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Géographie Économie Société : Article pp.445-454 du Vol.14 n°4 (2012)

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Géographie, économie, Société 14 (2012) 445-454

géographie économie société géographie économie société

Comptes Rendus

Nicolas Gillio et Emmanuel Ravalet (coord.), 2012, Comprendre l’économie des territoires, Certu, Collection Références.

Le Centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques (Certu) propose un bel ouvrage sur l’économie des territoires. Très lisible, avec une mise en page soignée, il incite le lecteur à se plonger dans ses textes et est marqué par un parti-pris pédagogique assumé et réussi car les textes sont particulièrement clairs. Les synthèses de ce type sont indispensables car elles permettent de faire le point sur l’état des connaissances et des pratiques, de prendre en compte les avancées au regard des précédents ouvrages du même type (par exemple le Que sais je ? « La science régionale » de Georges Benko qui datait de 1998). Ainsi, on ne manquera pas de relever que, dès la première phrase de l’ouvrage, il semble bien qu’une nouvelle thématique se soit imposée : « Avec le Grenelle de l’environnement et ses déclinaisons territoriales, la dimension économique est aujourd’hui partie intégrante de la réflexion et de la définition des politiques en faveur du développement durable » (p. 5). Le développement durable traverse l’ouvrage, avec notamment des exemples tirés de l’écologie industrielle ou de la croissance verte, c’est-à- dire un développement durable largement rabattu sur la question économique.

Cinq parties composent donc l’ensemble (le cadre théorique de l’économie des territoires, les agents économiques, les débats actuels en économie territoriale, les outils et méthodes employés, puis une dernière partie autour de cas pratiques) et ce sont plutôt les chapitres pairs qui suscitent l’intérêt du lecteur.

La première partie souligne l’intérêt d’une approche de « méso-économie », en rappelant que l’économie des territoires s’est construite de façon critique par rapport à la théorie standard. Par cette expression « d’économie des territoires », les auteurs assument

« une sémantique qui ne se retrouve pas nécessairement dans la littérature anglo-saxonne » (p. 11). La spécificité de la recherche francophone en matière d’économie spatiale est d’ailleurs bien mise en relief, que ce soit avec les travaux sur l’économie résidentielle (Davezies) ou ceux sur l’économie des proximités (Pecqueur, Zimmerman, Torre etc.).

Des synthèses bien menées sur l’économie industrielle et l’économie de l’environnement viennent compléter cette réflexion, qui se propose de prendre en compte les dynamiques économiques sur les territoires de façon ample (par les concentrations d’entreprises, par les concentrations urbaines, par les modes d’interaction différenciés entre acteurs etc.).

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Après une seconde partie consacrée à l’état et au marché, de laquelle on retiendra surtout quelques cartes sur l’attractivité contrastée des zones d’emploi en France ou un tableau sur les structures des dépenses des ménages selon le niveau de vie, qui souligne le poids du logement pour les plus pauvres, on passera rapidement à troisième partie, traitant des débats actuels en économie territoriale. En dix pages, les auteurs réussissent une belle synthèse sur la thématique « Mondialisation et territoire » : ils analysent notamment la nouvelle division internationale des activités où la France apparait dans une « position intermédiaire » entre pays tournés vers l’industrie et pays spécialisés dans les services financiers ; ils s’intéressent aux ancrages territoriaux et notamment aux clusters ; ils évoquent l’« espace des flux » (Castells) et les effets incertains du développement des infrastructures de transport sur les territoires.

La sous-partie sur les marchés fonciers et immobiliers souligne les tensions entre fonctions économiques (bureaux notamment) et résidentielles et appelle à une régulation publique en la matière. Enfin, la dernière partie revient sur les débats à propos du diagnostic de tertiarisation de l’économie (car il faut se rappeler que « 50 % des services travaillent pour ou avec l’industrie », p. 106), évoque le développement des « services à distance » puis analyse la montée de nouveaux modèles économiques, notamment autour de l’environnement.

Après une quatrième partie consacrée à des points de méthode (sources, indicateurs), le lecteur termine l’ouvrage par des études de cas signées par des auteurs confirmés : J.M.

Fontan, R. Shearmur, A. Mollard et B. Pecqueur, O. Bouba-Olga et M. Ferru, P. Nouaille, D. Carré et N. Levratto1. Ces derniers reviennent sur les difficultés contemporaines de l’Ile- de-France en pointant notamment la trop forte séparation de la capitale et de sa périphérie et les difficultés de la région à diffuser suffisamment les dynamiques métropolitaines.

Ils en appellent à une intervention publique capable de « densifier les relations entre les différents acteurs économiques et technologiques » (p. 194).

Le lecteur critique fera peut-être la fine bouche en regrettant que les dynamiques sociales et socio-spatiales soient parfois un peu vite évoquées alors que certains processus écono- miques standard sont trop longuement décrits. Il est vrai qu’il est malaisé de demander aux auteurs de modifier le monde qu’ils sont chargés de décrire et d’analyser dans le cadre d’une commande ministérielle. Difficile en tout cas de faire mieux en peu de pages et les lecteurs, qu’ils soient étudiants, élus ou fonctionnaires territoriaux, apprécieront. On regret- tera cependant que le prix (45 euros) soit trop élevé pour cet ouvrage qui pourrait pourtant

faire office de manuel à bien des étudiants. Paul Cary

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David Blanchon, Jean Gardin et Sophie Moreau, 2011, Justice et injustices environnementales, Presses Universitaires de Paris Ouest, 236 pages.

Peu d’ouvrages sont disponibles sur la question de la justice environnementale et il faut saluer la parution de ce travail collectif issu du colloque « Justice et injustice spatiales » qui s’est tenu en 2008 à Paris Ouest Nanterre. Il se compose d’une introduction et de onze

1 Les lecteurs de GES pourront se reporter à leur article dans le n° 2011/3.

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contributions variées sur une thématique qui, pour le chercheur, n’est pas anodine. En effet, pour les éditeurs de l’ouvrage, parler de justice, plutôt par exemple que d’inégalités, « permet de se départir d’une posture surplombante, qui est rarement tenable dans les analyses socio- environnementales, ni au moment du choix du sujet d’étude, ni dans l’élaboration d’une méthodologie d’observation, ni encore au moment de tirer les conclusions » (p. 17). Ils rappellent que la notion de justice environnementale émerge aux Etats-Unis dans les années 1970 à travers l’analyse de luttes locales où s’observe une corrélation entre discriminations de certaines minorités et surexposition de ces dernières aux risques environnementaux.

L’ouvrage défend l’idée que coexistent plusieurs approches de la justice environnementale. D’abord, elle apparait dans les luttes locales à travers lesquelles certains groupes revendiquent un environnement meilleur ou refusent de subir les conséquences de grands projets (comme un aéroport) : c’est alors un étendard des luttes. Ensuite, elle peut être lue comme « un outil de gestion des hommes et des choses », comme un dispositif top down par lequel les gestionnaires publics tentent de favoriser une distribution équitable des accès à l’environnement ou de l’exposition aux risques. Ainsi, K. Cruikshank et N. Bouchier analysent les liens entre des projets de rénovation urbaine et la définition, sujette à interprétations controversées entre habitants et pouvoirs publics, de ce qu’est un lieu « risqué » en matière de santé et d’environnement, dans la ville d’Hamilton au Canada.

De même, S. Beucher et M. Reghezza s’intéressent à la gestion des risques d’inondation en Ile-de-France, qui semble renforcer les inégalités spatiales en protégeant davantage les territoires les plus compétitifs du point de vue économique. Enfin, la notion de justice environnementale serait un cadre conceptuel permettant de critiquer les processus en cours et notamment la façon dont les réglementations environnementales contemporaines s’accompagnent d’une marchandisation de l’environnement, corollaire d’un capitalisme vert. Cette troisième approche semble peu compatible avec les deux autres puisqu’elle critique la manière dont l’environnement est appréhendé (privatisation, marchandisation) dans les procédures-mêmes de justice environnementale.

Certaines thématiques, représentées dans l’ouvrage, se prêtent particulièrement bien aux questions de justice environnementale.

C’est d’abord le cas de l’eau. Au-delà des risques d’inondation, la question de la gestion des bassins hydrographiques est abordée à plusieurs reprises. F. Molle critique ainsi la gestion par bassin versant qui fait de l’eau une simple ressource à appréhender techniquement et insiste sur l’importance de prendre en compte les enjeux de pouvoir, en rappelant comment, par exemple à la Nouvelle Orléans, le « re-façonnage du paysage à la poursuite d’intérêts économiques spécifiques » (p. 117) provoque des externalités qui pèsent bien davantage sur les plus pauvres en cas de catastrophes comme Katrina.

J.P. Venot ne dit pas autre chose lorsqu’il souligne, en Inde du Sud, comment les systèmes de gestion de l’eau, qui promettent un accès juste et équitable à celle-ci, aboutissent à une surconsommation des ressources, outre des dégradations environnementales.

C’est également le cas des aires protégées ou autres parcs de conservation environnementale. G. Marchand, réfléchissant sur le cas de l’Amazonie, s’intéresse aux compensations pour les populations locales (et notamment celles qui vivent de l’agriculture familiale) liées au processus de sanctuarisation de certaines zones. Il reste très réservé sur la mise en place de ces politiques de compensations, qui si elles sont aujourd’hui davantage participatives, peuvent perturber les conditions de subsistance des

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populations. X. Amelot, S. Moreau et S. Carrière, dans un article particulièrement critique à l’égard des politiques de conservation et de certains de leurs promoteurs (les BINGOs comme le WWF), nous emmènent à Madagascar, où 10 % du territoire devrait passer sous zone de protection. En analysant l’historique de la cartographie de la biodiversité malgache, les auteurs contestent le diagnostic catastrophiste de déforestation, qui fait des paysans des pyromanes, et soulignent l’hégémonie des BINGOs dans la production de données et dans les représentations de l’île destinées à promouvoir des politiques qu’ils assimilent à un néo-colonialisme, d’autant qu’elles ne prennent pas (ou peu) en compte les populations locales. Dans la même veine, V. André-Lamat et M. Mellac critiquent l’uniformisation des politiques publiques destinées aux espaces ruraux au Sud, qui reposent souvent sur deux principes : augmentation de la propriété privée foncière, d’une part et « domination des approches assez fortement conservationnistes » (p. 221) en matière de gestion de l’environnement, d’autre part. Cette mise en ordre de l’espace tend à affecter les modes de régulation locaux et elle n’est la plupart du temps ni juste socialement ni efficace du point de vue de la protection de l’environnement. Enfin, D. Lapointe et C. Gagnon mettent à l’épreuve la notion de « justice environnementale » sous trois aspects : la justice distributive (coûts et bénéfices apportés par le classement en

« parc »), la justice procédurale (les démarches ont-elle été participatives ?) et la justice comme reconnaissance (notamment pour les populations indigènes). Les exemples analysés, deux parcs au Québec et en Guadeloupe, révèlent des effets plutôt négatifs : les ressources distribuées sont minces, les processus peu participatifs et les populations peu reconnues, notamment parce que les anciens usages (pèche, jardinage) sont souvent décrits comme des « nuisances d’origines anthropiques » (p. 166).

Ces approches sur des thématiques proches auraient d’ailleurs pu faire l’objet de quelques éléments de cadrage supplémentaire, qui font défaut à l’ouvrage et laissent le lecteur parfois un peu désorienté quant à la compatibilité des approches proposées.

Le ton dominant de l’ouvrage apparait en effet comme réservé sur le concept de justice environnementale. L’article de J. Gardin est le plus explicite en la matière. Il souligne en effet que, dans nombre de cas (top down ou bottom up), la conséquence de l’application des principes de justice environnementale est la mise en place de

« compensations », financières ou environnementales. Ainsi, quand l’Equateur réclame à la communauté internationale des compensations financières pour ne pas exploiter un gisement de pétrole, cela se fait « au prix d’une traduction des problématiques environnementales en termes d’intérêts économiques » (p. 44). Dès lors, l’auteur prédit à la justice environnementale le même destin qu’au développement durable : il y voit un renoncement progressif des écologistes qui, pour justifier des moindres maux, acceptent de décomposer l’environnement en fonctions utiles (touristique, économique etc.). Il ne suffit pas, conclut l’auteur, qu’une justice environnementale s’applique pour que l’environnement soit protégé. Son texte est donc une critique des approches en termes de compensations territoriales décrites notamment par J. Gobert qui souligne, à propos notamment de l’aéroport international de Los Angeles, combien le secteur privé les utilise comme « outil d’acceptabilité locale des grands projets » (p. 79). Son approche semble ainsi assez peu compatible avec celle de B. Zuindeau, qui s’interroge sur la façon de prendre en compte « les transferts de durabilité » (pollutions qui débordent d’un territoire sur l’autre, exportations etc.) de façon équitable entre territoires.

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Ainsi, après ce tour d’horizon, le lecteur ne peut manquer de s’interroger sur l’intérêt de la notion. On en perçoit assez bien l’intérêt heuristique : réfléchir en termes de justice ouvre la réflexion à la fois sur des problèmes de distribution des ressources, de luttes pour la reconnaissance des droits, de prise en compte des populations concernées. La spatialisation des problèmes confère également davantage de netteté aux injustices (ce n’est pas un hasard si les pauvres sont souvent du mauvais côté du fleuve qui déborde).

Mais comme le dit J. Gardin, on reste sceptique sur la capacité des approches en termes de justice environnementale à enrayer le diagnostic de dégradation de l’environnement.

Et ce, d’autant plus que certains textes de l’ouvrage tendent à contester ce diagnostic de dégradation, notamment au prétexte de l’argument, un peu rapide, qu’il serait avant tout

posé par les experts du Nord. Paul Cary

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Romain Cruse, 2011, Géopolitique d’une périphérisation du bassin caribéen, Presses de l’Université du Québec, Coll. Géographie Contemporaine, 170 pages.

L’ouvrage de R. Cruse propose une synthèse en géopolitique autour des notions de dépendance et d’interventionnisme à l’échelle du grand Bassin Caribéen (îles et isthme, incluant les côtes colombiennes et vénézuéliennes ainsi que les Guyanes). Ce livre décrit, à l’échelle de la région, le processus de périphérisation de la Caraïbe à travers quatre grandes thématiques : l’histoire et notamment l’histoire coloniale puis impériale de la région ; la géographie, qui souligne la localisation de cette Méditerranée américaine dans une périphérie physique, mais aussi sa fonction de synapse entre Nord et Sud ; l’économie qui met en relief les processus de dépendance économique et la place des enclaves caribéennes dans le système-monde ; enfin, la géopolitique, qui analyse les différentes formes et échelles de domination spatiale exercées par les centres mondiaux et, plus particulièrement, les États-Unis sur les territoires caribéens.

L’ouvrage traite des différents processus d’ingérence spatiale sur le façonnement des espaces étudiés. Les interventions militaires étatsuniennes répétées, la mise en place de réseaux, comme ceux des multinationales, qui déterritorialisent les bénéfices au détriment des espaces locaux, ou encore la capacité idéologique des discours des institutions internationales (Plan d’ajustement structurel, Failed state) sont évoquées pour étayer le concept de périphérisation. Sur l’ensemble du Bassin, exception faite de Cuba et du Venezuela chaviste, l’auteur postule qu’un glissement s’est opéré d’une « plantocratie » vers une « corporatocratie »2 et maintient la région étudiée sous la domination de forces extérieures. R. Cruse évoque notamment, pour illustrer son propos, le rôle des grandes compagnies d’extraction ou de la compagnie sucrière Booker opérant à Trinidad et en

2 Le concept de plantocratie a été développé dans la Caraïbe pour décrire l’organisation économique et sociale induite par le système de plantation à l’époque des Empires coloniaux. Le concept de coroporatocratie a été développé par John Perkins et désigne un système dans lequel le pouvoir réside entre les mains des entreprises privées.

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Jamaïque, comme le fonctionnement des enclaves touristiques ou des zones franches de la République Dominicaine. Selon l’auteur, le corolaire de cette corporatocratie et de cette périphérisation de la Caraïbe est l’accroissement des inégalités, la dépossession des populations, la privatisation par des firmes étrangères des territoires et l’explosion d’un secteur informel et illégal (prostitution, drogues etc.) partout à l’échelle du Bassin. Tout au long de l’ouvrage, R. Cruse remet en cause la théorie de la « domination bienveillante des centres » et dénonce les conséquences concrètes du néolibéralisme sur la Caraïbe : création de nombreux espaces dérogatoires et interventionnisme croissant des « mains invisibles » du marché sur des états où la démocratie ne serait qu’une façade.

Livre engagé, cet ouvrage mobilise une bibliographie principalement écrite dans les Amériques, ce qui a le mérite d’ancrer pleinement ce texte dans la région étudiée. L’auteur revendique également une pensée partisane, dans la lignée de géographes radicaux ou critiques comme D. Harvey ou M. Davis. Cependant, on regrettera un style souvent inégal. La verve de la forme ne permet pas de gommer certaines imprécisions, notamment des répétitions et des affirmations dont les sources mériteraient d’être davantage éclairées. Á titre d’exemple, il nous semble impossible d’affirmer que lors de son élection, le premier président cubain Tomás Estrada Palma (1902-1906) « avait vécu durant 20 ans à Miami », la Magic City n’ayant été fondée qu’en 1896… Enfin, la concision de l’ouvrage (140 pages) fait qu’il ne développe, en profondeur, que peu d’exemples et n’aborde certains thèmes que très succinctement. C’est notamment le cas de l’enfermement et de la sécurisation dans la ville caribéenne ou encore des migrations vers le Nord qui permettraient, pourtant, de repenser la domination néolibérale

au cœur des centres. Violaine Jolivet

Université de Montréal

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Xavier Arnauld de Sartre et Vincent Berdoulay, 2011, Des politiques territoriales durables ? Leçons d’Amazonie, Paris, Éditions Quae, Collection Indisciplines, 158 p.

Xavier Arnauld de Sartre, géographe, est l’auteur de nombreuses recherches portant sur les liens entre populations locales en Amazonie et politiques de conservation de l’environnement. Vincent Berdoulay est également géographe et professeur d’aménagement territorial. Ses travaux portent sur les enjeux de la notion de développement durable et il est l’auteur de multiples ouvrages de géographie culturelle. Leur ouvrage conjoint, publié en 2011 et intitulé Des politiques territoriales durables ? Leçons d’Amazonie, pose un regard critique et profond sur l’impact tant politique que socio-culturel de l’appropriation de la notion de développement durable par l’état fédéral brésilien ainsi que par les populations de la région d’Amazonie orientale.

Dans cet ouvrage, ils se proposent d’observer comment des injonctions très générales, comme le développement durable et la gouvernance environnementale, peuvent s’enraciner dans les préoccupations concrètes de populations locales, capables d’interpréter la demande de durabilité et de se l’approprier. L’ouvrage développe l’hypothèse selon laquelle l’état, en utilisant le concept de « territoire », renforce sa présence dans une région bien délimitée et crée de nouvelles identités au sein des populations locales.

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L’appel à la revalorisation des populations locales et, par là même, la reformulation du

« pacte territorial » permettent à celles-ci de s’approprier de nouvelles politiques de développement durable, ce qui, par conséquent, peut entraîner des formes de contestation de la présence de l’état dans cette région.

Arnauld de Sartre et Berdoulay ont choisi l’Amazonie orientale comme lieu d’observation pour leur étude. Cette décision n’est pas anodine. D’une part, la construction de la route transamazonienne a engendré une forte transformation de l’Amazonie, non sans soulever plusieurs critiques et préoccupations sur l’aspect environnemental de cette démarche. D’autre part, le Brésil, en tant que nouveau ‘leader’ régional, est un pays où les enjeux de la transformation des politiques territoriales sous l’impulsion du développement durable sont particulièrement importants. Ainsi, l’Amazonie, qui est l’un des centres environnementaux les plus importants du monde, s’avère idéale pour l’analyse de l’appropriation de nouvelles notions, comme la défense de la durabilité, notions qui accompagnent le contexte plus général de critique de la modernité.

De cette manière, les auteurs commencent leur ouvrage en exposant l’idée selon laquelle la notion de développement durable se place entre les entrelacs de la modernité et du postmodernisme. Cette notion apparaît comme une façon de critiquer la modernité, qui conçoit l’espace comme acquis et comme le simple réceptacle de projets politiques, ainsi que comme une façon de la réinventer, voire de la sauver. Tout au long de l’ouvrage, ils montrent comment le développement durable permet d’équilibrer le développement économique et la protection de la nature en prenant en compte la diversité et le respect des populations.

Néanmoins, le développement durable peut apparaître à la fois comme une opportunité pour sauver la modernité ou au contraire comme une notion caractéristique du postmodernisme en fonction de l’usage qui en est fait. Tout dépend de son utilisation : par les institutions étatiques ou par les différents individus d’un territoire spécifique.

Le développement durable, en phase avec la crise de la modernité, induit une relativisation des approches scientifiques et positivistes qui considèrent « l’espace » comme une réalité donnée. Comme l’explique M.Vanier, cité dans l’ouvrage, le développement durable incite à appréhender le « territoire » différemment en mettant en avant la place de l’environnement et le rapport des populations avec celui-ci. Le développement durable permet de s’échapper à ce que J. Agnew appelle le « piège territorial » en invitant à mieux comprendre la subjectivité humaine pour l’intégrer dans les différentes politiques publiques de planification et d’aménagement du territoire. Le « territoire » est un concept qui, comme les auteurs le montrent par rapport à la réalité de l’Amazonie brésilienne, peut être utilisé distinctement avec des buts politiques et identitaires déterminés. En résumé, il faut concevoir la notion de « territoire » (une notion très utilisée ces dernières années par les politiques publiques au Brésil) non seulement comme une idée géographique mais, surtout, comme une réalité socio-culturelle et politique changeante.

En relation avec cet argument, les auteurs décrivent les problématiques qui se posent autour des échelles spatiales et politiques, qui comme la notion de « territoire », ne doivent pas être perçues comme des entités homogènes et autonomes. Il existe, en effet, des tensions infra et supra-nationales au sein de chaque échelle. Dans le scénario de développement durable et, plus précisément, dans le contexte de l’Amazonie brésilienne, plusieurs acteurs entrent en conflit, soit par les différents intérêts socio-économiques qui existent, soit par les différents courants écologiques défendus. En fait, la crise de la modernité peut également se traduire

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par une remise en cause de la souveraineté totale de l’État sur tout territoire bien délimité; une légitimité qui va être contestée par tous les autres niveaux scalaires, qu’il soit internationaux, nationaux ou locaux. Concrètement, pour le développement durable, différents acteurs internationaux entrent en contact avec des acteurs politiques nationaux et locaux, ce qui, en général, pose problème en termes de légitimité et d’exercice du pouvoir de l’état fédéral.

L’ouvrage expose bien ce conflit en faisant une analyse des informations publiées par le journal Hoje dans la ville d’Altamira, notamment autour de la création et de la mise en place d’Unions de conservation (UC). Les images de la couverture de deux numéros montrent bien la conception qu’ont les cadres de la ville et les classes aisées du rôle de l’État fédéral dans ladite protection de l’environnement ; action qu’ils perçoivent plutôt comme une intrusion sur « leur territoire » et comme une façon pour l’état de se « vendre » aux pouvoirs internationaux (Etats-Unis, Union Européenne). Il apparaît alors évident que le Bassin amazonien est sujet à des luttes d’influence entre plusieurs acteurs tels que l’État, les états fédérés, les notables et les populations - avec leurs bourgeoisies - qui y habitent.

Or, les conflits qui structurent chacun des niveaux scalaires d’application des politiques en Amazonie paraissent au moins aussi importants que ceux qui opposent les niveaux scalaires entre eux. Les auteurs exposent bien ces tensions en étudiant les conflits autour de la création des UC à partir de l’année 2000, mais plus spécifiquement en montrant les différents courants qui existent au sein des groupes (normalement conçus comme homogènes) défendant le même objectif de protection de l’environnement. De cette façon, on voit comment deux coalitions principales, l’environnementalisme (qui défend le courant conservationniste) et le développementisme (qui adhère au courant préservasionniste), s’opposent sur la gestion des UC dans le Bassin amazonien et sur la façon même de percevoir les rapports homme/

nature. Les échelles (tout comme le territoire) en tant qu’entités homogènes, sont remises en cause dans un contexte de crise de la modernité et où le développement durable peut amener à contester la souveraineté d’un état aussi important que le Brésil.

Néanmoins, le développement durable apparaît aussi - et contrairement à ce que l’on pourrait penser - comme un moyen pour l’état fédéral d’imposer sa souveraineté et de réduire ses contradictions internes. En utilisant la notion de territoire d’une façon spécifique, l’état en fait un outil politique pour renforcer sa présence et sa légitimité en Amazonie.

À cet égard, les auteurs dévoilent comment la transformation du développement durable en développement territorial dans les politiques publiques en Amazonie brésilienne est le résultat d’une stratégie consciente de l’état pour renforcer son pouvoir et sa présence.

Pour exposer cet argument, ils font une analyse du Plan Amazonie Durable (Plano Amazônia Sustentável ou PAS), un projet qui, selon eux, n’amène pas de changements révolutionnaires aux politiques d’aménagement du territoire. En effet, le développement durable, tel qu’il est utilisé par l’état fédéral dans le PAS, est associé avec la notion de « territoire », tout en suivant l’objectif de mettre d’accord les différents acteurs et populations qui agissent dans une même portion d’espace : l’Amazonie brésilienne.

Encore une fois, les auteurs exposent comment les différentes notions, parfois conçues comme naturelles et objectives, peuvent être au service d’une politique spécifique et avec des buts concrets. Rien n’est donc libre de manipulations et d’intérêts.

Même si cette association du développement durable avec le développement territorial n’apporte rien de nouveau, l’intégration de différentes dimensions de l’action et de la demande de respect de la diversité des populations sont potentiellement novatrices. Le

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nouveau « pacte territorial », qui fait référence aux relations entre l’état, les populations et le territoire, met en avant l’appropriation des politiques de développement durable par les habitants de régions impliquées. D’un côté, l’état utilise le développement territorial durable pour renforcer sa présence dans ces régions. Cependant, en appelant au respect et à l’empowerment des différents acteurs tels que les populations dites traditionnelles, il risque de se voir débordé ou contesté par celles-ci. En effet, les auteurs étudient le cas des ribeirinhos et des quilombolas dans le Bassin brésilien pour exposer comment l’idée de créer une « citoyenneté » peut ouvrir des perspectives pour la formation de nouvelles identités au sein de ces communautés. Une fois ces identités appropriées, ils seront à même de contester la présence de l’état sur un territoire désormais perçu comme le leur.

Si l’ouvrage pose un regard très innovant sur le développement durable et ses implications dans une région déterminée, il convient toutefois d’exprimer trois critiques sur la façon dont ce concept est exposé et développé, tant sur la forme que sur le fond de l’ouvrage. D’une part, les auteurs exposent l’idée que le développement durable est une notion qui se situe entre la modernité et le postmodernisme. Ils affirment ainsi que celui-ci pourrait être autant une stratégie pour sauver la modernité de la crise qu’elle subit qu’une notion née du postmodernisme. Or, est-il pertinent de considérer le développement durable comme une stratégie pour sauver la modernité ? D’autre part, si le développement durable était une notion caractéristique du postmodernisme, comment cela pourrait-il en changer le fond et la forme ? Ce positionnement théorique peut-il avoir un effet sur le noyau constituant le développement durable et sur les politiques publiques qui en découlent ? En effet, le lecteur n’est jamais amené à comprendre l’importance et les conséquences de cette discussion d’ordre plus théorique.

D’autre part, les auteurs n’établissent pas clairement la méthodologie utilisée pour développer leur travail de terrain. Leur méthode n’est pas définie en amont et, tout au long de l’ouvrage, le lecteur ne peut pas bien saisir la façon dont les auteurs ont examiné et analysé leur hypothèse de départ sur la réalité concrète de l’Amazonie orientale. Pourquoi ont-ils choisi les ribeirinhos et les quilombolas et non d’autres populations locales ? Quelle méthode ont-ils mise en œuvre sur le terrain ? Ont-ils favorisé l’observation directe ou ont- ils préféré effectuer plusieurs entretiens ? Pourquoi ont-ils interviewé certaines personnes et pas d’autres ? Ces éléments et d’autres questionnements nécessaires aux lecteurs pour saisir pleinement le propos ne sont pas clairement définis dans l’ouvrage. Dernier point de critique : les auteurs exposent des notions, des courants, des discussions, des analyses et des réalités relatives à leur travail d’observation en Amazonie brésilienne, ce qui enrichit sans doute leur étude. Cependant, les arguments et les informations donnés à cet effet ne sont pas clairement enchaînés, risquant d’étouffer ainsi le lecteur avec trop de notions dont les relations - soit entre elles, soit avec l’hypothèse centrale - ne paraissent pas toujours évidentes.

Voici, donc, le paradoxe de l’appropriation du développement durable et de la notion de « territoire » par de nouveaux acteurs : l’état, en valorisant l’éducation des populations à travers des initiatives d’empowerment, par exemple, favorise la naissance de nouvelles identités (désormais perçues comme naturelles par ces communautés) qui vont contester sa souveraineté. C’est le cas des ribeirinhos et des quilombolas qui, en revendiquant une antériorité historique sur « leur » territoire, vont mettre en cause la présence de l’état fédéral brésilien. L’analyse faite par l’ouvrage sur l’usage du mot « territoire », pas uniquement en tant que notion naturelle et géographique mais, surtout, en tant que notion

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sociale et politique, est donc très intéressante. C’est un argument qui invite le lecteur à s’approprier différemment, et de façon critique, ce concept pour comprendre que son utilisation dans le contexte du développement durable n’est pas libre de manipulations et de finalités non dites. Ces finalités peuvent viser à renforcer un pouvoir étatique dans un territoire déterminé ou, au contraire, à revaloriser la participation de populations locales.

En conclusion, Xavier Arnauld de Sartre et Vincent Berdoulay posent un regard analytique sur le développement durable et essaient de montrer que l’appropriation de celui-ci et de ce qu’il implique, comme l’empowerment des populations locales et leur revalorisation, peut déclencher des effets non prévus par les états qui le mobilisent dans leurs nouvelles politiques d’aménagement territorial. En étudiant le développement durable comme une notion qui remet en question l’objectivité de concepts tels que le

« territoire » et les échelles étatiques, les auteurs essaient de répondre à une question centrale : comment les injonctions issues du développement durable peuvent-elles remettre en cause la légitimité d’un état qui en fait usage dans ses politiques publiques ? Arnauld de Sartre et Berdoulay incitent ainsi les lecteurs à aller au-delà du simple concept de développement durable et à s’interroger sur les possibles effets dits pervers de son usage. Voilà les leçons que l’on peut tirer de cet ouvrage qui invite à regarder autrement les politiques de développement- territorial - durable dans la réalité actuelle de l’Amazonie brésilienne.

Natalia Duarte Cáceres Université Lille 3

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