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La pluralité des formes d’engagement et des pratiques transnationales des

résistances ouvertes et résistances couvertes

Pour rappel, nous avons introduit l’idée précédemment que l’appartenance et l’identification à une nationalité, dépendent fortement du contexte (Lafleur, 2005 ; p.63). Nos acteurs étudiés ici correspondent tout à fait à cette description. A titre d’exemple, quand il s’agissait de participer au grand processus de la révolution tunisienne, un certain nombre de nos acteurs ont été ardemment unisiens. Quand la Belgique a été frappée par les attentats du 22 mars 2016, nous avons pu constater qu’un grand nombre d’entre eux arboraient le drapeau belge ou participaient à des évènements de commémoration et d’unité, notamment via les réseaux sociaux.

Nous avons également vu que, à travers la distinction entre le « homeland » et le « host country », si un citoyen d’origine tunisienne (double nationalité, résidant, ou avec seulement des ancêtres,…) s’engage de manière récurrente et impliquée pour le pays en question, cela représente un processus suffisant pour désigner le pays d’origine comme étant sa patrie (Lafleur, 2005 ; p.13).

Comme nous le rappelle Portes (Portes et al., 1999 ; pp. 218-219), l’activité de la communauté transnationale doit également être dirigée et/ou influencée par des liens avec un pays ou une population précise, dont elle se sent partiellement ou entièrement membre. L’activité transnationale ne se définit donc pas uniquement par le déplacement physique d’une communauté vers son pays d’origine mais plutôt par l’importance de ses activités dans ce pays. De nombreux Tunisiens de Belgique construisent ainsi des sphères sociales qui traversent les frontières géographiques, culturelles et politiques traditionnelles. Un élément essentiel du transnationalisme est la multiciplité des participations des immigrés transnationaux à la fois dans le pays d’accueil et d’origine » (Lafleur, 2005 ; p. 13). Comme nous l’avons présenté précédemment, l’identité est donc ici définie comme détachée d’un territoire exclusif, ce qui fait tout l’attrait du concept, en particulier pour notre groupe d’acteurs observés.

Des auteurs comme Bousetta (Martiniello, Bousetta, 2008, pp. 45-66), Martiniello (Martiniello, Lafleur, 2009 ; pp. 50), Perrin (Perrin, Martiniello, 2011 ; pp. 4-66), Lafleur (Lafleur, 2005 ; pp. 7-63), Gsir et Mescoli (Gsir, Mescoli, 2015, pp. 4-50) ou encore Mandin (Mandin, Martiniello, 2013, pp. 7-97), etc. ; nous renseignent plusieurs types de pratiques transnationales. Voici la combinaison entre des éléments de leur présentation et notre propre synthèse et apport empirique par rapport aux pratiques transnationales des Tunisien(ne)s de Belgique. La « nature » et l’identité multiple de nos acteurs observés provoque automatiquement un mélange et une complémentarité, entre leurs intentions et volontés transnationales et leurs formes d’engagement et d’action collective, parfois transnationales et portées vers la Tunisie, parfois entièrement inscrites dans le cadre socioculturel et sociopolitique belge.

Les pratiques économiques et humanitaires transnationales (transfert de fonds à la famille, soutien financier à la communauté d’origine, financement de projets et d’infrastructures, réseau de solidarité envers la communauté d’origine et projets de développement...).

Certains des acteurs et certaines des associations rencontré(e)s ont des activités ou des projets d’activités de type économique. Autant d’initiatives qui répondent à l’un des problèmes spécifiques identifiés que nous avons présenté précédemment : « La dégradation du tourisme, de l’économie, et de l’emploi en Tunisie ». Les informations que nous avons exploitées durant notre terrain d’enquête et l’orientation et le cadre de ce mémoire ne nous permettent pas d’aller plus loin dans l’analyse de ce sujet, bien que nous l’aurions voulu (et pu) au vu de notre formation initiale (un baccalauréat en coopération internationale et le présent master en développement).

L’ensemble des initiatives (transnationales) économiques des Tunisiens de Belgique, qu’elles se fassent à titre personnel ou à travers l’encadrement d’une association, tiennent en la création d’activités commerciales, d’emploi ou de financement d’entreprises (locales et rurales).

Les pratiques humanitaires et de solidarité, quant à elles, sont aisément et largement ressorties de nos entretiens, enquêtes observations participantes. A titre d’exemple, dès 2011, des Tunisiens de Belgique ont participé en 2011 à une caravane humanitaire pour aider les réfugiés arrivés en Tunisie lors de la guerre en Lybie, avec à la clé, l’achat et la récolte de médicaments, la récolte de vivre auprès de leurs réseaux familiaux et communautaires locaux, etc. Comme l’explique très bien Sonia Gsir et Elsa Mescoli, des membres d’associations, en particulier ceux de l’association Wissal avec le projet « cœurs chauds », ont réussi à acheminer des biens de première nécessité (vêtements, couvertures,..) aux populations du nord-ouest tunisien lors de l’hiver de l’année 2012 (Gsir, Mescoli, 2015 ; p.22).

Enfin, bien que notre terrain ne nous ait pas spécialement permis de l’observer massivement et concrètement, la construction, la rénovation ou le soutien d’infrastructures locales, spécialement dans les localités d’origine, sont autant de projets souvent évoqués.

Les pratiques sociales et culturelles transnationales (échanges culturels et artistiques, échanges académiques, etc).

Ces pratiques répondent tout particulièrement aux besoins ou aux problèmes suivants : « l’insuffisance de la connaissance et de la promotion de la langue, de la culture et du patrimoine d’origine », « l’intégration et la sociabilité en Belgique », « l’insuffisance des évènements de rassemblement, de débat et de sensibilisation proposés à la communauté belgo-tunisienne » ou encore, « le manque de participation de la communauté belgo-tunisienne aux changements sociopolitiques en cours en Tunisie ».

Ces pratiques s’expriment majoritairement par la valorisation du patrimoine, de la culture et du tourisme tunisien mais également par des initiatives interculturelles ou d’éducation populaire qui visent à créer des ponts et de l’échange avec d’autres cultures (belge, marocaine, congolaise, turque,…). De plus, des projets de sensibilisation/ apprentissage de la culture tunisienne (expositions, diffusions de films, concerts, soirées et évènements,…) ou de la langue arabe (cours et leçons) sont mis en place, que ce soit via le centre socioculturel « dar tounsi » ou les associations elles-mêmes.

Des initiatives plus directement à vocation d’insertion consistent également à l’organisation, par exemple, d’écoles de devoirs ou encore la mise en place d’un soutien aux Tunisien(ne)s en situation de séjour irrégulier.

Des collaborations scientifiques, des conférences diverses ou des rencontres débat sont également régulièrement organisées. Cela vaut particulièrement pour le CVDT et l’ADTB, à travers l’organisation de conférences et de rencontres débat autour de thèmes comme la radicalisation, la participation et le développement de la société civile, la révolution tunisienne… ; avec la participation d’universitaires ou d’experts issus de Belgique et de Tunisie ou encore à travers l’organisation d’un colloque d’échange à Tunis entre des membres belges et tunisiens de la société civile autour de la notion de « compromis ». L’association « passerelles humanitaire » a également lancé un projet de revue internationale destinée à la diaspora tunisienne, visant à mettre en avant des sujets divers concernant la Tunisie ou la diaspora et à faire collaborer et mettre en avant diverses personnalités tunisiennes (et européennes) dans les articles du magazine.

Une volonté de soutien à la scolarité, aux études (matériel et infrastructures scolaires, accès financier et géographique,…) et à la santé (en Tunisie) est également exprimée et organisée par plusieurs associations, en réponse à la gestion de ces politiques jugées insuffisantes et régressives depuis l’ère Ben Ali (voir Annexe 3.16 Nadia, enregistrement du 17 mars 2016).

3.4.1 Les pratiques transnationales civiques et politiques

Selon Lafleur, on peut recenser trois types d’activités et de formes d’engagement politiques transnationales (Lafleur, 2005 ; pp. 27-28).

Les « homeland politics » (activités politiques dans la patrie) ou « nationalisme de longue distance ». Nous entendons par là, le soutien ou l’hostilité de la communauté vers le régime ou le processus politique en cours dans leur pays d’origine.

Les « immigrants politics » (activités politiques d’immigrés) : activités qu’entreprend la communauté pour améliorer sa situation dans son pays d’accueil.

Les « translocal politics » (activités politiques entre localités). Des activités entre membres de deux pays, reliés par l’intérêt et les initiatives autour d’une localité (d’origine) ou dans le cadre d’un jumelage, par exemple. Ce type d’initiatives ne requiert pas spécialement la présence des Etats.

Comme le confirme également Gsir et Mescoli (Gsir, Mescoli ; pp. 18-21), on observe deux types de participation (transnationale) politique dans le chef des Tunisiens de Belgique. Une participation formelle à travers notamment les liens entretenus avec la « haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique », le « secrétariat chargé de l'immigration et des Tunisiens vivant à l'étranger » rattaché au ministère des affaires sociales, ou encore à travers le droit de vote à distance et la participation aux élections constituantes du 22 octobre 2011 et des élections législatives de 2014, où les Tunisiens vivant à l'étranger ont été en mesure d'élire des représentants à l'ANC24 et à l'assemblée des représentants du peuple.

Une participation informelle à travers l’observation des élections (en particulier les formations à l’observation électorale organisées par le CVDT et la FETCA), les actions de sensibilisation-lobbying à propos de la politique belge et tunisienne organisées en particulier par ces mêmes acteurs et l’ADTB (conférences et débats avec des intellectuels, représentants de partis, journalistes, députés,…), la participation à diverses manifestations, l’expression d’opinions dans les médias ou sur Facebook, les affections ou appartenances personnelles à des partis belges ou tunisiens, etc. Ces initiatives peuvent donc parfois épouser une forme assez structurée et mobiliser l’activation de réseaux au sein de la société civile, du monde militant-associatif, politique et institutionnel belge. A titre d’exemple, l’initiative d’observation des élections tunisiennes en Belgique et en Tunisie a bénéficié du partenariat de certaines institutions belges telles que la Province de Liège et la Fédération Wallonie Bruxelles.

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Selon les responsables et membres d’associations rencontrés, ce genre d’initiative ne vise pas l’affiliation à un parti mais bien la sensibilisation des Tunisiens et Tunisiennes de Belgique à la politique et à la prise de position. Cela n’empêche pas que certaines personnes (une minorité dans les personnes rencontrées) soient devenues membre d’un parti politique tunisien en se proposant même comme représentant de circonscription pour les Tunisiens à l’étranger, ou s’y soient affiliées sans y prendre nécessairement un rôle actif par des cotisations, un support en coulisses aux récentes campagnes électorales,…(Gsir, Mescoli ; p. 20).

Des Tunisiens se mobilisent également pour soutenir une cause particulièrequi peut toucher des droits ou revendications communes à plusieurs pays ou groupes socio-culturels. L’un des engagements les plus marquants qui ressort de notre terrain est celui pour la cause palestinienne, en particulier chez des jeunes belgo-tunisiens, pour la plupart à titre individuel ou en dehors du cadre des associations observées… Ou encore la signature de pétitions pour la défense et la promotion du tourisme en Tunisie ou la revendication d’une Belgique unie et multiculturelle, etc.

Les formes d’engagement civiques et associatives sont donc diverses et se superposent. Ainsi, une même association peut proposer, sur la même année, des initiatives culturelles, éducationnelles, humanitaires ou encore politique, ce qui représente, à coup sûr, la diversité et l’intérêt du monde associatif en général, ainsi que dans notre contexte, la richesse de l’identité (transnationale et multiculturelle) de nos acteurs belgo-tunisiens. Elles se résument de la façon suivante :

Participation, débat, sensibilisation, pression concernant les affaires socio-politiques en Tunisie.

Soutien financier ou humanitaire pour un projet dans des zones rurales ou dans les communautés d’origine.

Partenariat avec des organisations, associations socio-culturelles, académiques, médiatiques,…

Partenariat politique (liens avec des partis politiques tunisiens ou diversité des sensibilités et soutiens politiques individuels au sein des associations,…).

3.5 La révolution de 2011 : Mutation et publicisation du discours caché et des