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Dans les pas d’E. Goffman : un cadre dramaturgique situationniste

Cette recherche doctorale s'inscrit largement dans la poursuite du travail d’E. Goffman. C'est avec une forme de complicité pour l'auteur que ses concepts seront questionnés par un nouveau terrain, disséqués et éventuellement malmenés, comme il le faisait d’ailleurs lui-même, ouvrage après ouvrage, en modifiant fortement son armature sémantique. Une "œuvre" de recherche se développe sur l'étendue d'une vie et connaît nécessairement des évolutions. Celle d'E. Goffman n'échappe pas à la règle. La présente recherche se centre sur la problématique de la mise au jour des cadres de l'expérience conflictuelle et sur sa ritualisation en action.

Après avoir été introduite par une précision des textes de l’auteur mobilisés et un état de l’art des débats francophones sur la sociologie d’E. Goffman (a), cette section en présentera un schéma conceptuel composant le socle de la thèse. En premier lieu, l’architecture conceptuelle de la dramaturgie des représentations (b), ensuite une présentation des outils nécessaires à une analyse des cadres de l’expérience (c), et enfin la confirmation du choix d’une sociologie organisationnelle des circonstances, et non simplement interactionniste (d). Notre objectif est de préciser un agencement des éléments fondamentaux de ces cadres théoriques tels qu’énoncés par E. Goffman qui soit pertinent au développement de la problématique du déploiement des interactions conflictuelles : de leur engagement à leur résolution.

a. Un état de l’art goffmanien de 1982 à aujourd’hui

La présente recherche fait référence à l'œuvre d'E. Goffman depuis sa thèse de doctorat restituée en 1953 jusqu’au texte testamentaire de son discours à destination de l'American Sociological Association en 1983. Au cours de sa carrière E. Goffman donne l'impression de brosser de nombreuses problématiques autour de terrains très divers. Cela lui est souvent reproché, de même que le fait de mettre systématiquement au jour de nouveaux concepts pour ne pas nécessairement les remobiliser. Il s'agit d'un véritable choix méthodologique de sa part qu’il revendique et défend : dans l'analyse des « cadres », les concepts sont définis mais ne sont pas nécessairement présentés de manière linéaire pour

éviter de se porter sur les termes davantage que sur les idées qu'ils éclairent (Goffman, 1991 [1974], 19-20).

Si l'ensemble de ses textes traduits en Français sont mobilisés, soit une part importante de son œuvre, ce sont quatre problématiques développées par E. Goffman qui nous seront particulièrement utiles. L'analyse des vulnérabilités des cadres de référence des interactions et le caractère relatif des réalités de ces cadres développés de manière séquencée, justement, dans « Les cadres de l'expérience » (p. 18) ; une proposition des relativités permettant de situer les réalités des acteurs, particulièrement problématiques dans les situations conflictuelles. La dimension située de l’interaction, transversale à son œuvre mais centrale à l’ouvrage « Comment se conduire dans les lieux publics » (2013 [1963]). Le guide d'étude de la vie sociale au sein d'un espace « délimité physiquement » proposé dans « La présentation

de soi » (1973-a, 9 [1959, 9]) ; une méthode applicable à une organisation commerciale

comme peut l'être un établissement de nuit.

Ses textes sur la féminité, l’article « La ritualisation de la féminité » (1988-d [1976]) et l’ouvrage « L’arrangement des sexes » (1979), mais aussi les ouvrages « Façons de

parler » (1987 [1981]), « Stigmate » (1975 [1963]), « Asiles » (1968 [1961]) ne sont abordés

que de manière très périphérique pour éviter des interférences d'objets qui compliqueraient l'analyse. Les premiers centrés sur la construction des rôles genrés, le second sur celle de la conversation, le troisième sur celle du stigmate et le dernier sur celle de la "folie", présentent un intérêt certain, mais nécessiteraient chacun leur propre problématique doctorale.

Compte tenu du fait que la traduction d’un ouvrage ne soit pas sans incidences, le concept étant intimement lié à son expression linguistique, nous avons lu l’édition originale anglaise de quatre des livres d’E. Goffman mobilisés, et les avons scrupuleusement comparés à leur traduction (Goffman 2013 [1963] ; 1973-a [1959] ; 1973-b ; 1974 [1967]). Les numéros de pages des versions anglaises sont alors systématiquement indiqués entre crochet dans le texte, parfois les concepts en anglais entre parenthèses, et les citations en note de bas de page. La traduction d’A. Khim des « rites d’interaction » illustre bien cette nécessité de retourner à la source si possible. Nous pouvons ainsi citer différents éléments flagrants, comme, page 101, où le titre « Alienation from interaction » devient « le détachement », où certaines relativités disparaissent, comme « our anglo-american society », devenant « notre société », ou encore certains termes fluctuent, connaissant des déclinaisons par sens esthétique, bien qu’étant des concepts essentiels, comme le terme « task », devenant ici tour à tour « un

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des concepts essentiels, comme l’ « action fatale », « fateful action » chez E. Goffman, relevant davantage de l’action hasardeuse, liée à la foi (si le terme latin fatum, le destin, a engendré le terme français fatalité, il a engendré l’anglais fate, la foi), du hasard, que de l’action fatale au sens commun de la langue française (pp. 132-140 [V. ang : 161-170]). Si le concept nous sera très utile en l’état de cette désignation choisie par A. Khim, ce choix manifeste néanmoins une interprétation. Il en ira de même, entre autres exemples, pour les activités en « coups de dés », traduction de « Practical gambles », un choix pour le moins audacieux (pp. 140-142 [V. ang : 170-174]). Nous pouvons aussi relever la notion incontournable de « character » et le rapprochement constant au « caractère », sans jamais passer par le « personnage », mobilisé par ce terme dans les trois autres ouvrages consultés, pouvant prêter à caution (p. 178 [V.ang : 217]). Ce sera donc en conscience partielle, mais tout de même détaillée, de l’œuvre originale d’E. Goffman, que nous mobiliserons ses schémas conceptuels.

Afin de présenter l’auteur, nous nous porterons tout d’abord sur les lectures francophones d'E. Goffman, de 1989 au dernier ouvrage en date concernant son "œuvre", paru durant la rédaction de cette thèse. Une analyse des bibliographies de l’état de l’art de la présente recherche montre qu’E. Goffman est très mobilisé par la sociologie française. Il l’est le plus souvent pour l’objet spécifique d'un seul ouvrage, et non comme architecture conceptuelle globale. Il s'agit le plus souvent de « La mise en scène de la vie quotidienne » ou de l'ouvrage « Asiles ». « Les cadres de l'expérience » ne sont en revanche mentionnés que de manière exceptionnelle. La sociologie d’E. Goffman peut aussi être mobilisée de manière plus spécifique pour éclairer une problématique, comme nous le faisons ici. Le fait est beaucoup plus rare, mais tout de même fréquent. À cet effet nous devons citer un article très surprenant, voire déconcertant, d’E. Weizman « Rôles et identités dans les interactions conflictuelles » (Weizman, 2006). Le terme « conflit » n’y apparaît en effet que trois fois et ce seulement dans le paragraphe introductif (p. 8), tout comme le terme conflictuel, n’apparaissant lui aussi que trois fois dans le texte. Le terme violence, lui, en est simplement absent. Il s’agit donc d’un texte sur le conflit… ne mobilisant ni le conflit, ni la violence. Un effet de titre, donc pour discuter de la notion de rôles et d’identités chez E. Goffman à travers la gestion communicationnelle dans les interviews télévisées, le conflit restant plus que périphérique. À l’inverse, nous pouvons citer à titre d’exemple trois articles centrés sur le corps qui nous intéressent particulièrement, « Lecture de Goffman, l’homme comme objet rituel », d’A. Marcellini et M. Miliani (Marcellini, Miliani, 1999), et « Erving Goffman : de la contrainte

au jeu des apparences » ainsi que « Le corps chez Goffman. Quel statut du corps dans la réalité sociale ; quelle réalité sociale au-delà du corps ? » tous deux de S. Pasquier (Pasquier,

2003 ; 2008). Ces articles de S. Pasquier ont cette spécificité d’une grande richesse d’analyser autant l’objet corporel que la sociologie d’E. Goffman. Il y montre la dimension inévitable et liante du corps, dans une tension constante entre détermination par des structures d’action relatives et liberté d’action.

Vient aussi de paraître un ouvrage collectif aux presses d’Ottawa, « Erving Goffman et

le travail social », dirigé par S. Garneau et D. Namian (Garnaeau, Namian, 2017). Une lecture

indique qu’il s’agit davantage d’un ouvrage sur les usages du support méthodologique que propose la sociologie d’E. Goffman pour analyser un objet, que d’un ouvrage sur l’œuvre d’E. Goffman. En parallèle, une recherche sur le questionnement francophone portant cette fois directement sur l'œuvre d’E. Goffman montre de maigres résultats au regard de l’abondance des mobilisations de l’auteur par la sociologie francophone : quatre articles scientifiques, quatre ouvrages collectifs, deux brefs manuels.

Quatre des articles portant sur E. Goffman interrogent immédiatement, car tous soulignent en effet l'aspect morcelé du travail de ce dernier et s'appuient sur une généalogie de ses évolutions conceptuelles. Un article présente le lien entre l'évolution biographique et la posture théorique d'E. Goffman de l'ensemble de la cérémonie vers la « séquence » (strip), permettant de mieux appréhender la cohérence de son évolution théorique, qui suit bien un fil directeur, comme pourra le montrer notre approche de l’ensemble de l’oeuvre (Winkin, 2005), là où un autre propose une rétrospective de son œuvre (Bonicco, 2007). Deux autres articles mobilisent E. Goffman comme caution scientifique pour le développement d'une dialectique cherchant à dénerver une influence sur l'ensemble de l'œuvre. Un premier tente de faire le pont entre l'ethnométhodologie et E. Garfinkel dans une approche comparée entre E. Goffman et H. Garfinkel (Widmer, 1992). Un second questionne la dialectique entre Goffman et la pensée durkheimienne dans l'évolution de sa mobilisation des notions de rite et rituel (Keck, 2012).

Face à ces difficultés présentées par l'œuvre d'E. Goffman, une entrée vers certains de ses concepts fondamentaux pourrait se faire par deux courts livres pédagogiques synthétiques. Ceux-ci visent à définir sa sociologie et sont donc obligés par la nécessité pédagogique du format de simplifier les concepts en les isolant et en les figeant. Ils n'en semblent pas moins d'une grande efficacité pratique à quiconque chercherait à utiliser ces notions sans les questionner plus avant, comme des outils prédéfinis. La visée de ces livres est d'offrir un

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arsenal conceptuel d'une certaine amplitude directement mobilisable et de l’insérer dans l'ensemble du champ sociologique. Ces ouvrages permettent d’intégrer la recherche dans la problématique traditionnelle des niveaux de la recherche sociologique, entre microsociologie et macrosociologie.

Le premier, « Erving Goffman et la microsociologie » porte un titre trompeur (Joseph, 2009). Le titre même pourrait faire penser qu'il porterait sur la seule dimension microsociologique, écartant d'éventuelles montées en généralité macrosociologiques. L'auteur ne se concentre réellement pleinement ni sur l'un ni sur l'autre mais s'appuie sur l'architecture proposée par E. Goffman pour recentrer la microsociologie. Les phénomènes sociaux «

relèvent moins de l'ordre social que de l'ordre de l'interaction, moins de la structure de la vie sociale que de la structure de l'expérience » (pp. 5-6). De la microsociologie il reprend la

problématique de l'expérience subjective et individuelle. Hors de cela il ne s'agit plus vraiment d'un traité de microsociologie conventionnel, mais d'un traité cherchant à connecter les sites ponctuels dans une situation, un traité de « situationnisme méthodologique », distinct du « holisme » et de l'« individualisme méthodologique » (p. 10). L'analyse reprend alors fidèlement les problématisations d'E. Goffman dans « Les cadres de l'expérience » et son discours à l'American Sociological Association. Il s'agit d'une étude des « organisations » par les « moments » vécus (p. 6). Une catégorisation de différentes perspectives d'approche des moments du jeu des « acteurs » (p. 119). Cette approche didactique permet de clarifier les concepts d'E. Goffman en les extrayant et les isolants. Elle répond parfaitement à sa réelle perspective qui est de proposer un plaidoyer pour le situationnisme. Cette dimension didactique nécessaire est compensée par le lien de la problématique de la situation, en faisant un outil facile d'accès et confortable pour traduire la pensée d’E. Goffman qui cherche à simplifier, mais n'en est pas moins complexe. Nous tenterons de procéder de même dans la présentation de notre cadre théorique, avant de fondre les concepts dans la discussion sur les résultats.

Là où ce premier ouvrage pédagogique se centre sur la défense d'une thèse illustrée par un schéma conceptuel réaligné de manière didactique, le second, « La sociologie de Erving

Goffman », se présente davantage sous la forme d'un manuel pédagogique d’initiation (Nizet,

Rigaux, 2014). Contrairement à l'ouvrage d'I. Joseph, ce livre cherche à faire entrer la sociologie d’E. Goffman dans les cases usuelles de la sociologie générale, questionnant l'opposition micro/macro de manière timide, voire la renforçant en certains endroits. Il remplit

cependant son rôle pédagogique, intégrant E. Goffman au cadre normatif de la sociologie dans la mesure du possible.

On voit que les deux livres se complètent. Ils illustrent le caractère problématique de l’œuvre d'E. Goffman dès qu'il s'agit de l'intégrer au champ classique de la sociologie, tiraillé entre micro et macrosociologie. Ils montrent un essai tentant de briser ces codes pour installer la sociologie situationnelle d'E. Goffman, et un manuel pédagogique d’initiation tentant d'intégrer E. Goffman à la sociologie traditionnelle. Deux approches synthétiques des concepts sous deux perspectives différentes, l'un centré sur la situation et les moments, l'autre sur les règles et normes. Tous deux permettent aussi d'avancer dans la lecture d'E. Goffman avec deux avis critiques tout en restituant les concepts dans l'univers sociologique contemporain d'E. Goffman et dans les discussions qui lui sont postérieures. Sur ces deux chemins nous choisissons sans hésiter le chemin en friche du premier, conscient des nécessités de compromis mises au jour par le second.

Cette dimension duale en fait des outils intéressants pour aborder les ouvrages collectifs centrés sur l'"œuvre" d'E. Goffman et traduisant les préoccupations des contemporains. Un premier, « Le parler frais d'Erving Goffman », fait suite à un colloque tenu du 17 au 24 juin 1987 (Goffman, 1989). Bien que le colloque et ses actes soient posthumes à E. Goffman, ils n’en sont pas moins édités à son nom, tout comme l’ouvrage d’Y. Winkin, « Les moments et leurs hommes ». Centré sur la « conversation », il propose 14 chapitres de commentateurs et deux textes d’E. Goffman inédits en français, dont l'un où il se défend de critiques sur « Les cadres de l'expérience ». Cet ouvrage ambitionne de prendre le relai de l'appel de ce dernier de lier « ordre social » et « ordre de l'interaction » (p. 8). Cette question et la nécessité de ces travaux ont été appelées de ses vœux dans son discours écrit à destination de son investiture à la présidence de l'American Sociological Association publié en 1983 et traduit en 1984, soit trois ans avant ce colloque (1988-c [1983]). Selon D. Demazière, il semble soulever deux grandes questions structurantes, « l'apport de Goffman à l'analyse de

l'action sociale, envisagée au plus près des acteurs en interaction », et « son apport à l'analyse de l'ordre social considéré comme le ciment de la société globale ». Ce dernier y

regrette un manque de place pour le couplage entre niveau micro et macro que permet le travail d’E.Goffman, proposé par la liaison entre interaction et ordre social qui était pourtant la problématique du colloque (Demazière, 1991, 286).

La présente recherche n'envisage initialement pas de se placer derrière cette problématique. Un second ouvrage collectif, « Erving Goffman et les institutions totales »,

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faisant suite au colloque tenu en 1999 à Grenoble, sera même écarté (Amouroux, Blanc, 2001). Centré sur les institutions totales il le sera au même titre que l'ouvrage « Asiles ». Cette mise en retrait vise à éviter de voir glisser la perspective que nous avons d'E. Goffman de l'ordre de l'interaction à l'ordre social dans sa dimension institutionnelle, qui n'est ici qu'un objet éclairant, et non l'objet éclairé. Il nous montre cependant que si nous n'aspirons pas à nous porter sur cette problématique, nous devrons y proposer une solution malgré tout en tentant d'appliquer le schéma d'E. Goffman au terrain, puisqu'il est impossible d'éviter l'institution.

Un troisième ouvrage collectif, « Erving Goffman et l'ordre de l'interaction », vise à faire état de la mobilisation des travaux francophones d'E. Goffman afin de montrer l’actualité de la pertinence de la sociologie d’E. Goffman (Cefaï, Perreau, 2012). Il tente alors de reprendre cette critique proposée par D. Demazière et de faire avancer la problématique de la connexion des niveaux, proposant 17 chapitres ainsi qu'une conférence dont la traduction française est inédite concernant le travail de terrain. Malgré cette volonté de mise en lien, le problème reste cependant le même d'une polarisation dans une direction ou l'autre.

Cette volonté situationnelle nous porte à rappeler la construction dite morcelée des théories d’E. Goffman et de bien souligner qu’il existe un fil directeur. Celui-ci est montré de la manière la plus riche par l'ouvrage réédité sous le nom d'E. Goffman mais dont le recueil de texte a été réalisé par Y. Winkin, « Les moments et leurs hommes » (Goffman, 1988). De la manière la plus riche, car de manière empirique, il nous offre un tracé biographique tout en suivant l'évolution de la pensée de Goffman à travers de courts textes de ce dernier préfacés par Y. Winkin. Comment mieux commenter l’auteur qu’en le laissant s’expliquer par ces textes au fil des années ? Le fait de débuter par les éléments fondamentaux de sa problématique de thèse et de conclure par un entretien auprès de l’auteur un an et demi avant son décès, après avoir rappelé son discours testamentaire et avoir présenté un échange de répliques en colloque face à ses aînés et pairs (Bateson, Mead, Birdwhistell, Liddell, Meerloo, Frank, Fremont-Smith, Peck, Lifton, Spiegel), permet aussi de mieux saisir l’homme derrière le chercheur. Ces textes permettent d'appréhender l'évolution des convictions d'E. Goffman et la réelle continuité d'une œuvre aussi peu préoccupée des cadres qu’elle les étudie. Les cadres mobilisés, tout comme les cadres étudiés, sont mobiles et fragiles. Les cadres sont aussi, rappelons-le, les angles larges ou serrés, les perspectives mobiles.

Le dernier ouvrage collectif en date qui soit parvenu à notre connaissance « Actualité

essentiellement rédigé autour de la problématique de la communication verbale et gestuelle (Lardellier, 2015). Il présente l’intérêt de montrer les applications des schémas conceptuels d’E. Goffman sous des lectures et supports de terrain très divers, incluant des observations participantes en hôpital.

b. Une sociologie dramaturgique du conflit en représentation

Une base essentielle à cette recherche est la « dramaturgie » sociale inspirée de la représentation théâtrale que propose E. Goffman (Goffman, 1973-a, 9 [1959, 9])12. Cette dramaturgie s’exprime à travers les « interactions » (p. 23 [V.ang : 26]). Selon lui, il n'est pas aisé de définir en quoi le monde social se distingue du théâtre (p. 73). À titre illustratif il propose l'exemple du « jeu d'acteur » réglé du « garçon de café » de J-P. Sartre (p. 76 [V.ang : 81-82]). Le cadre théâtral peut servir d'outil pour analyser les transformations de séquences d'activités ordinaires (1991 [1974], 145). De surcroît étudier la manière dont la réalité peut être imitée ou falsifiée permet une certaine réflexivité (p. 245). L'étude des conflits de cette recherche soutient cette perspective. Les attitudes ritualisées des bagarres semblent aller dans ce sens. Notre analyse prolonge ce postulat en considérant le fait que la dramaturgie sociale s’exprime jusque dans les interactions physiquement brutales. Les notions d’agression, d’offense et de réparation sont centrales à l’œuvre d’E. Goffman, nous en présentons d’ailleurs trois de ses angles d’approche en annexes (Cf. Annexe. III, Sect. 1). Après lui, nous continuons de chercher les limites de cette mise en scène.

Dans ce cadre dramaturgique goffmanien, une interaction peut aussi être nommée une « rencontre » (encounter) (1973-a, 23 [1959, 26])13. Les rencontres y sont les « situations

d'engagement face-à-face » privilégiées entre deux acteurs, sur lesquelles s'en agrègent

d'autres et dont certains s'extraient. Ce cadre théorique analyse les interactions en « représentations » qui tissent ces situations d’engagement et qui sont tissées par elles (idem). Une représentation sera une situation transformant un « individu » en « acteur » social (1991