tous

Au XVIIIe siècle, diverses mesures sont prises pour redonner une efficacité à cette loi, dont une allocation aux pauvres, indexée sur le prix du pain.. En particulier,

Finalité Psychologie du Travail, Psychologie économique et des Organisations�: les enseignements couvrent les champs de la psychologie du personnel (sélection, évaluation,

Avec les chercheurs de la CPDT, nous avons proposé des stratégies adaptées selon qu’il s’agisse de petites gares où le logement doit être priori- tairement développé, de

Et l‘on se demande peut-être si ce Français utilisé dans la Trilo- gie est compris uniquement par l‘analyste ou bien éga- lement par les Français... Dans sa culture

Les ateliers de transformation et d’affinage intervenant dans les conditions de production de l’appellation d’origine « Reblochon » ou « Reblochon de Savoie »

BIBLIOGRAPHIE Résumés Nous traitons dans cette mémoire deux modèles épidémiologiques dans le cas de l'équation diérentielle ordinaire, et on a analysé l'existence des

Dans l'une et l'autre région, il y avait une inégalité très sensible entre la repré- sentation des comtés et celle des bourgs; dans l'ensemble, les 144- députés des