4
A P P E R Ç U
GÉNÉRAL,
APPUYÉ DE QUELQUES FAITS,
Sur V
origine et le sujet de lamédecine
légale
;
Par
P.SUE.
/
. . . . Non Icviculæ difficultates se trudunt
, quarum
intuitu tùm|fntegræ facultates medicæ, lùin
^chiatri ac
ph^ci
à jiîdiciis sivè civilibus, sivè
ecclesiasticis sivè criminalibus
, sæpè consuli,
eorumquc rclariones et judicia requiri lolenr.
Valent. (Mich. Bernh. J Pandectæ medico-legales, Introduct.
'A
P A> R I S,
IDc l’Imprimerie de la
SOCIÉTÉ DE MÉDECINE»
rue d’Argenteuil
, N?, zii.
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An VIII DE
LArépublique.
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( 3
)
A P P E R C U
GÉNÉRAL,
•
APPUYÉ DE QUELQUES FAITS>
iSu R V
origine et le sujet de lamédecine
légale.
Lu à là 5e.séance publique de laSociétéde Médecine, du pluviôse an VIII
; par lecitoyen Süe aîné
’
ancien président et ex-secrétaire-général de la So-
ciété, Professeur et Bibliothécaire de l’Ecole de Médecine de Paris, etc.
(j E
nestpas seulement dans leursmaladies,
•
que
la medecine preteaux
liomniesune main
:secourablc. Prévenir, soulager
, ouguérir ces
•désordres physiques, voilà sans doute
une
'des plus belles et des plus utiles fonctions de
1
homme
de lart; niais ses connoissances ont!souvent une application
non
moinsutile dans1ordremoral,etil se renconti'e touslesjours, enjustice, des circonstances,
où
l’accord des loixavec les principes physiologiques etmé-
.dicinaux devient absolument nécessaire.
A
n( 4 )
Appelles auprès des magistrats
pour
les^ aider, par les preuves tirées de l’anatomie et
de
lamédecine
, à découvrir la vérité ; con- sultes quelquefois par les législateurs eux-mêmes
, sur-tout lorsqu’il s’agit d’établirun code
criminel, dont les peines soient propor- tionnées à ceque
peut supporter l’éconoiniaanimale
;combien de
fois, nos rapports n’ont-ils pas, dans le
premier
cas,faitpencher
la ba- lance , et contribué à distinguer l’innocentdu coupable;
et dans lesecond
cas, rassuré lecitoyen paisible qu’alarinoit l’indécision fâ-
cheuse
,ou
la sévérité tropprévoyante
des loix criminelles?Combien de
lois, à l’égardde
la vie et de lamort,
qui se touchent de siprès , laphysiologie etla
médecine
n’ont-elles pasconcouru
à dissiper les doutes , en assi-gnant
les ternies de l’une , et en éclaircissant les causes et lecommencement
de l’autre?Un
courtexposé
de l’origine de^ laméde-
cine légale
,
un
tableau succint des sujets lesplus
im
portails dont elle s’occupe, appuj'éde
quelques faits , feront sentir l’importance des vérités,
que nous venons
d’énoncer.Il seroit d’abord aussi difficile
que
ridiculede
chercher à établir chez quels peuples,en
quel teins, les tribunaux ont adopté le salu- taire usage de déféreraux médecins
la déci,-I
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ssion des questions qui sont de leur
compé-
ttence.
Un
fait certain, c’est que lamédecine
légale appartient à tous les tems, à tous les pays.
Cependant
il estbon
d’observer que la pureté desmœurs
anciennes rendoit à-peu-près inutile
une
science, dont lesdocumens
ttendent presque tous à les redresser.
Dans
cces teinsheureux, les ditlérens crimes, qui ont torcé par la suite de rédiger
un
code crimi- mfel, étant à peine connus, le ministère des gens de l’art devenoit inutilepour
les cons-tater. Les loix civiles elles-mêmes étant bien imoinsmultipliées , ellesprêtoientaussi
moins
iaüx doutes etaux
incertitudes sur la nais- ssance, la vie et lamort
des citoyens.Le
res- pect religieux qu’on a voit alors pourles cada-wres
ne permettoit pas d’y chercher la cause (de la mort , ensorteque
letombeau
enseve-llissoit pour toujours le crime etses traces.
Attribuons
donc
à l’établissementdu
code?{pénal, à la multiplication des loix civiles, la
>véritable origine de la médecine légale. Puis- tque la conviction sur le genre des maladies
,
ssur l’état des blessures, et sur la cau.se de la
nnort, soit volontaire
, soit involontaire ,
ne
{peut .sortir que des lumières de celui qui a
1l’habitude de chercher et de découvrir lesse- ïcrels de la nature
au
lit des malades, sur leA
3( fi ) cliarap de bataille
, et par l’ouverture des ca- davres, l’application de la médecine, dans les
malicres civiles et criminelles, et plus parti-
culièrement dans celles-ci, est
devenue
indis- pensable.Dès
lors l’état des citoyenset leurs destinées se sont trouvé dépendi’een grande
partie de l’officier de santé, ce qni reste à faire
au
juge sebornant
à appliquer les loixaux
décisionsdu
premier. C’est ainsique
sans l’opération
que
fitParé
àun Allemand,
qui s’étoitcoupé
la gorge dans un, accèsde
frénésie, son
domestique
et son hôte, déjà constitués prisonniersau
Châtelet , auroienteu
peine à se justifierdu
crime d’assassinatdont on
les accusoit ; ils ne durent leur vie qu’à la réunion des parties divisées, quimit
le blessé en état de parler, et de confesser qu’il avoit
lui-même
attenté à sa vie.,
Quelques
passages tirés deslivres, autrefois ,distingués en sacrés et en profanes,
prouvent
.que
, dès leur établissement , les loix de So- ciété onteu une
liaison directe avec l’artdo
|
guérir.
On
lit dans l’Exode (i),que
si, dansune
rixe, quelqu’un frappe
une femme
en- ceinte , ensorte qu’elle avorte, le
coupable payera
desdommages
et intérêts, autant quoi(i) Cap.
XXI,
vers. 22 et 23.i.
( 7 )
le mari en
demandera
, etque
les arbitres , arbitri, en accorderont;lemême
texte porte,
que si la
mort
de lafemme
est la suite de cessévices, le coupable sera puni de
mort,
reddetaiiimam pro animâ
, suivant fexpres- sion latine. Il est évident que lemot
arbitri ne peut désigner que les gens de l’art, parce qu’euxseuls pouvoient juger de la gravité dela blessure, et de la peine qui doit êtrepro- portionnéeau délit.
On
trouve dans leDeutéronome
(i)èt dansla Genèse(2) , desdétails sur la virginité ,sur l’adultère,etc.
Ce
qu’on lit déins diflérens au- teurs sur la lèpre chez les anciens, est égale-ment
fondé sur les devoirs réciproques des médecins et des juges. Diodore de Sicile citeune
loi des Egyptiens, qui défendoitaux mé-
decins de traiter les maladies d’une
manière
différente de celle décrite, dans les livres
avoués et reconnus
pour
authentiques. Athé- née nousapprend
que Zaleucus,fameux
légis- lateurdes Locriens(3),etquivivoit cinq cents(1) Cap.
XXTI
, vers. 20 et seq.(2) Cap.
XXXVIII,
vers. 8 et 9.(3) Celégislateur ctoit
,dit-on,sijalouxdes loix dont
]Jétoitauteur
, qu’il ordonna que quiconquevoudroity changer quelque chose, seroit obligé, en proposant
U
A
4^ t
( 8 ) ans avant Tère chrétienne
, avoit fait
une
loi«^ui infligeoit la peine de
mort aux malades
coupables dedésobéissance enversleurméde-
cin. Il n’échapperoit peut-être pas
un
seulmalade,
side
nos jours cette loi étoit en vi-gueur.
Mais
Elien qui, dans ses diisfoires,
n’est le plus
souvent que
le copisteou
l’ab-bréviateur d’
Athénée,
dit seulementque
Za- leucus défendoit le vinaux malades
, sous peinede mort
, àmoins que
lemédecin no
l’eût ordonné.
Un
fait rapportépar Diodore de
Sicile,démontre
plus directement la liaisonde
lajurisprudence 'et
de
la médecine.Dans
l’ar-mée d’Eumènes
, capitaine grec, l’un des
plusdignes successeurs d’Alexandrele
Grand,
il se trouva
deux femmes
indiennes, qui, sui-vant
la loi de leurpays
, voulurent être brû- lées après lamort
de leur mari.Mais on ne permit
pas qu’ellesmourussent,
sans avoirauparavant
été visitéespar
desmatrones ou sages-femmes
,
pour
conuoîtresiellesu’étoientnouvelleloi
, d’avoirla corde au col,afind’ôtre étranglé
sur-le-champ, au- cas que l’ancienne loi valût beau- coup mieux que la nouvelle. Diodore de Sicile at- tribue la
même
chose à Charondas , législateur des Sybarites.C 9 )
pas enceintes : l’une des
deux
futcondamnée
à vivre
, parcequ’elle se trouvaenceinte* Elle en fut au désespoir , et Diodore dit qu’elle re-
garda ce jugement des chefs de l’armée ,
comme
le plusgrand
affront qu’elle pût es-suyer(i).
Le
fait suivant seroit encore plus con- cluant, s’il étoit bien constaté.On
le lit dansîes questions hébraïques de S.
Jérôme
, surla Genèse. Il le citecomme
tiréd’un livre d’Hip-pocrate (2). Schnlzius, savant professeur en médecine à Hall , le rapporte dans sa collec- tion d’histoires et de dissertationsmédicinales.
Un médecin
appelle auprès d’unefemme
qu’on étoit sur lepoint depunir
comme
adul-tère, parce qu’elle étoit accouchée d’un en-
fant , qui ne ressembloit ni à elle, ni à son mari, la c^isculpa
aux yeux
des juges, en dé- couvrantun
tableau qui étoit dans lacham-
bre où elle couchoit , et qui représentoitun
enfant presque tout-à-fâit ressemblant àcelui
dont elle étoit accouchée. Voilà
au
moins la, (i) Bibllothccæ historicæ Libri, lib.
XIX,
p. 679,édit, in-fol. de 1604.
(2) Ce livre est perdu sans doute : car ce fait ne
se trouve dans aucun endroit des œuvres d’Hip- pocrate.
( 10 )
'
preuve
cjue chezlesGrecs on
attribuoitbeau-coup
d’influence à 1 imagination desfemmes
enceintes.
Long-tems
auparavant, avantmeme
l’ère chrëlienne,
on
croyoitégalement
à la force de l’imagination desanimaux
femelles, ce qui paroîtprouvé
par lemoyen que
rap-porte
Moyse
etqu’employa Jacob pour
se procurerun
plusgrand nombre
dagneaux
tachetés
de
diverses couleurs , qui dévoient être larécompense
des servicesqu
il avoitrendus
à son beau-père. L’anecdote citeepar
S.
Jérôme
, faitprésumer
qu’enGrèce
, lesjuges, dans certains cas, prolHtoient des ob- servations et des lumières des pbj^siciens et des
médecins
, etque meme
, ils les consul- toient , avantde prendre une
décision.Galien
, qui vivoit
deux
cents ans avantS.
Jérôme,
raconte dans le livre ;De The-
TÏacâ
ad Pisonem
,un
fait qui paroît être lemême; mais
ilne
dit pasque
l’affaire ait étéportée à
un
tribunal. Siune
pareille causeeût eu lieu dans le siècle préc^édent , l’accusée eût trouvé
un
ardent défenseur dans lePère Mallebranche
; caron
saitque, bienpersuadede
la force de l’imagination desfemmes
en-ceintes sur le fétus , il recueillit
pour
le prou- ver, tou.s les faits dont il put avoir connois- sance, et qu’ilemploya pour
les expliquer ,/
C
“
)les
argumens
de la plus subtilemétaphy-
sique. .
Voilà en général à quoi se réduit l’applica- tion desloixgrecques à la jnédecine légale. Si des Grecs nous passons
aux Romains
, nous trouvons leurs loix bien plus souventen con- currence avec la médecine.A Rome
, dès lespremiers tems de la République , après
un
homicide,
ou
unemort imprévue
et subite,lorsqu’on avoit des soupçons,
on
laissoit lecadavre exposé quelque tems
aux yeux du
publie, afin
que chacun
pût l’examiner à loi- sir,pour
découvrir les indicesdu
genre de mort, s’ily
en avoit. Suétone nousapprend,
dans lavie de Jules-César, au sujet des vingt- trois blessures qu’il reçut dans le Sénat,
qu’une seule fut jugée mortelle , au rapport
du
médecin Autistius , etque
ce fut celle qui pénétra entre la première et ladeuxième
côte. Tacife , dans ses Annales ,
remarque
bien que l’examendu
cadavre homicidéétoit ordonné par les loix; mais en parlant de lamort
de Germanicus,qu’onsoupçonnoit avoirété
empoisonné
par Pison , il ne dit pas si lecorps fut
examiné
par des gens del’art : il ditseulement qu’avant d’être réduit en cendres,
il fut exposé à la
vue
de tous les citoyens dans la place publique d’Antioche. Il fau-( >* )
droit conclure delà, si le fait de
fexamen du cadavre
de Jules-Césarne
prouvoit le con-traire
, qu’en général cet
examen
étoit aban-donné
à l’opinion publique , lorsmême du
soupçon
d’assassinat.Au
surplus,on
peut consulter à ce sujetGe-
rike, prof,allemand,
qui a publiéen
1709 , àHelmslad, une
dissertationlatinesur cet usageconstamment
observé chez lesRomains. On
connoît en outre leurs loix
de custodiendo partu^de
înspiciendoventre.«Que
troissages-femmes
bieninstruites , est-il dit danscelle-ci,
pleines de probité ,
que
vous choisirez,vous
^
prêteur,
examinent
attentivement lafemme soupçonnée
grosse ,etsideux
d’entr’elles rap- portent qu’elle l’est , ily
sera fait droit, ainsique de
raison , raiione staiuatur».Le code
Justinien ,que
par la suite tous les gou-vernemens
ont adopté ,renferme beaucoup de
décisions relatives à lamédecine
légale,
telles
que
celles qui ont rapportau
vrai teinsde l’accouchement
, à la garde et àla surveil- lancede
lafemme
grosse ,pour
éviter lasuppositionde part posthuine, celles relatives
aux
privilèges , devoirs et fonctions desmé-
decins,
aux récompenses
ainsiqu’aux
puni-tions qu’ils
peuvent
mériter. *Nos
ancêtres , les Gaulois , ont laissepeu
t
C
I3)
de
monumens
sur lamédecine
légale : maisce qui nous reste à ce sujet,
prouve
aumoins
qu’ils étaient très-attentifs dans le choix
de
ceux qu’ils appelloient, en qualité d’experts,pour
faireun
rapport quelconque. Charle-magne
en a bienconnu
la nécessité dans plu- sieurs cas,pour
asseoirun
jugement.Nombre
des capitulaires de ce
grand
prince contien- nent des détails précieux sur la qualité des preuves physiques et précises, d’après les- quelles les magistrats dç concert avec lesmédecins doivent juger. Les
coutumes
de' l’ancien régime, telles que celles d’Anjou,du
IVfeine, exigentpour
les visites médici- nales prudes gens,non
suspects, avec desjurés savans et connoisscurs en telles choses.
L
avocat Prévost dans son ouvrage publié en 1753, et qui apour
titre : Principesde
jurisprudencesur
les visites etrapports judiciaires des
médecins
^ chirurgiens, apo- thicairesetsages-femmes, rapporte
que
dansles assises de Jérusalem, dont il porte l’ori-
gine au onzième ou
douzième
siècle, ilest dit, en langage
du
tems : « celui qui a reçunn coup
apparent doit direau
seigneur en sa cour : sire, faites voir lecoup ou
les coupsque
telm
a faits ; alors le seigneurcom-
mande
à troishommes
d’aller voir les coups.I
(
U
)et de lui faire leur rapport». L’usage desrap-*
ports
en
chirurgie , bien circonstancié dansles lettres-patentes d’avril i35o, relatives
aux
maires de la ville deRouen,
esten
outreprouvé
par le fait suivant, cjui est antérieur.En
i536, lecomte
de Montecuculli, qui fut écarteléen
présence de François 1er.et
de
toute sa cour,comme
coupable d’a-voir
empoisonné
ledauphin, ne
subit ce supplice,que
sur le rapport desmédecins
et des chirurgiens qui ouvrirent le cadavre
,
et déclarèrent
que
ce prince a voit avalede
-l’arsenic. Voltaire , dans son Dictionnaire
philosophique
,au mot
Supplice, s elève for-tement
contre cette déclaration des chirur- giens, qu’il traite d’ignorans, et qu’il accusede
n’avoir ditque
ce qu’on avoulu
quils di-sent. Il soutient , et ses preuves paroissent très-plausibles,que
rempoisonnement n
a paseu
lieu, etque
leDauphin
estmort dune
pleurésie,
provenant de
ce qu’après s’êtrebeaucoup
échauflë a jouer a lapaume
, et itant touten
sueur, il abu
de l’eau glacée.«Je
voulus savoir, dit Voltaire dansune
» lettre à
Capperonier,
si ce Moiitecucullo,»
que nous
appelionsmal
à proposMontecu-
» culli , accusé par des
médecins
ignoraus» d’avoir
empoisonné
leDauphin
français,I
c i5 )
» parce qu’il étoitchimiste ,fut
condamné
par» le Parlement
ou
par des Commissaires , ce» que les historiens ne nous apprennent pas.
» Ilse trouve qu’il fut
condamné
par le Con-» seil
du
Roi. J’en suis fâchépour
Fran-* çois I (i).
Cest sur-tout dans la fameuse
ordonnance
de 1670 surles matières criminelles, le fruitdes lumières et des conférences des plus ha- biles jurisconsultes de ce tems là, qu’on trouve détaillés les cas les plus fréquens qui exigent le concours de la
médecine
avec la^
jurisprudence.
Le
titreV
de cette ordon-nance
est intitulé : des rapports desméde-
cins et des chirurgiens : l’article 25
du
titroXXV,
ordonne la visite de lafemme
qui,après avoir été
condamnée
à mort, décla- rera quelle est enceinte.A
cet égard ,comme
de tous tems, et sur - tout dans ce siècle, on areconnu
qu’il étoit très-diffi- cile, pour ne pas dire impossible, de s’assu- rer d’unegrossessecommençante
;comme on
a craint aussi, en la niant, de
commettre
, si elleavoit lieu,
un
véritable assassinat , la vi-(i) Œuvres de Voltaire, tom. IX de sa Correspon-- dance générale
, pag. 487.
(
i6)
site a toujours été
ordonnée
et faite; d’ail- leurs ,dans l’incertitude,ne
vaut-il pasmieux
diS’ërer
de
quelquesmois
l’exécutiondu jugement, que de
courir les risquesd’étoufïèrun
enfant 'dans le sein de samère
? Il est vraique
la déclaration de grossesse estun moyen pour
prolonger leur vie,que
desfemmes
coupables ont souvent
employé
;mais
c’est aussiun moyen
qui a étésagement
suggéréà
desfemmes
innocentes , et qui a quelque-fois réussi.
Tout
lemonde
saitque
c’est à cette déclaration ,quoique
fausse,
que
lafille
Salmon
, innocentedu crime
donton
i’accusoit , a
dû,
ily
’a environdouze
ans , laconservation de sa vie. ^
Tous
lesmédecins
conviennentque
trois sujets principaux jouentun
rôleimportant dans
la partie physiologiquede
lamédecine,
savoir; la vie , la santé, et les fonctions qui constituent l’économie animale. Iln
est pas rare qu’il se présenteen
justice, sur ces trois sujets, certaines difficultés quidonnent
lieu à desjngemens
civils, criminels, etmême
poli-tiques.
Outre
les différens degrésde
la vie, qu’on appelle âges, et qui fournissent tous les jours des pointsde controverse médico-légale,il est d'autres circonstaucesparticulières, des- quelles naissent à juger des questions
non
C 17 )
moins épineuses. Tel seroit le cas où , à i’oo-
casion d’unincendie, d’une inondation, d’une destruction opérée par la foudre, plusieurs personnesseroient en
même
teins iiappéesde
mort. L’application des loix civiles peutalors exiger qu’il soit constaté, lequel des indivi- dus , frappés de mort, a péri le premier ou le dernier, ce qu’on ne peut décider positive-ment
, que d’après les connoissauces anato-miques
et physiologiques, et d’après legenre de mort.Le médecin
appelle et consulté dans ces cas par la justice, motivera son opinion sur l’âge, les forces apparentes, la constitution extérieure des sujets pendant leur vie, ce iqui lui feraprésumer
que le plus foible et le iplus jeune estmort
le premier. Mais si dans•
deux
sujets frappés à diflerens âges, il a la•certitude que le plus jeune étôit le plus foi- Ible, et le plusâgé leplus fort,
comment
entreU’âge et la foiblesse décidera-t-il lequel des (deux individus aura plus long-teras lutté (Contre la
mort?
C’est une question qui jadisaa
beaucoup
embarrassé Zacchias; et apiès avoir bien balancé les raisons
pour
et contre,lil a fini par décider que la foiblesse doit
ilemporter sur l’âge,
pour
assurer la prioritéde
la mort.B
( i8 )
De même
dansnn accouchement
, si l’en- fant et lamère
ont péri enmême
tems, lejuge
vous
appelle etvous demande,
laquelledes
deux morts
a précédé ? Déciderez-vous alors aveclaChambre
Impériale deWezflar
,
et prononcerez- vous
comme
elle,que
lamort
de la
mère
adû
précéder celle de l’enfant,non-seulement
pcu'ce qu’ilest àprésumer que
les douleurs de l'accouchement ont
dû
beau-coup
alloibllr lamère
, mais encore parceque
l’enfant n’a
pu
périr qu’après avoir élé privé,par
lamort de
celle-ci, de l’aliment quelleluifouniissoit?
Malgré
la décision de laChambre
Impériale , et
quoique
Zacchias soitdu même
avis,
nous croyons
qu'ilpeuty
avoir des cir-constances et des signes,qui portenta
embras-
ser
une
opinion contraire.Quoi
de plus difficile encore àjuger, aprèscertains
accouchemens
,que
la question, siun
enfant estvenu au monde
vivantou mort,
quoiqu’on naissant il aitannoncé
tousles signes qui caractérisent la mort.
De
làdécision à ce sujet,
dépend pourtant dans
quelquespays
, la fortuneon
la ruinedu mari
, lorsque lafemme
estmorte
eumôme
tems. Il n’y a pas long-tems
que nous avons eu une
pareille question à traiter, le citoyenPortai et moi.
( 19 )
II an’ive dans l’économie animale certains
effets qui étonnent le physicien , et
même
lemédecin
, parce qu’il leur est souventdifficile
de deviner les causes de ces effets
, encore plus de les prévenir,
ou
d’y remédier.De
ce genre sont les combustionshumaines
etspon- tanées(i),c’est-à-dire cetembrasement,
cetteincinération des parties
du
corpshumain
quiarrivent subitement , et auxquels on attri-
bue
pour cause principale l’abus des liqueurs spiritueuses,quoique cetaccident puisse avoir lieu par d’autres causes.Ce phénomène
n’est pas moins intéressantil connoître
pour
la justice criminelleque pour
l’histoire naturelle, parce qu’un injuste
soupçon
peuttomber
surun
innocent.Qui
ne frémira eu lisant 1histoire de cemalheu-
reux habitant deReims,
dont parle Lecat dans sonmémoire
sur les incendies sponta- nés? Après avoirperdu
safemme
par l’effetd une combustion
humaine
, cet infortunéétoit prêt à périr sur l’échafaud
, injustement
condamné
par des juges ignoraus,ou
plutôt parl’iguorauce des gens de l’artquifurent ap-(i) Voyez rcxcellcnt essai du citoyen Lair sur les
combustions humaines produites par un long abus dea*
Ikjueurs spiritueuses*, in-iz; an VIII, ï8oo.
R
ü1
C
20
)pelles, et qui
ne
surent pas distinguerune combustion
spontanée de celle intentionnelle.C’est
une
vérité, dontmalheureusement
ilfaut convenir, et qui
ne
sauroit être trop ré- pétée : la police n’est pas assez attentive surle choix des officiers de santé qu’elle appelle
pour
constater les casoù
ily
a lésion,ou
même
perte de la vie : des visites , eu général,
ont lieu plutôt pav usage,
que
sous,les rap- ports d’utilité, et
dans
lavue
d’éclaircir etde
connoîtrela causedu
délit. Doit-on être sur- pris, d’après cela,que
lamédecine
légal»olï’re encore tant d’incertitudes?
D’après la nécessité et futilité de la
méde-
cine légale, bien
prouvée par
ces faits,on aura
peine à croireque
cette science n’a ce-pendant
jamais été, dans fancieurégime,
la sujetde
l’enseignement public , pasruêma
celui d’un
examen
dans' les épreuvesque
su- bissoient les candidatspour
fexercice del’art.Il
y
a plus, c’est qu’excepté quelquesméde-
cinset chirurgiens
,
que
des circonstances par- ticulières ont engagésàtraiter isolément quel- ques points légaux ,aucun ouvrage
n’a étécomposé ex professa
sur celte matière : caron ne
regardera pascomme
tc.ls les traitésdes rapports
d’Ambroise
Paré, deLegendre,
'de
BIcgny
et dçDevaux,
ouvrages Irès-dé-I
( 21 )
fecfHenx et très-éloignes des connoissancea
actuelles.
On
sera encore bien plus ëtonné,si on réfléchit sur l’espèce des gens qui
rem-
plissoient les fonctions médico-légales.
Cé-
toient à la vérité des médecins, des chirur- giens : mais ils achetoient cet exercice
, qui
éloit
pour eux un
privilège exclusif. C’étoient des espèces demonopoleurs,plus riches lapins partenargentqu’enscience,qui décidoientde
la fortune , de la vie et de l’honneur des ci- toyens. L’institution de ces charges vénales remonte au règne de Louis IX.
Un
édit de LouisXIV du
mois de février 1692 a fait des rapports en justiceun
objet de finance.Cependant,
comme
les plus grands abus n’entraînent pas toujours des calamités,on
a
vu
quelques-uns de ces rapports fourniraux
magistrats des lumières qui ont éclairé leur religion, et sauvé des innocens. Je ci- terai en preuve le rapport de Pigray, chi- rurgien de Henri III, et acquéreur de l’officede juré aux experts. Il s’agissoit de quatorze personnes, tant
hommes que femmes,
qui.éloient^ dit Pigray , appellantes de la
mort
,iétant accusées de sorcellerie.
Son
rapport leur sauva la vie. Si tous les gens de l’artIconsultés par les juges eussent été des Pi-
I > tious n’aurionspas à gémir sur le triste
B
3(
22
)sort de tant
de
victimes, quiontéfé sacrifiéespour
des crimes imaginaires , etmême im-
possibles. '
La réforme
de l’abns de ces charges vé- nales et autres, ne dateque du
règne de la liberté : la convention,par
son décretdu
14 frimairean HT
,rendu
d’après les vues et le travail d’un de sesmembres,
le célèbreFour- croy, conseiller d’état, porte qu’ily
auraclans les trois Ecoles de
Médecine que
ce dé- cret établit ,un
professeur chargé spécia-lement
de l’enseignement de lamédecine
légale.
Ce
n’est pas ici le lieude
traiter desqua-
lités requises, dans
l’homme de
l’art,pour
bien faireun
rapport en justice. Elles sonttrès-liien détaillées dans l’ouvrage sur la
mé-
decine légaledu
cit.Foderé,
cpii aparu
ily
a à-peu-prèsun
an (i).Je
feraiseulement
la
remarque
,que
lejugement de
1expert(i) Cet ouvrage esttrès-érudit : mais après l’avoirlu avec beaucoup d’attention, nous avons cru voir quil ne remplit pas tout-à-fait son objet. Il contient plu-*
sieurs discussions étrangèresàla médecinelégale.
L
au-teurn’a pas toujours puisé dans les meilleures sources
,
et nous ne craignons pas de trop avancer, en disant qu’un ouvrage exact et complet sur la médecine lé- gale est encore à faire.
i
C )
tient souvent à de très-légères circonstances,
comme
le prouve le fait suivant.Le
lonovembre
1788, je fus chargé parla municipalité de Paris, de visiter
un
por- teur de charbon, qui, à la suite d’une rixe avecun
de ses camarades, avoit reçu plu- sieurs coups et contusions eu diflérentes par-ties
du
corps, etnotamment
àla poilriim,où
il disoit soufîrir do grandes douleurs. Il étoit
au
lit lorsque je le visitai, etse plaignoit d’un violent point de côté, avec crachement desang. Etfectivement, les crachats, qu’il lan- çoit avec assez de force contre la muraille
,
paroissoient très -épais et teints en rouge.
L'état du pouls
du
blessé , son physique ex- térieurme
firent soupçonner qu’il exagé-roit
beaucoup
sa maladie : j’eusmême
des doutes sur ses crachats. Je revins le voir au boutdedeux
heures, sansqu’ilm’attendît: jevoulus alors lefaire cracher; il refusa obs- tinément, en disantque
lecrachement
de sang étoit cessé.Pour
éclaircirmes
soupçons, j’examinai attentivement avecune
lumièreles crachats , dont l’empreinte étoit encore sur la muraille, et je fus bientôt convaincu
qu’ils n’étoient que l’effet de la pulpe de pru-
neaux
noirs, que lemalade
mâchoit quelque tems, et qu’il jettoit ensuite avecsa salive.Je
B
4(H)
le forçai d’avouer sa supercherie, et de con- venir qu’il en avoit usé
pour
faire croire son état plusfâcheux
qu’il u’étoit , etpour
obte- nir de son adversaireune
indemnité plus forte.Quand on
fait réflexion sur la nécessité in-dispensable d’un rapport dans les procédures criminelles,
quand on
considèrecombien
cet acte devient intéressant, i°.au
jugepour
éclairer sa religion et tranquilliser sa cons- cience ; 2°.
aux
accuséspour
sauverleur hon-neur
etsouvent
leur vie, lorsqu’ils sont in-nocens
; 3°.au
publicmême pour
lemain-
tien
de
l’ordre social :quand
enfinon
songecombien
la rédaction d’un tel rapport exigede
connoissances et d’attention,on
estdisposé à croireque
des loix ont fixé les règles lesplus sûres, établi les précautions les plus sages
pour
prévenir la défectuosité de ces actes’ judiciaires, etempêcher
les funesteseffets de leur inexactitüde.
La
raison, l’huma- nité disentque
ces loix doivent exister : ce-'
pendant
le fait est qu’elles n’existent pas, en sorteque
, dans le casoù
ils’agit de l’honneur,
quelquefois
même
de la vie d’un citoyen, lerapport d’un seul
homme
qui, quelqu’ins- truit qu’on le
suppose
, est encoresujet à l’er-reur , est presque la seule Ipi qui règle la
( 25 )
décisfon de la justice, tandis que
pour
validerun
acte civil, qui intéresse tout au plus la fortune , on exige la signature dedeux hom- mes
de loi, souventmême
celle des témoins.Un
des cas les plus iiuportans et des plus délicats à traiter de la médecine légale, c’est celui qui a trait à l’infanticide..On
connoîtl’édit de Henri
H
de i556, quicondamne
à la
mort
toute fille convaincue d’avoir celé sa grossesse et fait périr son fruit. Mais cet édit ne pouvoit,comme
l’observç judicieu- sement le criminaliste Laconibe , avoir son exécution, s’il paroissoit, par le rapport des chirurgien.s,que
l’enfant n’étoit pasvenu
à terme,ou
étoit né mort.La
sévérité de cet édit n’admet aucune distinction : cependantil
y
en a de trè.s-grandes à établir.Une
filledevenue mère,
encore plus par libertinageque
par foiblesse , accouche en secret , et sa- crifie le seul témoin qui peut constater son crime : voilà lavéritable coupable, parcequa
ce meurtre est l’eSet d’un dessein prémédité ; mais regardera-t-on