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Imaginaires co-constructeurs de l’axiologie des violences corporelles

Chapitre I. Violences et brutalité physiques du conflit

Section 1. Imaginaires co-constructeurs de l’axiologie des violences corporelles

l’axiologie des violences corporelles

L'ouvrage de M.Wieviorka, « La violence », illustre une tendance dichotomique où il est impossible de se situer dans le champ des recherches sur la violence et le conflit sans se placer vis-à-vis de ces deux niveaux (Wieviorka, 2004-a). L'auteur y développe une sociologie générale des « violences sociales » dans une approche oscillant entre histoire contemporaine et psychologie. D'un côté, il cherche à dégager un nouveau paradigme de la violence, qui serait en évolution depuis le début de la guerre froide, de l'autre il interroge le lien entre le sujet et l'acte violent en proposant une typologie du sujet morcelé en cinq dimensions. M. Wieviorka propose une théorie de la violence centrée sur la notion de sujet, mais pourtant se maintient au niveau des institutions (2004-b) ou de l’individu (2012), faisant le saut de l’un à l’autre sans passer par l’analyse empirique du processus d’action.

Globalement, la violence et la sécurité prennent une place prépondérante dans les discours politiques depuis les années 1990, jusqu’à devenir des enjeux électoraux nationaux, mais aussi municipaux. Analyser un conflit en public connaissant une phase physique nécessite de le situer dans la « culture de la violence » où il s’insère (Nahoum-Grappe, 2013). Cette culture de la violence est définie par le discours normatifs sous ses multiples formes. Les discours sur les brutalités sont structurés par une dimension politico-médiatique en faisant un de ses pôles de justification de sa propre existence, générant une dualité entre peur et sentiment de sécurité qui lui devient fondamentale. La brutalité fusionne alors avec le seuil de violence, pour devenir un phénomène, un grand tout réifié, manifestant des tensions sociales cristallisées par le discours, dans une définition fortement identitaire, par les "bandes", les "cités", les "quartiers". La "Violence" avec un grand V crée un ennemi intérieur dans une approche très fonctionnaliste, ou organiciste, où la "Violence" fait face au "Système" avec un grand S.

Dans son « Que sais-je » sur « La Violence », Y. Michaud soutient que la philosophie de la violence est avant tout une philosophie des fondements, pétrie d’axiologie, de « mythes » et de « généralisations audacieuses », entre « ontologie de la violence » et

« philosophie de la réciprocité » (Michaud, 1988). La philosophie de la violence définirait la violence par rapport à sa causalité, que ce soit dans la nature de l’homme (T. Hobbes, G-W-F. Hegel, F. Nietzsche) ou dans la vie sociale (J-J. Rousseau, P-J. Proudhon, K. Marx, G. Sorel, V-I. Oulianov, dit Lénine). Nous considérons que la philosophie de la non-violence telle que prônée par Gandhi n’est en aucun cas une non-violence, elle est une non-brutalité, passant tout de même par l’exercice d’une violence symbolique. Une sociologie des actions physiquement violentes nécessite donc de questionner le concept de violence à la base, et non de le considérer comme une évidence stable.

Les définitions usuelles contemporaines de la violence, construite sur des chiffres et des valeurs universalistes, souvent à visée utilitariste, ne peuvent comprendre les échanges brutaux comme ayant un sens en eux-mêmes et s’incluant dans des carrières de vie ou des situations spécifiques où elles sont un désordre ordonné. L’approche psychologique du conflit et des violences, baignée du concept de "nature humaine" et ciblée autour de sujets types pourrait aller dans la même direction, mais pose néanmoins des questionnements essentiels, notamment sur le plan de l’empathie, de la cognition et de l’engagement dans l’action (1). Nous proposons de concilier les approches de sociologie politique et de psychologie dans une démarche socio-anthropologique, en développant un modèle théorique arésiaque-athénéen d’analyse des cultures de la violence. Ce modèle permet de questionner les jugements de valeurs normatifs portés sur l’engagement corporel, la finalité des brutalités et les axiologies de la violence (2).

§ A. Modèles du discours sur les violences

Les définitions de la praxis sociologique sont imprégnées d’une axiologie forte à double niveau. Elles sont fortement structurées par le discours socio politique constituant les violences sociales (a) et par une vision psycho-clinicienne humaniste des violences pathologiques, remise en question par le développement de la neuro-psychologie notamment autour de la notion d’empathie (b). Les définitions proposées par les modèles d’analyses psychosociales dichotomiques permettent ensuite de faire le lien entre violence et agression en psychologie et de montrer la profonde divergence de ces modèles d’analyse (c).

VIOLENCES ET BRUTALITÉ PHYSIQUE

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a. Définitions socio-juridiques et discours politico-médiatiques sur les violences et le sentiment de sécurité

Conflit et violence sont des notions intimement liées dont la relativité rend la définition ardue. Le « dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie » (Bonte, Izard, 2016) ne propose d’ailleurs pas de définition de la violence, mais une définition de la « violence urbaine », qui clôt l’ouvrage :

« Par "violence urbaine", on entend un phénomène qui se manifeste dans les

grandes agglomérations, plus particulièrement dans les quartiers dits défavorisés – à taux élevé de chômage, notamment – que l’on tend à identifier globalement aux" banlieues", en France, aux ghettos ethniques, aux Etats-Unis. […] » (p. 830).

À en croire la praxis de l’anthropologie et de l’ethnologie véhiculée par ce dictionnaire, la définition de la violence urbaine serait donc reléguée dans des territoires défavorisés. Cette définition politisée de la violence pénètre donc jusque dans une discipline portée sur l’altérité et sur la recherche de la pluralité et de la complexité des structures humaines. Chercher la définition du « conflit » (p. 169) y mène à se retrouver renvoyé à l’entrée « Gluckman (M.) », où au sein des trente cinq lignes de présentation de cet auteur, quelques lignes seulement se portent sur sa préoccupation pour ce thème problématique :

« Gluckman utilise la notion de " conflit" pour rendre compte de faits qui, loin de menacer l’unité du corps social, illustrent plutôt la capacité

intégrative du système qui l’organise. Un conflit et son mode de résolution peuvent faire l’objet d’une mise en scène rituelle qui, dans le même temps, libère l’expression d’une rébellion contre l’ordre social et la résorbe, comme le montre Gluckman dans sa Frazer Lecture de 1954, à partir notamment d’un exemple emprunté aux Swazi » (p. 302).

Si cette très brève proposition a le mérite de présenter la « capacité intégrative » du conflit, cela reste dans l’ « expression d’une rébellion contre l’ordre établi ». Sept lignes par le truchement d’un auteur du milieu du XXème siècle et une définition des violences urbaines, est-ce là toute la place prise par le conflit et les violences en anthropologie et en ethnologie ?

Mais qu’en est-t-il des lieux communs de la praxis de la sociologie, dont certains la revendiquent, en positif comme en négatif, comme étant une discipline intrinsèquement conflictuelle (Bourdieu, 1984 ; Lahire, 2016 ; Latour, 2007) ? Dès 1908, G. Simmel tente de fonder une sociologie du conflit, dans une approche totalisante à échelle anthropologique (Simmel, 2015 [1908]). Il n’est alors pas encore question de violence, d’une approche empirique, ou encore des processus d’action, mais du rôle du conflit dans la construction de

l’ « antagonisme à partir de l’unité » des « cellules » sociales. Une démarche qui sera reprise par E. Morin tout au long de sa carrière :

« Une unité, c’est aussi la synthèse globale des personnes, des énergies et des

formes constituant un groupe, la totalité finale de celles-ci, dans laquelle sont comprises ces relations unitaires au sens étroit aussi bien que les relations dualistes » (pp. 22-23).

Le rôle du conflit dans la préservation du groupe, les équilibres de l’ordre et du désordre et leurs incidences sur la structuration des liens sociaux ont ainsi transité de la philosophie politique vers la sociologie depuis plus d’un siècle. Ces fondements sont cependant empreints de par la notion de concurrence à échelle économico-anthropologique et économico-politique, d’une marque forte de la proto-sociologie allemande/alsacienne de la seconde moitié du XIXème siècle et du premier XXème siècle. G. Simmel se connecte directement aux préoccupations de M. Weber pour la socio-économie et on y retrouve un développement ciblé à la « Philosophie de l’argent » (Simmel, 2014 [1900]).

Le conflit est alors défendu comme un objet sociologique et même comme une troisième voie dépassant l’individu et la société, une voie liante et alternative signifiant le lien social :

« Il semblait qu’il n’existât que deux objets unitaires de la science de l’homme :

l’unité de l’individu et l’unité constituée d’individus, la société, comme si un troisième objet était logiquement exclu. Il n’y a alors plus aucun lieu où l’on pourrait étudier le conflit en tant que tel, c’est-à-dire considéré en dehors de sa contribution aux formes unitaires immédiates de la société. […] Un groupe qui serait tout simplement centripète et harmonieux, une pure et simple "réunion", n’a non seulement pas d’existence empirique, mais encore il ne présenterait pas de véritable processus de vie » (p. 22).

G. Simmel s’appesantit sur la nécessité des facteurs de désordre, comme n’étant pas une expression d’une anomie du système mais au contraire une force, un facteur d’effervescence, prenant l’exemple du mariage. Il en demeure deux des bases du paradigme central de la polémologie, la dimension centripète de l’existence d’un ennemi commun (p. 119) et le fait que le conflit soit analysé comme latent, son expression visible, normée, désignée, n’étant que la part émergée des tensions, la guerre résidant dans la paix et réciproquement (pp. 131-133). Hors de ces deux éléments, cette tentative de placer le conflit au cœur du débat, de montrer son omniprésence et surtout sa nécessité et son caractère sain a été fortement dévoyée. Si l’ouvrage est une référence de la polémologie, et donc d’une des branches des sciences politiques, il semble que ce message ait été minoré par une axiologie institutionnelle et qu’il n’ait reçu que peu d’écho dans la sociologie empirique. La sociologie du combat requiert l’observation du combat :

VIOLENCES ET BRUTALITÉ PHYSIQUE

Section 1. Imaginaires co-constructeurs de l’axiologie des violences corporelles « La sociologie du combat requiert, au moins comme un appendice, une analyse

des formes dans lesquelles un combat se termine, et qui présentent quelques interactions particulières, qu’aucune autre situation ne permet d’observer » (p.

134).

Le « Dictionnaire critique de la sociologie » déjà ancien mais récemment réédité de R. Boudon et F. Bourricaud propose une définition détaillée du conflit, mais cependant axée exclusivement sur les « conflits sociaux » :

« Les conflits sont omniprésents dans la vie sociale, mais prennent des formes

extrêmement variées. Sans chercher à établir une classification systématique, on peut établir quelques distinctions utiles et tenter de faire le point de questions sociologiques classiques : caractère normal ou pathologique des conflits, importance des conflits dans le changement social, signification de la lutte des classes » (Boudon, Bourricaud, 2011, 95-96).

De son côté, la définition de la violence proposée y revêt, elle, cette incontournable tension entre caractère de philosophie politique et psychologie, partant de la définition hobbesienne puis freudienne (pp. 670-679). Cette démarche est poursuivie dans le « Dictionnaire de la pensée sociologique » de M. Borlandi, R. Boudon, M. Cherkaoui et B. Valade, où une définition détaillée de la « Violence collective » passe par les « théories du

calcul individuel », les « théories du milieu violent », les « théories de la rupture morale » et

les « théories de la rationalité de groupe » :

« La violence collective désigne un groupe de phénomènes qui a attiré l’attention des sociologies depuis les premiers jours de la discipline. Le groupe en question est extrêmement hétérogène, pouvant aller d’événements évanescents et apparemment spontanés comme le hooliganisme entourant le football et les affrontements entre gangs urbains ou groupes ethniques, les lynchages et autres formes de justice populaire violence, jusqu’à des phénomènes plus organisés et de plus longue durée comme les guérillas et révolutions » (Borlandi et al., 2005,

736-740).

Le conflit, ou plutôt les « théories du conflit », y sont abordées, elles, dans une démarche purement polémologique à envergure des sciences politiques (pp. 120-122) :

« On peut faire remonter la préhistoire des théories du conflit à Thucydide,

Machiavel, ou à d’autres historiens qui analysèrent la politique comme une lutte pour le pouvoir masquée par des idéalisations trompeuses. Marx et Engels élargirent cette perspective, pour envisager toute vie économique et sociale comme un conflit d’intérêts masqué par des idéologies. Max Weber développa une conception multidimensionnelle du conflit, au sein d’arènes constituées par les classes économiques, les pouvoirs politiques et organisationnels ou les statuts culturels » (p.120).

Nous pouvons voir combien les lieux communs de la praxis exprimés par ces dictionnaires références sont orientés par la démarche politiste et une approche institutionnelle des concepts de violence et de conflit. Le « lexique sociologique » édité par « Dalloz » offre une définition plus synthétique et fonctionnelle de la violence, axée dans la finalité d’éclairer

une lecture juridique (Alpes et al., 2010, 360-361). Il permet de compléter la définition de l’ouvrage faisant référence en matière de lexique juridique, le « Vocabulaire juridique » de G. Cornu (Cornu et al., 2016, 1078) :

« Au sens courant, caractérise l'usage de la force physique (brutalité, crime, etc.)

ou mentale (harcèlement, violence psychologique ou verbale, etc.) afin d'imposer sa propre volonté contre celle d'autrui. La violence peut être le fait d'un individu ou d’un groupe. On distingue la violence qui vise les personnes de celles qui a pour but l'appropriation des biens convoités. Son aspect objectif (nombre de crimes, victimes d'une guerre...) est difficile à isoler car la violence comporte une large composante subjective » (Alpes et al., 2017, 408).

« N. f – du latin Violentia, à basse époque -cia. Sens général : Contrainte illicite,

acte de force dont le caractère illégitime tient (par atteinte à la paix et à la liberté) à la brutalité du procédé employé (violence physique ou corporelle, matérielle) ou (et), par effet d'intimidation, à la peur inspirée (violence morale) » (Cornu et al.,

2016, 1078).

Les définitions du conflit sous l’angle sociologique (Alpes et al., 2010, 53) et juridique (Cornu et al., 2016, 232) suivent le même procédé de rapprochement.

« Opposition entre des individus ou des groupes sociaux défendant des valeurs ou

des intérêts divergents, et cherchant à instaurer un rapport de force en leur faveur. Au sein des divers paradigmes sociologiques on distingue souvent ceux qui privilégient l'ordre social et l'intégration et ceux qui privilégient les conflits. Le conflit s'oppose aussi au consensus [Précision de trois paradigmes du conflit] »

(Alpes et al., 2017, 61).

« Conflit : N. m. Lat. De basse époque, conflictus, dérivé de confligere : heurter,

frapper ensemble. (1) Opposition de vues ou d'intérêts ; mésentente, situation critique de désaccord pouvant dégénérer en litige ou en procès ou affrontement de fait (violence, voie de fait, etc.) » (Cornu et al., 2016, 232).

Le conflit est la raison d’être du Droit et la seule définition normée de la violence est celle véhiculée par le Droit, qui ne définit d’ailleurs pas la violence, mais ses manifestations, les violences. Il va d’ailleurs distinguer entre les violences volontaires et involontaires – cette distinction est très importante en droit pénal. Le droit civil aborde lui la question plus sous l’angle des conséquences de l’acte violent, par le biais de la responsabilité. Les situations qui nous intéressent sont celles aboutissant à des blessures physiques, telles que catégorisées en violences graves et légères, normées dans le code pénal (Art. 222-1 ; 222-7 ; 222-9 ; 222-11. 222-13 ; R624-1 ; encadré ci-dessous).

VIOLENCES ET BRUTALITÉ PHYSIQUE

Section 1. Imaginaires co-constructeurs de l’axiologie des violences corporelles

Les violences corporelles

Violences graves

Art 221-1 Le fait de donner volontairement la mort à autrui constitue un meurtre. Il est puni de trente ans de réclusion criminelle.

Art 222-7 Les violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner sont punies de quinze ans de réclusion criminelle.

Art 222-9 Les violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente sont punies de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende.

Art 222-11 Les violences ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours sont punies de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

Art. 222-13 Les violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ayant entraîné aucune incapacité de travail sont punies de trois ans d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende, lorsque : [liste de facteurs aggravants].

Précisions sur les « définitions des violences » (n°1-38) sur les « qualifications » (n°39-79), sur les « circonstances aggravantes » (n°80-151)

Violences légères

Art R624-1 (Des violences légères) Hors le cas prévu par les articles 222-13 et 222-14, les violences volontaires n’ayant entraîné aucune incapacité totale de travail sont punies de l’amende prévue pour les contraventions de la 4è classe.

Les personnes coupables de la contravention prévue au présent article encourent également les peines complémentaires suivantes :

1° La suspension, pour une durée de trois ans au plus, du permis de conduire, cette suspension pouvant être limitée à la conduite en dehors de l’activité professionnelle ;

2° L’interdiction de détenir ou de porter, pour une durée de trois ans au plus, une arme soumise à autorisation ; 3° La confiscation d’une ou plusieurs armes dont le condamné est propriétaire ou dont il a la libre disposition ; 4° Le retrait du permis de chasser, avec interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau permis pendant trois ans au plus ;

5° La confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit.

Le fait de faciliter sciemment, par aide ou assistance, la préparation ou la consommation de la contravention prévue au présent article est puni des mêmes peines.

[…]

Entre autres exemples cités, sont des violences légères :

Le fait de décoiffer une jeune fille dans un bal. (Crim. 26 janv 1878 : DP 1878. 1. 240) ;

Le fait de se précipiter sur une personne et de la bousculer (Crim. 19 avr 1958 : Bull. crim. N°321) ;

Le fait d’avoir porté deux gifles à la victime (T. pol. Aix-en Provence, 12 jan. 1983 ; Gaz. Pal. 1983. 2. 728, note Doucet ; RSC 1984, 74, obs. Levasseur) ;

Le fait de secouer une personne par les épaules (en l’espèce, fait d’un époux sur son épouse) (Crim. 27 janv. 1987 : Gaz. Pal. 1987. 1. Somm. 203 ; ESC 1987. 876, obs. Levasseur) ;

Les approches globales de sociologie politique ou de philosophie politique tiennent la part centrale de la définition du conflit et des violences. Les recherches en histoire, en sociologie politique et en sciences politiques représentent une grande partie des recherches sur les violences. Plutôt que de les contourner dans une approche purement interactionniste centrée exclusivement sur l’action, nous proposons de les mobiliser pour réfléchir à la notion de violence, essentielle pour saisir la graduation des actions et réactions et leurs relativités.

Les travaux de R. Muchembled donnent une première ouverture vers une relativisation de la notion de violence par une histoire comparée des « violences de sang » dans les époques moderne et contemporaine (Muchembled, 2008). Il montre que la violence, loin d'être un fait nouveau, connaît des mutations. Sa thèse est celle d'une violence présentant finalement une certaine constance, mais dont les variations résideraient dans la définition du seuil de déviance les qualifiant ; à certains époques et dans certains contextes, des violences de sang sont valorisées et d'autres prohibées par exemple. Il rejoint la thèse du « processus de

civilisation » de N. Elias (Elias, 1973 [1939]), mais aussi la thèse de M. Foucault du

développement d’un « biopouvoir », où outre l’acquisition du monopole de l'usage légitime de la force, l’Etat structurerait un « autocontrôle » des corps et de la productivité par un système d’inculcation de valeurs de préservation de l'intégrité corporelle liées à des valeurs morales et spirituelles (Foucault, 1993 [1975] ; 2004 [1978]).

Selon R. Muchembled, la « sensibilité sécuritaire » actuelle est due aux médias, construisant des catégories d'acteurs mais aussi d'actions et de ressentis. En ce sens, le traitement médiatique des événementiels par la presse locale montré par V. Croissant et B. Toullec n'est pas sans rappeler le traitement des événements violents survenant dans l'ordre social des établissements de nuit (Croissant, Toullec, 2011). L. Mucchielli, spécialiste du discours médiatique et politique sur les violences, seconde D. Duprez dans un article présentant l'aspect utilitaire de « la violence dans les explications des désordres urbains

proposées par médias et politiques » (Duprez, Mucchielli, 2000). Selon L. Muchielli, la

violence urbaine est en partie une construction des instances policières, comme outil de propagande politique (Mucchielli, 2000). Il remet en cause l'idée d'un accroissement des violences interpersonnelles en questionnant le « sentiment de violence » (2008), puis questionne l'efficacité de la vidéosurveillance (2016).