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Géographie Économie Société: Article pp.31-52 of Vol.14 n°1 (2012)

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Géographie, économie, Société 14 (2012) 31-52

doi:10.3166/ges.14.31-52 © 2012 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

économie société économie société

Le Système énergétique agri-territorial :

les bioénergies comme outil de développement local The Agri-Territorial Energy System:

energy from biomass as a tool of local development

Yvan Tritz

Doctorant géographie-aménagement et urbanisme (Lyon 2)

Résumé

La biomasse est une source d’énergie renouvelable qui présente un fort potentiel et dont le dévelop- pement constitue l’un des objectifs prioritaires du Grenelle de l’Environnement. Parmi les projets qui se développent aujourd’hui en France, on distingue deux logiques : d’une part des projets de grande envergure (production d’électricité, biocarburants industriels) et d’autre part des initiatives plus modestes, menées à l’échelle locale, en milieu rural. Cet article pose et illustre les fondements du Système Énergétique Agri-Territorial (SEAT). Inspiré du Système Productif Local et du Système Agro-alimentaire Localisé (SYAL), le concept de SEAT a été construit à partir de l’étude de projets territoriaux de valorisation énergétique de la biomasse. Le SEAT se caractérise notamment par une dynamique d’ancrage local forte ainsi qu’un processus d’innovation organisationnelle entre acteurs hétérogènes. L’illustration du concept à travers deux cas d’études, le projet miscanthus d’Amme- rzwiller dans le Haut-Rhin (68) et le projet Bois Bocage Énergie dans l’Orne (61), permet de mettre en évidence un autre résultat important : le caractère multifonctionnel des SEAT.

© 2012 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Summary

Biomass is a high potential energy source and its development has been one of the primary objec- tives of the “Grenelle de l’Environnement” (a large negotiation process around environmental

*Adresse email : ytritz@isara.fr

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issues which took place in 2007 in France). Among the projects emerging today in France, we bring out two types of logics: on the one hand, large-scale ones such as electricity power plants or biofuel production and on the other, smaller, local-level initiatives, launched in rural areas. In this article, we lay and illustrate the bases of the Agri-Territorial Energy System (ATES). The ATES was inspired by the Local Productive Systems and the Localized Agri-food Systems and this concept was set up with analyses of local-level projects of biomass energy production. ATES offers two specificities: first, strong local rooting and second, organizational innovation process between multi-stakeholders. The concept is illustrated by two case studies: the miscanthus pro- ject in Ammerzwiller (region of Alsace) and the “Bois Bocage Énergie” project in the department of Orne (region of Basse-Normandie). These examples will eventually bring up an important point: the multifunctional dimension of the SEAT.

© 2012 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Mots clés : Bioénergie, biomasse, SEAT, territoire, milieu rural Keywords: Bioenergy, biomass, ATES, territory, rural area

Introduction

Dans un contexte de raréfaction des énergies fossiles marqué par l’apparition de la question du réchauffement climatique, de nombreux scientifiques se mobilisent sur la recherche d’alternatives énergétiques. Plusieurs pistes d’innovation sont explorées : en matière de transport et de stockage d’énergie (supraconducteurs, pile à hydrogène), dans le domaine de la production d’énergie (réacteur à fusion nucléaire, énergies renouvelables) ou encore dans le domaine du stockage de carbone atmosphérique. En France les axes prioritaires de la recherche sur la production d’énergie sont : l’éner- gie nucléaire, les cellules photovoltaïques, les biocarburants de deuxième génération et l’énergie marine (MESR 2009)1. La stratégie d’affranchissement des énergies fos- siles repose essentiellement sur une intensification de l’effort de recherche dans les domaines évoqués, ce qui, dans l’opinion publique, peut alimenter l’idée d’une issue strictement technologique aux problématiques actuelles (Dessus 2005) et d’un futur où l’énergie serait à nouveau abondante (Negawatt 2003). Il existe certainement des marges importantes de progrès, voire des ruptures technologiques à attendre en matière de production énergétique, mais ces perspectives ne doivent pas porter ombrage à la dimension sociale et politique de l’enjeu. En effet, les crises annoncées réinterrogent également le rapport de l’homme à l’énergie (Menozzi et al., 2009), donc les sciences sociales. Que ce soit au niveau des comportements individuels ou des grandes décisions politiques, l’épuisement des ressources fossiles et le réchauffement climatique inter- pellent nos sociétés occidentales sur leur capacité à réorganiser leur fonctionnement, à

1 À la demande du ministère de l’enseignement et de la recherche, une structure dédiée à la recherche sur l’énergie a été créée par le Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA), le Centre National de Recherche Scienti- fique (CNRS) et l’Institut Français du Pétrole (IFP) le 30 juillet 2009 ; il s’agit de l’ANCRE : Agence Nationale de Coordination de la Recherche pour l’Énergie (MEDD, 2009).

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se « réinventer » en tenant compte de ces nouvelles contraintes. Le protocole de Kyoto signé en 1997 témoigne d’une prise de conscience des Nations Unies d’agir à une réorientation du développement économique à l’échelle globale. Localement des initia- tives fleurissent pour expérimenter des modèles de développement sobres et durables.

En France, les lois votées à l’issue du Grenelle de l’Environnement fixent un objectif de 23 % d’énergies renouvelables dans la consommation totale d’énergie finale à l’hori- zon 2020 (ratio de 9,6 % en 2005)2. Outre les efforts réalisés en matière d’économies d’énergies et d’efficacité énergétique, cet objectif se traduit par une augmentation de la production d’origine renouvelable de 20 Mtep entre 2006 et 2020. La biomasse repré- sente à elle seule plus du tiers de cet objectif (7,5Mtep)3 pour la production de chaleur et d’électricité (hors biocarburants). Avec la forêt et les déchets organiques, l’agriculture est l’un des trois principaux gisements de biomasse.

Dans le cadre de notre travail de recherche4, nous nous intéressons au domaine des bioé- nergies5 et plus particulièrement à l’apparition dans les milieux ruraux, de projets décen- tralisés de production d’énergie à partir de biomasse agricole. Outre la question énergé- tique, ce sujet s’inscrit dans un contexte de profonde évolution de l’agriculture. Depuis les années 80, la remise en cause du modèle productiviste stimule l’émergence d’autres modèles de développement fondés sur les ressources locales. Dans le domaine alimentaire, la « redécouverte » et la relance des produits alimentaires typiques (vins et fromages notam- ment) illustre ce phénomène (Delfosse et Lefort 2011). Il est intéressant de constater que ces dynamiques mobilisent des collectivités territoriales, les produits locaux étant identifiés comme des ressources pour le développement local 6 (Delfosse 2003).

De la même manière, il apparaît aujourd’hui que la production d’énergie en milieu rural ne concerne pas uniquement l’exploitation agricole mais se raisonne également à l’échelle du territoire. Notons à ce sujet l’inauguration du réseau des « Territoires à Énergie Positive » en juin 2011, lors des 1res rencontres « Énergie et Territoires Ruraux » organisées dans le Mené (Côtes d’Armor), un territoire emblématique du développement local (Souchon 1985)7. Ce réseau constitue le premier pas d’une dynamique d’institution- nalisation pour une démarche qui, quoique peu représentative de la politique énergétique française, connait un soutien militant fort depuis quelques années. Le Comité de Liaison

2 Loi n° 2009-967 du 3 août 2009 et Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010

3 MEDD, communiqué de presse en date du 04/10/2011.

4 Ce sujet fait l’objet d’une thèse de doctorat en cours intitulée « Développement territorial et valorisation des ressources énergétique locales. Une nouvelle place de l’agriculture dans la société ». Ce travail de recherche est réalisé grâce au soutien de l’Institut CDC pour la Recherche (Caisse des Dépôts et Consignations), des Région Alsace et Rhône-Alpes et de l’ISARA-Lyon.

5 Énergie renouvelable produite à partir de biomasse : bois, cultures énergétiques, déchets et effluents organiques.

6 Le développement local est défini par F. Plet comme une « dynamique multidimensionnelle et multiacto- rielle au sein d’une société locale consistant en la construction et la réalisation d’un projet de développement autocentré et endogène de cette société » (Plet 2003). Le développement local est aussi une idéologie politique qui défend l’initiative locale, oppose les dynamiques ascendantes (« bottom-up ») aux dynamiques descen- dantes ou aménagistes (« top-down »).

7 Communiqué de presse du Comité de Liaisons des Énergies Renouvelables (CLER) en date du 03/08/2011.

Extrait d’interview de Paul Houée au sujet de la création de ce réseau (Agora de Bretagne, le 16/06/11) : « Le 12 août 1965, on a créé le Comité d’Expansion du Mené qui s’est avéré être le premier comité de Pays de France […] et ce soir [16 juin 2011], on va créer le réseau « énergies et Territoires ruraux », c’est encore dans le Mené qu’il est né, alors j’espère qu’il aura autant de succès que les Comités de Pays ».

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des Energies Renouvelables notamment (créé en 1984) travaille de longue date à l’appro- priation des EnR par les collectivités locales et les territoires (CLER 2012, Jedlizca &

Lenoir 2007). En outre, il apparaît que la question des bioénergies relance avec force le débat sur la multifonctionnalité de l’agriculture8 et plus encore celle des espaces ruraux.

Sur ce point, on peut dire que les bioénergies contribuent à réaffirmer la fonction pro- ductive de ces espaces. Cependant cette nouvelle fonction (campagne « ressource ») doit pouvoir s’articuler aux nouvelles attentes de la société vis-à-vis de l’espace rural et qui peuvent être regroupées en deux autres figures identifiées par Hervieu et Perrier-Cornet (2002) : la campagne « cadre de vie » et la campagne « nature ».

Les projets étudiés dans le cadre de notre travail de recherche témoignent de l’im- portance des enjeux organisationnels et sociaux dans le développement des bioénergies ; c’est ce que nous souhaitons mettre en avant dans le présent article. Nous présenterons en première partie deux cas d’études illustratifs tirés de notre travail de recherche : le projet de SCIC9 Bois Bocage Énergie dans l’Orne (61) et le projet miscanthus du SIVOM d’Ammerzwiller-Bernwiller dans le Haut-Rhin (68)10. Ces projets donnent à voir des processus d’ancrage local et d’innovation organisationnelle, critères au prisme desquels ils seront analysés. Nous reviendrons en seconde partie sur ces processus, observés sur d’autres terrains d’étude et caractéristiques d’une « stratégie locale » de développement des bioénergies. Ces observations croisées seront mises en perspective avec deux cadres théoriques : le Système Productif Local (SPL) et l’une de ses déclinaisons : le Système Agro-alimentaire Localisé (SYAL). Cela nous conduira en dernier lieu à expliciter le concept de Système Énergétique Agri-Territorial (SEAT), construit à partir de l’analyse de différents cas d’étude de la thèse et largement inspiré du SPL et du SYAL.

1. Deux exemples de valorisation d’un potentiel énergétique local

Des technologies aujourd’hui matures permettent de produire différentes formes d’énergie à partir de biomasse. Toutefois cette source renouvelable interroge par son échelle géographique de développement et par les nouveaux acteurs de l’énergie qu’elle fait apparaître, notamment les agriculteurs. Dans l’état actuel des techniques, la biomasse (bois, cultures énergétiques, biodéchets et effluents organiques) est un gisement promet- teur qui présente un potentiel important de développement.

Quel que soit le type de biomasse mobilisé ou de valorisation envisagée, on retrouve des logiques de planification de la production de bioénergie à l’échelle nationale (biocarburants

8 Dès 1996, Bertrand Hervieu identifie l’enjeu stratégique que représentent les productions non-alimentaires et notamment l’énergie : « la production biologique et biotechnologique d’énergie devient un enjeu stratégique et environnemental à long terme, comparable en importance à l’enjeu alimentaire d’hier […] Faire entrer le monde agricole, par le biais de ces productions non alimentaires, dans une nouvelle culture de l’énergie et de l’environnement est une orientation novatrice de grande portée » (Hervieu 1996).

9 Société Coopérative d’Intérêt Collectif.

10 Les deux cas présentés sont représentatifs de l’ensemble des sept projets étudiés dans le cadre du doctorat.

Ces deux projets portent sur la production d’agro-combustibles mais d’autres filières bioénergies ont également été analysées : un projet biocarburant (projet Huile Végétale Pure de la Communauté de communes du Ville- neuvois) et quatre projets de méthanisation (Lycée agricole d’Obernai dans le Bas-Rhin, EARL Brimbelles en Meurthe-et-Moselle, SIPER dans la Drôme, Communauté de communes du Pays d’Evian).

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industriels, appel à projet CRE11) comme des initiatives menées à l’échelle locale (méthani- sation, Huile Végétale Pure…). C’est ce second cas de figure qui nous intéresse plus particu- lièrement dans le cadre de cet article. Nous en proposons deux illustrations à travers des cas d’études issus de notre travail de thèse : le projet de SCIC Bois Bocage Énergie dans l’Orne (61) et le projet miscanthus du SIVOM d’Ammerzwiller-Bernwiller dans le Haut-Rhin (68).

1.1. Projet miscanthus d’Ammerzwiller-Bernwiller

Ce projet est articulé autour de la production et la valorisation d’une forme de bio- masse atypique : le miscanthus12. L’utilisation de cet agro-combustible13 a été développée par un syndicat intercommunal, le SIVOM d’Ammerzwiller-Bernwiller, réunissant deux communes rurales haut-rhinoises du même nom et situées dans la couronne périurbaine de Mulhouse. Créé en 2007, le SIVOM a initialement pour compétence la gestion d’une filière bois-énergie locale et l’approvisionnement de deux chaufferies collectives d’une puissance cumulée de 600 kW14. À partir de 2010, le combustible bois est progressive- ment remplacé par du miscanthus produit par des agriculteurs locaux dans le cadre d’un projet environnemental global initié par les élus d’un Syndicat Intercommunal d’Alimen- tation en Eau Potable (le SIAEP d’Ammertzwiller-Balschwiller & environs), en collabo- ration avec la Chambre d’Agriculture du Haut-Rhin (68). À l’issue de deux campagnes d’implantation successives en 2009 et 201015, le miscanthus est ainsi implanté sur environ 20 % (27ha) des 150 ha de terres agricoles que compte le bassin d’alimentation d’un captage du SIAEP (le captage d’Ammerzwiller) et ce, dans l’optique de répondre à une problématique de nitrates16. En effet, outre ses propriétés combustibles, le miscanthus est une plante dite « zéro intrant », dont la culture ne nécessite ni produit phytosanitaire ni engrais. Cultivée, en substitution à la monoculture de maïs sur la zone ciblée, cette plante pérenne agit comme un couvert permanent et doit permettre à terme de réduire la teneur en nitrates de l’eau puisée. Ce projet trouve son équilibre économique par la mise en place d’une filière locale d’approvisionnement qui permet aux quinze agriculteurs concernés de vendre l’intégralité du produit de leur récolte auprès du SIVOM et de couvrir à partir de 2011 l’intégralité des besoins des deux chaufferies.

1.1.1. Une aire de production bien délimitée

Le rayonnement spatial du projet miscanthus est réduit ; celui-ci se déploie dans un rayon de moins de 5 km, production (parcelles agricoles), stockage (plateforme de stockage du

11 Commission de Régulation de l’Énergie (CRE), il s’agit d’un dispositif d’appel à candidature destiné à des projets d’installations de grosse puissance. Il est un levier important pour accélérer le rythme de développement de l’électricité produite à partir de biomasse. Ce dispositif est encadré par le ministère en charge de l’énergie et a été utilisé à quatre reprises en 2005, 2006, 2009 et 2011.

12 Cette graminée originaire d’Asie, également surnommée « herbe éléphant », est une plante ayant la pro- priété de produire une quantité importante de biomasse.

13 Combustible issu de l’agriculture.

14 Ces installations sont couplées à des réseaux de chaleur sur les deux villages permettant d’alimenter plu- sieurs bâtiments publics et des logements privés.

15 Financées par le SIAEP et subventionnées à titre expérimental par l’Agence de l’Eau Rhin-Meuse

16 En 2008, le taux de nitrates du captage d’Ammerzwiller atteint les 40 mg/l, le seuil de protabilité étant de 50 mg/l.

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SIVOM) et consommation (chaufferies). Les étapes de transformation et de stockage sont inexistantes, puisque le miscanthus est récolté et directement ensilé. Il en découle une éco- nomie substantielle de transport, qui est essentielle du fait de la faible densité de cette forme de biomasse. La filière courte entre producteurs et consommateurs est pensée tant du point de vue organisationnel (pas d’intermédiaire) que spatial (faible distance), pour permettre de mettre en place un circuit rentable et efficace d’un point de vue énergétique.

Mais les limites spatiales du projet concernent avant tout le volet de la production.

Toutes les parcelles mises à contribution pour la production du miscanthus sont circons- crites au sein d’un espace parfaitement borné puisqu’il s’agit de l’aire d’alimentation du puits de captage d’eau potable d’Ammerzwiller. Une proportion importante de miscan- thus provient de parcelles implantées le long des canaux de ruissellement ou situées au sein du périmètre rapproché de protection.

Ce plan d’approvisionnement, voulu par le SIAEP, répond à l’objectif premier du pro- jet qui est la limitation du lessivage des nitrates par les eaux d’infiltration et de ruis- sellement qui alimentent le puits de captage. L’ensemble du projet s’articule autour de cette frontière préalable, qui exclut toute parcelle située en dehors du périmètre du bassin d’alimentation. Les quinze exploitations agricoles impliquées se situent pour la majorité à Ammerzwiller, mais également dans deux villages voisins Gildwiller et Balschwiller.

1.1.2. Un partenariat entre agriculteurs et syndicats intercommunaux locaux

Sur les bases de ces limites spatiales et de la problématique en jeu, une organisation dédiée est mise en place. Elle implique les trois groupes d’acteurs directement concernés dans le fonctionnement du projet : le SIAEP, le SIVOM et les agriculteurs locaux. Le partenariat est formalisé par trois contrats qui fixent les engagements réciproques des différentes parties : maintenir le miscanthus pour une durée de quinze ans sur pour les agriculteurs, financer l’implantation du miscanthus pour le SIAEP et acheter l’intégralité du miscanthus récolté à un tarif fixé pour dix ans17 pour le SIVOM.

Sont également indirectement impliqués dans l’organisation des acteurs périphériques, ne faisant pas directement partie du fonctionnement à proprement dit, ceux-ci assurent en revanche un accompagnement et un suivi du projet, par la mise à disposition de moyens humains et financiers : la Chambre d’Agriculture du Haut-Rhin, l’Agence de l’Eau Rhin Meuse et la Région Alsace18. Dans l’exemple qui suit, nous allons étudier le cas d’un projet construit à partir d’une autre problématique spécifique mais où l’on retrouve une même logique de coordination locale.

1.2. Projet Bois Bocage énergie (B²E)

Le projet Bois Bocage Énergie (B²E) s’est développé dans l’ouest du département de l’Orne (61) en Basse-Normandie dans le secteur de la commune d’Athis-de-l’Orne. Dans cette région, le bois-énergie est une forme d’énergie traditionnellement bien implantée (sous forme de bûche) et son utilisation moderne (sous forme de plaquettes) a donné lieu à des expériences parmi les pionnières en France. L’originalité du projet B²E est qu’il est fondé sur une réactua- lisation de la valorisation énergétique du bois issu de l’entretien de la haie bocagère. Mobiliser

17 Ce prix d’achat permet aux agriculteurs de générer un revenu à l’hectare équivalent à la culture de maïs.

18 La Région Alsace a financé les essais de combustion de miscanthus réalisés par le SIVOM.

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ce gisement s’avère complexe, car la haie de bocage cristallise de nombreuses tensions entre agriculteurs et non-agriculteurs. Cet élément paysager caractéristique du bocage normand tend en effet à disparaître compte tenu de la contrainte qu’il représente pour les agriculteurs, tant en termes d’entretien (élagage), que pour la mécanisation de parcelles agricoles. Les procédures de remembrement, associées à l’augmentation des surfaces en grande culture au détriment des surfaces en herbe entraînent des modifications importantes des paysages de Basse-Normandie.

Le projet Bois Bocage Énergie est né en 2003 de la rencontre entre deux collectivités, la municipalité de Chanu et la Communauté de Communes du bocage athisien, et un regroupement d’agriculteurs, la CUMA Innov’61, pour répondre à la disparition pro- gressive de la haie de bocage sur leur territoire. La réflexion menée au sein de ce groupe d’acteurs animé par la Chambre d’agriculture régionale et la FD CUMA, débouche sur l’idée d’élaborer une filière locale de valorisation du bois de bocage en filière courte : production de plaquettes par les agriculteurs, consommation par les collectivités. Créée

Carte 1 : Antenne d’Athis et Chanu - SCIC B²E  

(réalisation : Y.Tritz, 2011)

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en 2006, la SCIC19 Bois Bocage Énergie (B²E) est une société qui réalise l’achat et la revente de plaquettes bocagères utilisées principalement dans des chaufferies collectives pour la production de chaleur.

1.2.1. Les antennes locales de la SCIC B²E

Dès 2006, des agriculteurs locaux commencent à produire des plaquettes pour le compte de la SCIC, tandis que des collectivités (la commune de Chanu, la Communauté de Communes de Visance et Noireau et la Communauté de Communes du Bocage Athisien)20 s’approvisionnent en combustible auprès de la SCIC. Pour tenir compte de l’essaimage géographique rapide du modèle, la SCIC adopte très vite un fonctionne- ment par antenne locale ; un circuit-court localisé regroupant producteurs, collectivités et consommateurs particuliers situés sur un même secteur géographique. Initialement, deux

« antennes locales » sont créées (l’antenne de Chanu et celle d’Athis-de-l’Orne), chacune possédant sa propre plateforme de séchage et stockage de plaquettes (cf. carte 1).

En 2008, l’antenne de Chanu regroupe douze producteurs, quatre clients et deux col- lectivités dans dix communes, toutes localisées dans un rayon de seize kilomètres autour de la plateforme de Chanu. La quasi-intégralité des consommateurs et des producteurs se situent sur la commune de Chanu même ou dans un rayon proche (< 7 km)21. L’antenne d’Athis compte quinze producteurs, deux clients et une collectivité sur treize communes situées dans un rayon de quatorze kilomètres autour d’Athis-de-l’Orne.

1.2.2. La SCIC : une structure coopérative multi-partenariale

L’activité de Bois Bocage Énergie s’est mise en place au sein d’une structure juridique dédiée : une Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC). Cette structuration particulière du projet est aussi le fruit d’un accompagnement juridique et technico-économique du groupe d’acteurs dans le cadre d’un appel à projet lancé en 2004 par la DATAR et la Caisse des Dépôts et Consignations sur les « nouvelles formes d’activités et d’entreprise collectives ».

Créé en 2001, le statut de SCIC peut être qualifié de « multi-sociétariat coopératif » (Thomas, 2008). Cette forme de société permet d’associer différents acteurs (salariés, clients, consommateurs, associations, collectivités…) d’un territoire, dans la production de biens ou de services dits « d’intérêt collectif, qui présentent un caractère d’utilité sociale », en l’occurrence dans ce cas : le maintien des haies sur le territoire et la revalo- risation du bois issu de ces haies en une énergie renouvelable.

La gouvernance de la SCIC intègre les différents types d’adhérents de la SCIC et suit les règles du principe coopératif : un homme = une voix. On retrouve dans le sociétariat de la SCIC cinq catégories d’associés qui forment les « collèges » de la SCIC : un salarié, des clients, des producteurs, des collectivités et d’autres personnes. La relation entre les adhérents est régie par différents contrats signés dès l’adhésion à la SCIC et renouvelés à chaque assemblée générale.

Ceux-ci permettent de garantir la traçabilité des plaquettes côté producteurs (plaquettes issues

19 Société Coopérative d’Intérêt Collectif.

20 À ces principaux débouchés s’ajoutent quelques consommateurs particuliers ainsi qu’une maison de retraite située à Chanu.

21 Notons que dans l’évolution de la SCIC les trois producteurs les plus éloignés donneront naissance à une autre antenne locale.

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d’une gestion durable des haies)22 et la pérennité des débouchés côté consommateurs (renou- vellement annuel de la garantie d’approvisionnement auprès de la SCIC).

1.3. L’ancrage « local » : limite technique ou construction politique ?

Les deux projets sont ancrés localement, les circuits de valorisation pouvant être appréhen- dés à l’échelle d’un regroupement de communes, que celui-ci corresponde ou non au territoire d’une collectivité. On distingue deux motifs de justification à un fonctionnement local.

La limitation du rayonnement spatial du projet tient d’abord à des critères technico-écono- miques ; à la question du transport de la matière brute (le minerai biomasse) et du produit éner- gétique (la chaleur). La biomasse est certes une ressource énergétique, mais qui se présente sous une forme solide, répartie dans l’espace et dont la densité énergétique est relativement faible (cf. tableau 1). Par rapport à ses homologues fossiles23, la biomasse est une matière première coûteuse à transporter d’autant plus que le transport se fait principalement par route, plus coûteux que par rail ou par voie fluviale (ou encore par gazoduc ou oléoduc). 24

Tableau 1 : équivalences énergétiques entre différentes sources d’énergie brutes

Minerai - Combustible Contenu énergétique Équivalent tep24

(approx.) Source

Minerai brut d’uranium

(0,01 % d’uranium)

90 000 kWh / t 10 Areva – valeur

calculée25

Pétrole 11 600 kWh / t 1 Ministère industrie

Charbon 6 960 kWh /t 0,6 Ministère industrie

Bois entier 5 000 kWh / t 0,5 Alterenergies

Miscanthus 4 700 kWh / t 0,5 INA-PG

Biodéchet 750 kWh /t 0,1 AILE- valeur

calculée26 (réalisation : Y.Tritz, 2011)

2526Le transport est donc une contrainte pour l’exploitation de la biomasse en géné- ral, qui favorise l’installation des unités de transformation au plus près de la ressource.

22 La livraison de plaquettes issue de l’arrachage de haie est notamment interdite.

23 Le gaz et le pétrole principalement, qui représentent 92 % de l’énergie fossile consommée en France. Le charbon quant à lui occupe une place minoritaire (Services d’Observation et de Statistiques, MEDD 2011).

24 Tonne Équivalent Pétrole, mesure d’une quantité d’énergie, correspond à la quantité d’énergie dégagée par la combustion d’une tonne de pétrole brut, soit 11 600 kWh.

25 Le minerai d’uranium ne contient qu’une infime partie d’uranium naturel, dont la valeur énergétique est de 120 000 000 kWh/t (source : LPSCG).

26 Valeur calculée à partir du pouvoir méthanogène des biodéchets (source : AILE, 2006).

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Par exemple, en France, il est estimé que les usines de conditionnement de plaquettes, s’approvisionnent dans un rayon moyen de 30 km (Bourcet et al. 2008). De même, pour la chaleur, voie principale d’utilisation énergétique de la biomasse27 et co-produit de la production électrique par cogénération28, son utilisation se fait dans des réseaux de distribution locaux (<10 km)29 pour limiter pertes énergétiques et investissements.

Au-delà des considérations économiques, la limitation du transport (de biomasse brute, de chaleur ou d’un produit énergétique) par le regroupement spatial de la ressource, des acteurs qui la valorisent et des consommateurs d’énergie est perçue comme un moyen d’améliorer le bilan environnemental du système mis en place.

Dans le cas des projets étudiés, cette contrainte d’ordre technico-économique se double d’un encadrement d’ordre politique. En effet, la mise en place du circuit de valorisation énergétique est susceptible de générer des externalités environnementales appréhendées dès le début par des élus politiques locaux. La prise en compte de ces externalités potentielles fixe de nouvelles limites qui façonnent le territoire du projet.

Ainsi, l’origine de la biomasse est-elle spécifiée de manière précise, l’aire d’approvi- sionnement correspondant à des entités écologiques : aire d’alimentation de captage, unité paysagère (bocage)…

1.4. L’innovation organisationnelle : naissance et diffusion de modèles territoriaux L’ancrage physique et la proximité spatiale entre acteurs peuvent être vus comme des contraintes au développement (industriel) des projets, dans le sens où la production d’éner- gie est « bridée ». Ces limites spatiales peuvent également être appréhendées comme les catalyseurs d’une dynamique collective localisée, qui permet l’expression puis la mise en œuvre de complémentarités entre acteurs proches et sous la maîtrise de porteurs de projet locaux. Ce modèle de développement, dit « territorial », « ascendant » ou encore

« bottom-up », s’oppose à un modèle « descendant », « top-down » ou « aménagiste », c’est-à-dire organisé et planifié par l’État. Forts du constat de l’existence d’un espace de déploiement limité pour les deux projets, nous avons également pu mettre en lumière la naissance de jeux d’acteurs originaux à l’intérieur de cet espace. Plus que sur des aspects techniques liés à une voie de production d’énergie alternative, l’innovation à l’œuvre dans les projets étudiés porte sur l’agencement d’acteurs, raison pour laquelle nous qualifions cette innovation d’« organisationnelle ». Les expériences étudiées se caractérisent sur le plan social par la construction d’une organisation collective entre des acteurs hétérogènes.

Pour les deux projets, la réussite de la construction collective réside dans la conci- liation des intérêts spécifiques qui animent les différentes parties prenantes et d’un ou plusieurs enjeux territoriaux. Par rapport à d’autres filières de production d’énergie (biocarburants industriels, production d’électricité), ces projets se singularisent par un rapprochement entre agriculteurs et collectivités locales, par l’hybridation d’action

27 En France, plus de 90 % de la production d’énergie primaire produite à partir de biomasse sert à couvrir des besoins thermiques (source : COMOP).

28 Production simultanée d’électricité et de chaleur.

29 En France, le Syndicat National du Chauffage Urbain (SNCU) recense 418 réseaux de chaleur et 14 réseaux de froid (enquête 2009), répartis sur 350 villes et s’étendant sur 3 300 km. Chaque réseau de chaleur fait donc en moyenne 8 km de long (source : CETE de l’Ouest 2011)

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publique et d’action privée et la mise en place de gouvernances locales. En outre, l’ac- tion collective est rendue possible grâce à l’intervention de structures externes, notam- ment des organisations professionnelles agricoles (Chambre d’agriculture, FD CUMA), pour lesquelles nous voyons deux fonctions principales : une fonction d’accompagne- ment et une fonction de mise en confiance de l’ensemble des acteurs, celles-ci incarnant en effet le rôle de « tiers neutre ».

Enfin, notons que l’innovation à l’œuvre donne lieu à une dynamique de diffusion spatiale. Dans le cas du projet miscanthus, le modèle est diffusé via la Chambre d’Agri- culture du Haut-Rhin et une Mission Eau co-financée par le Conseil Régional d’Alsace et l’Agence de l’Eau Rhin-Meuse. En 2011, quatre autres projets potentiels ont émergé dans des zones à enjeux nitrates dans le département du Haut-Rhin. Dans le cas du projet B²E, la diffusion du modèle fait partie des missions de la SCIC et se fait sous formes

« d’antennes locales ». Après quatre années de fonctionnement, grâce au soutien de la FD CUMA30 et de la Chambre d’Agriculture, la SCIC a donné naissance à cinq antennes locales dans le département de l’Orne et cinq antennes dans d’autres départements limi- trophes (Sarthe et Loir-et-Cher). D’autres SCIC directement inspirés de B²E ont été créées dans d’autres régions de France : la SCIC Énergie Renouvelable Pays de Dinan créée en 2008 (Bretagne), les SCIC « Haute Mayenne Bois Énergie » et « Bois Énergies Locales » (Pays de la Loire). Dans les deux cas, les modèles se reproduisent dans leur intégralité, c’est-à-dire dans la combinaison d’une innovation technique (valorisation d’une forme de biomasse particulière), économique (circuit court de valorisation) et organisationnelle (configuration d’acteurs particulière). Du fait de la mobilisation de ressources locales, la diffusion se fait par essaimage, c’est-à-dire par reproduction d’un modèle autonome à un autre endroit. Cela s’explique par la forte contrainte spatiale du modèle expérimenté, qui se fonde sur la co-localisation d’une ressource et de son débouché local.

Pour conclure cette partie, il est important de préciser que, dans les deux projets décrits, les volumes de combustibles en jeu sont de l’ordre de quelques centaines de tonnes, ce qui correspond à l’approvisionnement de chaufferies d’une puissance cumulée inférieure à 1 MW. Ce modèle convient pour la couverture de besoins de chaleur en milieu rural (ce qui est le cas pour les deux projets) mais doit être comparé avec des modèles plus centralisés.

Ainsi d’autres structures d’approvisionnement présentes sur le marché, écoulent plusieurs dizaines, voire centaines de milliers de tonnes de plaquettes par an. Dans ce cas les rayons d’approvisionnement sont élargis, les sources d’approvisionnements sont ciblées (scieries, forêt) et les débouchés visés correspondent à des chaufferies urbaines ou industrielles31 (1-10 MW de puissance par chaufferie). Le projet miscanthus d’Ammerzwiller et le projet SCIC B²E sont donc des filières de taille modeste, ancrées dans leurs territoires.

2. Vers une stratégie locale de développement des bioénergies ?

À partir des deux études de cas proposées, enrichies d’autres apports empiriques, nous nous proposons à présent de mettre en avant quelques caractéristiques transversales des projets bioénergie observés et de les mettre en perspective avec deux concepts fondateurs

30 LA FD CUMA 61 est adhérente à la SCIC.

31 Forum AILE « Prospective Biomasse et milieu rural » février 2010, Cahier du Bois-Energien°44.

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de l’économie du développement local : le Système Productif Local (SPL) et le Système Agro-Alimentaire Localisé (SYAL). Cela nous permettra en dernier lieu de poser les bases du concept de Système Énergétique Agri-Territorial (SEAT).

2.1. Rapprochement avec le concept de SPL : élargissement de l’angle d’analyse d’une activité économique

Inspiré de l’analyse des districts industriels italiens, le SPL se caractérise par une spé- cialisation d’activités et une agglomération géographique d’unités productives au sens large (Pecqueur 1989, Courlet 2001). Le SPL est composé d’entreprises industrielles (généralement des PME) mais également de services, de centres de recherche, d’interfaces etc. (Courlet 2002). L’ensemble de ces entités jouit d’avantages réciproques : mutualisa- tion de moyens, division du travail entre elles, processus d’innovation… elles entretien- nent différentes formes de rapports entre elles : formels et informels, marchands et non marchands. « Le SPL renvoie à l’approche organisationnelle : il n’est ni une firme, ni un ensemble de relations interfirmes, ni même une entreprise sans murs. Il est une forme d’organisation spécifique dans lequel le territoire et/ou les relations non-marchandes jouent un rôle majeur » (ibid.). Par ailleurs, la notion de SPL conforte l’idée d’une plu- ralité de modèles économiques possibles ; le SPL a une identité territoriale forte puisqu’il est « actionné par une logique territoriale » et « a besoin du territoire pour fonctionner ».

Le territoire est vu à la fois comme un espace géographique concentré et un ensemble d’organisations qui interagissent. Le SPL est « la traduction de phénomènes originaux de développement localisé » (ibid.).

Le rapprochement du concept de SPL est éclairant car il nous incite à circonscrire un périmètre d’étude plus large défini par une organisation originale d’acteurs autour d’une activité économique donnée, en l’occurrence ici la valorisation énergétique de la biomasse.

Cet élargissement de l’angle d’analyse fixe le point de départ pour l’étude des projets qui nous intéressent, puisque ceux-ci se caractérisent effectivement sur le plan social par la co-construction d’une organisation collective entre acteurs hétérogènes parmi lesquels a minima des agriculteurs, des organisations professionnelles agricoles, des collectivités locales et/ou des syndicats intercommunaux. Ce type d’organisation collective autour des bioénergies a été observé dans d’autres projets et notamment tout un ensemble d’initia- tives développées dans le Sud-Ouest autour de l’utilisation d’Huile Végétale Pure (HVP) par les collectivités locales : Agen, Marmande, La Rochelle, Montauban… L’ensemble de ces projets s’inspirent du modèle expérimenté par la Communauté de la Communauté de Communes du Villeneuvois32 (47) dès 2005 et qui consiste en un partenariat tripartite entre une collectivité locale, des agriculteurs locaux et une association locale militante : l’Institut Français des Huiles Végétales Pures (IFHVP).

Dans l’ensemble des cas décrits, le collectif d’acteurs forme donc un système, qui constitue une unité d’analyse au même titre qu’une entreprise, une administration.

Tout comme les SPL, les projets étudiés présentent également des « logiques » et des

32Ce projet a connu un fort engouement médiatique, puisqu’en 2006 l’utilisation d’HVP en dehors du cadre agricole est interdite, ce qui conduit la collectivité locale à un procès l’opposant à la préfecture du Lot-et-Ga- ronne. Fin 2006, suite au procès, le code des Douanes est modifié en vue d’autoriser l’utilisation par les collec- tivités de l’HVP dans leurs flottes captives (Loi n° 2006-1771 du 30 décembre 2006).

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« effets » propres liés aux contextes dans lesquels ils se développent. En revanche à l’inverse des SPL, on assiste à la combinaison d’activités différentes plutôt qu’à la spécialisation autour d’une activité donnée. L’analyse de la construction de la SCIC B²E et du projet d’Ammerzwiller nous a d’ailleurs conduits à mettre en évidence leur caractère multifonctionnel, du fait de la combinaison des stratégies d’acteurs en pré- sence ; de la conciliation des intérêts économiques qui animent les agriculteurs et des intérêts publics portés par les collectivités locales. La finalité des systèmes étudiés n’est pas tant la production d’énergie à partir d’un combustible renouvelable que la mise en place d’une organisation locale capable d’apporter une réponse efficace à une problématique environnementale locale (pollution d’un captage d’eau potable, disparition de la haie de bocage). La recherche d’externalités et de bénéfices externes à travers la mise en place d’un marché local autour des bioénergies fait également partie de la démarche de la CC du Villeneuvois dans le cadre de son projet. Le choix des HVP correspond en effet à une volonté politique des élus locaux pour agir dans différents domaines : protection de l’environnement, maintien d’une agriculture locale33, utilisation de terres en jachère, création d’autres activités autour de la filière courte, synergies rural-urbain… Les HVP permettent de mener une action transver- sale à différents domaines de compétence de la collectivité. Pour l’ensemble de ces projets, la création d’un marché pour le produit énergétique est un outil économique pour assurer la pérennité du système34. Sur ce point, les projets décrits se distinguent également du SPL (acteur économique d’un marché ouvert) puisque l’écoulement du produit énergétique et des services associés se fait sur un marché fermé, le rapport entre consommateur et producteur est exclusif.

Le rapprochement avec le concept de SPL présente donc un intérêt pour comprendre les logiques spécifiques à l’œuvre dans des systèmes productifs composés d’une multi- tude d’acteurs. En revanche, leur organisation économique particulière différencie très net- tement les projets bioénergie étudiés des SPL. Par ailleurs, le parti pris méthodologique, d’une analyse systémique, comporte un enjeu corollaire, celui de réussir à poser des limites aux systèmes étudiés. Quelles sont leurs limites géographiques ? Répondre à cette question implique de dresser un état des lieux du débat scientifique autour de la notion de proximité.

Le courant de l’économie des proximités, héritier des courants qui se sont intéressés aux SPL, tend à relativiser la référence au territoire (Requier-Desjardins 2010), en distinguant plusieurs formes de proximités regroupées sous deux ensembles : la proximité « géogra- phique » et la proximité « organisée ». La proximité géographique se définit par la dis- tance entre acteurs exprimée en coût et/ou en temps (Rallet 2002). Elle est fonction de l’éloignement spatial mais dépend également des infrastructures et services de transport.

Peuvent être considérés comme géographiquement proches, des agents ayant la possibilité de se rencontrer physiquement chaque jour (Rallet & Torre, 1998). La proximité organisée reflète quant à elle le lien social entre acteurs : appartenance à une même firme, un même

33 La création du débouché HVP est appréhendée comme un moyen pour rendre l’agriculture locale plus indépendante des aides de la PAC. Il y a ici une appropriation par la collectivité de la question du soutien des pouvoirs publics à l’agriculture.

34 Dans le cas du projet miscanthus d’Ammerzwiller et du projet HVP de la CC du Villeneuvois, celui-ci prend la forme d’un marché local, fermé et encadré par des relations contractuelles spécifiques. Dans le cas de B²E, l’échange marchand se déroule au sein d’une structure juridique dédiée et multi-partenariale.

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réseau social… Elle se décrit par les réseaux qui structurent les interrelations entre indivi- dus (Rallet 2003). Il existe un débat quant au rôle de ces deux formes de proximité dans les dynamiques de développement local. Par exemple, certains auteurs relativisent largement l’importance de la proximité géographique comme condition permissive de la coordination entre entreprises notamment dans les processus d’innovation (Rallet & Torre 1999, Torre 2010). D’autres au contraire, reconnaissent à la proximité géographique un rôle de facili- tateur dans les processus de coordination entre acteurs (Pecqueur & Zimmerman 2004).

Qu’en est-il dans le cadre des projets étudiés ? Cette question nous amène à opérer à un rapprochement avec le concept de Système Agro-alimentaire Localisé (SYAL).

2.2. Rapprochement avec le concept de SYAL : l’ancrage local par l’accès à des ressources naturelles

Les SYAL sont définis en 1996 comme « des organisations de production et de services (unités de production agricole, entreprises agro-alimentaires, commerciales, de service, restauration) associées de par leurs caractéristiques et leur fonctionnement à un territoire spécifique. Le milieu, les produits, les hommes, leurs institutions, leur savoir-faire, leurs réseaux de relations, se combinent dans un territoire pour produire une forme d’organisa- tion agro-alimentaire à une échelle spatiale donnée » (Cirad-Sar 1996). Plus simplement, les SYAL peuvent être définis comme des « SPL œuvrant dans le domaine de l’agroalimen- taire » (Fourcade 2006). Pourtant il apparaît que la notion de SYAL se distingue voire se détache du SPL notamment sur deux points qui retiennent notre attention.

Tout d’abord, le SYAL comporte des particularités géographiques qui sont à mettre en lien avec les spécificités de l’activité agroalimentaire même. En effet, de par sa nature, cette activité suppose un accès aux ressources agricoles et de manière plus générale un lien aux ressources naturelles. Les SYAL sont ancrés localement et cet ancrage est « contraint par l’accès à certaines ressources agricoles, valorisé à travers la promotion de signes d’origines » (Fourcade 2006). Pour ce qui est de la proximité spatiale entre acteurs, si pour les SPL on insiste souvent sur une concentration importante dans un espace relativement réduit, le SYAL relativise également la notion de concentration géographique, du fait de la

« dispersion inhérente aux territoires ruraux » dans lesquels ils se développent. Les limites spatiales des SYAL sont donc parfois larges et peuvent concerner toute une région ou des micro-bassins dans une région, on a alors un « territoire en archipels » (Requier-Desjardins 2010). Fondés sur la valorisation de biomasse, les projets étudiés sont également ancrés géographiquement ; ils permettent d’éclairer des dynamiques de développement propres aux milieux ruraux et périurbains. En outre, nous avons vu qu’ils se caractérisaient par des rayons d’approvisionnement et de distribution de faible distance. Ces limites sont défi- nies par le croisement entre : un potentiel d’offre et de demande locale, des contraintes technico-économiques (faible densité énergétique du combustible) et les limites d’une zone géographique où se joue l’action environnementale35. La mobilisation de ressources locales constitue une caractéristique forte de la production d’énergie au sein des projets étudiés ; la

35 Celle-ci correspond à une aire d’alimentation de captage dans le cas du projet miscanthus d’Ammerzwiller (< 5 km), à un regroupement d’exploitations agricoles en zone bocagère autour de collectivités locales consom- matrices de bois-énergie (10-20 km) dans le cas de B²E.

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quantité d’énergie produite annuellement reste tout à fait modeste, puisque contingentée à une production locale. En définitive, on aboutit à un circuit de valorisation sans intermé- diaires36 (circuit-court), mobilisant les ressources d’une aire géographique restreinte. En conséquence, la diffusion spatiale de ces projets est particulière : elle ne se fait pas par extension géographique liée à l’augmentation des quantités traitées, mais par essaimage des modèles expérimentés. Les projets initiaux inspirent d’autres initiatives fondées sur le même modèle, dans d’autres territoires concernés par les mêmes problématiques.

Par ailleurs, certains SYAL présentent des particularités en ce qui concerne la nature même de leur activité ; on observe une diversification et une articulation d’activités com- plémentaires, qui exploitent et valorisent toutes le lien au lieu, à l’origine (activité agroali- mentaire et touristique par exemple)37. La gamme des produits et services est donc élargie mais ceux-ci sont tous situés, leur origine est circonscrite au sein d’un même espace géo- graphique. L’hypothèse d’un regroupement de produits et services concernés par un même processus de qualification territoriale a été définie par Pecqueur comme un « panier de biens

» (Pecqueur 2001). Sans entrer dans le détail des résultats de recherche qui en découlent, cette hypothèse nous intéresse parce qu’elle souligne le caractère « composite » de l’activité au sein d’un SYAL ; fait d’un ensemble d’activités qui exploitent toute un même lien au lieu. Vu dans son ensemble, l’activité au sein des projets étudiés est également composite puisqu’elle combine la production d’énergie et d’un ou plusieurs services associés, en l’oc- currence dans le cas des projets évoqués : la gestion de ressources naturelles. De la même manière, d’autres activités connexes peuvent venir se greffer autour d’une dynamique locale de valorisation énergétique de biomasse, le tourisme par exemple. Ainsi, parmi les pro- jets que nous avons étudiés, nous pouvons aussi citer le cas de la « Route des Énergies Renouvelables » : un circuit touristique sur les énergies renouvelables créé par la CC de la Vezouze (54) et géré par l’association « Lorraine Énergies Renouvelables ». Ce circuit de découverte propose une approche pédagogique d’installations de production d’énergie renouvelable présentes sur le territoire, dont la première installation moderne de méthanisa- tion à la ferme en France, celle de l’EARL des Brimbelles à Mignéville.

Ces particularités nous amènent à évoquer les différentes trajectoires de développement possibles au sein des systèmes productifs locaux38 : l’agglomération39, la spécialisation40 et la spécification (Pecqueur & Zimmermann 2004, Pecqueur 2010). Cette dernière trajectoire- type, très caractéristique des SYAL, est aussi la plus fertile pour décrire les dynamiques à l’œuvre dans les projets étudiés. Lors d’un processus de spécification, des services non transférables (parce qu’ils concernent l’environnement local) sont associés à la mobilisation de la ressource pour la production d’énergie ; la ressource est « spécifiée ». Cela conduit à la production d’un bien unique, sans concurrence car lié à des conditions de productions spé-

36 Dans le cas de Bois Bocage Énergie, il existe un intermédiaire, la SCIC, mais dont la gouvernance est assurée par l’ensemble de ses producteurs et consommateurs.

37 Alors que les travaux sur SPL touchent plutôt à des secteurs d’activité très spécialisés.

38 Identifiées par le groupe de recherche « Économies de Proximité ».

39 L’agglomération consiste en la concentration d’hommes et d’activités, qui va entraîner une réduction des prix des facteurs de production bénéficiant à l’ensemble.

40 Dans le cas de la spécialisation, il y a une structure organisationnelle forte du tissu économique autour d’une activité industrielle dominante ou d’un produit, qui crée des avantages particuliers (sous forme d’externa- lités technologiques plus que pécuniaires ; sous forme de centres de formation, de métiers spécifiques…) pour les firmes qui font partie du système.

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cifiques, un produit AOC par exemple. Dans le cas des projets étudiés, l’articulation d’une activité de production d’énergie et d’une (ou des) activités spécifique(s) n’est susceptible d’être appréciée que par des consommateurs locaux, raison pour laquelle l’écoulement du produit énergétique se fait sur un marché fermé et local, comme nous l’avons déjà vu. Le rapport entre consommateurs et producteurs est exclusif et cette interdépendance doit être acceptée de part et d’autre pour que tout le système puisse fonctionner. Dans les SPL ou les SYAL en revanche, la spécification vise à distinguer le produit sur un marché ouvert.

Forts de l’analyse des situations de terrain et de ce cadrage théorique préalable, nous souhaitons maintenant proposer une définition du concept de Système Énergétique Agri- Territorial. Du point de vue théorique, le SEAT s’inspire directement du Système de Production SPL et du SYAL ; de la même manière que le SYAL est une forme particulière de SPL liée à la production agroalimentaire, le SEAT correspond à une déclinaison de la notion de SPL au cas de la production d’énergie à partir de biomasse. Le tableau 2 ci-des- sous permet de situer de manière synthétique le SEAT par rapport au SPL et au SYAL.

Tableau 2 : synthèse sur les différents concepts (Y. Tritz, 2011)

SPL SYAL SEAT

Activité économique

Industrie spécialisée Services

Agroalimentaire Tourisme

Bioénergies Gestion ressources

locales Caractéristiques

géographiques

Concentration géographique d’unités

productives

Ancrage local producteurs

Ancrage local producteurs et consommateurs (circuit court)

Effet de la proximité

Mutualisation de moyens Division du travail

Innovation

Valorisation et promotion d’une

origine, d’un environnement

Valorisation d’un potentiel énergétique

local

2.3. Le SEAT : un concept pour analyser les formes locales de développement des bioénergies

Nous définissons le Système Énergétique Agri-Territorial (SEAT) comme un système mul- tifonctionnel ayant pour objet la production d’énergie à partir de biomasse locale, la gestion de ressources naturelles et le développement d’un territoire. Du point de vue social, le SEAT se caractérise par une organisation collective qui est le fruit d’une co-construction entre dif- férents groupes d’acteurs parmi lesquels peuvent figurer : agriculteurs, collectivités locales, industries, associations militantes etc. La figure ci-dessous est une représentation schématique d’un SEAT, dans lequel les acteurs ont été regroupés selon leur fonction au sein du système41.

41 Cette figure comprend un groupe « consommateurs de co-produits », qui n’apparaît pas pour les deux prin- cipaux projets évoqués dans cet article (pas de co-produits), mais que l’on peut identifier dans d’autres filières de valorisation comme la méthanisation (qui génère également un engrais organique) ou encore l’Huile Végétale Pure (qui génère un co-produit valorisable en alimentation animale).

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Figure 1 : représentation d’un SEAT (Y. Tritz, 2011)

L’ensemble des entités impliquées dans un SEAT sont circonscrites dans un espace physique restreint, déterminé par l’accès à un gisement de biomasse local et un débouché énergétique local. Le SEAT constitue l’aboutissement d’un rapprochement organisationnel sur les bases d’une contrainte forte de proximité spatiale. Il se caractérise donc par un proces- sus d’innovation organisation- nelle entre des acteurs hétéro- gènes ainsi qu’un ancrage local fort, induit par l’accès à des ressources naturelles.

Au niveau organisationnel, le poids relatif des différents groupes d’acteurs peut varier, ce qui conduit à l’identification de différents types de SEAT en fonction de la gouvernance de projet. Dans le cadre de l’étude des dynamiques de proximité, Perrat et Zimmerman (2003) ont regroupé les différents types de gouvernances pos- sibles en quatre groupes : pri- vée, privée collective, publique ou mixte. Les deux projets analysés dans cet article se caractérisent par une présence forte des collectivités locales, avec le cas d’une gouvernance publique (projet miscanthus Ammerzwiller) et celui d’une gouvernance mixte (projet SCIC B²E), cependant l’ensemble des autres configurations ont été rencontrées dans le cadre de notre travail de recherche42.

Au-delà de la mixité qui caractérise l’organisation des SEAT, on note en fait une articula- tion des niveaux d’intervention de l’action publique de même qu’un déplacement des fron- tières entre secteurs public et privé. Ces constats ne sont pas sans rappeler les travaux de

42 La méthanisation par exemple est une filière de production qui présente un intérêt économique réel pour les agriculteurs, les projets de méthanisation sont donc le plus souvent emmenés par un acteur privé seul ou collectif. Cependant les collectivités locales ou regroupements de communes peuvent également trouver un intérêt à s’associer à un projet de méthanisation sur leur territoire, sur différents volets : pour le traitement de biodéchets, pour la valorisation de la chaleur…

- 1 -

BIOMASSE   DEV.  LOCAL  

TERRITOIRE  

EXTRA-­‐TERRITOIRE  

Producteur  /   Transformateur   biomasse  

Bénéficiaire   services   connexes  

 

Consommateur   énergie    Consommateur  

co-­‐produits  

 SEAT  

 :    Proximité  spatiale  

 :    Proximité  organisationnelle    Energie  

   Flux  matières  et  services    

 Informations,  moyens    humains  et  financiers    Médiateur    

  Ressource  territoriale  du  SEAT        Produit  territorial  du  SEAT  

M  

(18)

recherche consacrés à la notion la gouvernance territoriale43, que l’on peut appréhender d’une part comme la mise en place de dispositifs pour permettre la coordination entre acteurs indi- viduels et collectifs, locaux et institutionnels, pour s’accorder des objectifs communs, pour fixer des règles de fonctionnement (Lardon et al. 2008) d’autre part comme un processus social visant l’identification et la construction de ressources dites « territoriales » (Gumuchian

& Pecqueur 2007). La gouvernance est également un enjeu central de la construction d’un SEAT, concept qui recouvre par ailleurs une grande variété de situations. Le SEAT souligne ainsi la diversité des modèles de gouvernance possibles pour des projets qui s’inscrivent dans les objectifs du développement durable mais restent avant tout ancrés dans leurs territoires.

Enfin, le SEAT apparaît comme un système relativement fermé voire autonome puisqu’il rassemble tous les acteurs nécessaires au fonctionnement de la filière, y compris les consom- mateurs. À l’étude, on constate que la frontière avec son environnement n’est pas si imper- méable, puisque l’on compte un certain nombre d’acteurs périphériques ; le SEAT entretient ainsi des liens avec des institutions externes au territoire (ADEME, Conseil Régional et Général, DATAR, FEDER44…). Lors de son développement, on observe également l’in- tervention de « médiateurs ». Ni directement impliqués dans le système, ni directement concernés par la mise en place de la filière, les médiateurs sont des acteurs externes qui participent à l’animation du projet (nous reviendrons sur leur rôle en conclusion).

Conclusion

Après avoir proposé une définition du SEAT, il convient en dernier lieu de se demander en quoi l’émergence d’un tel système peut être un facteur de développement local.

Le premier objet de réflexion concerne les modalités de valorisation économique de la biomasse en milieu rural. Comme l’indiquent Mundler et Daniel (2009) dans un article relatif au développement des énergies renouvelables dans les territoires ruraux, il est important de « dépasser la seule analyse du potentiel énergétique pour appréhender la façon dont ce potentiel peut être valorisé ». Ainsi dans un SEAT, l’écoulement du produit énergétique ne se fait pas sur un marché ouvert, mais sur un marché local et fermé. Le rapport entre consommateur et producteur est exclusif et cette interdépendance doit être acceptée de part et d’autre pour que le système puisse fonctionner. L’instauration d’un marché local entre collectivités et agriculteurs permet d’internaliser dans le prix de l’agro- combustible un service rendu localement par les agriculteurs en produisant des bioéner- gies. Du fait de contraintes locales d’exploitation et de valorisation, il peut arriver que la filière locale ne soit pas concurrentielle. A priori, le produit énergétique issu du SEAT est plus cher que le même produit sur le marché local. Or les exemples étudiés démontrent qu’il existe une forme de rationalité économique à favoriser la filière locale pour peu que celle-ci soit construite en adéquation avec des problématiques locales. Dans les cas décrits précédemment, l’organisation mise en place contribue à endiguer une dégrada- tion de l’environnement local. Evidemment, la valeur de ces opérations est difficile à évaluer puisqu’elles touchent au maintien, à la préservation ou à la reconquête d’une

43 Notamment ceux réalisés dans le cadre du programme de recherche PSDR « Ressource territoriales » de la région Rhône-Alpes.

44 ADEME Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie, DATAR Délégation interministérielle à l’Aménagement du Territoire et à l’Attractivité Régionale, FEDER Fonds Européen de Développement Régional.

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ressource ou d’un environnement naturel45. Ces exemples de SEAT montrent simplement que la production de bioénergies peut être envisagée comme une activité multifonction- nelle. L’éventuel surcoût de la filière locale n’est alors plus considéré comme tel, mais comme une contribution peu onéreuse à une dynamique de développement local, voire de développement local durable. En effet, les porteurs des initiatives étudiées cherchent à concilier efficacité économique, qualité environnementale et progrès social et à ce titre s’inscrivent dans les principes de la durabilité. Cela fait écho à une réflexion plus globale concernant la capacité des territoires à contribuer à un objectif global de développement durable (Laganier et al. 2002). Cette perspective peut amener les collectivités à aborder différemment la question du développement de ces sources d’énergie, non pas seule- ment comme une charge nécessaire dans le cadre de la transition énergétique, mais aussi comme un outil efficace d’action durable sur leur territoire.

Le deuxième objet de réflexion concerne le processus social de conception des SEAT.

Nous avons vu que les SEAT intègrent des acteurs très hétérogènes. La création d’un SEAT entraîne une mise en commun des problématiques des différents groupes d’acteurs et nécessite un décloisonnement dans leur manière de concevoir leur activité46.

L’élaboration d’un langage commun entre eux ne va pas de soi et elle est un préalable à la co-construction du projet collectif. Ces dynamiques sont introduites et portées par un ou plusieurs individus, des « leaders » ou des « médiateurs », ayant à la fois la capacité de mobi- liser l’ensemble des acteurs qui composent le groupe et de jouer un rôle d’interface avec les institutions externes aux territoires. Ce type d’acteur est clairement identifiable dans le cas des projets étudiés. Ainsi le projet miscanthus d’Ammerzwiller a abouti grâce au leadership d’un individu multi-casquettes à la fois agriculteur et élu local, grâce également à une impli- cation forte de la chambre d’agriculture départementale. La SCIC B²E a pu voir le jour grâce à un investissement important de la part d’agents d’organisations professionnelles agricoles.

On retrouve cette notion d’individu leader ou médiateur en filigrane dans plusieurs travaux :

« entrepreneur social » (Friedberg 1993), « animateur territorial » (Gumuchian & Pecqueur 2007), individu « passeur de frontière » (Esposito-Fava 2010). C’est aussi la figure du « maire- entrepreneur » en milieu rural (Muller 1989). Le leader/médiateur revêt différentes dénomi- nations suivant les configurations d’action collective. Nous avons vu que la reconnaissance de la multifonctionnalité des bioénergies était une condition de leur réussite. Cette hybridation de la question énergétique avec une ou des autre(s) enjeux territoriaux est mise en œuvre par des individualités motrices. À quel titre ces individus agissent-ils ? Disposent-ils des outils, moyens et connaissances nécessaires pour emmener l’action collective ?

Ces deux pistes de réflexion interrogent finalement sur les mécanismes de soutien des pouvoirs publics au développement des bioénergies en milieu rural. La reconnaissance de la multifonctionnalité des activités de valorisation énergétique de la biomasse peut servir de base à la construction de modèles innovants. Elle réinterroge le rôle des collectivités locales dans le développement des bioénergies et dans leur capacité à s’insérer dans des dynamiques qui sont développées par et pour leur territoire.

45 Dans les projets étudiés, les acteurs se satisfont d’une approche globale et ne procèdent pas à une évaluation du coût ou de la valeur du service écosystémique rendu.

46 Cela distingue les SEAT de projets de plus grande envergure et construits de manière sectorielle (biocar- burants ou production d’électricité à partir de biomasse).

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