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Géographie Économie Société: Article pp.237-259 of Vol.14 n°3 (2012)

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Géographie, économie, Société 14 (2012) 237-259

doi:10.3166/ges.14.237-259 © 2012 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

géographie économie société géographie économie société

Villes moyennes et développement des services technologiques aux entreprises, l’exemple de quatre

agglomérations du Grand Sud-Ouest français (Bayonne/Biarritz, Pau, Albi et Castres) Medium-Sized Cities and the development of technology based services:the cases of four urban areas in the enlarged Southwest of France

(Bayonne-Biarritz, Pau, Albi and Castres)

Josselin Tallec

a

et Jean-Marc Zuliani

b*

a Doctorant

b Maître de Conférences Géographie-Aménagement Université Toulouse II – Le Mirail LISST-CIEU - UMR CNRS 5193 EHESS 5 allées Antonio Machado 31058 Toulouse cedex 9

Résumé

Plusieurs agglomérations de villes moyennes (Bayonne/Biarritz, Pau, Albi et Castres) du Grand Sud-Ouest français (Aquitaine, Midi-Pyrénées) témoignent d’une recomposition de leur système productif à partir d’un développement croissant des services technologiques à la production (services informatiques de nature générique et/ou spécifique, services d’ingénierie et de conception de procédés). Les déterminants du développement de ces services « high-tech » ne résultent plus

*Adresse email : zuliani@univ-tlse2.fr

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forcément de logiques métropolitaines. Dans chacune des villes moyennes étudiées, l’émergence ou le renforcement de ces activités s’expliquent par une combinaison à chaque fois spécifique de facteurs territoriaux. Ces déterminants renvoient certes à la nature de la demande industrielle et tertiaire locale mais soulignent aussi la prégnance de creusets locaux d’innovation qui doivent autant à l’impact de politiques institutionnelles qu’aux formes sociales d’interrelations entre les acteurs privés et publics. Les activités spécialisées autour des services marchands à connotation technologique offrent aux villes moyennes la capacité de s’inscrire de façon autonome dans des flux globaux faits d’échanges de prestations mais aussi de connaissances et d’informations qui enrichissent en retour la dynamique innovatrice locale des services technologiques.

© 2012 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Summary

In several medium-sized cities from the southwest area of France (Bayonne-Biarritz, Pau, Albi et Castres), we observe a substantial growth of technology-based services linked to industry. This process can be interpreted as a global shift of their industrial systems, which slowly adapt themselves to metropolitan standards of innovation production. In each city, a specific combination of factors participate to the development of local innovation systems based, firstly, on their local industrial markets, but which are also, secondly, impulsed by political actions, personal relations and ties. As a result, it shows the connection of these urban areas to global knowledge and information flows that they contribute to structure and influence.

© 2012 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Mots clés : Villes moyennes, Grand Sud-ouest français, services technologiques, innovation, proximité.

Keywords: Medium-size cities, technology-based services, innovation, proximity.

Introduction

Longtemps a prévalu l’idée que les espaces qualifiés de « métropolitain » étaient propices au développement d’activités de services à la production ayant un caractère technologique et innovant. Les décennies 1990 et 2000 ont foisonné de réflexions qui ont attribué aux grandes villes et espaces métropolitains un avantage spécifique dans la genèse, le développement et la concentration de services supérieurs rendus aux entre- prises, et désormais inscrits au cœur des systèmes productifs (Markusen, 2000 ; Veltz, 2000 et 2005 ; Shearmur, 2010 ; Doloreux et al., 2011 entre autres). L’espace métropo- litain se serait doté d’attributs de coordination des activités industrielles et tertiaires qui mobilisent quotidiennement des services à forte intensité de connaissances (Lacour et Puissant, 1999 ; Friedman, 2005 ; Halbert, 2010). La montée en puissance de l’économie informationnelle et de la connaissance, telle qu’elle est soulignée par divers auteurs (Hall, 1995 ; Castells, 2006 ; Storper et Scott, 2009 ; Doloreux et al., 2008), attribue aux services de haut niveau aux entreprises un rôle prépondérant. Outre leur propension à être spé- cifiquement innovateurs (Gallouj, 1998), ils contribuent au sein des tissus économiques régionaux à la diffusion d’innovations auprès des organisations ou des établissements de

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production. Ces services à la croissance soutenue depuis les années 1980 témoigneraient du développement d’une économie du « savoir » (études, ingénierie des procédés en lien avec les Technologies de l’Information et de la Communication, recherche et développe- ment, conseils…), d’autant qu’ils ne se restreignent pas à un domaine sectoriel d’applica- tion mais interviennent pour le compte de diverses branches industrielles ou tertiaires. Ils démontrent alors une capacité combinatoire qui leur confère le qualificatif de « services cognitifs » à partir d’un redéploiement de compétences entre différents domaines d’acti- vités et de clientèles (Grossetti et al., 2006 ; Bouba-Olga, 2006).

Le surgissement des services à forte intensité de connaissances parmi des espaces non métropolitains comme les villes moyennesrépondrait à un effet de déversement hiérar- chique des innovations technologiques qui suivrait la strate urbaine du territoire national (Saint-Julien, 1985). Ce processus resterait couplé à une desserte locale de marchés fai- blement intégrateurs d’innovations technologiques. On pourrait y voir une forme d’adap- tation au régime économique contemporain fonctionnant sous l’égide la « spécialisation flexible ». Au premier abord, les villes moyennes apparaissent moins bien placées pour susciter des interactions lointaines, génératrices d’activités de services complexes en connaissances. Leur développement serait induit par une demande locale très spécialisée ne laissant guère d’autonomie à ces territoires pour impulser des innovations voire déve- lopper des services au rayonnement territorial élargi. Pour autant, des travaux récents témoignent d’une préoccupation dans l’analyse de nouvelles configurations productives à l’échelle des villes moyennes : cette strate de villes s’affranchirait des liens de proximité propres au développement de marchés induits et banals, et témoignerait de conditions propices à l’accumulation de services aux entreprises pourvus par une main-d’œuvre et des savoir-faire de haut niveau (Zuliani, 2004 et 2011 ; Baudelle et Tallec, 2008).

Le questionnement est alors double à propos des rapports établis entre les villes moyennes et les services à forte intensité de connaissances comme l’ingénierie technique, informatique et l’édition logicielle :

- si l’on observe une croissance générale de ces activités prestataires spécialisées, com- ment expliquer qu’elles présentent des formes spécifiques et singulières selon les villes moyennes ? Quelles sont alors les raisons qui expliquent des trajectoires de développement distinctes des services de haut niveau en fonction des agglomérations étudiées ?

- à l’échelle des villes moyennes interviennent des combinaisons de facteurs, favo- rables à la formation de noyaux de services et à la structuration locale de relations prestataires. Aussi, cela ne conduirait-il pas à penser le développement des services sur la base d’une approche systémique de facteurs locaux, spécifiques au contexte de chacune des villes moyennes ?

Dans cette perspective, nous observons un certain développement des services à forte intensité de connaissances dans plusieurs villes moyennes du Grand Sud-Ouest français (Aquitaine et Midi-Pyrénées - Fig. 1). Ce processus repose pour chaque ville sur des configurations locales de facteurs interdépendants qui alimentent nos questionnements.

Nous proposons de vérifier ces recompositions et d’en mesurer les effets, à partir du cas de plusieurs villes moyennes, aux profils et trajectoires socioéconomiques différenciés : Bayonne/Biarritz, Pau, Albi et Castres. L’enjeu est ici de souligner que des processus autonomes sont à l’œuvre parmi ces villes moyennes. Ils renvoient à une série de facteurs

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en lien avec des politiques institutionnelles de différents niveaux (local, régional, national) qui ont contribué à la reconversion économique de ces villes ou du moins à leur inflexion vers un tissu d’activités représentatif de l’économie de la connaissance (Foray, 2000).

L’idée d’un développement continu de ces fonctions intensives en connaissances conduit à s’interroger sur la remise en cause d’une vision traditionnelle, selon laquelle les villes moyennes ne constitueraient qu’un réceptacle de services technologiques innovants. Ces activités valorisées seraient issues des environnements métropolitains par un déversement qui suivrait par étapes les différentes strates des systèmes urbains en contribuant à leur stabilisation (Pumain et al., 2006).

À ce stade, il convient de définir avec précision les activités de services au centre de notre analyse. Leurs contenus d’activités prestataires sont axés sur la création de valeur ajoutée par l’intégration d’ingénierie (conception et études, conseils en technologie…) appliquée aux registres technologiques du génie des procédés et surtout de l’informatique avec la réalisation de logiciels, de systèmes informatiques, standardisés ou sur mesure, en réponse aux besoins de filières industrielles (ex. aéronautique, agroalimentaire). Ces services sont innovants à plus d’un titre : certains sont le produit d’une activité concep- trice sur le plan technologique (réalisation de progiciels ou de systèmes informatiques sur mesure), d’autres mettent en pratique sur le marché des connaissances dédiées à des expertises pour des applications spécifiques. Ces nouvelles connaissances peuvent être le résultat de travaux menés en interne ou co-construits avec des partenaires académiques ou des industriels disposant d’une compétence forte de recherche et développement ou de design (ex. dans nos études de cas, Safran ou Total à Pau, Pierre Fabre à Castres, Quiksilver pour les vêtements de sportwear sur la côte basque). Les prestations four- nies concourent à un saut technique pour les activités industrielles auxquelles elles sont liées, parfois à une rupture technologique parmi les entreprises utilisatrices des services.

La dimension d’innovation liée à l’offre d’ingénierie et de conseils en technologie est d’autant plus marquée qu’elle s’inscrit dans une relation de proximité géographique entre les fournisseurs prestataires et la demande industrielle ou tertiaire.

Les services dans l’ingénierie technique, le conseil et le développement informatique seraient liés à des projets industriels auxquels prennent part des établissements indus- triels qui concentrent à l’échelle de villes moyennes des activités de conception, déve- loppement et production. On retrouverait sur place des activités d’ingénierie technique constitutives d’un système local d’innovation piloté par des logiques industrielles, qui se distingueraient des services innovants comme l’édition logicielle, tournée vers la mise en forme de savoirs et de compétences pour la réalisation de produits standards mis sur le marché. Autant pour l’ingénierie technique, les services informatiques que pour la réalisation de progiciels, le contenu des prestations intellectuelles est spécifié et amélioré dans le contexte localisé qui est celui de la ville moyenne. Ces activités tech- nologiques de services font partie de la base économique des villes moyennes étudiées, en participant à une certaine forme de compétitivité : des activités comme l’ingénie- rie technique contribuent à la conduite de projets parmi des branches qui structurent l’économie productive locale sur les plans industriel ou tertiaire. Mais ces services participent également de la base économique par leur propension à diffuser à partir de la ville moyenne, lieu de création des entreprises de services, des prestations ou des solutions logicielles sur un marché plus global.

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Figure 1 : La distribution de la population des principales aires urbaines de Midi-Pyrénées et

d’Aquitaine. (Source : INSEE – 2008).

L’essor des services technologiques aux entreprises dans les villes moyennes conduit à analyser l’incidence plus fine de causalités qui participent de la dynamique de ces activités : réseaux professionnels liant milieux d’affaires et recherche scientifique, logiques individuelles d’entrepreneurs, rôle des grandes entreprises locales sujettes à l’externalisation et à l’attraction de certaines fonctions dans l’ingénierie et le conseil. Au final, se pose le principe d’une articulation systémique de facteurs distincts d’un territoire à l’autre avec comme conséquences d’insérer ces agglomérations dans des flux et réseaux globalisés, contribuant en retour à renforcer les compétences locales de services et leur contenu d’innovation. Une conception systémique de l’innovation dans les services a peu à peu émergé. Elle met l’emphase sur l’importance du territoire et le rôle de la proximité, notamment à travers les logiques d’interactions, pour assurer la création de connaissances et ressources nouvelles (Asheim et Gertler, 2005 ; Cooke et al., 2004). Notre réflexion vise à montrer que les villes moyennes étudiées dans le Grand Sud- Ouest français sont en capacité d’impulser selon une logique d’autonomie, un renouvellement local du tissu de services technologiques avec une propension à élargir leurs bases marchandes et actions collaboratives à des échelles non restreintes à leur hinterland respectif.

La première partie de l’article souligne comment les services pris en compte sont constitutifs de la base économique des villes moyennes étudiées (I) avant de caractériser à pour chacune de ces villes, les activités de services représentées puis d’évoquer les ressorts structurels et historiques de leur affirmation locale (II). Au final, se dégage pour chacune des quatre villes analysées, une combinaison de facteurs qui contribue à la structuration locale du tissu de services et insère ces agglomérations dans des réseaux élargis.

1. Les services à forte intensité de connaissances, moteurs des recompositions économiques des villes moyennes

Les approches relatives à l’impact des activités de services sur l’évolution des sys- tèmes d’innovation posent la question des liens avec les territoires (Doloreux et al., 2008) et notamment dans leur configuration urbaine. Le constat est fait depuis longtemps que

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les espaces métropolitains, de par la densité des informations et des connaissances qui y seraient liées, représentent des lieux opportuns à la formation d’interactions complexes entre institutions, firmes ou personnes. Il en résulte une concentration territoriale et un auto-renforcement des fonctions de coordination des activités productives sur la base d’une proximité socioéconomique favorable à l’articulation et à la circulation de savoirs liés aux services à la production (Halbert, 2010).

1.1. La représentation des services technologiques aux entreprises dans les villes moyennes

La croissance de ces activités prestataires dans les villes moyennes témoignerait de la mutation locale de ces systèmes productifs, perçus comme fortement spécialisés et reposant sur un nombre restreint d’établissements industriels (Baudelle et Tallec, op. cit.).

L’étude de ces transformations s’avère d’autant plus pertinente que plusieurs villes parmi celles étudiées (Pau, Albi et Castres) ont connu d’importantes disparitions d’emplois suite à la recomposition d’un système productif fordiste, voire à l’arrêt d’industries extractives.

Aussi, l’offre de services technologiques et innovants qui s’y développe témoignerait de l’émergence d’un nouveau seuil de déploiement de ces fonctions, couplée à la question de leur autonomisation vis-à-vis des marchés locaux (Tableau 1).

Tableau 1 : Les effectifs des SSII dans les agglomérations des villes moyennes étudiées et des métropoles régionales.

Zone d’emploi 1993 2000 2009

Bayonne-Biarritz 193 405 652

Pau 231 412 721

Albi 135 357 197

Castres 12 36 247

Toulouse 3 815 8 728 13 658

Bordeaux 1 588 3 503 6 728

Source : UNISTATIS – 2012 Code NAF mobilisés : 5829A : Édition de logiciel système et de réseau ; 5829B : Édition logiciel outil développement & langage ; 5829C : Édition de logiciels applicatifs ; 6201Z : Programmation informatique ; 6202A : Conseil en système & logiciel informatique ; 6202B : Tierce maintenance, systèmes & applications.

informatique. ; 6203Z : Gestion d’installations informatiques ; 6209Z : Autres activités informatiques.

Si des systèmes d’innovation se dessinent dans les villes moyennes, du moins pour les services liés aux TIC, à la recherche et développement et à l’ingénierie technique, l’idée selon laquelle la métropolisation les exclurait du champ des services de haut niveau aux entreprises conduit à un légitime réexamen de ces idées reçues (Zuliani, 2005). L’intérêt est alors de mettre en exergue parmi ces agglomérations, l’existence de relations entre le dynamisme des services « cognitifs » (services de conseil et

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d’ingénierie informatique…), celui des instituts académiques dédiés à l’enseignement supérieur et à la recherche appliquée, et la capacité innovante des établissements industriels locaux ou des centres privés de recherche-développement.

Le déséquilibre de l’armature urbaine n’est plus à démontrer dans le Grand Sud-Ouest français. Les capitales régionales que sont Bordeaux et Toulouse forment les grands chefs- lieux de vastes régions administratives (Aquitaine et Midi-Pyrénées) qui concentrent une économie de services technologiques aux entreprises très développée, en particulier l’es- pace métropolitain toulousain (Scott et Zuliani, 2007). Leur principal souci d’ordre poli- tique consiste aujourd’hui à conquérir une place dans la strate des métropoles régionales susceptibles de jouer un rôle tant aux niveaux national qu’européen. Pourtant, et sans nier l’existence de disparités entre les villes moyennes du Grand Sud-Ouest français, on peut appréhender cette organisation autrement : ces agglomérations sont au cœur d’un quadril- lage de l’espace interrégional d’abord à partir de leurs fonctions basiques préfectorales ou sous-préfectorales départementales. Plusieurs d’entre elles s’affirment déjà comme des creusets de services technologiques (Zuliani, op. cit.), ce qui conduit à s’interroger sur les éventuelles externalités, les ressources endogènes et autres mécanismes interactionnels qui déterminent le développement de systèmes d’innovation à connotation servicielle.

Et les villes moyennes prises en compte, Bayonne/Biarritz et Pau en Aquitaine, Albi et Castres en Midi-Pyrénées, ne peuvent se concevoir comme des isolats découplés de leurs environnements régionaux. Elles s’insèrent et évoluent dans de multiples réseaux qui les lient entre elles au rythme de relations à l’architecture sectorielle complexe1.

1.2. Des villes moyennes aux trajectoires singulières

Les villes étudiées présentent des profils distincts. Il y a d’abord la présence de deux

« grandes » agglomérations de villes moyennes, la conurbation Bayonne/Biarritz et Pau, que l’on peut assimiler, avec plus de 100 000 habitants, à des polarités régionales intermé- diaires inscrites dans un hinterland infrarégional : le Pays Basque français pour Bayonne/

Biarritz et le Béarn pour Pau. L’autre composante des villes retenues (Castres et Albi) réunit deux villes qualifiées de « médianes », avec pour chacune des caractéristiques territoriales différenciées. Elles forment des polarités secondaires par la proximité de l’espace métropo- litain toulousain, dont elles pourraient, théoriquement, essayer de capter les éventuels effets d’entraînement et les débouchés fournis par les industries toulousaines de haute technologie (aéronautique, secteur spatial, électronique automobile et pharmaceutique).

A contrario, la conurbation Bayonne/Biarritz et Pau révèle des profils aux multiples facettes dans lesquelles se juxtaposent une économie résidentielle forteen rapport avec les activités touristiques, et les composantes d’une économie de production à caractère industriel dynamique (constructeurs et équipementiers aéronautiques, industriels du secteur textile de la glisse, entreprises agro-alimentaires). Cette situation se couple à un système d’innovation dans les services informatiques gestionnaires et techniques qu’impulsent les acteurs institutionnels et ceux de la société civile (associations, coopératives…). La

1 Voir plus particulièrement Zuliani J-M (2009), « Les services aux particuliers et aux entreprises, vecteurs d’un fonctionnement en réseau des villes moyennes ? L’exemple du Grand Sud-Ouest français » - Rapport de recherche pour le Plan Urbain Construction Architecture (Programme « Lieux, flux, réseaux dans la ville services »), 372 p.

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demande en services technologiques était déjà structurée autour des besoins exprimés en services d’ingénierie technique, conseils informatiques et systèmes logiciels par des établissements de la construction aéronautique (Dassault à Biarritz, Turboméca/Safran à Tarnos) ou du cluster industriel des sports de glisse situé entre Bayonne et Hendaye.

À ces éléments, se conjuguent des attributs de commandement à l’instar d’autres villes moyennes de même importance, ce qui favorise une pluralité d’offres dans les services courants d’informatique de gestion. Outre cette polarisation tertiaire de nature « proto- métropolitaine », la situation frontalière avec le Pays Basque Sud (Euskadi) et les échanges qui en émanent, contribuent à la motricité du développement des services aux entreprises, y compris d’innovation, et élargissent les ressorts territoriaux des marchés selon des logiques transfrontalières.

Pau, pôle préfectoral départemental et ville universitaire de plein exercice, se singula- rise par la présence de spécialisations industrielles fortes dans la construction aéronau- tique (Groupe Safran), l’agro-alimentaire, et surtout l’extraction pétrolière et gazière avec le groupe Total, anciennement Elf, dont l’implantation est liée à l’exploitation du bassin gazier de Lacq initiée après la seconde guerre mondiale. Un triptyque est constitué par trois grandes firmes, incontournables par le nombre d’emplois directs et indirects impul- sés dans l’agglomération paloise à savoir, le pétrolier Total, le systémier aéronautique Turboméca-Safran et la coopérative agroalimentaire Euralis. L’activité gazière promue par un acteur extérieur au Béarn va infléchir le développement économique local et contri- buer indirectement à la montée en qualification des fonctions et infrastructures urbaines comme l’atteste le soutien déterminant d’Elf durant les années 60 à la création de l’Uni- versité de Pau et des Pays de l’Adour (l’UPPA). Ces grandes firmes développent certes leurs propres marchés mais peuvent être aussi appréhendées comme autant de centres d’essaimage de PMI et de prestataires innovants. Ce sont également des marchés pour des entreprises sous-traitantes de l’ingénierie et de l’informatique industrielle, ce qui favorise une diversification du tissu économique dans les services afférents aux technologies de l’information et de la communication (TIC). Les recompositions en lien avec l’arrêt des activités extractives du groupe Total, si elles se sont traduites par le maintien d’un centre de recherche et développement du pétrolier (1 000 salariés), ont aussi initié des stratégies récentes de reconversion vers ce même segment des activités de services liées aux TIC.

Les trajectoires de deux villes moyennes évoluant dans l’orbite de la métropole toulou- saine (Albi et Castres) sont somme toute différentes mais ont en commun d’avoir connu une expansion industrielle régulière jusqu’à la crise du système fordiste dans les années 1980. Des opérations de reconversion se sont succédé sans altérer certaines fonctions propices au développement d’une offre diversifiée de services aux entreprises.

Dans un bassin d’emploi où la reconversion reste un enjeu fort, l’activité industrielle de l’agglomération castraise est marquée par la présence des industries textiles, de la chimie mais surtout de la pharmaceutique avec les entités de recherche et développement des laboratoires Pierre Fabre (maladies cardiovasculaires et le système nerveux central) qui comptent des pôles d’expertise et d’essai à l’organisation transversale, soit au total 1 500 emplois. Secteur à l’implantation historique, le textile dédié principalement à l’habil- lement et à la maille a connu un recul significatif de ses activités et emplois à partir des années 1980, même si le sud tarnais demeure toujours un centre de compétences autour du travail de la laine (délainage, tricotage, tissage). Face à la crise du secteur

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textile, de nombreux plans d’accompagnement visant à compenser l’érosion des emplois se sont succédé. Le désenclavement routier du bassin était au centre des préoccupations en vue de renforcer son accessibilité. En complément, l’aménagement d’une plate-forme numérique en 1989 avait pour but d’impulser le développement des TIC à vocation industrielle. L’activité industrielle structurée autour du Groupe Pierre Fabre est devenue peu à peu le principal pivot de la reconversion. Cette spécialisation est entrée en ligne de compte quand a été initiée la politique française des pôles de compétitivité en 2005 : le bassin castrais est considéré d’emblée au côté de Toulouse comme un centre d’appui et de coordination du pôle de compétitivité « CBS » (Cancer-Bio-Santé) en Midi-Pyrénées.

Préfecture du département du Tarn, Albi, et par extension l’ancienne zone minière car- mausine, représente un bassin de tradition industrielle historiquement marqué par des entre- prises emblématiques comme la Verrerie Ouvrière d’Albi (passée aujourd’hui dans le giron de Saint-Gobain) et les Fonderies du Saut du Tarn. Ces établissements industriels étaient complémentaires d’une activité houillère qui, au plus fort de son dynamisme dans les années 1960, employait près de 7 000 actifs. Ce tissu d’industries lourdes cohabitait avec une ville centre (Albi) plus axée sur le développement des services publics et des fonctions d’inter- médiation gestionnaire et bancaire. À l’image d’un grand nombre de cités ayant vécu à l’unisson d’une certaine spécialisation sectorielle, la zone urbaine d’Albi-Carmaux connaît dès la fin des années 1970 un processus de reconversion avec pour objectif d’appuyer une attractivité industrielle et technologique. Une des opérations les plus emblématiques a été l’installation en 1991, de l’École des Mines d’Albi-Carmaux (EMAC), École d’ingénieur aux activités de recherche affirmées sous tutelle du Ministère de l’industrie, avec pour mis- sion de contribuer au développement économique du bassin. Ses activités de recherche appliquée se sont basées sur une stratégie de spécification (génie des procédés industriels) qui est demeurée longtemps éloignée des préoccupations des acteurs industriels tarnais.

Pour autant, la permanence de certaines charges de centralité (services administratifs, acti- vités bancaires…) amortissent dans l’Albigeois les remous conjoncturels d’une industrie locale désormais plus diversifiée (agro-alimentaire, machines outils…). Ces recompositions sont autant de facteurs à partir desquels ont émergé plusieurs petites sociétés d’ingénierie innovantes, souvent issues d’essaimages de l’EMAC.

L’intégration progressive des activités de services technologiques dans la base écono- mique des villes moyennes conduit à nous interroger sur la nature des facteurs déclen- cheurs et sur les problématiques de pérennisation des services technologiques auxquelles sont confrontées ces mêmes agglomérations.

2. Des villes moyennes et des services technologiques innovants

Appréhender les mutations autour des services technologiques aux entreprises dans les villes moyennes requiert une approche complémentaire des outils classiques, qui donnent une large place aux traitements des données statistiques, basés sur des effets de seuil ou de masse critique. Ces valeurs quantifiées, somme toute faibles en volume à l’échelle des villes moyennes (cf. Tableau des emplois dans les services technologiques à la produc- tion), justifient le recours à une connaissance empirique des processus relationnels. À l’aide d’entretiens, nous avons travaillé à la reconstitution des trajectoires des entreprises de services. La méthode retenue a reposé sur la conduite de 24 entretiens semi-directifs

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auprès de fondateurs ou de responsables d’entreprises, complétés dans chaque ville, par des entrevues auprès d’acteurs institutionnels, de la recherche académique, du développe- ment économique qui ont intégré les services high-tech comme une variable structurante du paysage économique local.

Le panel a été constitué sur la base du degré d’innovation en rapport avec l’offre de prestations d’ingénierie ou de produits logiciels, en tenant compte également des liens de proximité avec les principaux établissements industriels locaux. C’est plus précisément les reconstitutions des chaînes relationnelles, leur genèse, leur formation et leurs évolutions qui permettent de saisir la construction géographique et sociale des marchés ou du moins l’ancrage relationnel des activités dans un environnement social et institutionnel pourvoyeur de ressources (matérielles, financières, cognitives). Ces éléments structurels nous amènent à moduler les différentes échelles territoriales et les niveaux d’action dans lesquels évoluent les offreurs locaux de services technologiques.

2.1. Bayonne/Biarritz, la polarisation de services liés aux TIC

Dans le segment des services informatiques, le cas de Bayonne et Biarritz semble assez représentatif d’un processus territorial par lequel s’est constitué depuis la fin des années 1970 un registre fourni de compétences dans les différents champs d’expertises tant en services informatiques qu’en édition logicielle. La conurbation « Bayonne-Biarritz » a peu à peu réuni les attributs d’un fonctionnement en système productif local, appliqué aux ser- vices informatiques et à l’expertise dans les TIC. C’est tout d’abord la genèse de creusets de compétences constituées autour de plusieurs entreprises bénéficiant de la circulation de savoir-faire et de personnels diplômés naviguant dans un environnement transfrontalier.

Cette « territorialité » des services apparaît marquée dans le cas des coopératives d’entre- prises, fondées sur des démarches participatives et solidaires entre des institutions locales et des particuliers sociétaires tel que l’illustre l’essor des établissements de type SCOP à partir des années 1970 (Itçaina, Palard et Segas, 2007). C’est sur cette base que l’entreprise coo- pérative et transfrontalière basque espagnole Mondragón a joué un rôle clé dans la dynami- sation de trois secteurs : les réseaux électriques, la construction de meubles et… les services informatiques. Cette influence dynamisa une offre de services technologiques aux entre- prises ainsi qu’une base de demande prestataire. Autre moteur de ce développement lié aux TIC, la création d’un institut privé de formation et de recherche dans les activités logicielles et systèmes, l’ESTIA (École Supérieure des Technologies Industrielles Avancées). Sa fon- dation en 1992 résulte d’initiatives provenant à la fois du milieu consulaire et des entre- prises, ainsi que des relais constitués des institutions académiques régionales (Université de Pau et de Bordeaux) et des unités mixtes de recherche CNRS associées.

Compte tenu de la diversité des marchés se développant à l’échelle du Pays Basque, trois registres de services technologiques et cognitifs se sont affirmés : les services infor- matiques de type générique (applications de gestion pour l’administration, la banque et les assurances), les services d’édition logicielle complétés de fonctions d’ingénierie tech- nique inscrites dans une proximité de relations avec des établissements industriels (sites aéronautiques de fabrication d’équipements et sous-ensembles de Dassault à Biarritz ou de Safran-Turboméca à Tarnos). L’informatique de gestion en lien avec la demande ban- caire n’est pas en reste. Un creuset de compétences s’est en effet structuré dès le milieu

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des années 1970 avec la firme SEI (200 emplois à l’époque), rachetée en 1992 par le groupe coopératif basque espagnol Mondragón. SEI, devenue SEI-Fagor, va alors déve- lopper une offre de solutions dans la gestion de production en travaillant pour la vente par correspondance ainsi que pour divers établissements locaux du secteur des vêtements et sports de glisse (Volcom, Quiksilver, Rip Curl…). Son implantation ancienne, ainsi que la maîtrise de technologies clés dans l’informatique industrielle et la gestion de production, ont conduit depuis une vingtaine d’années à produire un effet diasporique : des personnes issues de l’entreprise ont été à l’initiative de la création de start-up ou de PME innovantes (ex. ISEO dans la qualité de l’air) à Bayonne et dans sa proche région. D’autres anciens de SEI avaient promu en 1985 un Institut du Développement du Logiciel et des Systèmes (IDLS), prédécesseur de l’actuelle école d’ingénieurs ESTIA tournée vers les métiers de l’informatique. Les formations qui y sont dispensées, orientées vers les disciplines du génie industriel et de la mécatronique, sont complétées par les activités de recherche du LIPSI (laboratoire en Ingénierie des Processus et des Services Industriels). Cette structure est impliquée dans une recherche contractuelle avec des industriels régionaux du logiciel ainsi que dans le soutien aux créateurs d’entreprises du domaine des TIC via un incuba- teur de jeunes pousses.

Le regroupement spatial de ces activités et compétences s’illustre par l’aménagement du Technopôle d’Izarbel, à Bidart, aux portes de Biarritz, dont la réalisation procède d’un investissement massif de la communauté d’agglomération « Côte Basque – Adour » avec le soutien actif du Conseil Général des Pyrénées Atlantiques. Le dispositif à l’œuvre dans cette espace d’entreprises atteste de la création d’une offre innovante de services logiciels sur la base de transferts depuis l’ESTIA, non seulement de technologies mais aussi de méthodes et de savoirs. Le Technopôle d’Izarbel accueille quelque 70 entreprises, deux pépinières d’entreprises ainsi que l’incubateur de l’ESTIA dont les expertises techniques bénéficient aujourd’hui à une cinquantaine d’entreprises tant industrielles que de services. On y recense des entreprises de création locale, en particulier dans les services informatiques et l’édition logicielle, dont les métiers représentés vont du « centre de services » dans les solutions de communication d’entreprise autour de Microsoft (exemple : Exakis, SSII moyenne de rang national avec son siège à Izarbel et quelque 200 emplois) aux prestations d’ERP (« Enterprise Resource Planning », progiciels de gestion). Ce sont surtout les spécialités dans l’édition logicielle qui caractérisent le plus ce milieu innovant. Plusieurs petites firmes sont présentes dans des niches très spécialisées et d’envergure internationale qui requièrent des investissements en recherche et développement, que ce soit par exemple pour la cartographie et la navigation maritime (Max-Sea, 30 emplois) ou les solutions de robotique avancées (Robosoft, entreprise innovante essaimée de l’INRIA). D’autres spécialités de niche, le plus souvent portées par des créateurs passés par des SSII locales ou des instituts scientifiques de la région (ESTIA, UPPA, ENSERB…), sont représentées par de très petites firmes, et concernent des métiers aussi divers que les systèmes de transport des images vidéo, la surveillance de l’environnement, les solutions logicielles pour les cabinets d’assurance… Pour autant, l’échelle géographique diversifiée des clientèles des entreprises prestataires dans les TIC illustre l’ouverture de creusets d’activités dans les systèmes d’information, dont les marchés dépassent la simple desserte de prestations locales.

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2.2. À Pau, des services informatiques liés à des établissements industriels

Au contraire de la conurbation basque, l’espace palois a vu se structurer un tissu indus- triel constitué d’établissements de grands groupes. Or, ces différentes entités, qui ont en commun de détenir sur place de fortes compétences de recherche et développement, sont apparues comme autant d’opportunités pour le développement d’un marché local dans les services informatiques à dominante « scientifique et technique ». Son émergence renvoie au développement de l’activité extractive de gaz naturel à Lacq près de Pau avec en prolongement, l’implantation en 1985 dans la préfecture du centre scientifique et tech- nique de Total (« Centre Jean Féger ») qui concentre une puissante activité de calculs.

Les fonctions mobilisent une architecture dédiée en logiciels et systèmes dont une partie est pourvue par des sociétés ingénieristes, unités de grands groupes (Cap Gemini, Sopra Group, Sogeti High-tech), mais aussi par de petites sociétés fondées par d’anciens ingé- nieurs provenant de Total ou de firmes prestataires d’ingénierie. Des interrelations se sont nouées entre les acteurs, contribuant à l’esquisse d’un système d’innovation dans l’infor- matique scientifique et technique. Cette dynamique est d’autant mieux établie que Pau est également le siège de la firme Turboméca (filiale du Groupe Safran), spécialisée dans la fabrication de turbines d’hélicoptères qui emploie sur place 2 500 personnes, dont près de 800 exerçant des fonctions de recherche et développement.

Le rôle déterminant d’Elf puis de Total, suite à la fusion des deux entreprises intervenue en 2001, a généré diverses fonctions rattachées au secteur pétrolier dans les segments de la maintenance et de l’assistance industrielle, notamment dans les études informatiques et l’in- génierie technique, soit au total une quarantaine d’entreprises. En contrepoint, les activités de recherche et développement de ces pétroliers ont abouti à l’externalisation de segments productifs dans les essais et la simulation. Il en a résulté l’implantation de SSII, majors de la profession, qui ont développé sur place une assistance technique ou des développements forfaitisés en investissant de nouveaux marchés comme le développement de solutions dans l’environnement du système de gestion de production SAP (« Systems Applications and Products »). De là, et par divers processus d’essaimage, s’est formé un « écosystème » de compétences dans l’ingénierie appliquée à ce même système logiciel autour d’une douzaine de consultants indépendants free lance. Ces spécialistes investissent des marchés internatio- nalisés, parfois sur la base d’un rapprochement avec des cabinets à Paris ou à Londres, pour accéder à des contrats avec d’autres groupes pétroliers internationaux.

Dans ce contexte, la tendance des fournisseurs industriels à développer des activités de co-études avec un donneur d’ordres se retrouve dans le cas de Turboméca, considérée comme une « firme-pivot » du secteur aéronautique (Kéchidi et Talbot, 2010). Sa stra- tégie est d’établir des relations avec des constructeurs d’hélicoptères (Eurocopter) pour la conception et la production de turbines, tout en s’ouvrant à des coopérations d’études avec des opérateurs prestataires installés dans son proche environnement. Cette proximité fonctionne dans le cas de Turboméca avec plusieurs bureaux d’ingénierie spécialisés dans la simulation numérique, les essais et tests, dont certains partagent d’ailleurs une part de leur marché local avec le groupe Total. Ce double positionnement est d’autant plus favo- risé qu’existent, entre le secteur de l’extraction pétrolière et celui de l’aéronautique, des points de convergence liés à la criticité des systèmes électroniques et des logiciels embar- qués, ce qui structure en retour des transversalités de compétences parmi les offreurs

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de prestations informatiques. Le troisième pôle moteur du développement des services informatiques et d’ingénierie industrielle se structure autour de la coopérative Euralis, qui a diversifié ses activités régionales dans la production de semences, de produits agro- alimentaires divers (foies gras, vins, plats cuisinés…) avec plus récemment la recherche d’une valorisation des productions agricoles dans les matériaux de construction (chanvre et lin). Son développement local a nourri jusque-là une offre de services à caractère générique axée sur l’informatique gestionnaire tout en permettant l’émergence de com- pétences dans l’édition logicielle appliquée à la distribution commerciale et coopérative (magasins Gamvert, Point vert). C’est le cas pour la société Genèse Informatique, deve- nue en quelques années, avec une trentaine d’employés, l’un des principaux opérateurs nationaux sur cette niche de marché de la « distribution verte ». L’effet prescripteur fourni par Euralis s’est alors révélé déterminant auprès du milieu professionnel des coopératives agricoles désireuses de structurer des réseaux de distribution tournés vers les particuliers.

À l’échelle de l’agglomération paloise, des compétences circulantes affectent la branche des activités logicielles. Un seuil qualitatif semble avoir été atteint, favorisant des transferts de compétences entre les entreprises prestataires, y compris celles qui œuvrent dans des domaines distincts. En retour, ces mobilités de compétences, et la circulation des savoirs entre les secteurs d’activités qui lui est consubstantielle, confortent une dynamique assu- rantielle parmi les entreprises prestataires, quand elles ont à faire face à des recrutements spécialisés afin de répondre à des marchés extérieurs ou à une demande locale.

2.3. Castres, une diversification servicielle et l’aménagement de réseaux haut débit Les recompositions économiques intervenues dans le bassin de Castres à la suite du déclin des industries textiles ont privilégié un soutien aux activités en lien avec l’usage des systèmes d’information. Il est alors encore difficile d’évoquer l’amorce d’un fonc- tionnement en « système productif local » tant la configuration productive observable fait état plutôt d’une juxtaposition d’activités liées à l’économie numérique. Leur déve- loppement a reçu l’appui des pouvoirs publics ainsi que celui du Groupe Pierre Fabre qui interfère fortement avec ces derniers. L’essor d’un noyau de fournisseurs de services technologiques ne peut s’expliquer sans évoquer la place prépondérante des laboratoires pharmaceutiques Pierre Fabre (Taulelle et al., 2005). Déjà considérée comme le principal donneur d’ordres du sud tarnais dans les prestations opérationnelles, la firme pharmaceu- tique a externalisé des activités d’études attirant des petits établissements spécialistes par exemple de tests cliniques.

La recherche d’une offre servicielle dans les systèmes d’information a constitué l’autre volet de la reconversion du site castrais. D’où le lancement en 1997 de la société d’éco- nomie mixte, Intermédia Sud, administratrice du réseau de communication haut débit en fibres optiques, qui compte au nombre de ses principaux actionnaires la communauté d’agglomération et… le groupe Pierre Fabre. Celui-ci y voit d’ailleurs l’opportunité de développer une connexion spéciale entre ses 17 sites de Midi-Pyrénées. Le financement de la plateforme numérique procède d’un partenariat financier public/privé qui unit la firme pharmaceutique à divers acteurs institutionnels locaux (mairie de Castres, mairie de Mazamet, département du Tarn). Le réseau est associé plus largement à la réalisation intercommunale d’un parc de bureaux (« Causse Espace d’Entreprises ») doté d’infras-

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tructures et de services collectifs aux entreprises (pépinière et hôtel d’entreprises). Ainsi, sont venus s’installer des prestataires de services sur Internet, des éditeurs de logiciels qui disposent d’une infrastructure utile à l’offre de prestations à distance comme la petite firme CGx System, spécialisée dans l’informatique embarquée et la géolocalisation.

La plateforme numérique a également motivé l’externalisation par le groupe Pierre Fabre de ses activités d’infogérance en accueillant une firme major en la matière, Devoteam (150 emplois à Castres). Pour cet opérateur, l’implantation castraise, si elle permet de bénéficier de l’assise commerciale procurée par la proximité du marché de Pierre Fabre, s’inscrit dans une division technique interne des tâches d’infogérance : l’établissement local coordonne des sites sous-traitants au Maroc, en travaillant égale- ment pour une clientèle parisienne dans la banque et les assurances. Les fonctions de ges- tion et de traitement informatique articulée à l’existence d’une boucle locale haut débit ont été étoffées. D’abord par l’inauguration d’un datacenter privatif du réseau national des Banques Populaires dont la venue procède d’un transfert d’activité depuis la région parisienne. Une orientation stratégique est donnée aujourd’hui aux services et systèmes d’information appliqués à la santé (télésanté, imagerie médicale et l’e-santé) en relation avec des centres de ressources toulousains (CHU, Agence spatiale, SSII). L’enjeu est cependant pour les acteurs locaux d’en retirer des avantages en captant des projets portés par des entreprises locales de services informatiques (CGx ou encore iMage’inn pour l’imagerie médicale), par le centre hospitalier intercommunal de Castres-Mazamet ou bien par la nouvelle formation d’ingénieurs en Informatique et Systèmes d’Information pour la Santé (ISIS) implantée depuis 2006. Sur la base d’une infrastructure numérique couplée au rôle prépondérant d’un donneur d’ordres industriel, un niveau d’efficacité prestataire semble atteint par une ville moyenne où l’ouverture du marché se conjugue à l’emboîtement des échelles liées à l’offre de services.

2.4. À Albi, des SSII aux marchés élargis

Face aux relations de proximité organisationnelle qui conditionneraient le développe- ment induit des activités d’ingénierie informatique, le faible tissu industriel de l’Albigeois ne semblerait pas réunir les attributs du déploiement de ces mêmes activités. Ce marché local de l’activité industrielle, dans la gestion et l’amélioration de procédés industriels, resterait de surcroît relativement faible et cantonné à des activités « banales », faible- ment intégratrices d’innovations techniques. Pour autant, l’essor récent de quelques SSII locales, tournées vers des marchés nationaux, refond le paysage économique et technolo- gique local. Dans un premier temps, ce saut se manifeste parallèlement à la croissance des emplois de conception-recherche dans l’enseignement-supérieur et la recherche (École des Mines, Centre Universitaire J-F. Champollion).

L’activité industrielle locale ne constitue pas le seul créneau marchand des sociétés albi- geoises de services informatiques. Les cellules administratives et de gestion d’activités ban- caires et d’assurances ou celles des services aux particuliers sont en proie à l’utilisation croissante de solutions informatiques, notamment dans l’aide à la décision et à l’organisa- tion. Face à des logiques organisationnelles sans cesse plus complexes dans le secteur ban- caire et de l’assurance, l’intégration de solutions informatiques n’épargne pas le territoire des villes moyennes. Les relations entre les agences et les succursales locales qui maillent

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le territoire et le siège des établissements bancaires se construisent sur la base d’une forte division du travail respectueuse de la hiérarchie urbaine. Cette question de la division du travail interne aux groupes bancaires et d’assurance intervient dans le contexte du maillage opéré par la distribution des villes moyennes sur l’ensemble du territoire national et de leur traditionnel rôle de « support » de charges et fonctions de centralité. Ce processus apparaît d’une très grande acuité en étant pourvoyeur d’emplois et de fonctions. Les profils des décisions et des activités dispensées par les antennes bancaires peuvent varier d’un territoire à l’autre. À titre d’exemple, Albi reste le siège le pôle gestionnaire principal de la Caisse régionale Nord Midi-Pyrénées du Crédit Agricole, tête d’une organisation en réseau de ces activités avec les agglomérations de Castres, Cahors, Rodez et Montauban.

Trois profils peuvent alors se dégager dans le développement des sociétés de services informatiques de l’Albigeois :

- des sociétés opérant dans la gestion informatique ainsi que dans les registres res- pectifs du traitement de données et de l’amélioration des procédés industriels. Ce sont donc des applications mais également des prestations que l’on peut qualifier de

« génériques » autour de l’ERP et se déployant autant vers l’industrie que vers les secteurs bancaires, d’assurance et la distribution commerciale ;

- des sociétés, dont l’activité première réside dans la fourniture de solutions informatiques répondant à des procédés industriels mais pour des marchés de niche, notamment ceux de l’usinage de précision (ex. Machines-Outils et Conception Assistée par Ordinateur…) ; - de jeunes entreprises fournisseuses de prestations de calculs, activités venant conso- lider leurs carnets de commande. Ces prestations débouchent sur la constitution pro- gressive de solutions informatiques et de logiciels qui leur sont propres.

Le développement d’entreprises fournissant des solutions de Progiciel de Gestion Intégré répond dans un premier temps à une demande locale autour des secteurs bancaires et d’assurances. Sur des bases contractuelles négociées, ces sociétés (Sylob, Report-One ou Inforsud, en tout 150 salariés) développent, pour certaines d’entre-elles, des activités de R&D en lien étroit avec l’EMAC. Ses spécialités dans le génie des procédés industriels constituent un champ d’enseignement et d’expertise commun partagé avec ces mêmes sociétés (ex. Programme de recherche communs, Thèse CIFRE etc…).

Inforsud, GIE (Groupement d’Intérêt Économique) impulsé à l’origine par le Crédit Agricole en 1969, développe des prestations dépendantes d’activités bancaires aux rami- fications interrégionales. Les marchés de Sylob et Report-One sont extérieurs à l’Albi- geois, faisant évoluer ces sociétés sous le registre d’une concurrence nationale avec d’im- portants éditeurs de logiciels. L’essentiel des activités de recherche et développement ou l’édition des solutions informatiques produites à Albi sont le fruit d’une division du tra- vail qui s’accompagne d’activités de prospection disséminées sur l’ensemble du territoire national. Un autre volet du développement local des activités d’ingénierie informatique repose sur des creusets de compétences constituées par des start-up issues de l’incubateur de l’EMAC et créées par des docteurs diplômés de l’École. Leurs activités s’apparentent à l’acquisition progressive d’une fonction d’études appliquées qui vient compléter et diver- sifier leurs activités d’origine. Ces solutions répondent à des niches de marché identifiées par les créateurs, et développées à la suite de programmes de recherche qui amènent ces entreprises à se mouvoir sur des marchés nationaux voire européens animés par de grands groupes industriels (Décathlon, Salomon, Airbus…).

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Les agglomérations des villes moyennes révèlent chacune des processus évolutifs et structurels spécifiques qui contribuent sur place à l’affirmation d’une série d’activités technologiques et innovantes de services aux entreprises. Cette construction localisée d’une offre de prestations intellectuelles ne peut être pour autant appréhendée sans carac- tériser une série de causalités interdépendantes à l’échelle de chaque ville moyenne.

3. Une articulation systémique de facteurs à la base du dynamisme des services technologiques

Les variables explicatives de l’ancrage des services technologiques aux entreprises dans les villes moyennes étudiées renvoient, nous l’avons vu, à des trajectoires et à une série de processus distincts que l’on peut répartir en deux catégories :

- la consolidation de marchés de proximité, qui montre que les villes moyennes sont également les territoires de systèmes productifs en lien avec la diffusion, le surgisse- ment ou la création de ressources nouvelles et renouvelées ;

- l’autonomisation de ces services technologiques à la production, qui créent de nou- veaux champs de valeurs et de compétences.

3.1. Les villes moyennes et la construction des marchés de proximité

Les exemples de villes moyennes analysées soulignent que dans chacune d’entre elles s’opère une dynamique évolutive de l’offre techno-prestataire, qui repose dans un premier temps sur la formation de marchés locaux. Cette même offre de services technologiques dépend d’abord d’une économie de localisation en lien avec la présence d’entreprises aux activités complémentaires, d’une main-d’œuvre formée et de l’accès à l’information via des chaînes relationnelles productrices d’interconnaissances. De là, s’expriment des effets de « seuil » générés par des volumes de marchés industriels ou tertiaires qui ont la capacité de mobiliser des externalités de connaissances et des savoirs circulants. Ce sont autant d’éléments, différenciés selon les villes moyennes et selon les marchés locaux, qui structurent les dynamiques endogènes d’innovation, que ce soit pour fournir ou sol- liciter des services d’ingénierie ou informatiques (Mouhoud, 2010). Ces marchés locaux peuvent révéler des liens transversaux ou complémentaires entre les branches d’activités qu’assurent les fournisseurs prestataires. Bayonne/Biarritz ou Pau offrent la particularité de révéler des complémentarités naissantes de relations entre les services technologiques innovants et diverses fonctions de support tertiaire par exemple dans la logistique et trans- port, la banque, les centres d’appel entre autres.

Ces effets transversaux inhérents à l’économie locale des services révèlent un effet de seuil dans le développement tant qualitatif que quantitatif de l’offre de services. C’est un processus évolutif dans lequel tendent à s’inscrire des villes moyennes de taille plus restreinte. Les compétences albigeoises dans l’informatique de gestion et le génie des procédés conduit au renforcement de relations prestataires en direction des activités ban- caires et des fonctions administratives supérieures (hôpital, centre universitaire, etc.). Les champs des relations de services ne sont donc pas figés, comme en témoigne le déploie- ment récent sur place de SSII (Sopra Group, GFI Informatique) qui développent des centres de services en relation avec leurs maisons-mères. Les villes moyennes demeurent

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tout de même un socle territorial pour la fourniture de services aux entreprises et aux institutions publiques et parapubliques. La proximité spatiale reste alors un enjeu crucial de la déconcentration des services avancés (conseil, expertise ou ingénierie) au contact de firmes ou d’institutions donneuses d’ordres. L’efficience collective attachée à ces formes d’organisation valorise alors des mécanismes en interaction qui se soldent par la conso- lidation de creusets de compétences, telle que l’illustre à Pau la concentration de presta- taires informatiques, spécialistes des systèmes logiciels « SAP ».

Dans chacun des sites étudiés, les relations prestataires d’affaires s’imbriquent dans un substrat de relations sociales avec des conventions et des règles partagées dont sont porteurs des individus (créateurs d’entreprise et chefs de projets dans des firmes). Ces processus relationnels expliquent aussi la formation de prestations, contribuant à une construction sociale des marchés autour des services technologiques. Au final, l’ana- lyse de la construction des marchés de proximité témoigne d’une coexistence entre des

« facteurs structurels », assimilés à des facteurs classiques de production des services (densité des sources de marchés, de la main-d’œuvre qualifiée, des infrastructures favo- rables à l’implantation des activités), et des « facteurs socioculturels », plus en rapport avec les dimensions relationnelles des ressources humaines qualifiées (liens amicaux construits dans un cursus local de formation supérieure, liens forts et stables entre col- laborateurs professionnels).

Notons que l’industrie aéronautique ne peut se concevoir comme un secteur moteur à l’échelle des quatre agglomérations étudiées du Grand Sud-ouest français. Il est dès lors difficile de considérer le développement de ces villes par rapport aux seuls effets d’entraî- nements d’une industrie majeure qui structure pourtant une grande partie de l’activité économique des métropoles régionales (Toulouse et Bordeaux dans une moindre mesure).

À Albi et Castres, l’émergence des services technologiques n’apparaît pas ou très peu en lien direct avec l’existence du tissu industriel aéronautique pourtant proche de Toulouse, et affecte des compétences pointues, alors que l’industrie aéronautique est quasiment absente de ces villes (INSEE, 2011). En contrepoint, Bayonne/Biarritz et surtout Pau accueillent certaines activités de construction aéronautique avec une forte implantation de l’équipementier Safran, ce qui participe à l’essor et à la fixation d’activités ingénieristes et d’expertises en informatique industrielle (calculs, temps réels, simulation etc.).

3.2. L’influence locale de grandes firmes industrielles pour « fixer » des services technologiques

Quelle que soit l’articulation entre « facteurs structurels » et « facteurs socio-culturels », un autre déterminant territorial influe sur la représentation locale du tissu techno-prestataire, à savoir la présence d’un ou plusieurs établissements de grandes firmes industrielles et de leur autonomie décisionnelle. Cela se vérifie dans la conduite de travaux thématiques de recherche et développement, à l’image des activités du groupe Pierre Fabre à Castres et de celles de Safran-Turboméca ou du groupe Total à Pau. L’activité de ces grandes sociétés et la générali- sation du modèle de sous-traitance voire de la cotraitance sur des segments sectoriels d’activi- tés, constituent des terreaux propices à l’implantation et au développement connexe de presta- taires ingénieristes. Dans une ville moyenne importante comme Pau, où prévaut l’influence de deux voire trois grandes entreprises industrielles aux activités soutenues de recherche et déve-

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loppement, un système d’innovation autour des services technologique a pris forme selon une configuration inédite. La création du « centre de simulation palois » (CSP), méga-calculateur pour la conception de systèmes critiques, en est l’illustration. Son montage revient à Safran- Turboméca en partenariat avec l’antenne locale de la SSII parisienne « Communication &

Systèmes », alors que ses applications couvrent diverses branches (aéronautique, automobile, construction ferroviaire…) sur la base de transversalités technologiques et de compétences.

À Castres, l’influence du groupe pharmaceutique Pierre Fabre se manifeste par une politique d’externalisation de services (infogérance, tests cliniques) qui contribue en retour à une den- sification des fournisseurs établis dans un proche environnement, ce qui nourrit l’élévation qualitative de l’offre locale de services.

3.3. L’incidence de l’offre d’enseignement supérieur et de recherche

L’essor local d’activités techno-prestataires peut être interprété également comme la résul- tante de politiques institutionnelles initiées par des acteurs publics et/ou privés. On retrouve en premier lieu des politiques nationales d’aménagement du territoire axées sur la reconver- sion industrielle ou des projets impulsés par un large spectre d’acteurs aboutissant à l’im- plantation de structures d’enseignement supérieur et de recherche. C’est le cas à Albi où des apports substantiels de l’État et des pouvoirs publics locaux ont permis la création en 1991 d’une École des Mines adossée à une activité scientifique dans les nouveaux matériaux et le génie industriel, suivie de l’ouverture d’une antenne des universités toulousaines. À Castres, l’épisode de reconversion implique activement le Groupe Pierre Fabre, et privilégie plutôt l’aménagement d’infrastructures d’accueil avec un réseau local à haut débit tout en favori- sant l’installation d’une école d’ingénieurs dans les systèmes d’information appliqués à la santé. Aux côtés de ces actions institutionnelles promues au travers des dispositifs centraux d’aménagement du territoire, les initiatives en faveur de l’offre de formation supérieure et de recherche à Pau donnent un rôle prépondérant au Groupe Total. Sous son impulsion, l’UPPA intègre des formations et des compétences scientifiques qui s’orientent vers les mathématiques et leurs applications, l’imagerie en géosciences et la thermodynamique sans toutefois que le génie pétrolier ne soit le moteur exclusif des coopérations avec la sphère industrielle.

Pour autant, la spécialisation de recherche dans le génie énergétique demeure une thé- matique importante des collaborations scientifiques locales avec l’industrie, puisque la présence du centre de recherche de Total a généré une antenne de l’Institut Français du Pétrole (IFP), lui-même impliqué dans la conduite du pôle de compétitivité AVENIA (développement de technologies liées à l’exploration et à l’exploitation du sous-sol) label- lisé en 2006. À l’inverse, les actions initiées à Bayonne en matière d’enseignement supé- rieur et de recherche ont surtout mobilisé des acteurs locaux en vue de créer par exemple une école d’ingénieurs privée, spécialisée dans l’informatique industrielle à défaut d’un projet d’École des Mines non retenue en 1990.

Quelle que soit leur taille, les villes moyennes étudiées ont intégré chacune des spé- cialités dans la recherche appliquée qui gravitent autour du génie industriel, du génie des procédés, de l’architecture des systèmes d’information. Or, des processus locaux illustrés par des essaimages d’entreprises, des cessions de licences ou de logiciels, ont abouti à densifier les écosystèmes techno-prestataires via des PME innovantes, des firmes start-up qui relèvent de l’ingénierie spécialisée ou de l’édition logicielle. Au final, la construction

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locale de compétences dans les services high-tech, si elle est un aboutissement des initia- tives en faveur de domaines ciblés d’enseignement supérieur et de recherche, témoigne, dans les villes moyennes, d’une capacité nouvelle à définir un projet de développement sur la base de ressources liées à la production de connaissances.

3.4. Le renforcement des services technologiques à partir d’une construction sociale de l’innovation

Les approches contemporaines du développement de l’innovation à finalité industrielle renvoient traditionnellement à un « ordre spontané », traduction d’un présupposé théo- rique construit autour de l’autonomie des phénomènes économiques vis-à-vis de leurs environnements sociaux. Cette approche pointe l’efficience supposée des espaces métro- politains, incubateurs de l’innovation, et cela sous couvert de fortes économies d’agglo- mération liées à la « densité matérielle » des hommes et des activités propices à la genèse de rendements croissants (Krugman, 2008). À l’instar de travaux empiriques menés sur le développement par l’entreprenariat d’entreprises innovantes (Grossetti et Bès, 2001 ; Grossetti et Barthes, 2008 ; Grossetti, 2008), nous pouvons observer pourtant que les ressources mobilisées par les créateurs (ex. premiers contrats industriels, inscription dans un programme de recherche et développement, constitution du capital de départ, etc.) reposent sur des relations sociales. Ces dynamiques consacrent alors l’encastrement voire la dépendance de l’activité économique vis-à-vis de son environnement social en fonction des différentes temporalités de développement des entreprises de services.

Souvent, durant la phase de lancement de l’activité et l’obtention des premiers contrats, les relations personnelles (amicales et familiales) et professionnelles (nouées à l’occasion des cursus de formation supérieure) priment dans l’accès aux ressources matérielles et cognitives mobilisées. En effet, l’analyse de la trajectoire évolutive de jeunes sociétés souligne que dans chaque cas, des causalités distinctes déterminent les premiers marchés : travaux de recherche menés dans le cadre de partenariats industriels finançant le doctorat des fondateurs (Aurock à Albi) ; formalisation de contrats de recherches au sein de labora- toires partenaires (Robosoft à Biarritz, Neotim à Albi) ; mobilisation de relations profes- sionnelles antérieures (Max-Sea à Biarritz, Report-One à Albi). Ces opportunités laissent entrevoir de fortes relations de dépendance vis-à-vis de leurs environnements sociaux et locaux durant les phases de création et de prospection vers de nouveaux marchés. Ces relations, auxquelles sont liées des ressources pour l’entreprise, s’affirment sur une tem- poralité relativement longue et sont activées, le cas échéant, afin d’infléchir et de réduire l’incertitude liée à la création de l’activité servicielle.

Conclusion : des villes moyennes, nœuds et noyaux de services technologiques Il est reconnu que les villes moyennes constituent un univers d’hétérogénéité (Brunet, 1997). À l’échelle de nos terrains, les villes étudiées apparaissent d’abord tels des nœuds d’articulation dans le déploiement d’une architecture productive portée des firmes mul- tinationales industrielles (Safran, Pierre Fabre, Total, Quiksilver…). Ces entreprises concentrent sur place des activités de conception et de design, y façonnant un environne- ment d’activités ingénieristes ou d’expertises techniques diverses. C’est donc à l’échelle

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des villes moyennes concernées que se dessinent des logiques de polarité et d’articula- tion productive par la conception et la création de valeur ajoutée, qui pèsent, au-delà, sur les stratégies de décision et de gestion de ces firmes aux marchés mondialisés. La ville moyenne révèle en parallèle l’existence de creusets de compétences constitutifs de noyaux techno-prestataires circonscrits à des champs bien spécifiques. L’avantage est alors pour ces agglomérations de s’ouvrir, d’être exportatrice et de s’insérer dans d’autres réseaux. Les villes moyennes étudiées articulent de façon plus ou moins poussée ces deux logiques du développement territorial des services technologiques aux entreprises.

Nous pouvons observer que les formes sur lesquelles repose la dynamique locale des SSII et des firmes ingénieristes s’établissent à partir de liens forts et stables articulés à la base productive des villes moyennes. En outre, ces liens sont souvent structurés à partir d’individus-ressources qui assurent des fonctions d’intercession entre différents niveaux d’action inhérents au jeu de l’offre et de la demande prestataire, tout en faisant varier les échelles territoriales des marchés. Cette situation se reproduit à partir des structures d’enseignement supérieur et de recherche qui renouvellent la base cognitive locale en produisant de nouvelles connaissances (ex. co-production de contrats de recherche), puis en contribuant à la formation des compétences disponibles sur les marchés locaux du travail. Des villes moyennes comme Albi ou Castres s’inscrivent dans un marché du travail des techniciens et ingénieurs structuré plus largement par la métropole toulousaine.

Ces mêmes liens sont alors pourvoyeurs d’une dynamique assurantielle liée à la stabilité des relations et des collaborations. De fait, un effritement qualitatif et quantitatif de ces relations peut conduire à une remise en cause de l’architecture des systèmes d’innovation liée aux services technologiques.

Certes, les dynamiques innovantes construites à partir des services technologiques se fondent sur des logiques de proximité géographique, mais progressivement l’offre de services prend une nouvelle dimension. Elle s’insère dans des interactions marchandes et cognitives qui se basent sur une circulation multi-scalaire entre les territoires, des informations et connaissances constitutives de l’offre de services innovants. Des villes comme Bayonne/Biarritz, Pau ou encore Albi s’avèrent des points d’ancrage récents du déploiement des SSII, moyennes ou bien majors de la profession. Les expertises requises en lien avec les standardisations des méthodes et procédés pour des donneurs d’ordres locaux (de l’industrie ou du tertiaire tels les hôpitaux, l’éducation nationale, les caisses régionales des banques ou des mutuelles…) offrent des opportunités commerciales que saisissent ces SSII en inaugurant sur place des centres d’exploitation dits de « proximité » ou centres « nearshore ». À première vue, ces stratégies épousent une logique constitutive de marché de proximité dans les services informatiques. Cependant, les besoins d’expertise ont introduit un système de relations plus élaborées : les centres de services fonctionnent en réseau à l’échelle de la SSII toute entière par la mobilisation croisée de compétences diverses ou transversales. Et les villes moyennes qui accueillent ce type de supports (ex.

Bayonne/Biarritz, Pau et récemment Albi) deviennent de nouveaux maillons territoriaux en lien avec les modalités multiples de création, d’adaptation et de diffusion des compétences prestataires.

À l’inverse, l’édition logicielle participe à l’exportation de nouvelles richesses com- pétitives depuis les villes moyennes vers un marché global qui peut être métropolitain, national ou international. Les liens entretenus avec les marchés d’utilisateurs conduisent

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