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Géographie Économie Société : Article pp.393-409 du Vol.14 n°4 (2012)

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Géographie, économie, Société 14 (2012) 393-409

doi:10.3166/ges.14.393-409 © 2012 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

géographie économie société géographie économie société

Améliorer la gouvernance territoriale de biens publics environnementaux

au moyen d’institutions discursives Improving the territorial governance of environmental public goods by using

discursive institutions

Jean-Pierre Del Corso et Charilaos Képhaliacos

*

Université de Toulouse, LEREPS, ENFA

2 route de Narbonne à Auzeville, BP 22687, Castanet Tolosan cedex

Résumé

Les auteurs adoptent ici une conception élargie de la gouvernance foncière. Ainsi, dans une pers- pective de développement territorial durable, ils analysent les conditions requises à une redéfinition des droits d’usage sur l’eau, ressource connexe au foncier. Cette analyse s’appuie sur l’exemple de mise en œuvre d’une Mesure Agro-Environnementale Territorialisée (MAET) à enjeu eau dans un territoire du bassin versant de l’Adour-Garonne. Elle montre notamment que le processus commu- nicationnel entre les différents partenaires de la MAET joue un rôle déterminant dans les apprentis- sages conduisant les agriculteurs à adopter de nouvelles règles de gestion des sols et de l’eau. Elle fait ainsi apparaître que le recours aux méthodes délibératives, qualifiées d’institutions discursives, favorise une actualisation des raisons d’agir des agriculteurs et facilite leur adhésion à des valeurs morales ayant trait à la protection de ressources environnementales.

© 2012 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

*Adresse email : charilaos.kephaliacos@educagri.fr - Tél : 05 61 75 32 64

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Summary

The paper claims that the concept of land governance should be enlarged in order to integrate the sus- tainability conditions of the territorial development process. Thus, the analysis focuses on the condi- tions that are required for the necessary redefinition of property rights on water considered here as a resource closely related to the soil. This approach is applied in the example of a Territorialized Agro- Environmental Measure (TAEM) implemented in a territory located inside the water basin of Adour and Garonne Rivers in the Midi-Pyrenees Region, France. The paper shows that the communicational process developed among the different partners implied in the TAEM plays a crucial role in the lear- ning process, itself being a central factor for farmers to adopt new rules concerning the management of soil and water. This process is based on deliberation methods, which are qualified as discursive institutions. As such, they help farmers to update their reasons for acting and adopt improved ethical values concerning the use of environmental resources.

© 2012 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Mots clés : gouvernance, rationalité sociale, processus d’apprentissage, institutions discur- sives, actualisation des raisons d’agir

Keywords: land governance, social rationality, learning process, discursive institutions, upda- ting reasons for action.

Introduction1

Depuis la fin des années 1960, les campagnes françaises enregistrent un regain démogra- phique. Celui-ci trouve principalement son origine dans un solde migratoire devenu struc- turellement positif depuis 1975. Si tous les espaces ruraux ne sont pas affectés de manière uniforme2, la tendance au repeuplement est indéniable. Cette expansion démographique, amplifiée par la forte croissance des résidents secondaires, re-questionne les usages du fon- cier dans les espaces ruraux. Longtemps dédié au seul usage productif de l’agriculture, ce foncier a aujourd’hui vocation à être utilisé à des fins résidentielle et récréative. De plus, avec l’émergence de la préoccupation sociétale du développement durable, les acteurs sont désormais invités à raisonner la gestion des sols, mais également l’ensemble des ressources naturelles qui leur sont associées (eau, biodiversité, paysages, etc.), dans une logique patri- moniale. L’objectif est alors d’assurer la préservation des intérêts des générations futures en leur léguant un patrimoine naturel en état de se renouveler (Godard, 2004).

La multiplication des conflits d’usage (Torre et al., 2002) qui résulte de la coexis- tence de logiques plurielles de gestion et d’utilisation des ressources naturelles n’est pas sans conséquence sur l’activité agricole. Ainsi, l’agronomie3, c’est-à-dire la gestion des champs au sens étymologique du terme, est de plus en plus appelée à prendre en

1 Cet article a été réalisé dans le cadre du projet de recherche EAUSAGE financé par le programme PSDR 3 et le CRRDT de la Région Midi-Pyrénées. Les auteurs remercient les relecteurs anonymes de la revue pour leurs remarques et conseils qui nous ont aidés à améliorer notre article.

2 Comme le font apparaître les études de l’INSEE, ce sont les espaces ruraux situés à proximité de zones urbaines dynamiques qui enregistrent les gains de population les plus importants.

3 Agronomie du grec agros=champ et nemein=gérer, organiser.

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compte les interdépendances entre l’exploitation des sols agricoles et l’utilisation des autres ressources naturelles.

Les Mesures Agro-Environnementales (MAE) mises en place par les instances publiques européennes, dès 1992, visent à promouvoir une telle évolution. Avec ce dispositif institu- tionnel, les pouvoirs publics cherchent à inciter les professionnels du monde agricole à un usage davantage raisonné des ressources naturelles. En cela, les MAE peuvent accompa- gner une nouvelle répartition entre acteurs des droits et des obligations sur des ressources privatives et collectives (sol, capital technique, engrais, pesticides, eau, etc.), et, partant, améliorer la gestion territoriale de biens publics environnementaux. Cependant, comme le souligne un rapport récent du Conseil Général de l’Agriculture, de l’Alimentation et des Espaces Ruraux (CGAAER, 2009b), leur efficacité est conditionnée par l’adhésion des agri- culteurs. Or, celle-ci est loin d’être acquise. En contractualisant une MAE, les agriculteurs craignent notamment de perdre la maîtrise des pathologies végétales et, de ce fait, d’être exposés à un certain nombre de risques et d’incertitudes économiques (pertes de rende- ments, déclassement des récoltes, etc.). Le CGAAER (2009b) en déduit qu’une plus grande adhésion des agriculteurs aux MAE passe par un renforcement des actions d’animation et de conseil conduites sur le terrain. Ces actions doivent stimuler les apprentissages indivi- duels et collectifs et préparer les acteurs professionnels du monde agricole à affronter les risques et incertitudes générés par un changement de pratiques. Pour le CGAAER (2009a), ces apprentissages peuvent être soutenus par la communication entre acteurs. Cet organisme affirme, en effet, que c’est « la communication qui détermine les choix ». Elle est donc considérée comme centrale pour enrôler les agriculteurs dans une MAE.

Dans cet article, notre intention est de prolonger et de compléter cette réflexion. Pour cela, nous proposons d’analyser de manière plus approfondie le rôle spécifique de la communication dans les apprentissages qui conduisent à l’acceptabilité de nouvelles règles collectives d’utilisation des sols et de l’eau. Nous porterons notre attention sur un nouveau type de MAE appelé Mesure Agro-Environnementale Territorialisée-Directive Cadre sur l’Eau (MAET-DCE). Le dispositif MAET-DCE a été instauré en 2007. Du fait de son caractère territorialisé, il est de nature à fédérer les énergies locales autour de la recherche de solutions communes aux problèmes de dégradation de la qualité de l’eau.

Les MAET : quelques éléments de repérage du dispositif

Les Mesures Agro-Environnementales (MAE) ont été introduites en Europe à l’occasion de la réforme de la Politique Agricole Commune (PAC) de 1992. Il s’agit de contrats volontaires dans le cadre desquels les agriculteurs s’engagent à protéger et valoriser les ressources naturelles (eau, sol, biodiversité, etc.). En contrepartie de leur engagement, ils perçoivent une rémunération pour la prestation de services environnementaux fournie.

Les MAE relèvent aujourd’hui de la politique européenne de développement rural. Au nom du principe de subsidiarité, chaque pays décline cette politique en l’adaptant à ses spécificités nationales. Ainsi, en France, les MAE font partie du Programme de Développement Rural Hexagonal (PDRH). Celui-ci s’articule autour de 9 dispositifs, dont la conversion à l’agriculture biologique, le maintien de l’agriculture biologique

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(dispositifs régionaux) et les MAE Territorialisées (MAET). Ciblées sur deux enjeux environnementaux, le maintien de la biodiversité et la préservation de la ressource en eau, les MAET se différencient des autres types de MAE appliquées en France par leur caractère territorialisé. En effet, il s’agit d’un dispositif qui concerne des territoires précis au sein de zones d’action prioritaires, notamment les sites Natura 2000, et les bassins versants prioritaires définis au titre de la Directive Cadre sur l’Eau (DCE). Dans chacun des territoires éligibles, les MAET sont pilotées par un porteur de projet local.

L’objectif est ainsi de favoriser leur adaptation au contexte et aux enjeux des territoires.

De plus, afin d’améliorer la lisibilité et la cohérence du dispositif, chaque MAET ne comporte qu’un nombre réduit de mesures pouvant être souscrit par les agriculteurs.

L’exemple de mise en œuvre d’une MAET-DCE dans un territoire du bassin versant de l’Adour-Garonne servira de support à nos investigations. Nous procéderons en trois étapes :

- Nous commencerons par présenter notre cadre théorique. Celui-ci s’appuie sur une approche institutionnaliste, et plus particulièrement sur les contributions complémen- taires de Bromley (1998) et de Vatn (2005 ; 2009a ; 2009b ; 2010). Sur la base de ces contributions, nous poserons que la gestion des biens publics environnementaux impose une coopération entre acteurs. Nous préciserons que celle-ci peut être favori- sée par la mise en place de structures institutionnelles appropriées. C’est à ce titre que nous nous intéresserons au rôle spécifique des institutions discursives dans le proces- sus qui conduit les acteurs à actualiser leurs raisons d’agir. Par rapport aux travaux des économistes précités, nous considérons toutefois que la réussite de ce processus impose conjointement : une révision des choix individuels/stratégiques des acteurs impliqués, l’adoption par ceux-ci de nouveaux principes moraux et une refondation de leur identité professionnelle. Nous mobiliserons alors la théorie habermassienne de l’agir communicationnel (Habermas, 1987) pour justifier le bien-fondé de notre perspective analytique et définir notre cadre méthodologique.

- Puis, nous décrirons notre terrain d’étude, un sous bassin versant du bassin de l’Adour-- Garonne, et nous mettrons en évidence le caractère innovant de la MAET- DCE que nous étudions dans cet article.

- Enfin, nous présenterons les principaux résultats obtenus. Nous accorderons une place centrale à l’analyse du processus communicationnel à l’œuvre entre les diffé- rentes parties prenantes à la MAET-DCE étudiée, à savoir : des agriculteurs et des conseillers en agriculture. Nous montrerons que le processus communicationnel, en stimulant les collaborations cognitives entre acteurs, facilite l’adhésion des agricul- teurs à un projet collectif de gestion de la ressource en eau, appréhendé ici comme une composante à part entière de la gouvernance foncière territoriale.

1. Gouvernance territoriale des biens publics environnementaux : quels défis ? Dans cette section, nous mettrons d’abord en évidence que les caractères de biens publics des ressources naturelles imposent une coopération entre acteurs. Puis, nous mon- trerons que cette coopération est très largement influencée par le contexte institutionnel

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dans lequel les acteurs évoluent. Nous centrerons alors notre attention sur le rôle spéci- fique des institutions qualifiées de discursives dans l’adoption par les acteurs d’une ratio- nalité sociale ou coopérative. Enfin, pour expliciter les fonctions de ce type d’institutions, nous aurons recours au modèle de l’agir communicationnel d’Habermas (1987). C’est en nous fondant sur celui-ci que nous exposerons notre cadre méthodologique.

1.1. Biens publics environnementaux : l’exigence d’une coopération entre acteurs Pour de nombreux analystes, la complexité des relations de cause à effet dans le monde naturel ne permet pas de prévoir toutes les conséquences engendrées par tel ou tel choix technique. Lemons (1998) en déduit que dans de tels contextes de choix les acteurs sont confrontés à une ignorance irréductible. Cette situation remet en cause la répartition tra- ditionnelle des rôles entre l’expert et les autres acteurs. L’expert n’apparaît plus comme le seul détenteur du savoir. Si les connaissances techniques dont il dispose peuvent contri- buer à éclairer différentes options de choix, elles n’en restent pas moins insuffisantes pour lui permettre d’imposer une solution standardisée et collectivement acceptée pour résoudre les problèmes environnementaux. Ainsi, pour Callon et al. (2001), l’absence de solution technique incontestable rend nécessaire une articulation entre des connaissances plurielles, expertes et profanes, et un partage d’expériences variées. C’est d’ailleurs pour- quoi Vatn (2009a, p. 2212) avance que : « Complexity implies not only high demands on information. It also implies that the topics involved can be viewed from many dif- ferent perspectives ». Il en résulte donc que le traitement de la question environnementale implique une coopération entre acteurs.

Cette coopération est d’autant plus cruciale que les décisions prises dans le domaine environnemental ont d’importantes implications sociales. En effet, de nombreuses res- sources naturelles revêtent des caractères de biens publics. Du fait de leur non rivalité et de leur non exclusivité, ces ressources peuvent assurer des fonctions plurielles et souvent concurrentes (fonctions productives, récréatives/résidentielles et écologiques). En consé- quence, privilégier socialement une fonction peut compromettre l’exercice d’autres fonc- tions. Ainsi, par exemple, l’octroi d’aides publiques aux cultures irriguées a certes permis de renforcer l’efficacité productive de l’eau et des sols. Cependant, ce choix a été préju- diciable au maintien de la diversité de l’avifaune et de l’aquafaune et à la préservation de certains aquifères. Il s’est donc effectué au détriment de la fonction écologique de l’eau.

De fait, comme l’affirme Vatn (2005, 2009), les choix en matière d’environnement sont inévitablement moraux. Ils supposent d’arbitrer entre des systèmes de légitimité pluriels et entre des options très souvent incommensurables, car difficilement évaluables de manière uniforme. Selon Bromley (1998), la méconnaissance des préférences et des valeurs des générations futures accentue le caractère moral des choix effectués. En effet, les niveaux attendus de bien-être ne peuvent être extrapolés à partir de critères de durabilité présumés universels. Dès lors, pour ce même auteur, l’objectif de développement durable n’est pas compatible avec une logique d’optimisation des ressources à transmettre aux générations futures. L’atteinte de cet objectif impose plutôt de raisonner les valeurs essentielles à leur léguer. Bromley (ibid.) parle à ce propos de legs sociaux.

En définitive, Bromley (1998) comme Vatn (2010), s’accordent à considérer que la coopération entre acteurs est indispensable pour traiter la question de la durabilité.

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Cependant, pour ces deux auteurs, cette coopération n’a rien de spontané. Elle est condi- tionnée par la capacité des acteurs à construire un ordre adéquat pour collaborer entre eux et parvenir à une entente sur des valeurs jugées prioritaires dans le domaine de l’environ- nement naturel. Le concept de gouvernance va nous permettre à présent de clarifier les enjeux relatifs à la construction de cet ordre.

1.2. Rationalité coopérative et institutions discursives

A partir du concept de gouvernance nous mettons en évidence l’influence du contexte institutionnel sur les préférences des acteurs. Cela nous conduit à définir le rôle par- ticulier d’institutions qualifiées de discursives dans l’activation par les acteurs d’une rationalité sociale ou coopérative.

1.2.1. Contexte institutionnel et rationalité

Pour Vatn (2010), la gouvernance, en tant qu’ordre construit, sous-tend la formation de structures institutionnelles, c’est-à-dire de structures significatives de règles, grâce auxquelles seront définies des priorités sociales, résolus les conflits entre acteurs et sera organisée la coordination entre eux. Si l’on suit cet auteur, le choix de ces struc- tures est capital. En effet, les institutions ont la propriété de renseigner les acteurs sur la logique de la situation dans laquelle ils se trouvent. Elles les informent sur les circonstances dans lesquelles ils agissent, sur le type de raisonnement à conduire et les comportements attendus (Vatn, 2009a). En d’autres termes, les institutions contribuent à instaurer des contextes de rationalité. À ce titre, elles ont le pouvoir d’influencer les préférences et les valeurs des acteurs (Vatn, 2009b). Ainsi, selon les spécificités du contexte institutionnel, ceux-ci pourront privilégier, soit leurs seuls intérêts individuels, soit l’intérêt collectif (Vatn, 2009a ; Vatn, 2009b). Cette perspective va alors de pair avec l’adoption d’une conception plurielle de la rationalité. Celle-ci ne saurait plus être comprise dans le sens restrictif de rationalité instrumentale ou individuelle mais égale- ment dans celui de rationalité coopérative ou sociale (Vatn, 2005). Dans cette acception élargie, le respect des normes sociales et l’engagement moral deviennent des raisons possibles de l’action, autrement dit des raisons d’agir. Le comportement des acteurs est alors davantage coopératif et beaucoup moins stratégique et opportuniste.

L’influence des institutions sur les préférences et les raisons d’agir des acteurs est ici importante à prendre en compte. En effet, comme nous l’avons précisé, l’environnement naturel est un domaine typique dans lequel les considérations morales sont appelées à jouer un rôle essentiel. Pour Godard (2004), une gestion patrimoniale des ressources naturelles impose une prise de distance vis-à-vis de l’économisme. Autrement dit, il ne s’agit plus de gérer le patrimoine naturel dans un objectif d’accumulation de la valeur, mais dans celui de transmission aux générations futures. La gestion patrimoniale va alors de pair avec une responsabilisation des acteurs à l’égard d’autrui, chacun d’entre eux devant agir en intégrant des valeurs collectives dans ses choix d’action. Appliqué au foncier agricole, cela signifie que l’espace, en tant que patrimoine naturel, ne doit pas seulement être géré dans une logique de valorisation économique, mais également dans une logique de reproduction de ses différentes propriétés fonctionnelles  : qua- lité des eaux, conservation d’un paysage, prévention contre les risques naturels, etc.

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(Gueringuer, 2008). Dès lors, en suivant Bromley (1991) et Vatn (2010), il est possible de déduire que la prise en compte de ces deux logiques remet en cause, la présupposée supériorité (efficience) du régime de propriété privée comme mode de gestion privilégié du foncier agricole. Cette perspective conduit à poser que la finalité principale d’une gouvernance foncière territoriale est de reconnecter les fonctions économiques et éco- logiques aujourd’hui séparées (Vatn, ibid.).

Comme nous venons de la voir, la reconnexion de ces deux fonctions exige, de la part des acteurs, l’adoption d’une rationalité sociale ou coopérative. Il reste cependant à déter- miner le type de structure institutionnelle apte à promouvoir cette forme de rationalité.

Répondre à cette question, va nous conduire à centrer notre attention sur le rôle spécifique de la communication dans l’actualisation des raisons d’agir des acteurs.

1.2.2. De l’intérêt de recourir aux institutions discursives

Pour Vatn (2005, 2009a), l’émergence et la mise en œuvre d’une rationalité coopé- rative ou sociale requièrent la communication entre acteurs. En effet, celle-ci permet idéalement de soutenir une forme de raisonnement commun propice à l’intercompré- hension et aux coopérations entre acteurs. Pour favoriser cette communication, Vatn préconise de recourir à des méthodes délibératives (jurys de citoyens, groupes cible de discussion, conférences de consensus, etc.). Ces méthodes qu’il qualifie d’institutions discursives permettent, selon lui, la création d’espaces de discussion et d’expression de points de vue variés. Elles peuvent donc favoriser une gestion concertée des biens environnementaux par des acteurs multiples.

Ainsi, s’appuyant sur le cas de la gestion conflictuelle des zones côtières en Norvège, Soma et Vatn (2009) montrent, par exemple, comment la mise en place d’un débat public entre divers acteurs impliqués, propriétaires fonciers, élus, promeneurs, etc., incite chacun d’entre eux à examiner le problème environnemental à partir d’une perspective collec- tive. S’appuyant sur le paradigme habermassien (Habermas, 1987), leurs analyses mettent en évidence qu’au cours du processus communicationnel, les acteurs adoptent des rôles (par exemple, celui de citoyen au détriment de ceux de consommateurs ou de proprié- taires) qui les conduisent à délégitimer la poursuite de certains de leurs buts personnels.

Par exemple, les propriétaires fonciers réexaminent la légitimité de leur revendication d’étendre le droit à bâtir au regard des attentes des autres catégories d’acteurs. Ils déve- loppent un raisonnement sur les normes sociales les plus appropriées pour répondre au mieux aux besoins de l’ensemble des membres de la communauté. Ce raisonnement n’est pas le produit d’un acteur isolé, mais le résultat de la dynamique des interactions avec les autres. En conséquence, c’est dans le cadre du débat argumenté que les acteurs sont en mesure de surmonter les conflits entre des valeurs incommensurables et d’atteindre un accord sur des principes universels d’action.

Dans la partie suivante, nous prenons appui sur les travaux de Soma et Vatn (ibid.).

Cependant, par rapport à ces auteurs, nous proposons une utilisation plus approfondie du modèle habermassien de l’agir communicationnel (Habermas, 1987). Cet approfondisse- ment doit nous servir à spécifier théoriquement et empiriquement les fonctions pouvant être assurées par la communication lors d’un changement institutionnel et technique. Ce changement concerne ici la mise en place de nouvelles mesures de politiques publiques dans le domaine de l’eau et ses implications sur les pratiques agricoles.

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1.3. L’agir communicationnel au centre de notre méthodologie

Après avoir présenté le modèle habermassien de l’agir communicationnel, nous préci- sons notre méthodologie. Celle-ci doit nous permettre : d’une part, d’accéder aux raisons d’agir dans des discours d’acteurs (ici des agriculteurs et des conseillers agricoles), et, d’autre part, d’analyser le rôle de la communication dans l’actualisation des raisons d’agir de ces acteurs.

1.3.1. Quels enseignements tirer de la théorie de l’agir communicationnel ?

Par agir communicationnel, Habermas (1986, p. 79) entend l’activité orientée vers l’in- tercommunication, c’est-à-dire l’activité dans laquelle « chacun est motivé rationnellement par l’autre à agir conjointement  ». C’est pourquoi, cet auteur parle de rationalité com- municationnelle. Il l’appréhende comme une procédure par l’argumentation qui offre aux acteurs une voie spécifique pour traiter leurs dissensions (Habermas, 1987). En cherchant à s’accorder sur la façon d’interpréter les éléments contenus dans une situation singulière, les participants à une discussion mettent conjointement à l’épreuve les savoirs qui fondent leur agir. La validité de ces savoirs est réinterrogée sous leurs trois aspects : de vérité, de justesse normative et de sincérité4. Par exemple, dans le cas examiné dans cet article5 :

- Un locuteur peut prétendre que la multiplication des traitements préventifs est la seule réponse possible pour lutter efficacement contre les ennemis des cultures et se prémunir ainsi du risque lié à une perte de récoltes. Pour les autres participants à la discussion, est-ce vrai ? Est-ce erroné ?

- Un locuteur peut avancer que recycler l’eau ayant servi à nettoyer les pulvérisateurs est une norme de comportement à respecter impérativement. Pour les autres partici- pants à la discussion, est-ce juste ?

- Un locuteur peut défendre que la présence de mauvaises herbes dans les parcelles est incompatible avec l’expertise associée au métier de cultivateur. Pour les autres participants à la discussion, cette conception subjective du métier est-elle authentique et sincère ?

En conséquence, la rationalité communicationnelle a une fonction éminemment réflexive. En plaçant les interlocuteurs dans une attitude hypothétique vis-à-vis du savoir problématisé, elle est à même de faciliter, grâce aux processus d’apprentissage qu’elle ini- tie, une actualisation de leurs raisons d’agir. C’est pourquoi, notre méthodologie d’analyse du processus d’actualisation découle de la théorie de l’agir communicationnel d’Habermas.

1.3.2. Identifier les raisons d’agir dans les discours d’acteurs par le biais des modalisations

Reposant sur la théorie de l’agir communicationnel, notre méthodologie vise à analyser le rôle de l’intercommunication dans le processus qui conduit des acteurs à re-question- ner le bien-fondé de techniques jusque-là employées (leur vérité), à intégrer des valeurs collectives dans leur choix d’action (leur justesse normative) et à réviser leur conception

4 Pour Habermas (1987), la vérité des faits énoncés, la justesse de normes et la sincérité relèvent de trois mondes distincts qu’il appelle respectivement le monde objectif, le monde social et le monde subjectif.

5 Les trois types de prétentions à la validité auxquels nous nous référons ci-dessous correspondent à autant de points de vue exprimés par des agriculteurs que nous avons interviewés sur le terrain.

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d’exercice du métier d’agriculteur (leurs expériences subjectives). Pour rendre opératoire cette méthodologie, nous aurons recours à des outils langagiers appelés les modalisations.

Les modalisations sont des évaluations portées par un locuteur sur le contenu proposi- tionnel de son énoncé. À la suite de Bronckart (1997), nous distinguerons trois fonctions de modalisation qui s’inspirent de la théorie des trois mondes d’Habermas (monde objec- tif, monde social, monde subjectif) :

- Les modalisations logiques : les évaluations du contenu propositionnel sont réalisées en référence aux critères de validité émanant du monde objectif. Les éléments de ce contenu sont alors présentés comme des faits avérés, probables, éventuels, etc. Dans les énoncés, ces évaluations se traduisent par l’emploi d’expressions du type : sans aucun doute, certainement, probablement, peut-être, etc.

- Les modalisations déontiques : les évaluations du contenu propositionnel sont réa- lisées en référence aux valeurs, normes, règles constitutives du monde social. Ces évaluations se traduisent par l’emploi d’expressions du type  : il est obligatoire, il faut, il est permis, etc.

- Les modalisations appréciatives  : les évaluations du contenu propositionnel sont réalisées en référence aux expériences subjectives de l’acteur. Ces évaluations se traduisent par l’emploi d’expressions du type : c’est heureux, c’est dommage, mal- heureusement, etc.

Dans l’analyse de discours à laquelle nous procéderons (cf. 4), les modalisations auront deux utilités.

- D’une part, elles nous serviront à clarifier le positionnement des acteurs en présence (agriculteurs et conseillers agricoles) vis-à-vis des nouvelles attentes sociétales dans le domaine environnemental. Nous serons ainsi en mesure de repérer la place des valeurs collectives, celles du développement durable, dans le processus de décision de ces acteurs.

- D’autre part, ces modalisations nous permettront d’accéder aux jugements portés par les agriculteurs sur l’action collective impulsée par la coopérative agricole chargée de piloter la MAET-DCE au centre du cas examiné. Cet accès, nous renseignera sur les capacités de la coopérative à réduire les tensions entre la rationalité instrumentale/

individuelle et la rationalité sociale/coopérative.

Avant cela, nous proposons de caractériser notre terrain d’étude.

2. Un sous bassin versant de l’Adour-Garonne comme terrain d’étude

Après avoir précisé les principaux défis environnementaux que doivent relever les acteurs du bassin versant Adour-Garonne, territoire support à nos analyses, nous mettons en évidence l’originalité de la MAET-DCE étudiée ici.

2.1. La maîtrise qualitative de l’eau : un enjeu de gouvernance territoriale crucial dans le bassin versant Adour-Garonne

Notre terrain d’étude est situé dans le bassin de l’Adour-Garonne. S’étendant sur deux régions, l’Aquitaine et Midi-Pyrénées, ce bassin versant est confronté à un grave problème de qualité de l’eau. La maîtrise de la gestion qualitative de cette ressource

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devient un enjeu de gouvernance territoriale d’autant plus important que, selon les pré- visions de l’INSEE, la population devrait s’accroître de 16 % en moyenne dans le ter- ritoire de l’Adour-Garonne. L’agriculture est particulièrement concernée par cet enjeu dans la mesure où 70 % des masses d’eau superficielles et 38 % des masses d’eau souter- raines sont impactées par cette activité économique (AEAG, 2010). Les études de terrain mettent en évidence que les pollutions diffuses par les phytosanitaires sont aujourd’hui les principales causes de la dégradation de la qualité de l’eau dans un nombre croissant de points de captage.

Face à cette situation, le Fonds Européen de Développement Régional (FEDER) et l’Agence de l’Eau Adour-Garonne (AEAG) ont, dans la région Midi-Pyrénées, consenti d’importants efforts financiers pour soutenir la mise en œuvre de MAET-DCE. Malgré ces efforts, les agriculteurs de ce bassin versant n’ont pas, jusqu’à présent, modifié leurs pratiques en profondeur. Les enquêtes réalisées auprès de ces derniers montrent que le recours à des techniques curatives alternatives, comme par exemple le désherbage méca- nique par herse étrille, les rotations courtes, etc., est encore peu répandu. Ce phénomène concerne également les techniques les moins contraignantes, telles la lutte phytosani- taire raisonnée, l’adaptation de la fertilisation aux objectifs de rendement, le zéro labour : moins de 20 % des agriculteurs les ont adoptées.

Partant de l’expérience relativement réussie d’une MAET-DCE portée par une coo- pérative localisée dans un sous bassin versant du bassin de l’Adour-Garonne, nous cher- cherons à comprendre comment les freins à l’adoption de nouvelles pratiques agricoles peuvent être dépassés. Pour des raisons de simplification et de confidentialité, nous utili- serons, dans la suite des développements, le nom d’emprunt de «Coopvert» pour désigner la coopérative au centre de la MAET étudiée.

2.2. Une coopérative au centre de la mise en œuvre d’une MAET-DCE

La coopérative dont nous examinons l’action est une structure de taille moyenne qui regroupe 1 500 agriculteurs exploitant plus de 45 000 ha. Cette coopérative propose à ses adhérents des services de collecte, d’approvisionnement en intrants, de fabrication d’ali- ments de bétail, de production de volailles et de démonstration. Dans le passé, Coopvert a accompagné diverses démarches contractualisées, en vue de promouvoir la production de blé dur de qualité et le développement de cultures biologiques. Sa participation à la mise en place de Contrats Territoriaux d’Exploitation (CTE) collectifs lui a également permis au début des années 2000 d’être associée à la mise en œuvre concrète d’une mesure de politique publique contractuelle.

C’est en s’appuyant sur ces différents domaines d’expérience que Coopvert a pris l’initiative en 2009 de porter, aux côtés de la Direction Régionale de l’Agriculture, de l’Alimentation et de la Forêt (DRAAF), un projet de MAET-DCE. Le projet est axé sur un objectif unique de réduction des produits phytosanitaires utilisés en grandes cultures.

Ce programme de réduction progressive du nombre de doses homologuées de traitements herbicides et non herbicides bénéficie d’un dispositif d’accompagnement et d’appren- tissage des pratiques proposées. Celui-ci prend la forme d’un suivi individuel destiné à aider l’agriculteur à raisonner ses pratiques phytosanitaires. Des actions d’animation collective sur le terrain complètent le dispositif d’accompagnement piloté par Coopvert.

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L’ensemble de ce service de conseil est facturé 25€/ha à l’agriculteur. La prime octroyée aux agriculteurs en contrepartie de leur engagement dans la MAET compense néanmoins cette contribution financière.

L’objectif initial de Coopvert était de recruter en trois ans 90 agriculteurs contractants parmi ses adhérents et d’obtenir une contractualisation sur 60 % de la SAU de chaque exploitation, prioritairement sur des parcelles localisées à moins de 1,5 kilomètre de la rivière. Moins de deux ans après son lancement le projet se révèle être un succès puisque plus de 120 adhérents de la coopérative ont contracté une MAET et font l’objet du suivi organisé par la coopérative.

Cette expérience originale de MAET-DCE nous servira à analyser comment la com- munication influence les agriculteurs à changer leurs pratiques dans le sens d’une meil- leure préservation de la qualité de l’eau.

3. Comment Coopvert accompagne-t-elle les agricultueurs à actualiser leurs raisons d’agir ?

Notre matériau d’analyse se compose d’entretiens réalisés entre mai et septembre 2009 avec les deux conseillers agricoles impliqués dans la mise en œuvre du projet MAET- DCE et 17 agriculteurs adhérents contractants la MAET-DCE.

À partir de ce matériau, nous cherchons à comprendre comment le processus commu- nicationnel entre acteurs soutient les apprentissages individuels et collectifs et contribue à une actualisation des raisons d’agir des agriculteurs.

Pour cela, nous repérons les modalisations présentes dans les discours d’acteurs trans- crits. Chaque modalisation est surlignée en gras et sa nature est précisée entre crochets : [ML] pour modalisation logique, [MD] pour modalisation déontique et [MA] pour moda- lisation appréciative.

3.1. Construire la « vérité » des techniques alternatives pour inciter les agriculteurs à intégrer des valeurs morales dans leurs choix d’action

La question morale occupe une place centrale dans le discours des conseillers de Coopvert comme en atteste l’énoncé qui suit. Dans cet énoncé, le conseiller interviewé indique clairement son intention d’accompagner les agriculteurs vers la reconnaissance de nouvelles responsabilités sociales : « Moi, par rapport à cette opération […], mon objectif c’est d’arriver à faire prendre conscience aux agriculteurs qui se sont engagés, de leur impact sur la qualité de l’eau ».

Par l’emploi de modalisations appréciatives et logiques, ce même conseiller insiste sur le fait que l’amélioration de la qualité de l’eau est l’objectif prioritaire de la MAET-DCE.

D’ailleurs, de manière très explicite, même s’il est amené à nuancer son propos6, il posi- tionne l’enjeu social de la qualité de l’eau avant même l’enjeu économique de préservation du revenu des agriculteurs. « Pour moi, c’est le plus gros… l’enjeu le plus important [MA] : leur faire prendre conscience par rapport à la qualité de l’eau et d’essayer d’arriver à avoir l’impact que l’opération aura sur la qualité de l’eau par rapport à la station de

6 Il le fait, d’ailleurs, à la suite d’une intervention de l’intervieweur : « je suis d’accord avec vous ».

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captage. […]. Economiquement, il faut qu’ils, je suis d’accord avec vous, il faut qu’ils s’y retrouvent. […]. Mais la finalité, pour moi, c’est quand même [MA] la qualité de l’eau ».

[…] demain ça sera quand même [MA] l’eau qui sera un enjeu encore plus important [MA], sans doute [ML], que la nourriture.

Encourager les agriculteurs à modifier leur rationalité, n’est cependant pas une tâche aisée pour les conseillers de Coopvert. Cette modification bute sur des freins d’ordre psy- chologique et économique. Ainsi, les agriculteurs adoptent le plus souvent une position défensive par rapport aux mesures agro-environnementales. Le commentaire suivant d’un des agriculteurs enquêtés reflète assez bien l’état d’esprit de l’ensemble des exploitants agricoles rencontrés : « Grenelle et compagnie, tu vois, ça ce n’est pas trop bien vu. Tu sais c’est une vaste... Il fallait [MD] le faire mais, enfin… C’était dans l’air du temps, ils l’ont bien fait pour les dernières élections, tu vois… mais après ? ». Ce commentaire traduit un sentiment désabusé vis-à-vis des orientations actuelles de la politique publique.

En l’occurrence, l’exploitant conçoit les nouvelles règles de gestion des ressources natu- relles comme des contraintes imposées de l’extérieur aux acteurs du monde agricole.

Les agriculteurs expriment à cet égard leurs craintes que les MAET ne soient à terme utilisées par les pouvoirs publics pour renforcer les obligations environnementales pesant sur les exploitations agricoles. Dans l’énoncé qui suit, nous retrouvons le même senti- ment d’extériorité vis-à-vis de la mesure MAET que celui relevé dans l’extrait d’entretien précédent : « Les MAET, je pense que [MA] c’est un bon truc, si ça peut faire diminuer les doses, et un mauvais truc à la fois, parce que, s’ils voient qu’on peut [ML] diminuer les doses, je suis persuadé, moi [MA], qu’ils vont nous les faire diminuer ». Cet énoncé met clairement en évidence une opposition vécue entre le « ils », c’est-à-dire les pouvoirs publics et le « nous », les agriculteurs. Autrement dit, le pouvoir d’action des instances publiques, à travers leur capacité à édicter de nouvelles règles d’usage des ressources naturelles est considéré comme devant, ultérieurement, s’exercer au détriment des intérêts économiques des agriculteurs.

C’est pourquoi, les agriculteurs appréhendent les nouvelles exigences environnemen- tales comme une menace pour la survie économique de leurs exploitations agricoles. Aussi, ils sont davantage préoccupés par les coûts et les bénéfices privés à court terme que par les bénéfices collectifs à long terme. La contractualisation à la MAET est avant tout présentée comme un moyen pour anticiper une révision, jugée inéluctable, des politiques publiques.

Cette priorité est récurrente dans les discours des agriculteurs. La réponse suivante de l’un d’entre eux, interrogé sur les raisons de son engagement dans la MAET, en est une illustra- tion parmi d’autres : « […] c’est surtout en préparation pour 2013. De toute façon, on sera obligé [MD] pour la PAC d’avoir à diminuer de 50 % pour les produits phyto ». […] c’est une anticipation avec un accompagnement et une subvention ». Aussi, dans cet énoncé, l’agriculteur considère-t-il que les aides publiques consenties dans le cadre de la MAET et l’appui technique, dont il bénéficie de la part de Coopvert, peuvent renforcer sa capacité à affronter un durcissement de la réglementation environnementale.

Si les obstacles à un changement de rationalité sont réels, il n’en reste pas moins que des infléchissements relatifs à la prise en compte de la composante morale dans le rai- sonnement des agriculteurs sont observables. Ainsi, il est indubitable que la préservation de l’environnement est devenue pour les agriculteurs une préoccupation qu’ils partagent avec les autres membres de la société. Ce que leurs discours révèlent, c’est avant tout la

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difficulté qu’ils éprouvent à concilier la défense de leurs intérêts personnels à celle de valeurs morales auxquelles ils souscrivent désormais. Cette tension entre l’intérêt indi- viduel et l’intérêt général est permanente dans leurs discours. De fait, comme l’illustrent les extraits d’entretiens précédents, chaque fois que les agriculteurs perçoivent que leurs intérêts professionnels sont directement en jeu, ils ont tendance à prendre une position défensive vis-à-vis des nouvelles réglementations environnementales. Les règles instau- rées sont alors vécues comme des règles de contrainte pouvant pénaliser la poursuite de leur activité économique. Par contre, les mêmes acteurs reprennent à leur compte les valeurs collectives de protection de l’environnement, dès qu’ils estiment que cette menace vis-à-vis de leurs intérêts professionnels s’éloigne et/ou qu’ils ont le sentiment de disposer de solutions techniques alternatives pour opérer un changement de pratiques.

Les valeurs collectives relatives à la protection de l’environnement deviennent alors des normes sociales intériorisées dont ils se servent pour porter, par exemple, un jugement sur les pratiques agricoles d’un voisin comme l’illustre l’énoncé suivant : « J’ai un voisin qui a de la flotte, qui irrigue. Lui, il est au moins au 10ème tour. Oui et puis, c’est pas de petits tours qu’il fait. Moi, je trouve que [MA] c’est gaspiller de l’eau ». Ce commentaire traduit l’acceptation par l’agriculteur concerné de nouvelles règles d’utilisation de l’eau.

Comme nous l’avons par ailleurs constaté (Nguyen et al., 2013), lorsque les percep- tions des exploitants vis-à-vis de l’incertitude évoluent, ils peuvent s’engager d’eux- mêmes dans des démarches non encore obligatoires. Dans l’extrait d’entretien ci-dessous, l’agriculteur est interrogé sur ses projets d’investissement. Parmi ceux-ci, il prévoit la réa- lisation d’une aire de remplissage comportant des bacs de rétention des matières toxiques.

Pour justifier son projet, cet agriculteur ne met pas en avant des obligations légales, mais se réfère avant tout à des devoirs moraux.

A7 : « Là, je vais faire mon aire de remplissage avec des bacs de rétention ».

I8 : « Je ne sais pas comment ça marche au niveau des normes. Ils contrôlent quand même après ? ».

A : « Non, non, non. Ça, c’est pour nous, pour après avoir derrière de l’eau propre qui coule dans le champ. […]. Je trouve que [MA] c’est ce qu’il faut [MD] faire derrière.

Parce que c’est vrai que [ML] quand on nettoie on balance toujours… […]. C’est pour ça que je trouve [MA] qu’il faudrait [MD] nettoyer, il faut [MD] faire un nettoyage plus important [MA] et traiter notre flotte, voilà ! ».

L’emploi récurrent du verbe falloir traduit les impératifs moraux sous-jacents à cette décision d’investissement. Aussi, cet énoncé fournit-il une bonne illustration de mise en œuvre d’une forme de rationalité sociale/coopérative dans laquelle l’agriculteur s’engage moralement et reconnaît les droits d’usage des autres acteurs sur la ressource en eau. Ce type de comportement, qui accompagne la reconnaissance de nouvelles normes sociales et une refondation de l’identité professionnelle, nous semble préparatoire à la mise en place d’une gouvernance territoriale des ressources naturelles.

Pour instaurer un contexte de rationalité sociale/coopérative, Coopvert mobilise plu- sieurs ressources. C’est ce que nous allons voir maintenant.

7 Agriculteur.

8 Intervieweur.

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3.2. Le processus communicationnel au cœur des apprentissages

Coopvert n’est pas dépourvue d’atouts pour susciter une actualisation des raisons d’agir des agriculteurs. Ce pouvoir d’actualisation de Coopvert n’est pas fondé sur la per- suasion ou le rapport de force. Il trouve principalement son origine dans l’expertise que cette coopérative a acquise au cours du temps, et notamment dans le dialogue, empreint de confiance, que la coopérative a su nouer avec ses adhérents. Les méthodes délibéra- tives et le sens de l’écoute en vigueur au sein de cette coopérative ont ainsi contribué à renforcer le sentiment d’appartenance des agriculteurs à la coopérative. Aussi, Coopvert dispose-t-elle d’une forte légitimité auprès des agriculteurs, comme en attestent les pro- pos tenus par l’un d’entre eux : « Je crois que [ML] Coopvert ça reste une coopérative familiale. Je pense que [MA] c’est encore le truc. Je pense que [MA] ce qui les sauve c’est ça : c’est d’être très proche de nous et de vraiment [MA] être à l’écoute. A eux de passer devant et de dire : « Voilà, il faut faire ça. Il y a des nouveautés ».

Ainsi, c’est en s’appuyant sur ce capital de confiance construit dans des interactions continues avec ses adhérents que Coopvert a réussi à enrôler les agriculteurs dans des actions collectives visant à modifier les pratiques agricoles. Les modalisations présentes dans l’énoncé suivant traduisent bien cette capacité d’enrôlement de la coopérative.

Dans cet énoncé, l’agriculteur présente sa participation passée au CTE et la MAET-DCE actuelle comme un fait d’évidence : « Coopvert, […], je dois dire [MA] qu’ils ont un service technique qui suit les agriculteurs au mieux [MA] dans l’intérêt de l’agriculteur, pas de la coop. S’ils peuvent vous faire économiser un produit, ils le font . […]. Les CTE, moi je fais partie du groupe qui a mis le CTE en place, bien sûr [ML] là, je l’ai fait. Et là, dès qu’il y a eu la MAET, je suis rentré dedans ».

Par conséquent, le degré élevé de proximité entre les membres de la coopérative est un déterminant du changement technique. Cette proximité contribue à la crédibilisation du discours technique de Coopvert. Pour les agriculteurs, la MAET prend la forme d’un engagement commun fait d’obligations réciproques qui les lie à la coopérative. Dans l’énoncé qui suit, l’agriculteur exprime un tel sentiment. « Nous, de partir sur du dés- herbage mécanique et eux, en tant que coopérative qui vend des produits, je pense [MA]

qu’il ne doit pas y en avoir beaucoup qui font ce geste-là ». Ainsi, la mise en œuvre de la MAET est présentée comme un défi non seulement pour les exploitants agricoles mais aussi pour Coopvert. Dans l’énoncé précédent, nous pouvons, d’ailleurs, remarquer que le « nous » et le « eux » ne sont pas en opposition, mais forment au contraire une unité.

La relation de coopération de réciprocité qu’entretiennent les acteurs trouve ses fonde- ments dans la rationalité communicationnelle. C’est en effet dans le dialogue9 continu que les différents partenaires de la coopérative parviennent à faire converger leurs représenta- tions et à s’entendre sur des principes communs d’action. Le processus communicationnel stimule les apprentissages collectifs et les conseillers de Coopvert jouent un rôle essen- tiel dans le transfert d’expériences entre acteurs. L’énoncé suivant d’un conseiller illustre bien comment ils interviennent dans le processus d’essaimage de techniques innovantes :

« Après, la MAET c’est très bien [MA] parce que ça permettra aussi de s’appuyer dessus

9 Comme nous l’avons précisé (cf. 3.2), ce dialogue peut être conduit à distance, chaque énoncé pouvant alors être considéré comme une réponse à un énoncé antérieur.

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pour les gars qui ne sont pas dans la MAET. On va leur dire « tu vois que ça marche, ce qu’on te dit ça fonctionne, quoi » ». Ce même conseiller ajoute : « Mais c’est des méthodes qui ont fait leurs preuves en bio, sachant qu’en bio ils n’emploient pas de désherbants… Si nous on emploie même qu’une base de désherbants ça doit [ML] marcher ».

En réduisant la perception des incertitudes liées à la mise en œuvre de pratiques alter- natives, cet essaimage de technologies et de savoir-faire favorise une prise en compte des valeurs collectives dans la prise de décision et permet, d’une certaine façon, de raccorder la rationalité instrumentale à la rationalité sociale.

L’esprit de mutualisation et la volonté de recherche de solutions communes sont aujourd’hui particulièrement présents chez un certain nombre d’adhérents de Coopvert comme en témoignent les extraits suivants du discours de l’un d’entre eux : « Je pense [MA] qu’on peut [ML] réduire en traitant mieux […]. Je suis sûr [ML] qu’on devrait pou- voir [ML] réduire en passant deux fois. Je suis sûr [ML] qu’on peut [ML] réduire encore en traitant mieux. Et, j’en parlais avec Lucien, et je pense [MA] qu’il y a un truc à faire ; moins de produits et en traitant peut-être [ML] à une semaine d’intervalle, bon ça après, je ne sais pas [ML] après, y a des trucs à étudier et à faire mais je pense [MA] qu’on peut [ML] y arriver. Je pense [MA] qu’on peut [ML] arriver à faire mieux que ça ».

Dans ces extraits, l’agriculteur situe avant tout les possibilités d’action vis-à-vis de l’environnement naturel dans le cadre de l’action collective. Les modalisations présentes dans ce discours attestent de ce pouvoir ou encore de cette capacité conférée à l’action collective. C’est donc à ce collectif que revient la tâche de réexaminer les pratiques agri- coles, d’impulser des innovations techniques et de favoriser ainsi une meilleure prise en compte des problèmes environnementaux par les différents acteurs impliqués. Très clai- rement, le processus communicationnel est le mode opératoire de la collaboration entre acteurs : « j’en parlais avec Lucien ».

Ainsi, en suscitant un dialogue actif entre et avec ses adhérents, Coopvert favorise les apprentissages individuels et collectifs. Or, il apparaît que ceux-ci sont la clé de voûte d’une actualisation des raisons d’agir des agriculteurs.

Conclusion

Dans cet article, nous avons proposé une approche de gouvernance foncière élargie à l’en- semble des ressources naturelles. Nous avons en effet considéré que si les dynamiques de développement, observables dans les territoires ruraux, conduisent à re-questionner les usages du sol et de l’espace, elles conduisent également, et plus généralement, à re-questionner les usages de toutes les ressources naturelles connexes au foncier, parmi lesquelles l’eau.

Privilégiant cette perspective, nous nous sommes appuyés sur une expérience origi- nale de MAET-DCE pour examiner les conditions requises à l’adoption par les agricul- teurs de nouvelles pratiques (lutte raisonnée contre les ennemis des cultures, désherbage mécanique par herse étrille) davantage respectueuses de la qualité de l’eau. Nous avons notamment mis en évidence que la réussite du changement technique et institutionnel était conditionnée par une actualisation des raisons d’agir des agriculteurs. Nous avons présenté cette actualisation comme la résultante d’apprentissages. Nous avons alors pré- cisé que la finalité de ces apprentissages était d’inciter les agriculteurs à procéder à un examen critique de leurs choix.

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Un résultat important, auquel nous parvenons, est de montrer qu’un tel examen critique est favorisé par le dialogue continu entre les différents acteurs impliqués. En stimulant la diffusion d’informations et la mutualisation d’expériences, la discussion interactive permet, tout à la fois, d’asseoir la validité de pratiques agricoles innovantes, de légitimer de nouvelles normes sociales et d’accompagner une refondation de l’identité profession- nelle. Par conséquent, c’est en agissant sur ce triple plan qu’elle permet de réduire les tensions entre la poursuite des intérêts individuels et la préservation de l’intérêt collectif et qu’elle est à même d’inciter les acteurs à intégrer l’impératif moral de protection de l’environnement naturel dans leurs choix d’action.

Concernant ce dernier point, nos conclusions entrent en cohérence avec la réflexion récemment développée par Amartya Sen (2010). Définissant, la démocratie comme le

«  gouvernement par la discussion  »10, cet auteur met l’accent sur l’importance d’une délibération entre acteurs. Soutenant le raisonnement public, cette délibération oblige les acteurs en présence à se décentrer par rapport à leur point de vue positionnel. Ainsi, au cours du débat, chacun d’entre eux est conduit à élargir ses perceptions du monde et à réexaminer le bien fondé de ses décisions. De façon analogue, nous estimons que la mise en place d’une véritable gouvernance foncière territoriale passe également par l’instaura- tion d’un gouvernement par la discussion. Cela semble notamment nécessaire pour fonder en raison la légitimité de nouvelles règles d’utilisation des ressources naturelles.

Cet axe de recherche exigerait un approfondissement de nos travaux dans deux directions : - D’une part, il conviendrait d’analyser des situations communicationnelles impliquant

l’ensemble des acteurs partie prenante à la gestion de l’eau, acteurs agricoles mais également autres acteurs privés et publics. Cela semble d’autant plus important que, comme le souligne un rapport récent de la Cour des Comptes (2010), l’insuffisante coordination d’acteurs et l’absence d’une véritable «démocratie de l’eau», qui en découle, pénalisent la mise en place d’une politique cohérente de l’eau à l’échelle d’un bassin. L’objectif serait d’examiner plus finement le rôle des institutions discur- sives dans l’amélioration de la gouvernance de biens publics environnementaux par des acteurs multiples.

- D’autre part, il serait important de prendre en compte la contribution spécifique du scientifique dans le processus de recherche de solutions communes. Sa posture d’extériorité peut notamment être utile pour créer les conditions nécessaires à ce qu’Amartya Sen (ibid.) appelle l’impartialité ouverte, c’est-à-dire un débat ouvert sur d’autres conceptions d’évaluation sociale que celles en vigueur dans le monde local. Il s’agirait alors d’analyser dans quelle mesure la participation du scientifique au débat argumenté permet de surmonter le risque de localisme et d’élargir le point de vue positionnel des acteurs en présence.

10 Comme le rappelle Sen (ibid.), cette idée a été promue par John Stuart Mill.

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