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Le conflit, du face-à-face au corps à corps : une immersion comme agent de sécurité en établissements de nuit

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Academic year: 2021

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immersion comme agent de sécurité en établissements de

nuit

Jonathan Bresson

To cite this version:

Jonathan Bresson. Le conflit, du face-à-face au corps à corps : une immersion comme agent de sécurité en établissements de nuit. Sociologie. Université Rennes 2, 2018. Français. �NNT : 2018REN20019�. �tel-02927766�

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Le conflit,

du face-à-face au corps à corps.

Une immersion comme

agent de sécurité en établissements de nuit

Thèse soutenue le 22 mai 2018

Devant le jury composé de :

Loïc WACQUANT

Professeur, University of California, Berkeley / Examinateur

Yves WINKIN

Professeur, Conservatoire National des Arts et Métiers /

Rapporteur

Christine DÉTREZ

Professeure, Ecole Normale Supérieure de Lyon / Rapporteure

Omar ZANNA

Professeur, Université du Maine / Examinateur

Véronique NAHOUM-GRAPPE

Anthropologue, IIAC, retraitée de l’École des Hautes Études en

THESE / UNIVERSITÉ RENNES 2

Sous le sceau de l’Université Bretagne Loire

Pour obtenir le titre de

DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ RENNES 2

Mention Sociologie

École doctorale Sciences Humaines et Sociales

Présentée par

Jonathan Bresson

Préparée au sein du laboratoire VIPS2 Violences, Innovations, Politiques, Sports & Socialisations

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SOUS LE SCEAU DE L’UNIVERSITÉ BRETAGNE LOIRE

UNIVERSITÉ RENNES 2

École Doctorale - Sciences Humaines et Sociales

Laboratoire - VIPS

2

LE CONFLIT,

DU FACE-À-FACE AU CORPS À CORPS :

UNE APPROCHE COMME AGENT DE SÉCURITÉ EN

ÉTABLISSEMENTS DE NUIT

Discipline : SOCIOLOGIE

Tome N°1

Présentée par Jonathan BRESSON

Directeur de thèse : Stéphane HÉAS

Co-directeur : Éric PÉCHILLON

Soutenue le 22 mai 2018

Jury :

Mr Loïc WACQUANT, Professeur, University of California, Berkley (Examinateur) Mr Yves WINKIN, Professeur, Conservatoire National des Arts et Métiers (Rapporteur) Mme Christine DÉTREZ, Professeure, École Normale Supérieure de Lyon (Rapporteure) Mr Omar ZANNA, Professeur, Université du Maine (Examinateur)

Mme Véronique NAHOUM-GRAPPE, Anthropologue, Institut Interdisciplinaire d’Anthropologie du Contemporain, retraitée de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (Examinatrice invitée) Mr Stéphane HÉAS, Maître de conférences HDR, Université Rennes 2 (Directeur de thèse) Mr Éric PÉCHILLON, Professeur, Université de Bretagne Sud (Co-Directeur de thèse)

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« Le monde, en vérité, est une cérémonie ».

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Sommaire Tome I

Propos préliminaires ... III

Introduction ... 1

Chapitre Introductif. Cadres de la recherche ... 19

Section 1. Se saisir d’une problématique internationale, bousculer le paradigme de la violence ... 21

Section 2. Dans les pas d’E. Goffman : un cadre dramaturgique situationniste ... 39

Section 3. Une sociologie des usages sociaux du corps, par corps ... 64

Chapitre I. Violences et brutalité physiques du conflit ... 93

Section 1. Imaginaires co-constructeurs de l’axiologie des violences corporelles ... 95

Section 2. La modalisation de la brutalité ritualisée ... 151

Conclusion Chapitre I ... 180

Chapitre II. De l’agression à l’action ... 183

Section 1. Pour une sociologie du passage à l’acte situé ... 184

Section 2. Agression et provocation ... 242

Conclusion Chapitre II ... 293

Chapitre III. L’assaut, le conflit en actions ... 295

Section 1. Dimensions spatiales et déplacements ... 296

Section 2. Les attaques ... 323

Conclusion Chapitre III ... 369

Conclusion Générale ... 371

Table des matières ... 377

Index ... 380

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Remerciements

La réalisation de cette thèse aurait été impossible sans le concours de nombreuses personnes. À cet effet, je tiens à remercier en premier lieu mon directeur de thèse, Stéphane Héas, pour son soutien de tous les instants, bien au-delà de l’attendu, sa vigilance, et pour m’avoir transmis le virus de la recherche. Mon co-directeur ensuite, Éric Péchillon, pour nos échanges sur les complémentarités et distinctions qui habitent le droit et la sociologie, ainsi que sur bien d’autres choses. Grâce à eux ce fut un travail d’équipe des plus enrichissants, tout autant humainement que scientifiquement.

Impossible de ne pas remercier le laboratoire auquel s’adosse l’étude, qui, de VIPS en VIPS2 a su contribuer à l’épanouissement de mes recherches par son atmosphère toujours

chaleureuse. Une mention particulière pour Omar Zanna, pour nos discussions scientifiques, ainsi que pour m’avoir accordé une grande liberté dans mes modalités d’enseignements durant mon année comme contractuel à l’université du Mans en 2016-2017. Je tiens d’ailleurs à remercier les étudiants manceaux et rennais pour ce qu’ils m’ont enseigné par leurs questionnements, certitudes et incertitudes. Enfin, au sein du monde universitaire, derniers mais non des moindres, mes remerciements les plus chaleureux vont à Julien Lachuère et Killian Mousset, collègues doctorants et désormais docteurs, co-équipiers de rédaction indéfectibles, mais aussi compagnons de soirée et amis, ainsi qu’à Thomas Falchun, compagnon doctorant de débats et de fête de la première heure, ayant quitté le chemin de la thèse pour les plus verts pâturages du maraichage "bio" dans le Finistère.

Un grand merci à ma mère et mon père, pour m’avoir compris et épaulé en tous points et pour avoir enduré ces longues années d’efforts avec patience ; à mes amis, ma famille d’adoption, Jérémy Viallard, Marceline Pioche, Thomas Bras, Tristan Le Breton, Alexandre Le Bonniec, Florent Bourrhis, Sebastien Haye et à tous les autres. Un merci tout particulier, parmi les amis, à Cyril Rouger et Kevin Le Feuvre, compagnons de résilience… que de chemin parcouru depuis le collège !

Je tiens aussi à saluer mon "maître", "grand frère" et ami, Nguyen Thanh Tam, sa famille (Nam, Nha, Xun, mais aussi le clan étendu des parents et amis) et leur école d’arts martiaux traditionnels, Tayson ki Thuat, pour leur humanité, leur gentillesse et leurs sourires, pour m’avoir livré les clefs de ma patrie d’adoption, le Viêt-Nam.

Comment ne pas saluer, de même, l’ensemble du club du Dragon d’or de Rennes, et tout particulièrement Kellig Pelletier, pour m’avoir introduit au secteur de la sécurité, et pour

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m’avoir enseigné mes premières techniques ? Remerciements à Alexis Meghe et Antoine Crambert, ensuite, mes modèles photos, mais aussi amis enseignants d’arts martiaux traditionnels vietnamiens pour les deux, ainsi qu’à Sebastien, patron du « Oan’s pub », scène de nos reconstitutions. Remerciements à Erwan Marré, directeur sportif du club, à Vianney Douay, et tous les passionnés d’arts martiaux avec lesquels j’ai pu échanger, incluant Jacques Crémieux et les membres de l’ARRESCAM.

Je tiens aussi à remercier l’entreprise Shield, que je ne peux citer nommément mais dont certains acteurs se reconnaitront, tout particulièrement son président et son ancien responsable des relations humaines jusqu’à 2014, ainsi que tous ceux avec qui j’ai pu passer de bons moments et qui m’ont soutenu.

Remerciements pour les personnels des établissements de nuit enquêtés, depuis 2008, que je ne peux malheureusement pas plus citer nommément. Remerciements tout particuliers à mes collègues immédiats de la "Cave" et du "Galion", surnommés Gwen et Ben, ainsi qu’à l’équipe des agents de sécurité de la discothèque le "Diamond", qui se reconnaîtront inévitablement. Un grand merci aux anciens collègues videurs et portiers avec qui nous avons passé des moments mémorables, bons et moins bons, et qui m’ont, pour la plupart, ouvert leur sympathie jusqu’à ce jour.

Enfin, un remerciement à mes compagnons de soirée et de fête, aux clients habitués, et à tout ceux à qui je me suis confronté et me confronterai.

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Propos préliminaires

Quelques indications semblent nécessaires en termes de précisions sur les modalités de la mise en forme et de l’usage des références.

Notre thèse s’adresse à des sociologues et des anthropologues, et plus spécifiquement à des chercheurs mobilisant l’ethnographie ou sensibles à ses problématiques. Elle est destinée à des chercheurs pour qui le terrain n’est pas annexe, mais bel et bien un élément de la problématique. Des encadrés sont intentionnellement bien marqués dans le corps de texte, pour permettre à chacun de les cibler immédiatement en lecture sans gêner la lecture de la thèse. À ces encadrés adaptés aux modalités rédactionnelles du corps de thèse, viennent s’ajouter une ethnographie de l’entrée dans la profession et de trois établissements, sur 18 soirées complètes choisies, placée en annexe (Cf. Annexes. II). Les encadrés de ces dernières sont tels que retranscrits de première main. Cette partie ethnographique, bien qu’anonymée, comporte des données sensibles. Elle sera donc retravaillée dans la visée de la rédaction d’un ouvrage, sa présentation en l’état étant exclusivement réservée au jury. Ne pas inclure cette partie ethnographique dans le corps de texte et en conserver les modalités rédactionnelles est un choix mûrement réfléchi. Si ce chapitre ethnographique devient annexe, il n’en présente pas moins un intérêt certain pour éclairer la thèse, aussi, sa structure en quatre sections indépendantes fait-elle que le lecteur pourra le consulter à son bon vouloir pour mieux s’imprégner, d’un seul trait ou progressivement.

Sur le plan de la forme, plusieurs de nos choix suivent l’intention de proposer une ergonomie du document plus confortable au lecteur, tant pour le transport que la lecture. Nous avons ainsi opté pour une présentation recto-verso et une division en deux tomes. Ensuite, le développement de notre thèse se fera au gré de différents supports qui peuvent sortir des sentiers traditionnels. Nous avons aussi cherché à questionner la construction de la recherche dans la forme des moyens de clarification des données. Certains supports sont donc destinés à clarifier le propos par une projection en image1. À cette fin de confort de lecture, nous avons

1 Des schémas conceptuels réalisés avec le logiciel « mind view » espèrent éviter d’éventuels effets de lourdeur

générés par des précis conceptuels. Des photos de reconstitution de postures et de gestes n’ont pas pour but de présenter une sorte de manuel, mais de lier les éléments du propos dans la vue d’ensemble que seule une image d’un corps en action peut proposer (Cf. Chap. III). D’autres supports sont destinés à apporter un complément d’information, un matériau supplémentaire, dans une démarche chère à E. Goffman, comme les encadrés "dans la culture populaire" ou encore les encadrés présentant des références médiatiques, comme affiches de films et de jeux vidéo.

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aussi tenté de fluidifier la forme d’écriture pour simplifier la lecture en allégeant le texte. Le référencement suit l’agencement moderne, où les références seront indiquées directement dans le texte dans la mesure du possible2.

En deçà de ces quelques éléments de forme, précisons rapidement notre posture bibliographique. En plus de celles répertoriées, d’autres références ont en effet été consultées en abondance mais ne figurent pas dans la thèse. Cette absence, qui pourrait surprendre, manifeste qu’elles n’ont pas retenues notre attention pour son développement scientifique. Il peut s’agir de références sur les différents objets abordés, comme l’urbanité, les loisirs, le nocturne, la sécurité, ou encore la violence et le conflit, ne contribuant pas à éclaircir l’argumentation mais la complexifiant inutilement. Il peut s’agir de références sociologiques dont nous reconnaissons pourtant l’incontestable valeur, mais qui compliqueraient le cadrage théorique pour contraindre à des débats épistémologiques nous éloignant de notre problématique. Il peut enfin s’agir de références nous écartant trop du champ sociologique et de notre domaine d’expertise, au risque de nous perdre dans d’autres débats épistémologiques nous menant cette fois sur la pente glissante des porosités disciplinaires, ou pire, de nous pousser à des raccourcis dangereux. Ces choix de tri épistémologiques ont été un des plus grands défis de la recherche et de la problématisation théorique. D’autres références ont pu simplement nous échapper, dans la masse des données du champ scientifique, d’autant plus colossale qu’accessible et productive. Son traitement constitue un des défis contemporains. Notre objectif reste de ne pas perdre de vue l’objectif central, qui reste le déploiement de la thèse.

Le caractère transversal de la défense de notre thèse, notre situation d’enquête, nos choix théoriques et méthodologiques, destinés à y répondre, poussent à étendre nos perspectives et donc à prêter le flanc. Cette limite est aussi une force de l’étude. Il s’agit donc d’un risque mesuré et accepté, un risque nécessaire. Nous le répéterons à plusieurs reprises, nous ne sommes ni philosophes, ni psychologues et n’en avons pas la prétention, aussi n’avons-nous pas l’immodestie non plus de pouvoir mobiliser ces références autrement qu’à travers un regard sociologique, voire anthropologique.

2 Le nom de l’auteur, la date et la page sont mentionnés en première occurrence d’un travail d’un auteur, puis

simplement la date et la page lorsque d’autres références du même auteur sont traitées à la suite, et ensuite simplement la page, lorsque d’autres références du même texte sont immédiatement mobilisées. Les éditions originales sont indiquées entre crochet après l’année de l’édition citée.

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Introduction

Ces quelques pages introductives doivent davantage tenir le rôle de clarification d’un précis destiné à une meilleure navigation dans le texte que d’approfondissement de quelque point de la thèse. Il s’agit essentiellement d’introduire une situation sociopolitique et de préciser nos choix, en premier lieu dans l’orientation de la problématique, ensuite sur les plans théorique et méthodologique par une "mise en bouche"3.

Une enquête entre bruits et silences

« Dans ce vaste orchestre culturel, il n’y a ni chef, ni partition. Chacun joue en s’accordant sur l’autre. Seul un observateur extérieur, c’est-à-dire un chercheur en communication, peut progressivement élaborer une partition écrite, qui se révélera sans doute hautement complexe ».

Winkin, 1988, 8

La présente thèse se positionne à l’articulation de la sécurité, des établissements de nuit, du conflit, de trois éléments convergeant autour du silence. Un silence assourdissant. Un silence contrasté par le tumulte qui règne à leur sujet. À échelle locale, les établissements de nuit font du bruit. Ils sont tapageurs par leurs activités culturelles, mais surtout, bien malgré eux, à travers les remontrances des politiques publiques et les frasques judiciaires qui émaillent les actualités de proximité. Tandis que des affiches promotionnelles de soirées colorent les panneaux et murs citadins, que le brouhaha des abords et des cris épars de clients sur le retour déchirent la quiétude nocturne, que la municipalité enchaîne les réunions sur le « vivre ensemble », que les gros titres de la presse publique quotidienne locale hurlent au drame, la voix des employés, elle, se perd dans les vapeurs du petit matin (Cf. Annexes. I, Ch. I, Sect. 1-2). J. Escalon lance d’ailleurs un appel à éclairer cette « terra incognita » des mondes nocturnes sur le site du CNRS durant la première année de notre recherche (Escalon, 2014 ; Cf. Idem).

3 Les propos rappelés entre guillemets en chevrons (« ») et en italique sont les propos qui appartiennent à

d’autres auteurs identifiables, qu’il s’agisse de références scientifiques ou d’acteurs interrogés. Les concepts seront cités de la sorte la première fois puis mobilisés avec la typographie régulière du texte car assimilés à la recherche. Les guillemets dactylographiques ("") serviront de guillemets de mise sous caution sous deux formes. Ils seront utilisés avec une écriture droite pour mettre sous caution de régularité ou d’ironie les propos provenant de l’auteur. Ils seront aussi utilisés conjointement à une écriture italique pour les propos qui ne proviennent pas d’un auteur précis, incluant le rédacteur de la thèse. Il pourra s’agir d’expressions langagières en français, en argot ou en autres langues, des concepts diffus comme la "nature humaine", des désignations informelles de lieux ou de personnages.

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À échelle nationale cette fois, le sujet de la sécurité privée, lui, fait grand bruit, en tant que marché économique, sachant que la dimension politique n’est jamais loin. Cette décennie, il semble difficile d’échapper à cette « sécurité privée, nouvelle vigie nationale », comme le titrait le journal Libération au 01/08/2016 (Libération, 2016 ; Cf. Annexes. I, Chap. II, Sect. 1). Pourtant, tandis que les médias claironnent le dynamisme économique d’un secteur entrepreneurial florissant, les voix des agents de sécurité s’étranglent dans une précarité indécente, tant sur le plan des rémunérations que des risques et, plus largement, de la pénibilité du travail (Cf. Chapitre introductif, Sect. 1 ; Annexe. I, Ch. II, sect. 1).

Un encadrement drastique du secteur de la sécurité privée en France a été engagé en 2009. Le fait que l’enquêteur ait effectué ses premières nuits de travail comme videur de discothèque en 2008 et ait débuté une prise de notes sommaire dès 2009 dans le cadre d’un "Travail Encadré de Recherche" de licence (au sujet du vécu des violences par les agents d’une discothèque, la « Loco »), nous4 a permis de suivre l’évolution de la structuration de ce

secteur professionnel sur la décennie. Il est alors intéressant de faire un petit détour par le droit. Trois évolutions juridiques notoires ont eu lieu5 en cours de thèse, dont deux concernent

la gestion de conflits. Elles montrent combien, jusque dans la période de rédaction, l’actualité a avancé en même temps que nos travaux.

A travers ses cinq interventions en colloques depuis 2014 et une tribune au « nouvel

obs » (Bresson, Nouvel obs’, 2016), l’enquêteur a insisté sur la nécessité d’une

reconnaissance de spécificités professionnelles pour les agents de sécurité privée officiant en

4 La retranscription d’une recherche sur des bases ethnographiques peut aisément devenir confuse sur le plan de

la désignation des pronoms. Il semble donc nécessaire de préciser certains choix de présentation. Le texte mobilise la première personne du pluriel comme "nous de modestie", en aucun cas comme "nous de majesté". Ce nous de modestie n’est cependant pas mobilisé comme simple effet de convenance, mais comme une forme rhétorique confinant à la maïeutique. Il désigne donc le doctorant, mais cherche aussi à embarquer l’équipe qu’il compose avec ses directeurs, voire même le lecteur dans la démarche de construction et de démonstration de la thèse. La seconde personne du pluriel et "le lecteur" sont à destination de désignation du lecteur. Par souci de clarté le rédacteur mobilise la troisième personne du singulier pour se désigner dans son rôle dans l’enquête plutôt que le "nous de modestie", sous des désignations comme "l’enquêteur", ou encore l’"observateur". La première personne du singulier n’est employée que dans des extraits bruts d’observation, désignant le chercheur dans l’action.

Il semble aussi important de préciser le choix du genre énonciatif. Par souci de cohérence, la mobilisation de l’écriture inclusive devrait être généralisée à l’ensemble d’un texte en faisant usage. Compte tenu de la mobilisation régulière, pour ne pas dire constante, de termes comme "acteur" ou "client", par exemple, il est vite apparu que l’usage de l’écriture inclusive semblait alourdir passablement certains passages du texte. Que le lecteur, la lectrice soient conscients du fait que c’est faute de mieux que nous avons dû généraliser le masculin.

5 DECRET n° 2015-1289 du 14 octobre 2015 portant création d'une carte professionnelle de surveillance dans le

cadre de manifestations sportives, récréatives, culturelles et économiques rassemblant plus de 1 500 personnes. ARRETE du 27 février 2017 relatif à la formation continue des agents privés de sécurité (partant de l'aviation civile).

DECRET n° 2017-1844 du 29 décembre 2017 relatif à l'exercice de certaines activités privées de sécurité avec le port d'une arme, consolidée au 11 janvier 2018.

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INTRODUCTION

établissements de nuit. Une telle reconnaissance serait destinée à valoriser des compétences et à protéger les agents de sécurité face à l’employeur, une reconnaissance destinée à améliorer la qualité des prestations et à les protéger face au risque bien réel des violences. Cette reconnaissance aurait engagée la mise en place d’une carte professionnelle spécifique, permettant d’accéder à un armement modéré6, approprié en situation de risques importants

(travail isolé notamment), pour faire face aux rixes et armes blanches (aérosol lacrymogène, matraque télescopique courte) en contrepartie d’une responsabilisation et d’une formation initiale et continue appropriée et à la hauteur du risque de dérive qu’engagerait un armement potentiel. Une démarche visant donc à protéger les agents, mais aussi les clients, en assurant une meilleure qualité des prestations.

La création d’une première carte professionnelle spécifique depuis la « Loi

d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure » (LOPSI II)

à destination des agents de sécurité stadiers et des agents de sécurité festivaliers en 2015 fait sortir ces propositions de l’utopie (carte de surveillance des manifestations sportives, récréatives, culturelles et économiques rassemblant plus de 1500 personnes ; DECRET n° 2015-1289). Elle montre que dans des situations engageant des enjeux politico-économiques massifs, il est possible d’organiser une reconnaissance professionnelle pour une branche dans le secteur de la sécurité privée, à la racine même des conditions d’autorisation d’exercice. Les établissements de nuit ne semblent pas engager d’enjeux suffisants à cet effet jusque là, mais l’abondance de drames (Cf. Chap. Intro, Sect. 1, §. A) pourrait pousser à réévaluer la situation.

A cette évolution législative s’ajoute un arrêté en février 2017 disposant des modalités relatives à la formation continue des agents, incluant un module de gestion de conflits (ARRETE du 27 février 2017). Ce module court (7h de compétences opérationnelles, dont 3h30 de gestion de conflits, incluant deux heures de pratique), l’aspect symbolique de

6 Il est ici à lire un armement très restrictif et circonstancié en fonction des nécessités de la situation

professionnelle. Les demandes devraient alors rester spécifiques, y compris en établissements de nuit. Il ne s’agissait pas de promouvoir une course à l’armement. La problématique est épineuse. Un des constats était que dans tous les cas, tout agent travaillant seul devrait disposer de ce filet de sécurité, sous peine de générer des conflits par excès d’attitudes défensives, et de se mettre en danger ainsi que la clientèle par excès de réactivité. Un agent se sentant en situation de danger sous l’effet de la situation, parfois cumulée à divers éléments de fatigues autres, peut devenir un danger réel. Le fait de disposer d’un armement minimum adéquat permet de diminuer ce seuil d’insécurité.

L’armement maximum serait alors la possibilité de porter un aérosol lacrymogène de capacité moyenne (pour la portée, permettant de rester à distance de sécurité face à une arme) en extérieur, et une matraque télescopique courte rapidement dégainable (indispensable face à un tesson de bouteille en intérieur par exemple). Le risque d’un armement supérieur (lacrymogène à haute pression et forte capacité, matraque longue, tonfa) et systématique serait cette fois de générer un effet inverse lié à un excès de sentiment de sécurité, pouvant engendrer un manque de vigilance, un excès de démonstrativité et un sentiment d’impunité.

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l’ensemble de la formation (31h), son caractère décalé de l’exercice ordinaire, impulsé sur fond de terrorisme, initialement à destination de l’aviation civile, traduit clairement un effet d’annonce politique visant à justifier la privatisation progressive du système de sûreté du territoire national. La démarche n’en constitue pas moins une brèche et la preuve de la reconnaissance d’une nécessité, même si la cause prête à caution. Dans le premier cas la motivation est de simplifier une embauche précaire massive en contrats de vacation pour l’employeur, dans le second de mobiliser des agents à usage périphérique du système de sûreté. L’intérêt de l’agent de sécurité, lui, reste très lointain, de même que les préoccupations pour la sécurité ordinaire des usagers.

C’est aussi sur fond de terrorisme et de mobilisation de la sécurité privée à des fins de sûreté que la question de l’armement des agents est avancée par l’« article 10 de la L611-1 du

code de la sécurité intérieure relatif à l’armement des agents de sécurité », modifiée en cours

de thèse au 28 février 2017 (ARTICLE L611-1, art. 10). Parmi les cinq conditions potentielles de demande d’armement auprès de la préfecture, la condition 1° bis disposait que l’activité pouvait être exercée par des agents armés « lorsque celle-ci est exercée dans des

circonstances exposant ces agents ou les personnes se trouvant dans les lieux surveillés à un risque exceptionnel d'atteinte à leur vie ». Ces lieux exceptionnels étaient les lieux de sûreté7,

bien loin des établissements de nuit. Jusqu’à présent seuls les convoyeurs de fond et les agents chargés de la surveillance de ces sites étaient armés. Nous sommes ici dans l’actualité brûlante, puisqu’un décret (DECRET n° 2017-1844 du 29 décembre 2017 « relatif à

l'exercice de certaines activités privées de sécurité avec le port d'une arme »), consolidé au

11 janvier 2018, vient modifier le livre VI du code de la sécurité intérieure sur de nombreux points8.

7 La notion de sûreté est mobilisée telle que conceptualisée par le champ de la stratégie militaire contemporaine.

La sûreté constitue alors la défense des structures d’intérêt national à portée stratégique, composant le système de défense étendu. Les structures de sûreté sont ainsi les structures militaires, mais aussi les structures de production d’énergie électrique, de transport et certaines industries dites « sensibles », liées au sous-système militaro-industriel, aux technologies de la communication où à la production et au traitement de matières premières. Comme nous le présentons sur le plan de la sécurité privée en annexes (Cf. Annexes ; I, Chap. II, Sect. 1, §. A), le système de sûreté présente la tendance double de tendre à mobiliser progressivement une part grandissante du secteur privée, tout en privatisant une part de ses cellules.

8 Nous y avons entre autre vu qu’il inclus l’abrogation du décret n° 2015-1289 du 14 octobre 2015 portant

création d'une carte professionnelle de surveillance dans le cadre de manifestations sportives, récréatives, culturelles et économiques rassemblant plus de 1 500 personnes mentionné plus haut. Ces cartes « ne permettent

pas la gestion des alarmes, les rondes de surveillance, la maîtrise d'un poste de contrôle de sécurité et la surveillance par des systèmes électroniques de sécurité. Pour l'obtention d'une carte professionnelle autorisant l'exercice d'une activité de surveillance humaine ou surveillance par des systèmes électroniques de sécurité ou gardiennage, les personnes titulaires de la carte professionnelle mentionnée à l'article 1er du décret du 14 octobre 2015 précité sont dispensées des modules de formation considérés comme équivalents, dans les conditions définies par arrêté du ministre de l'intérieur ».

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INTRODUCTION

En parallèle du décret lui-même, nous avons consulté quatre articles sur le sujet. J. Pescual, journaliste au Monde spécialisée sur les questions de l’intérieur, y propose un article, sur « Le port d’arme par des agents de sécurité privée encadré par la loi » au 02.01.2018 (Le Monde, 2018). L’article, sous couvert de neutralité, ne jetant pas de pavé dans la marre et citant A. Bauer, ancien président du CNAPS (Conseil National des Activités Privées de Sécurité), controversé par des sociologues de référence comme M. Mucchielli et actuellement dans une situation critique pour des dérives de gestion9, se fait le porte-parole du discours

institutionnel. Aussi l’article, dans sa neutralité apparente, reste-t-il assez complaisant. Un point important de ces modifications concerne donc justement l’armement des agents de sécurité privée. Il leur est désormais possible d’être armés de certaines armes de catégorie D, aérosols lacrymogènes, tonfas, matraques, sous des conditions beaucoup plus souples, moyennant une formation courte pour certaines armes, suivant un modèle proche de la police municipale. Cette démarche va dans le sens de la constitution d’une police privée et simultanément d’une pénétration de la sphère privée par le pouvoir régalien via la sécurité privée (Cf. Annexes. I, Chap. II, Section. 1).

Durant nos interventions, il a systématiquement été souligné le danger d’abus sur la question de l’utilisation de l’armement sans une formation continue et initiale avancée, et sans la responsabilisation allant de paire avec une reconnaissance professionnelle de branches, plus fine. Une formation adaptée à l’empathie, aux usages tactiques de l’espace et des bases martiales doivent précéder les armes ! Il est nécessaire de le prouver par une étude approfondie du conflit en action. L’armement excessif peut être contreproductif à plusieurs niveaux. Portiers et videurs, par exemple, savent que la dissuasion connaît un équilibre précaire avec la provocation, et que les armes, défensives, doivent être dissimulées. Elles ne sont sorties de manière visible qu’en situation de tension extrême, comme ultime avertissement, une fois qu’il est impossible d’espérer dissuader sans. Nous sommes très loin des prérogatives proposées en colloques, puisque l’armement est ouvert (avec un contrôle psycho-social très relatif), disproportionné (quel intérêt tactique le tonfa bien visible, très traumatisant, peut-il présenter par rapport à la matraque courte télescopique, et est-il

En somme, il s’agit de sous-agents, sous formés, sous qualifiés, et sur précarisés, recrutables à souhait pour effectuer pour des vacations en stades et festivals, comme nous l’expliquerons plus avant.

9 Depuis janvier 2017, A. Bauer, criminologue très médiatique à la tête du CNAPS depuis sa création jusqu’au

1er janvier 2018, est accusé d’abus de biens sociaux et de détournement de fonds publics. Les résultats de son

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réellement nécessaire de disposer d’aérosols lacrymogène à forte pression pouvant endommager les yeux ?), que les formations sont minimes et que certains métiers à risque, loin du terrorisme, comme le métier d’agent de sécurité en établissements de nuit enquêté, ne sont toujours pas reconnus. La volonté de créer un " corps" sur le modèle policier à des fins de sûreté et de police de proximité est manifeste et s’éloigne de la complexité des spécificités d’exercices liées à la mosaïque des métiers de la sécurité privée.

La problématique de la sécurité privée est sujette à de vastes discussions polémiques donc, mais pas nécessairement sur les bons sujets, étouffant des problématiques spécifiques de métiers et de situations humaines, d’ordres sociaux riches comme peut l’être le monde des établissements de nuit, sous couvert de lutte contre le terrorisme et d’uniformisation structurelle.

Alors, conflits et violences, enfin, résonnent, cette fois, à toutes les échelles du lien social, du géopolitique à l’intime. Dans une cacophonie médiatique, le tournant du XXème siècle et le premier XXIème siècle, de fin de guerre froide en recherche d’un prétendu « choc

des civilisations » (Huntington, 2000 ; Cf. : Chap. I, Sect. 1), semblent bien porter en eux la

gestation d’une ère de la réinvention du conflit et de la violence. Dans ce nouvel opus, la restructuration de l’ordre social post guerre froide voit se réinventer le conflit à échelle géopolitique, tandis qu’à échelle politique nationale se construit le discours sur les « violences de quartiers » et que les institutions sociales, éducation, famille, etc. suivent, dans une frénésie analytique mobilisant toutes les opinions, du chercheur-lobbyiste au pilier de bar. Ce sont désormais des approches politisées ou "psychologisées", "criminologisées", qui "donnent le la" en matière de violence en France. La sociologie elle-même avance au diapason, et par là même, la racine des recherches, l’épistémologie de la violence au sens de définition d’un seuil culturel, tout comme le conflit en lui-même dans ses actions, le sens social de la brutalité ordinaire, discordants, sont passés sous silence.

Quel meilleur terrain, pour briser ce silence, que celui des soirées en établissements de nuit où les « assauts de caractère » (Goffman, 1974, 198 et leurs suites physiques sont une quasi tradition, une quasi institution (Cf. Chap. II, Sect. 2, §. B, b) ? L’immersion proposée ici permettra de disposer d’un matériau à destination de l’analyse du vacarme de ces apparents désordres mis sous cloche. Dans le cadre des immersions du terrain pré-doctoral, ce sont 77 soirées, essentiellement en discothèque, puis dans le cadre du terrain doctoral, 90 soirées, essentiellement en bar de nuit, soit 167 soirées au total, qui ont été enquêtées en situation d’exercice professionnel (Cf. Chap. Intro, Sect. 2, §. B, b). Au total ce sont près d’une

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INTRODUCTION

centaine de situations avec échange de coups, des centaines de situations avec échange brutal (saisies, poussées), des centaines de personnes raccompagnées vers la sortie, et bien plus encore de conflits qui ont été vécus par l’enquêteur dans le cadre du travail en établissements de nuit. Au total, ce sont 187 situations conflictuelles dont 27 avec échange de frappes issues du terrain doctoral, et 47 situations avec échange de coups relevées dans le cadre du terrain préliminaire, qui ont pu être analysées en détail.

Une grande partie des types d’affrontements physiques en face-à-face, hors arme à feu, ont pu être observés. Nous avons observé des confrontations entre hommes, entre hommes et femmes, ou encore de femmes entre elles, ainsi que sous toutes les fourchettes d’âge, allant du lycéen au quinquagénaire. Ces situations nous ont porté au cœur de confrontations en duel ou en mêlées, de la poussée au lynchage, qui se sont déroulés dans tous les espaces possibles d’un établissement de nuit, des toilettes aux sorties de secours en passant par la piste, ainsi que dans les espaces des abords. Ces affrontements ont engagé des brutalités à mains nues, mais aussi parfois avec un tesson de bouteille, une fois avec des battes de baseball, ainsi que des menaces d’attaque au couteau ; des affrontements impliquant presque tous les types d’attaques, de la poussée à la morsure en passant par les traditionnels "droites" et coups de tête. Ces affrontements observés ont été motivés par presque tous les types de finalités, de la volonté d’humilier à la volonté de détruire physiquement Ces observations in situ ont été enrichies de nombre d’entretiens, comme il sera précisé nous avons en complément pu interroger une cinquantaine d’agents, dont un certain nombre de "vétérans" ayant aussi connu nombre de situations, ainsi que des clients bagarreurs confirmés ou occasionnels (Cf. Chap. Intro, Sect. 2, §. B, c-d).

Dans tout cela, que ce soit sur le plan du conflit, de l’évolution du secteur de la sécurité ou du quotidien du milieu de la nuit, entre le tapage médiatique englobant et le silence des situations vécues au cas par cas, les agents de sécurité travaillant en établissements de nuit ne font pas grand bruit. Leur voix ne se fait pas entendre, du moins pas hors des convocations au commissariat et devant les tribunaux, où ces trois éléments pourraient aisément les mener. Ce n’est pas faute d’éloquence, non, mais par "bon sens" pratique que les agents de sécurité en établissements de nuit, les videurs et les portiers, évoluent en sourdine. Alors, travaillant dans ce secteur florissant de la sécurité, dans les établissements de nuit stigmatisés et au cœur du conflit face-à-face, ils font profil bas, contemplant ce concert surréaliste avec perplexité.

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Il aura fallu l’homicide d’un collègue, rien de moins (Nuit du 23 au 24 avril 2016), pour que ce petit monde professionnel hausse le ton quelques jours, mais avec une sobriété de circonstances et une portée très limitée. Dans ce milieu, ne pas faire de vague est une compétence professionnelle essentielle, fut-ce dans les pires situations. Les blessures graves chez les agents abondent, et le peu qui filtre dans la presse en représente une part infime. Outre les blessures graves, les blessures légères ne se comptent plus, mais les agents prennent sur eux, par nécessité de maintien de la face, ils doivent rester un symbole de force et d’une forme d’invulnérabilité. Montrer de la peur, de la honte, ou une vulnérabilité physique serait ressenti comme une faute professionnelle préjudiciable. La préoccupation de ces agents est de gérer la violence et la brutalité au quotidien, de manière à s’assurer une certaine longévité professionnelle, voire même personnelle, dans un marché de l’emploi incertain et un exercice professionnel physiquement et psychiquement risqué. Le milieu bourdonne tout de même. À une oreille attentive, il murmure même, parfois.

Si les agents de sécurité en établissements de nuit subissent sérénade médiatique et chœurs accusateurs des lieux communs avec impassibilité, ils observent aussi le ballet social avec attention. En effet, bien qu’éloignés du « regard sociologique » (Hughes, 1996), vigiles, observateurs professionnels, ils n’en conservent pas moins un œil affûté sur le monde qui les entourent et qui s’agite autour d’eux. Bien loin d’une grille d’analyse sociologique, les agents de sécurité en établissements de nuit n’en passent pas moins le plus clair de leur temps à observer, à écouter et à analyser les interactions à un niveau professionnel. Des compétences analytiques dont les bases doivent être acquises très rapidement, sur le tas, passant souvent par l’erreur, payée de leur intégrité physique et psycho-sociale, mais aussi, trop souvent, de celle de clients malchanceux. Le reste de leur temps d’exercice est mobilisé par la nécessité d’adaptation constante du rôle aux situations, qui s’affûte nuits après nuits.

De lourds préjugés et jugements stéréotypaux pèsent sur la profession, entretenus par la plupart des agents de sécurité en établissements de nuit, tantôt avec brutalité, tantôt avec malice. La réputation et son aspect dissuasif sont un premier bouclier, qui doit être maintenu avec finesse dans tous les mouvements de la mise en scène, des situations d’intervention aux moments de relâchement.

Pourtant, l’air de rien, les portiers des petites structures doivent être des commerçants d’accueil, tandis que ceux de structures plus importantes conservent tout de même une sociabilité à vitesses variables dont les complicités confinent souvent à la sympathie, voire à l’amitié. Les agents ont une mémoire des visages, des éléments biographiques et des

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INTRODUCTION

situations phénoménales, qui fait souvent leur fierté et la surprise des clients. Dans ce cadre, ils prennent systématiquement le pouls de la nuit, de la ville, mais aussi de l’époque. Ils sont donc un indicateur sociologique très riche des situations nocturnes et les fonctions en elles-mêmes, en faisant des baromètres de la soirée et de la fête qu’ils contribuent à façonner en en fixant les bornes, sont d’une grande richesse méthodologique. La sociologie et le fait d’échanger sur les interactions, les effets de groupe et de "société" intéresse d’ailleurs unilatéralement tous les portiers et videurs qui seront enquêtés, du directeur d’entreprise ancien videur à l’agent portier, du vétéran au prestataire ultra occasionnel. Cet intérêt est sans doute, avec cette vigilance et leur préoccupation pour le conflit, sa prévention, sa gestion, et l’assimilation de ces fonctions au quotidien, ce qui les relie le plus. À partir d’une immersion dans ce groupe professionnel, notre recherche s’attache à un exercice intimement lié aux conflits où les agents de sécurité travaillant en établissements de nuit, sous des visages aux forts contrastes, se trouvent pris entre tapage médiatique et silence contrit, voire contraint.

Au sujet de la problématisation, de ses limites et du choix des orientations d’hypothèses

L’amorce de la recherche fut la possibilité d’une démarche inductive de recueil de données dans une ethnographie immersive sous l’angle de la fonction d’agent de sécurité (Cf. Chap. Intro, Sect. 2. §. B, b). À partir de ce point de départ, le travail final aurait pu prendre le chemin de multiples problématisations. Nous le préciserons, notre recueil de données a été mené avec méthode, mais en cherchant à influencer au minimum les éléments mis au jour. Notre titre initial était "imaginaire martial, usage des violences interpersonnelles et sécurité privée". Il convient de préciser que si le conflit était notre préoccupation, ce fil directeur nous a souvent permis d’aller explorer d’autres voies. Nous ne nous sommes pas fermés à d’autres points saillants du terrain, en proposant une réelle ethnographie, dans toute son amplitude (Cf. Annexes. II). L’analyse des données, s’affinant au fur et à mesure, aurait pu prendre différents grands angles pour focale. Un traitement thématique initial a, en effet, montré trois problématiques essentielles. Une première aurait été celle de l’ordre social des établissements de nuit, à travers les sociabilités. Elle aurait interrogé les problématiques des sociabilités internes à l’équipe du staff, aux différentes clientèles, et entre les deux, conjointement à l’usage des espaces et des biens. Une seconde aurait été celle de la place du métier et de ses fonctions étendues, dans cet ordre social, celui de l’ordre d’existence des agents de sécurité en établissements de nuit. Elle aurait creusé les éléments du filtrage et de la discrimination, sur

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celle de la gestion de conflit et de son impact sur les acteurs, ainsi que de la pénibilité du travail sous ses multiples facettes (nocturne, station debout, incarnation de l’autorité brutale, etc.). Une dernière problématique, celle de l’exercice professionnel de régulation des conflits, apparait transversale aux deux autres. Il était impossible de l’en dénerver au vu des données, ou, du moins, impossible de la reléguer au second plan.

On le voit, ces trois problématiques se répondent. Cela se traduit par le fait qu’elles composent le cœur des données. Les deux premières ne peuvent cependant contourner la dernière. Il est ressorti que, dans l’ordre social éclairé sous l’œil de l’agent de sécurité, et dans l’ordre d’existence des agents de sécurité, tout est puissamment influencé par le risque du conflit face-à-face brutal. Au même titre que la rupture potentielle des cadres est essentielle à une analyse de la conversation, la rupture du cadre de la soirée par des conflits face-à-face est essentielle à une analyse de son processus, ainsi qu’à celui de l’ordre d’existence des agents, dont sa régulation constitue la fonction principale. Il s’est très rapidement avéré que cette problématique constituait une problématique en elle-même : le conflit face-à-face est une activité complexe. Nous avons donc mis de côté les deux autres. Nous les avons écartées, sans pour autant en nier l’impact sur notre propre problématique, bien au contraire. Une activité aussi complexe que celle des conflits face-à-face observés en établissements de nuits et à leurs abords ne pouvait être amenée sans interroger de manière détournée les deux autres problématiques de l’ordre social de la soirée et de l’ordre d’existence des agents de sécurité. Elle nous mène donc à y répondre partiellement, par une présentation liée à un état de l’art en annexes (Cf. Annexes. I), à une articulation ethnographique des différents éléments (Cf. Annexes. II), puis par des illustrations égrainées dans les données exposées, et enfin, dans l’analyse, comme élément éclairant notre problématique du conflit face-à-face.

La construction de la problématique s’est affinée de manière inductive (Cf. Chap. Intro, Sect. 2, §. B, b). De fait, les hypothèses évoluent avec l’avancée des travaux. Aussi le système d’hypothèses sera-t-il présenté au fil du texte. Il pourrait alors être prétendu que la recherche ne connaissait pas d’hypothèse de départ fixe. B. Latour, dans ses modalités d’énonciation, propose l’idée intéressante d’un système d’ « incertitudes » (Latour, 2007, 44), qui sous-tend le travail, pouvant être exprimé dès le départ, puis détaillé dans le texte au fur et à mesure. Quel que soit le caractère inductif d’une recherche, il semble difficile d’évoluer sans ce cordon de sécurité auquel retourner à tout moment, pour pouvoir analyser ses avancées sans dévier de l’élément problématique central. L’incertitude première, traduite par le titre à l’inscription de thèse, était l’idée qu’il existerait un lien entre l’imaginaire des

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INTRODUCTION

violences, les interactions violentes en établissements de nuit, et les modalités d’exercice professionnel des agents de sécurité qui y travaillent. C’est en reconsidérant au maximum ces notions que nous pourrons aller au plus profond de notre thèse.

Nous verrons qu’à partir de ce point de départ, notre confrontation aux auteurs et au terrain nous a poussé progressivement à creuser une hypothèse épistémologique fondamentale celle de la pertinence d’une tension entre la situation et le situé comme armature de l’analyse et de sa traduction dans le texte. Nous pouvons sur ce point parler d’hypothèse, puisque nous nous référons du début à la fin au travail d’E. Goffman, pour qui elle constitue une thèse centrale (Goffman, 2013 [1963]). Cette hypothèse nous a poussés à insister sur la situation dans nos annexes (Annexes. I, Annexes. II) et sur le situé mis en lien avec ces situations dans le cœur de thèse, en entretenant un dialogue permanent entre l’un et l’autre.

Notre incertitude initiale et notre positionnement vis-à-vis des thèses conceptuelles et méthodologiques qui seront déployées dans le chapitre introductif, conduisent à préciser les cadres de la recherche et situer les éléments de données, autorisant le déploiement de deux hypothèses. Celles-ci se répondront à égal niveau d’importance jusqu’à la fin de la thèse.

Le conflit interpersonnel connaîtrait une gradation rituelle du heurt à la bagarre, pour aboutir potentiellement/éventuellement à la rixe, en faisant une poursuite brutale de l’échange discursif.

Le conflit physique interpersonnel de la bagarre et de la rixe, serait alors lui aussi un élément réorganisateur d'une part, et mis en scène de manière dramaturgique de l'autre.

Nous tenterons d’éclairer cette base hypothétique par trois grands ensembles, qui composeront les chapitres centraux de notre thèse.

Au sujet du cadre théorique et de l’usage d’E. Goffman

L'objectif n'est donc pas de faire une sociologie des établissements de nuit ni une sociologie des professions de sécurité privée en établissements de nuit. Des travaux ultérieurs se porteront sur ces deux champs de recherches, très maigre pour le premier, et inexistant en France pour le second. Il est vrai que notre cadrage théorique et notre méthode, permettent, par extension, de cerner différentes dimensions de ces deux objets, tout comme la thèse d'E. Goffman (Goffman, 1953) met en lumière certains aspects des îles Shetland ou l'ouvrage « Asiles » propose une analyse fine des hôpitaux psychiatriques de l’époque sans en être l'objet central. Lire ces ouvrages et y voir une monographie sur les Shetlands et les hôpitaux

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psychiatriques, c'est sans doute passer à côté de leur problématique sous-jacente. L'objectif de la thèse d'E. Goffman est de préciser les conduites communicationnelles, et celui d' « Asiles » est de développer les cadres de construction de la réalité et de la définition de la "folie", sous l’angle sociologique et non philosophique ou psychologique. Tout le reste n'est qu'armature. Notre armature est celle des établissements de nuit, pris sous l'angle de l'agent de sécurité. Ces éclairages sociologiques ne doivent pas faire perdre de vue la problématique centrale, ici celle du déroulement des conflits physiques interpersonnels.

Terrains, angles d'attaques et architectures sémantiques ne sont pas l’essentiel, ils ne sont que des outils pour soutenir ses préoccupations scientifiques sous-jacentes. E. Goffman s'est efforcé durant toute sa carrière de soutenir le domaine du « face-à-face », un domaine analytiquement viable, qui pourrait selon lui être dénommé l'« ordre de l'interaction» (1988-c [1983], 230). Toutes les problématiques qu'il soulève gravitent autour de celle, centrale, des relations entre ordre de l'interaction et « ordres structurels» (p. 263). La plupart de ces outils ne sont destinés qu'à permettre de l'illustrer sur tout terrain, comme nous le ferons ici par l'ordre de l'interaction conflictuelle, dans la situation de l’ordre structurel de l’établissement de nuit. Au suivi de son "œuvre", tout nous ramène sans cesse à « la ritualisation sociale,

c'est-à-dire la standardisation du comportement corporel et vocal à travers la socialisation »

(p. 234). La présente thèse n'en est qu'un autre angle d'attaque, sur un autre terrain. C'est bien cette problématique de la « ritualité sociale » qui est ici poursuivie. Il s'agit tout comme la recherche doctorale d’E. Goffman, d'une étude « dans une communauté et non sur une

communauté » (Winkin, in Goffman, 1993, 68). E. Goffman s'évertue à proposer un schéma

conceptuel dynamique pour permettre de présenter une définition de la situation. Peu importe l'espace et la communauté, pourvu qu'ils fournissent un matériau suffisamment riche pour mettre au jour l'angle spécifiquement choisi de cette ritualisation sociale. La situation sociale du conflit interpersonnel en établissements de nuit est donc l'unité de base de l'étude, non un espace, comme les établissements de nuit ou la rue, non un statut spécifique, comme celui des agents qui y officient, ou des clients. Il s’agit cependant de l’observation de situations conflictuelles de survenues aléatoires dans des cadres qui, eux, ne le sont pas. Ces derniers sont précisés par nécessité situationnelle, puis sont explicités en creux en partant de l'interaction, de l’action conflictuelle, voire de l’action physiquement brutale :

« Ce sont les situations sociales qui fournissent le théâtre naturel dans lequel

toutes les démonstrations corporelles sont jouées et lues. Ce qui constitue la justification de l'emploi de la situation sociale comme unité de travail de base dans l'étude de l'ordre de l'interaction » (1988-c [1983], 237).

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INTRODUCTION

Un de nos objectifs est bien de restituer l'ordre des interactions conflictuelles dans l'ordre social des établissements de nuit, et en deçà dans l’axiologie de la violence dans les ordres d’existence où ils baignent et donc non de connecter micro et macro sociologie, mais de les fondre dans une dialectique constante. Nous y répondrons, comme E. Goffman le suggère et I. Joseph après lui (Joseph, 2009), en nous arrachant d'une sociologie micro ou macro pour adopter une perspective situationnelle précisant au plus fin de ses possibilités l'environnement spatio-temporel des interactions qui lui donnent vie, par un déploiement de l’analyse cadrage après cadrage.

Au sujet de la méthode

A cet effet, nous mobiliserons une ethnographie enactive, c'est-à-dire d’un terrain vécu par l’enquêteur au degré d’être incorporé et d’en être constitutif. La vie des soirées est peut-être lointaine, pour le lecteur. Peut-peut-être ce dernier a-t-il fréquenté, ou fréquente-t-il davantage, bars ou discothèques. Probablement n’y a-t’il jamais travaillé comme portier ou videur, probablement n’y a-t-il jamais "fait de la porte" ou "fait de la salle". Peut-être s’est-il déjà fait "recaler" ou " sortir" ? Peut-être les conflits en établissements de nuit lui sont-ils distants. Alors, pour y remédier, nous vous emmenons, vous, lecteur, avec nous, l’enquêteur (Cf. Annexe. II). L’enquêteur vous embarque en « boîte », dans le vacarme et la sueur, il vous embarque « en porte », dans le froid et l'attente. Dans le chapitre annexe ethnographique comme dans les vignettes de terrain, attendez-vous à être surpris, à être dégoûté, voire à être impressionné.

Pour ce faire, nous demandons à la fois l'indulgence et une attention du lecteur concernant les encadrés de terrain inclus dans la thèse. Il ne s'agit à aucun moment d'une démarche autobiographique, mais d’exprimer la recherche par corps, dans une immersion totale. Les observations sont à la première personne et il n'est pas aisé de se dévoiler de la sorte. Les situations mettent en effet à nu des confrontations physiques et émotionnelles à des situations de stress et de tension nous éloignant de la discipline formelle de l’étiquette et du maintien de la face académique, voire de la politesse. Lorsqu'elles ont été écrites, ces notes l'ont été avec honnêteté, au degré où elles ne devaient pas être mobilisées en l’état. À l’origine, ces carnets étaient censés n'être lu par personne. Ils étaient uniquement destinés à servir de repère à l'analyse, déstructurés et modifiés en conséquence de l'argumentation. L'objectif était d'en développer des points spécifiques à usage d'analyse. Il s'avère que cette démarche, libérée de la finalité d'un passage au crible extérieur, a justement permis de

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produire un matériau brut d'une grande richesse. Cette approche est indispensable pour saisir la spécificité si chèrement défendue par E. Goffman tout au long de sa carrière, non d’une analyse des seules interactions, mais de la dialectique entre interactions et circonstances, dans l’implémentation des représentations comme autant de poupées gigognes.

Nous demandons donc une indulgence double. Une indulgence pour l'expression, d'une part, qui est celle des premiers mots venus. Une indulgence pour les actions, ensuite, qui ne sont pas celles d'un jeune sociologue, mais celles d'un employé, d'un videur, d'un portier, qui cherche à bien faire son travail, tout en étant formé à la sociologie. Bien faire son travail pour que la soirée se passe bien, pour garder son travail, mais aussi pour maintenir sa propre sécurité, une sécurité passant par le maintien de la face et du personnage joué et attendu. Un jeune chercheur qui veut bien faire son travail, mais pas trop, pour se préserver d’une fatigue excessive, potentiellement dangereuse en situation de travail. Un danger de l'observation est, en effet, de vouloir trop bien faire. Pas d'excès de zèle donc, ni dans la distanciation, ni dans l'action. Au cours de ces terrains, trois recrutements en direct et un emploi en bureau pour un prestataire ont été proposés à l'enquêteur, mais il a aussi été "viré" d'un terrain en raison de ses engagements professionnels et été "viré" d'un autre pour des raisons qui restent obscures encore aujourd’hui. La prestation de service est précaire sur le terrain des établissements de nuit enquêtés (Cf. Annexes. I, Chap. I, Sect. 1 ; Chap. II, Sect. 1). Il s'est créé des amitiés et des inimités. Il a ressenti, comme un acteur vivant spontanément la scène et été ressenti comme tel. Il semblerait donc qu'il soit parvenu à faire son travail, juste ce qu'il faut, ni trop ni trop peu. Des actions et des propos qui pourraient choquer, donc, mais qui sont des propos et actions qui semblent appropriés dans l'ordre social où ils tiennent place. Y parvenir semble être un des buts de l'enaction, c'est du moins un des buts de la méthode que nous poursuivons, pour saisir le passage à l'acte et le perçu de l'action violente, reçue ou donnée.

Au sujet de l’objet et de son développement

« Lorsque j’étais étudiant, la sociologie française me donnait l’impression de s’engourdir dans la bonne conscience de la société. Elle entendait participer à une bonne éducation des groupes sociaux. Aussi ses thèmes préférés consistaient-ils dans l’étude du droit dans la société, le sacré, la morale et la science des mœurs, les formes élémentaires de la société, bref, des thèmes considérés comme positifs parce que leur analyse contribuerait à une réforme de l’homme par la société. Si l’on se compromettait avec des manquements, c’était l’anomie ou le crime. J’avoue que la lecture des œuvres de cette sociologie édifiante m’a agacé à maintes reprises et plus souvent encore ennuyé.

Au lendemain de la guerre, durant laquelle j’ai été mêlé à des épreuves moins tempérées, depuis l’état d’otage et de résistant jusqu’à deux années de prison et de camp, j’aspirais à une

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INTRODUCTION

philosophie et à une sociologie moins intellectualisées et plus proches de l’expérience authentique et qui prendraient en compte ce que les bons sentiments considéraient comme actes ou relations négatives ainsi que les équivoques et les obstacles à l’épanouissement de l’homme ».

J. Freund, préface du « conflit » de G. Simmel, 2015 [1908], pp.7-8

Lorsqu’il mobilise le conflit, E. Goffman tend à parler de « heurts » (run in) (Goffman, 1974, 202 [1967, 244]). Ce qui fait la spécificité de l'étude, c'est la translation du contact définissant les interactions conflictuelles analysées. Toujours dans une approche goffmanienne du face-à-face, être au « contact » sera pour nous être à portée de réponse pour engager une interaction (1988-c [1983], 245). La situation sociale autour de laquelle gravite l'étude est le rituel d'interactions dont la définition débute par un contact physique violent, la bagarre, avec ses modalités préliminaires, les heurts, et potentiellement ses modalités postérieures, la rixe. Nous portons ainsi notre attention sur les conflits face-à-face engageant un contact physique, mais aussi plus spécifiquement en présence d’un public.

Les conflits intimes, revêtant eux aussi un intérêt certain, ne concernent pas cette étude, de même que les conflits se tenant hors de possibilité de contact physique direct, où le geste de contact ne peut suivre la parole, comme par téléphone ou messagerie numérique par exemple. Nous n’abordons aussi le lynchage, c'est-à-dire une libération de coup à sens unique, sans réplique, dans une asymétrie soit physique soit symbolique trop marquée, que de manière très périphérique, lorsqu’abordant certains types de rixes (Cf. Chap. II, Sect. 2, §. B, b) ou encore le passage à l’acte inconsidéré (Cf. Chap. II, Sect. 1, §. A, d). Le lynchage peut ainsi survenir dans l’intimité ou en public dans le cas d’une rixe totalement disproportionnée, se définissant par le fait de frapper à répétition un acteur qui ne réplique pas, parce qu’il ne le veut pas ou n’est pas en mesure de le faire. Les lynchages et les conflits intimes sont aussi périphériques de notre étude que l’échange de coups l’est à celles d’E. Goffman.

L’étude des représentations conflictuelles incluant les circonstances nécessite une remise en cause de l’unicité du concept de violence lui-même. S’il prête bien à débats philosophiques et sociologiques, avec des avancées majeures, comme ce fut le cas avec la conceptualisation des violences symboliques, imprégnant aujourd’hui les lieux communs de la pensée, il semble être peu remis en cause dans la cohérence de ses marges et de son objet. Nous proposons de dissocier violence et brutalité pour mieux les réassocier dans leur complémentarité en questionnant le lien entre imaginaire et représentation, afin de proposer une définition sociologique des situations conflictuelles plus éloignée de jugements de valeurs

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culturels profondément enracinés jusque dans la recherche. Il sera nécessaire, pour ce faire, de conceptualiser les notions mal définies et trop souvent mésestimées de heurts, de bagarres et de rixes.

Nous chercherons à arracher progressivement le champ de la violence des approches développées par la science politique, la psychologie, la criminologie, pour montrer que la sociologie est elle aussi toute légitime à s’en approprier les problématiques, hors des "violences de bande" ou des violences rattachées à des groupes dits déviants. La "violence" en actes ne concerne pas que les marges, qu’il s’agisse des "hooligans", des "détenus", des "malades hospitalisés en psychiatrie", ou même des mineurs à l’école. Les actions violentes, ou plutôt brutales, concernent aussi les adultes communément dits "responsables" et les adultes communément dits "ordinaires". Elles nous concernent potentiellement tous, sous certaines conditions, et ce que nous allions vers elles ou qu’elles viennent vers nous. Travailler le passage à l’acte et le sortir du champ clinique semble alors indispensable. Une sociologie du conflit face-à-face passe par une réappropriation de la brutalité comme élément constitutif de la vie sociale, mais aussi par une restitution des enjeux de l’action en matière d’initiatives et d’enjeux, répondant à un seuil d’agression relatif à chacun, mais potentiellement atteignable par tous sous certaines circonstances. Enfin, une sociologie du conflit face-à-face nécessite de considérer la brutalité de front, dans son ancrage dans l’espace, dans les mécanismes de ses déplacements et gestes, qui, outre leurs incidences physiques, restent avant tout lourds de sens.

La démarche pourrait ainsi sembler glisser de la philosophie politique à la psychologie clinique pour s’achever sur une forme de psychologie de l’action située. Il n’en est rien. Bien au contraire, elle arrache à chacun de ces champs une parcelle de la problématique qui appartient bel et bien à la sociologie. Nous affirmons une sociologie des circonstances nécessitant de refondre certaines frontières disciplinaires, quitte à engager quelques batailles ici et là, tout comme E-T. Hall et E. Goffman ont commencé à en engager avant nous, il y près de soixante ans déjà. Le premier a pris pour armes la communication non verbale et la proxémie, le second les consensus de travail et le cadrage de l’expérience. À leur suite, nous choisissons de poursuivre la charge en faisant évoluer les lignes vers les phases physiquement brutales de l’interaction face-à-face et ses ressorts sociaux, de l’ordre social à l’ordre de l’interaction, en passant par sa logique biographique dans les ordres d’existence individuels.

Dans un premier temps, nous présenterons les outils de cadrage de la recherche, sur la portée problématique du sujet et sur des moyens théoriques et méthodologiques appropriés

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INTRODUCTION

pour s’y confronter (Cf. Chap. Intro). À partir de là, notre démarche sera celle d’une progression en entonnoir. Une analyse débutant par la place de la brutalité physique dans l’ordre social où les acteurs s’insèrent, par les modélisations réciproques des engagements corporels brutaux et de la culture de la violence, entre imaginaire et représentations en action (I). Cette spécification de la portée morale et affective de l’action construisant les actes en représentations liés à l’imaginaire nous portera vers la translation de l’imaginaire à l’acte. Nous avancerons alors un développement situé de l’ordre d’existence de chacun dans le conflit, par les notions éminemment intimes, mais indiscutablement sociales du passage à l’action et de l’agression, modalisées par des circonstances spécifiques à l’échelle des établissements de nuit enquêtés (II). La notion de franchissement vers l’action brutale et d’engagement du conflit questionne l’action elle-même, finalement peu étudiée à ce jour. Après avoir indirectement décrit les liens entre ordre social, ordres d’existence et ordres de l’interaction, nous nous porterons sur le mouvement lui-même, par une analyse des déplacements dans un espace perçu et des modalités physiquement brutales du conflit (III).

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