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Article pp.344-354 du Vol.7 n°3 (2009)

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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S’il est communément admis que les savoirs édités en réseau, de par leurs enjeux institutionnels, scientifiques, socio-économiques et politiques, ont fait l’objet d’un grand nombre d’études et d’analyses, notamment sur les transformations des apprentissages et sur l’émergence de nouvelles pratiques, il apparaît aussi que la prolifération de l’information scientifique éditorialisée conjuguée à la diversification des formats de présentation fait ressurgir un débat complémentaire : l’organisation et l’accès à (ou l’accessibilité de) cette information numérique. Ces deux dimensions méritent d’être réexaminées et repensées puisqu’elles ne cessent de questionner, et de manière interdépendante, les différents acteurs concernés par les formes de (co)production et d’appropriation des savoirs en réseau (les auteurs et éditeurs, les médiateurs, les usagers…) :

– les auteurs éditeurs et les formateurs sur leurs modes d’écriture et sur les formes de présentation ;

– les outils de recherche et de médiation sur leurs modèles d’indexation, de structuration ou d’organisation ;

– les usagers sur leurs pratiques d’interrogation et techniques de localisation, voire de validation et d’appropriation guidées ;

– et enfin les concepteurs, formateurs et enseignants, de ressources numériques, objets d’apprentissage, comme les ENT-EVT, les campus numériques, etc. sur leurs pratiques professionnelles et sur leur métier.

Pour le moins, avec le web participatif (souvent désigné par Web 2.0), l’intensification de la codification et de la diffusion des connaissances a pour conséquence majeure de faire reposer notre capacité à nous informer sur de nombreuses formes et normes de structuration et d’accès à des informations et des connaissances, comme l’indexation collective, l’extraction d’information et son recyclage, le groupement d’internautes partageant des profils et intérêts similaires.

En cela, si les informations scientifiques en ligne ont généré des environnements de travail et des espaces documentaires variés, il n’en est pas moins vrai que les dispositifs techniques mis en place visent l’harmonisation des modes de balisage et tentent d’appréhender les problèmes de localisation et d’appropriation.

La diversification des modes d’organisation et de mise en circulation des savoirs éditoriaux et de contenus de formation en ligne tels que les archives ouvertes, les banques d’objets d’apprentissage, les weblogs, les wikis, les ontologies et le web sémantique… d’une part ; l’apport des technologies de traitement d’information dans un processus de localisation et de validation d’autre part, confrontent la communauté des chercheurs et des praticiens de la formation à différents problèmes, dont celui de penser la médiation inscrite dans ces outils et ces dispositifs.

En posant ces questions, nous nous interrogeons sur les opportunités (ou les contraintes) d’ordre technique, économique et socio-culturel dues à la mutation des

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savoirs en ligne vers ces nouveaux modes d’organisation. L’objectif de ce numéro de Distances & savoirs est de baliser cette vaste et essentielle question en mobilisant une variété d’approches et de disciplines, afin d’étudier les problèmes sous-jacents :

– comment les nouvelles formes de présentation, à travers les contraintes qu’impose l’édition numérique, favorisent de nouvelles formes de médiation du savoir ou de nouvelles médiations éducatives ;

– comment les langages de recherche et les techniques de localisation que s’approprient les usagers (comme par exemple les pratiques de folksonomie) structurent l’édition des savoirs en réseau ;

– quelles sont les pratiques émergentes (des différents acteurs et des lieux institutionnalisés : éditeurs, enseignants, apprenants ou bibliothèques, centres de ressources, médiathèques…) dues aux nouvelles fonctionnalités des dispositifs de recherche et d’accès à l’information numérique.

C’est à l’ensemble de ces questions et d’autres que nos auteurs, issus de disciplines variées, s’intéressent et apportent quelques éléments de réflexion à travers leur article.

Serge Agostinelli examine les relations entre outils et dispositifs. Ces deux termes sont ici employés volontairement au pluriel, car il y a plusieurs médiations à considérer. L’objet de cet article est d’établir une distinction de l’approche artefactuelle des situations de médiation du savoir de celle relative à une culture numérique ou de celle que les anglo-saxons appellent information literacy et les francophones, culture de l’information. Car ces approches n’ont pas toujours pris conscience des nouvelles attitudes et des habitudes que les outils ont déjà engendrées.

L’article commence par examiner une vision de la médiation des savoirs qui consiste à analyser une pratique technique sans expliciter l’action sous-jacente des outils sur le monde. La mise en évidence théorique de la place des outils amène à constater que les TIC sont des systèmes cognitifs incarnés. L’ensemble de ces considérations définit deux options d’une politique de médiation : une vision

« étroite » des TIC où l’analyse des outils ne parvient pas à dépasser les questions de dialogue homme-machine ; une vision « ouverte » des TIC où l’acquisition des connaissances constitue un système de mise en relation des individus, des outils, des connaissances, une situation et un contexte.

Toutefois, l’évacuation de la dimension sociale du numérique, la prédominance du matériel et du logiciel en renouvellement incessant ont installé la relation culturelle au numérique dans l’instantanéité et dans le fétichisme (Latour, 1995).

Cela ne facilite guère l’exercice de la médiation ni la construction des savoirs.

En conséquence, pour penser la notion d’artefact, Agostinelli nous invite à délaisser l’individu et plaide pour une analyse anthropologique des produits éditorialisés intégrant les situations sociales, les espaces communs de communication et les communautés.

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Les deuxième et troisième contributions s’intéressent au blog qui se retrouve dans la lignée des dispositifs dominants du web participatif. Le blog reste un outil d’opportunité innovante dans l’organisation et l’accès à l’information scientifique éditorialisée d’une part, il est perçu aussi comme un paradigme émergeant porteur de nouvelles pratiques dans la diffusion et l’appropriation du contenu pédagogique en ligne d’autre part.

S’intéressant au blog d’une enseignante en histoire-géographie, Nolwenn Hénaff a réalisé une étude exploratoire de terrain (quantitative et qualitative) en vue de questionner le potentiel pédagogique de ce dispositif, marqué déjà par sa dimension communicationnelle et éditoriale. Après un essai de cadrage liminaire, l’auteure s’intéresse au blog comme un objet « SIC » (sciences de l’information et la communication), et porte ainsi son analyse sur l’étude de la production-publication- réception et les usages sociaux et socio-économiques de l’outil. Elle préconise une étude de l’usage de l’objet à la fois relationnelle et technique « chaque billet, assorti de son lot de commentaires, doit donc être étudié autant comme acte communicationnel créateur de pratiques connexionnelles, avec a posteriori une prise en compte des aspects technico-économiques inhérents à l’offre ».

Nolwenn Hénaff utilise, dans sa démarche, les différentes traces d’écriture multimédia qui aideront dans l’analyse formelle des indices de potentialités éducatives du blog. Ces données peuvent prendre des formes variées allant des interactions écrites conservées aux dispositifs communicationnels du blog (annonces, moteur de recherche interne…) et passant par les rubriques de fonctionnement communicationnel (charte, présentation de l’auteur) ainsi que les indicateurs statistiques… Dans son analyse, elle conditionne l’appropriation rapide des blogs par le recoupement de trois conditions sociales « une prise en main aisée de l’outil, une autre pratique personnelle d’expression et enfin une possibilité de co- construction de nouveaux usages de l’outil comme la pratique collective ou l’initiation au débat ». Son enquête a montré que si les deux premières conditions sont réunies chez l’enseignante, la troisième fait défaut chez les élèves, qui prouvent un nouveau rapport aux nouvelles technologies et à l’enseignante mais ne manifestent aux contenus pédagogiques qu’un intérêt très limité, dû principalement à la présence d’un cadre communicationnel normatif dans le dispositif. Ceci conduit l’auteure à s’interroger sur la légitimité de parler de « pratique professionnelle innovante » sur la base singulière d’un dispositif technique.

Dans leur article, Catherine De Lavergne et Pauline Lieb-Storebjerg présentent une expérience d’utilisation pédagogique d’un blog dans un dispositif de formation présentielle, en première année de licence information et communication. Au point de départ, ils se réfèrent au concept de « pédagogie embarquée » qui désigne la conception pédagogique, la plupart du temps implicite, qui structure tout environnement technopédagogique. C’est à l’explicitation de ce modèle qu’est consacrée la première partie de leur contribution. Dans la seconde, les auteurs s’attachent à analyser l’impact de l’utilisation du blog sur ce dispositif de formation.

Les auteurs rappellent fort à propos que l’hybridation d’un dispositif pas plus que

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l’apprentissage en ligne ne garantissent un changement des pratiques pédagogiques ou la mise en œuvre d’un apprentissage collaboratif. Inversement, l’apprentissage collaboratif a pu se développer sans le recours aux technologies de l’information et de la communication. En conséquence, « l’intérêt de l’utilisation d’un environnement informatisé, dans des formations universitaires en présentiel, n’est pas celui de permettre à des apprentissages collaboratifs de se réaliser, mais de pouvoir amplifier de façon dynamique et récursive le système d’apprentissage mis en place, pour autant que ses principes soient posés et imprègnent le design et l’ingénierie pédagogique ».

Pour penser et construire leur usage du blog, les auteurs ont retenu quatre principes, les quatre lignes d’action suivantes : a) « mettre l’apprentissage et non l’apprenant au centre du dispositif », ce qui présente l’avantage de prendre en compte la dimension collective plutôt qu’individuelle du processus d’apprentissage ; b) « considérer l’apprentissage comme émergeant d’interactions situées », autrement dit, la connaissance ne peut se construire qu’à partir de l’activité expérimentée par le sujet « dans des pratiques, dans des lieux, dans un monde d’objets » ; c) « la notion élargie d’apprentissage » à ses dimensions professionnelle, académique, sociale, personnelle et stratégique ; d) enfin, « expérimenter le dispositif comme une valorisation pédagogique et sociale de la recherche », autrement dit faire de l’enseignement universitaire un terrain propice à la formation des étudiants « à la recherche et par la recherche ».

Au-delà de la description de l’expérimentation elle-même et de son analyse, l’intérêt de cette contribution réside dans l’approche adoptée par les auteurs. Alors que les courants actuels de la recherche s’intéressent à modéliser les dispositifs hybrides afin de pouvoir mieux observer et décrire les effets de leurs différentes dimensions technopédagogiques identifiées, les auteurs interrogent ici la cohérence et les effets réciproques entre les conceptions pédagogiques sur lesquels se fonde le dispositif de formation et l’utilisation de l’outil ou du service blog dans le cadre d’une activité d’apprentissage.

Dans la continuité des textes sur les politiques éditoriales, nous passons d’une logique enseignante à une logique ingénieur.

Dans leur article, Erik Gebers et Stéphane Crozat proposent une description de la solution logicielle SCENARI pour la rationalisation et l’industrialisation de la production documentaire d’une part, et d’autre part, un certain nombre de projets de déploiement de SCENARI dans le cadre de l’enseignement universitaire dont les Universités numériques thématiques (UNT) et régionales (UNR). Parmi ceux-ci, les auteurs présentent plus longuement les projets RIAM ECOUTE et RNTL scenari- platform dont l’objectif a été le développement d’une chaîne éditoriale axée autour du média audio et des récentes technologies du réseau, par exemple, le PDA.

Les principes fondateurs d’une telle démarche que nous rappellerons brièvement constituent le cœur de notre thématique puisqu’il s’agit de favoriser l’industrialisation du processus de production des ressources documentaires et

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l’interopérabilité de ces dernières. Le premier de ces principes concerne la séparation des métiers et des rôles qui a pour conséquence la distinction du fond et de la forme, entre les contenus et leur représentation, position qui est loin d’être partagée aujourd’hui y compris par les auteurs de ce numéro. Dans la production de ressources numériques, la chaîne éditoriale s’organisera donc – comme souvent dans l’édition traditionnelle – à partir d’une stricte division du travail : aux enseignants l’expertise des contenus dont la maîtrise et la transmission constituent leur véritable métier ; aux graphistes, aux informaticiens, la mise en forme, la mise en page et le travail éditorial donnant lieu à un produit final, en général de meilleure qualité. Le rédacteur peut ainsi se consacrer tout entier à la rédaction des contenus tout en s’évitant les apprentissages techniques souvent lourds des logiciels et des langages de publication. Le deuxième principe consiste dans la diversité des « rendus de publications » : le produit, le fichier final peut être déployé sous différents formats informatiques (principe de polymorphisme) - HTML, format OpenDocument, PDF, etc. – et restitué à travers divers supports médiatiques (ordinateur personnel, téléphone portable, document papier, etc.) dans des contextes d’utilisation singuliers (principe de ré-éditorialisation). La mise en œuvre de cette démarche suppose enfin la disjonction entre les formats de création et de publication. Les premiers se basent sur une structuration logique du texte et sur des modèles de publication formalisant les caractéristiques du « genre » (Bronckart, 1997) dont relève le texte.

L’article retrace donc le bilan de l’activité de l’Unité d’innovation ingénierie des contenus et savoirs dans le cadre de laquelle est né le projet Scénari et tente finalement de donner « un aperçu du potentiel et de l’intérêt des chaînes éditoriales dans une démarche d’industrialisation de la production documentaire ».

Dans leur article consacré aux archives ouvertes en France, Joachim Schöpfel et Christiane Stock essayent de montrer le potentiel documentaire de ces ressources et leur apport à la socialisation de la recherche à travers le libre accès à l’information scientifique. Présentée tantôt comme une alternative aux modèles traditionnels de l’édition scientifique, tantôt comme un dispositif complémentaire aux offres des espaces documentaires et campus numériques, l’archive ouverte constitue aujourd’hui un réservoir potentiel de savoir et un vecteur de connaissances dans la recherche scientifique.

Quant à la validité de l’information et la notoriété éditoriale, les auteurs signalent que la plupart des articles scientifiques déposés dans les archives ouvertes (AO) ont été également publiés ailleurs (post-publication) dans des revues ou actes de colloques, après avoir été préalablement évalués par des pairs (comité de lecture ou scientifique). Toutefois, certains documents échappent aux circuits traditionnels d’accès et de diffusion et sont publiés aux AO sans aucune expertise antérieure (pre- publication). Certaines AO n’acceptent que les post-publications et le contrôle qualité est reporté alors vers l’éditeur commercial.

Dans leur enquête sur les différents aspects des AO (institutions et organismes dépositaires, domaines scientifiques et disciplinaires, thématiques couvertes, langues

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d’interface et d’interrogation, types de documents…), les auteurs dressent un premier bilan préoccupant : a) un grand domaine producteur de l’information scientifique, tel que les sciences du vivant, ne dispose d’aucun site d’AO au niveau national ; b) la plupart des AO refusent de communiquer leurs critères d’évaluation, ce qui empêche l’utilisateur final d’anticiper la question de la pérennité du contenu ; une question inhérente aux capacités d’interopérabilité et d’échange des contenants ; c) certaines AO jouent le rôle d’un simple relais informationnel présentant principalement des documents secondaires (notices bibliographiques) ; d) face à l’embargo pratiqué encore par certaines AO, la socialisation de l’accès n’est toujours pas totale ; (e) dans une volonté de rendre plus accessibles et donc plus visibles les résultats de la recherche scientifique, plusieurs AO ont mutualisé leur contenu sans pour autant pouvoir identifier les doublons, ce qui risque de biaiser les calculs statistiques sur les usages des AO ; (d) au point précité, s’ajoute le manque de moyens techniques et organisationnels pour observer les dynamiques communautaires (et individuelles) d’usages pendant l’exploitation des AO.

Conscients de l’apport des nouvelles technologies dans l’enseignement, qui réside essentiellement dans (…) l’accessibilité facilitée aux connaissances et aux savoirs, le rendant en quelque sorte universel (Crétain, 2004), les deux auteurs s’interrogent sur les raisons de cette désunion entre l’enseignement en ligne et les AO et plaident pour un rapprochement des deux dispositifs. A travers une série de réflexions, les auteurs interrogent les nouveaux rôles des AO en tant qu’espace ouvert au partage et à l’accès à l’information scientifique.

Dans son article, Huguette Rigot présente une analyse des modèles éditoriaux qui s’exprime dans le domaine scientifique. Son approche favorise une mise en perspective historique et une mise en évidence des contradictions actuelles. Au point de départ, le sentiment d’une montée de la marchandisation des savoirs dans le domaine de l’édition scientifique. Le régime éditorial actuel couplé au processus d’évaluation bibliométrique favorise une pression sur le travail intellectuel et une rationalisation de l’activité et des comportements. A partir de cet épicentre, Huguette Rigot décline les phénomènes de résistance dans le domaine des Sciences Humaines et Sociales.

Prenant appui sur la critique de l’édition scientifique, l’auteure s’attache à mettre en évidence le type de contrat textuel issu de la tradition humaniste. Elle rappelle combien celui-ci est éloigné du modèle de production collective de connaissance du Web 2.0. De plus, la révolution numérique qui favorise une abondance documentaire n’affecte qu’à la marge le système d’attribution de la valeur. En conséquence, les chercheurs se trouvent dans une situation de grande incertitude. D’un côté, ils perçoivent le mouvement de formatage des écrits scientifiques ; de l’autre côté, ils se méfient des opportunités permises par les nouveaux dispositifs éditoriaux numériques comme les wiki et les blogs. Afin de lever l’incertitude, Huguette Rigot trace les principes généraux d’un nouvel ordre éditorial numérique et plaide pour un autre agencement des droits et devoirs des auteurs.

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On le perçoit, les auteurs et l’agencement de ce numéro de Distances & savoirs proposent un mouvement spiralaire où s’expriment des questionnements, des espérances et des craintes. Revenons cependant à une catégorisation binaire pour présenter la Table ronde de ce numéro.

Les mondes académiques forment à la fois le socle d’une civilisation – celle de l’écrit, car ils en garantissent la continuité – et des instances destructrices puisque la force de la recherche est précisément de questionner et de remettre en cause le réel.

Ces mondes sont donc un soutien et une menace : ils permettent l’agencement d’un ordre, mais participent à sa contestation. Les savoirs édités en réseau sont le lieu d’une indistinction entre puissance destructrice et puissance créatrice, désintégration et organisation (Morin, 1997). Il n’est donc pas étonnant de constater une prolifération actuelle de travaux de recherche et d’actions sur ce thème. De surcroît, on sait que la culture qui englobe les médias et internet sort des milieux professionnels académiques. Eric Von Hippel (2005) annonce une démocratisation de l’innovation, car centrée sur l’usager qui peut tout seul créer ses propres services selon ses propres besoins. D’autres comme Howard Rheingold (1993) sont allés plus loin : ce sont de nouvelles modalités d’agir social qui deviennent possibles, par exemple à travers les communautés virtuelles. On parle même, comme Alvin Toffler (1980), de « culture éclatée ». À la démassification des médias correspond l’individualisation des mentalités comme semble l’attester la prolifération des environnements personnalisés et des blogs.

Il est désormais possible de développer une culture et une formation scientifique ressenties comme libres, car autonomes, plaisantes et transparentes. Cependant, l’usage des documents électroniques s’appuie sur une culture professionnelle extrêmement technique et ancienne, celle du monde du livre et des bibliothèques, qui s’oublie si bien qu’elle finit par nous paraître naturelle. Ainsi en est-il des pages, bordures et cadres qui sont là pour structurer l’espace de l’information qui ont l’art de se rendre « invisibles ».

Nous retrouvons là une fonction invariante des « machines à communiquer » qui est de rassurer. Dans leurs discours de présentation, depuis les origines, les inventeurs affichent la volonté de réguler un déséquilibre par la nouvelle machine à communiquer qu’ils proposent (Perriault, 1989, 2008). Que ce déséquilibre soit affectif, informationnel ou démocratique (Graham Bell inventa le téléphone pour s’entretenir avec sa fiancée sourde), la technique touche et peut ré-agencer nos « technologies intellectuelles » (Stiegler, 2009). Le numérique et les nouvelles potentialités de traitement de l’information dont il est porteur peuvent-ils affecter nos opérations cognitives et renouveller nos traditions intellectuelles, c’est-à-dire les actions et modalités de la production et de la transmission des savoirs (Goody, 2007) ?

Ces deux dimensions (l’une sociale et individualiste, l’autre technique, historique et professionnelle) agrégées aux logiques industrielles et marchandes sont examinées et pensées de manière interdépendante lors de la table ronde. En effet, Isabelle Boydens (Univ. Libre Bruxelles), Éric Bruillard (Univ. Paris 12), Pierre-

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André Caron (Univ. Lille1), Gabriel Gallezot (Urfist Nice) et Daniel Schneider (Univ. Genève) proposent analyses et commentaires autour de quatre questions.

En visant un éclairage complémentaire, les questions portaient sur : la compréhension de ce qu’implique et représente actuellement l’informatique ; les nouvelles pratiques d’énonciation éditoriale et la question parallèle du droit de réutiliser ; la confrontation entre une tradition épistémologique d’administration de la vérité et celle d’un « savoir narratif » favorisé par une communication généralisée où tout se commente ; les différentes approches d’évaluation (techno-centrée, orientée usages communautaire et/ou individuel…) et la possibilité de développer une méthodologie scientifique reproductible, rationnelle et normée.

Le lecteur trouvera des réponses variées et stimulantes. Elles témoignent de la diversité des points de vue et des entrées possibles. En l’occurrence, la table ronde permet à chacun de se situer et de se comparer à d’autres regards possibles. Elle est un moment de réflexivité, fruit de constatations partielles sur des modèles de transmissions et de connaissances qui doivent « permettre aux gens, sur tous les chemins de la vie, de chercher, d’évaluer, d’utiliser et de créer l’information pour des objectifs personnels, sociaux, professionnels et éducationnels »1 (UNESCO).

Pour conclure, nous aimerions identifier les principaux apports de ce numéro ainsi que les thématiques et les questions qui pourraient constituer de nouvelles pistes de recherche.

En premier lieu, les réponses des contributeurs concernent essentiellement les pratiques éducatives, les modes de publications et de diffusion des connaissances en milieu académique. Certes, cela n’a rien d’étonnant dans la mesure où les auteur(e)s que nous avons sollicité(e)s et qui ont répondu sont aussi nos collègues, tou(te)s inscrit(e)s professionnellement et socialement dans le monde et les institutions universitaires. Pourtant, il nous paraît important d’en souligner les conséquences : les réponses et les analyses que nous proposons dans ce numéro n’ont de validité que dans le domaine social et professionnel qui est le nôtre. Il est peu question de leur généralisation à d’autres sphères d’activités, à d’autres contextes socioprofessionnels. La réponse de ces derniers aux mêmes interrogations serait sûrement de plus grand intérêt dans une perspective comparative et donc plus générale. Ce travail resterait à faire.

A partir de l’analyse plus théorique du concept de médiation, Serge Agostinelli rappelle qu’il existe deux approches des technologies : la première technocentrée, la seconde anthropocentrée. Cette dernière qui conçoit le dispositif technologique, selon l’expression de Monique Linard, comme incarné cognitivement et socialement apparaît donc très opposée à la conception d’un système logico-symbolique capable de traiter des informations abstraites en dehors du sujet et de toute interaction. Dans le domaine de la technologie de l’éducation et de la formation entièrement ou

1. Forrest Woody Horton, Jr. Introduction à la maîtrise de l’information, Paris, UNESCO, 2007. p.i. Disponible sur : http://unesdoc.unesco.org/images/0015/001570/157020f.pdf

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partiellement à distance, qu’il s’agisse du déploiement de dispositifs de formation intégrant des environnements numériques, on assiste à l’émergence d’un réel paradigme de travaux de qualité, construits sur l’approche anthropocentrée. Ceux-ci manifestent aussi une certaine maturité comme le montrent de nombreuses publications récentes et, parmi celles-ci, les ouvrages de Jacquinot-Delaunay et Fichez d’une part, d’Albero, Linard et Robin d’autre part, tous deux recensés dans ce numéro.

Troisièmement, les auteurs évoquent une opposition que nous connaissons bien dans le domaine des technologies et de la formation entièrement ou partiellement à distance et dont les pôles se déclinent à travers les valeurs antinomiques suivantes : individualisation, personnalisation, artisanat, bricolage versus standardisation, rationalisation et industrialisation, ingénierie. La formation à distance, en effet, est considérée depuis fort longtemps comme exemplaire du processus d’industrialisation de la formation.

Rappelons-en les principales raisons : un mode de production industriel et une division du travail, qui constitue d’ailleurs l’un des fondements des chaînes éditoriales (Erik Gebers et Stéphane Crozat), un recourt important aux dispositifs technologiques, des mécanismes de reproduction et diffusion généralisées, etc. Par ailleurs, les environnements numériques, les plate-formes, les EIAH, etc. – tous produits de l’industrialisation – parce qu’ils ont été mis en œuvre dans les dispositifs de formation ont largement contribué à l’introduction de l’industrialisation dans la formation autant qu’à la diffusion, parmi les concepteurs et les acteurs de dispositifs de formation, d’un certain esprit industriel. Cette forme de rationalisation est d’ailleurs présente dans les pratiques éditoriales scientifiques telles que les décrit Huguette Rigot.

A ce mouvement et à sa philosophie s’oppose celle des technologies de type Web 2.0 dont les attributs sont notamment la production participative et collective et une nouvelle dynamique entre expression individuelle et collective. Le blog, souvent évoqué dans ce numéro (Catherine De Lavergne et Pauline Lieb-Storebjerg), fait partie de ces nouveaux dispositifs et s’inscrit donc parfaitement dans cette problématique. Il constitue d’ailleurs potentiellement une alternative aux pratiques éditoriales scientifiques évoquées ci-avant et au contrat textuel hérité de la tradition humaniste (Huguette Rigot).

A propos des blogs, la contribution de Nolwenn Hénaff souligne un autre aspect qui retiendra toute notre attention. L’une des conditions sociales de leur appropriation réside, écrit-elle, dans la capacité des étudiants à co-construire de nouveaux usages liés à une pratique collective ou à l’émergence d’un débat. Or, les étudiants ne semblent pas prêts à cette évolution, dans le cadre des contraintes académiques ajouterions-nous, et n’offrent que peu d’intérêt aux contenus pédagogiques. Pour comprendre cet échec relatif, nous proposerions volontiers l’hypothèse suivante : le blog se trouverait à la croisée de deux mondes difficilement conciliables, au centre d’usages contradictoires et de tensions difficiles à résoudre pour les étudiants, pris en otage entre les usages personnels et domestiques d’une

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part, et les usages académiques d’autre part, les premiers relevant de la pragmatique des savoirs narratifs, les seconds de celle des savoirs scientifiques selon l’analyse de Lyotard.

En conséquence, nous pensons que l’une des pistes prometteuses pourrait être l’analyse des tensions et les enjeux entre :

– l’univers académique et les univers sociaux. La dichotomie est pourtant peu favorable aux transferts de connaissances, aux pratiques hybrides, innovantes ou aventureuses et aux épistémologies nouvelles ;

– les pratiques narratives de production et de diffusion de connaissances largement basées sur les technologies de type Web 2.0 telles que les étudiants les expérimentent et les vivent dans le cadre de leur vie personnelle d’une part, en milieu académique d’autre part, basées sur des modèles académiques normés par la pragmatique des savoirs scientifiques ;

– les pratiques de production et de diffusion des connaissances telles que les vivent et les expérimentent les enseignants universitaires dans leur vie de chercheur à travers des modèles classiques et d’autres induits par les technologies du réseau et du web participatif.

Analyser et comprendre ces situations, nous ramène immanquablement à une conception culturelle, sociale et cognitive des environnements numériques et des formes de médiations qui leur sont associées. Le paradigme anthropocentré dont nous saluions l’émergence s’en trouverait renforcé.

Ismaïl TIMIMI, Eric DELAMOTTE GERIICO, Université Charles-de-Gaulle Lille 3

Daniel PERAYA TECFA, Faculté FPSE, Université de Genève

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