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ESQUISSE
D UNE
ESTHÉTIQUE
PAR
Marcel REYMOND
PARIS
LIBRAIRIE FISCHBACHKR
Société anonyme
33, RUE DE SEINE,
33.1886
ESQUISSE
D UNE
ESTHÉTIQUE
ESQUISSE
D'UNE
ESTHÉTIQUE
TAR O
M. Marcel REYMOND
PARIS
LIBRAIRIE FISCHBACHER
Société anonyme
33, RUE DE SEINE,
33..
1880
GODFREY MIC HYAM3.
JTJLY 10, 1899.
A
Porter
un jugement
surune œuvre
d'art, c'est affirmer par celamême que
l'onpossèdeun ensemble de
règles sur lesquelleson
appuie sonjugement.
S'il n'existait pasde
commune mesure pour
apprécier lesœuvres
d'art, il est évidentque nous
n'aurions pas le droitde
lesjuger etde
les classer d'après leur mérite ;
nous
devrionsnous
con- tenterde
les étudiercomme
des manifestations diversesde
l'activitéhumaine,
toutes intéressantesau même
titre.Une
école aprétendu
réduire à cesmodestes
limites le rôlede
la critique ; elle a étalé, avecune
supérieurehabileté, toutes les contradictions des anciennes doc- trines, leur variationavecles
époques
et leur impuissance àembrasser
tous les éléments constitutifs de laBeauté
;elle
en
a concluque
lesjugements
artistiquesne
pouvaient avoirde
valeur positive puisqu'ils reposaient,non
sur des principes,mais uniquement
sur des préférencesou
des antipathies, sur les variabilitésdu goût
personnel.Quelques
littérateurs protestent encore avec timidité.Sans
oser s'insurger contre les audacieuses affirmationsde
cette philosophie nouvelle, sans oser soutenir qu'ilestune
loi absoluepour
juger les éléments subtils de la—
2—
Beauté, ils ont, à défaut des droits de la raison,
réclamé en
faveur des droitsdu
goût. Ils ontpensé
qu'on pouvait parler de la Beauté, louer et critiquerune œuvre
d'art,sans qu'il fût
pour
cela nécessaire d'invoqueraucun
principe d'esthétique,chacun
restant libre d'adopterune
doctrineconforme
àson goût
personnel.Un
telraisonnement
est insuffisantpour
rendre à la critique l'autorité qui lui est nécessaire.Sous
prétexte de résister à ses adversaires,on
leurconcède en
réalité tout ce qu'ils réclament. Sichacun
a le droit,en
s'ap-puyant
sur son goût personnel,de
jugerune œuvre
d'art, l'artiste a le droit
non moins
évident dene
teniraucun compte
des observations qui lui sont faites ; il a le droit de protester contre toutenseignement
autreque
l'enseignement technique et d'opposeraux
doctrines rigidesde
ses maîtres la loi supérieurede
la liberté,du
caprice,de
la fantaisie.Nous
trouvons la tracede
cette incertitudedans
la plu- part desœuvres de
notre époque.A
la foi ancienne, par-fois trop exclusive, a succédé, sous prétexte
de
largeur d'esprit,une sympathie
universelle qui confine à l'indiffé- rence. L'artistene
reconnaît plusde
maîtres, et, parsuite, la critique se voyant contester toute autorité, se désintéresse des questions artistiques
pour
se réfugier dans l'étudemoins
incertaine des textes et des origines.Au
surplus, ces hésitationsne
sont pas nouvelles.Il
vous
souvient, sans doute, qu'Ulysse retrouvant sescompagnons métamorphosés en
bêtes par lamagicienne
Circé, offrit de leur restituer la
forme humaine
et qu'ilne
put, faute d'une esthétique suffisamment précise, les convaincre
de
la supérioritéde
leurpremier
état. L'ours particulièrement fut intraitable. Ulysse abeau
le rai-nous
a conservé cette intéressante discussion :Eh
!mon
frère,Comme
te voilà fait; je t'ai vu sijoli.Ah
! vraiment, nous yvoici, Reprit l'ours à sa manière,Comme me
voilàfait!comme
doit êtreun ours.Qui t'a dit qu'une forme est plus bellequ'une autre? Est-ce àla tienneà juger de la nôtre.
Je m'en rapporte aux yeux d'une ourse
mes
amours.Ce
n'est pas làun
pointde médiocre importance
; il y va de noire dignitéhumaine
; et, s'il fautrenoncer
à l'es-poir de persuader tous les critiques,
au moins
convien-drai!-il de
répondre
à cet ours.—
4CHAPITRE
I.Principes de l'Esthétique.
Depuis longtemps
les philosophes ont la notion des rapports qui existent entre le Bien, leBeau
et le Vrai.La
réunionde
ces troismots mis en
tête d'un livre a suffi à lui conquérirune longue
popularité.Mais
ces rapports étroits affirmés par les philosophes n'apparaissaient pasnettement
à tous lesyeux
et s'il était aisé d'affirmerque
les troisidées
du
Beau,du Bien
etdu
Vraise confondaienten
Dieu, ill'étaitmoins
d'établircomment
elles s'unissaient surlaterre. Sil'idéede
conformité à laloi estlefondement de
l'idéedu
Bien, et si d'autre part l'essencede
laBeauté
est
un
sentimentde
plaisir, d'attrait, d'amour, il fallaitpour
identifier leBeau
et leBien
trouverle lien unissant le Nécessaire et l'Agréable.La
démonstrationde
cetteharmonie
sera lapensée dominante
de notretravail.Le
sentimentdu Beau
est variable. Il faut savoir le reconnaître sans réticence.Ce
sentiment varie avec les époques, les civilisations et les peuples. Bien plus il varie avecchaque
individu, selon l'éducation, letempérament,
le sexe; il varie
même
avec les divers âges dela vie. Cette mobilité est réelle; l'erreur est d'en exagérer l'impor-—
5tance et
de ne
pas voir qu'il existeun
principecommun
au
milieude
toutes les divergences qu'on peut signaler.D'une
façon générale, tous leshommes
ontune même
manière
d'être et d'agir, parce qu'ils ontune même
nature. L'unité
de
leurorganisme commande
l'unitéde
leurvie. Suivantle climat,le pays, ledegré de
civilisation, certains caractères serontmis
plusou moins en
évidence,mais
ces caractères seront toujours etuniquement ceux de
l'espèce.Les
instrumentsde
sensation seront plusou moins
délicats, plusou moins
sensiblesaux nuances
; leurchamp
d'observationne
se modifierapas.Les
loisdu Beau comme
toutes les loisde
nos sentimentsou
de nos actions, sont renferméesdans
notrenature. C'estpourquoi nous aborderons
cette étude,non
par l'analyse des objets, sourcesdu
sentimentdu
Beau,mais
par l'analyse de l'être qui ressent cette impression.Nous
rechercherons quel est,dans
notre esprit, le caractère essentielde
l'émotion esthétique.Le
sentimentdu Beau ne
s'éveille pas chez tous leshommes
à lavue
desmêmes
objets, il n'a pas toujours lamême
intensité,mais
dans son essence, il estuniforme
et se manifeste sousun
aspect identique.Ce
caractère fondamentaldu
sentiment esthétiquenous
paraît être lebonheur,
la joie, l'amour, l'attrait, ceque
l'on désignele plusgénéralement dans
le langage philosophique parlemot Agréable
*.Ayant
1 Nous entendonsicicemot dans sonsens leplus généraletnon au sens particulier quilui a été donné par M. Cousin et son école.
Pour nous, l'Agréable n'estpas seulement le plaisir des sens, mais toutce quiplaît à l'homme,depuislessensationslesplus grossières de son corps jusqu'aux sentiments les plus délicats de son âme.
On
ne peut quedéplorer, dans l'intérêt des études philosophiques,— 6 —
à définir le
Beau dans
leur dictionnaire et cherchant lesynonyme
le plus exact, Littrô et l'Académie ont dit : « leBeau
est ce qui plaît. » Interrogez les artistes quels qu'ils soient, poètes, sculpteurs, peintres, musiciens; ils répon- dront qu'ils recherchent le Beau, parceque
cettecontem-
plation leurest agréable; et cet attrait est si indispensable que,du moment où
il disparaîtou même simplement
s'affaiblit, la production
de
l'œuvre est tariedans
sa source. S'ilnous
prenait enviede
philosopher avecun
artiste et
de
luidémontrer
qu'il agitdansun
intérêt moral,il serait fort surpris et
nous
répondrait qu'il n'y prenait pas garde. L'artiste est moraliste sans nul doute, nos conclusions le démontreront, il remplitune
importante fonction sociale,mais
ce résultat a lieu à son insu; il agiten vue de
se satisfaire,non en vue
d'être utile.Nous admettrons donc que
leBeau
se lie à l'Agréable, et sans insisterdavantage nous
rappelleronssimplement que
les philosophes sontunanimes
sur ce point. Ilsne
diffèrent
que
sur la questionde
savoir si leBeau
doit être identifié avecl'Agréabledans
tous les cas possibles.Nous
réservantde
discuter plus tard ce point particulierde
notre thèse,nous
rechercherons tout d'abord quelle est lanaturede
l'Agréable et quel rôle cesentiment joue dansla création.
que M. Cousin ait cru nécessaire, pour défendre ses théories, de détournerle mot Agréable de son sens primitif, de telle sorte que ceux qui l'emploient aujourd'hui, dans son sens normal, sont exposés à n'êtrepas compriset, pour évitertoutmalentendu, sont obligés de rappeler les usages constants de notre langue et les prescriptionsdudictionnaire.
§ I.
— De l'Agréable.
Pour
découvrir les loisde
l'Agréable, il faut étudier notre organisme.L'homme
est,de
tous les êtres, celui qui ressent les sensations les plusnombreuses
et les plus vives, parce qu'il a l'organisme le plus subtil et le plus complet.Le
plaisir n'est autre choseque
lamise en œuvre
d'un organe.Nous avons
des yeux, des oreilles,une
bouche,un
nez, des jambes,un
cerveau, etc., etnous éprouvons
le plaisirde
voir, d'entendre,de manger, de
sentir,
de marcher, de
penser, etc. L'Agréable se trouve ainsi liéaux
actes nécessaires de la vie.Nos organes
ontune
mission à remplir ;chacun
d'eux doit agir, et le plaisirque
l'individuéprouve
dans cette action est le stimulant qui le porte à seconformer aux
loisde
lu nature.L'Agréable n'est pas
une
inutilité,un
simple divertis- sement, il estun rouage
importantde
la création,un moyen employé
parDieu pour nous
faire connaître sa volonté. Si le Créateur s'était contentéde nous donner
des organes, sans entourer d'aucun attraitleur exercice,nous
aurionseu grande
peine à concevoir l'idée qu'il fallait lesemployer
; agents infidèles,nous
serions restés indifférents à ses volontés.Une
telle crainte n'est pasà concevoir.
Les
lois naturelles s'exécuteront;l'homme
se nourrira parce qu'il lui est agréable
de manger;
ilmarchera,
il regardera, il écoutera, il pensera, il se reproduira, parce que,dans
tous ces actesde
sa vie, il—
8trouve
du
plaisir etque
l'inactivitéde
l'un de ses organes seraitune
causede
malaise.Schopenhauer
a tortde penser que l'homme
estdupe de
la création,que
la nature, divinitémonstrueuse,
n'arrive à ses fins qu'enimmolant
les êtres qui lui servent d'instrument.La
Divinité a été
mieux
avisée ; elle n'a pascommis
l'impru-dence de
concevoirun
planque
l'astuce d'un professeurà l'universitéde Gœttingen
auraitpu
entraver. Elle a identifié sonœuvre avec
lebonheur
des ouvriers chargésde
l'exécuter.L'homme
obéira à sa volonté, car toutes les forcesde
sa nature le luicommandent.
L'Agréable selie
au
Nécessaire, il est le stimulant et laconséquence du
devoir.
Cette conclusion doit être
examinée
avecquelque
attention, car si elle s'adapte fortjustement à
une
partie desphénomènes
vitaux, ellene semble
pas, aupremier
abord,pouvoir
tout expliquer également. S'il est vrai de direque
l'Agréablenous
conduit au Bien,on
peutnon moins
justement soutenirqu'ilconduitau
mal. Si dansses actions,l'homme
préfèreparfoislevice àlavertu, c'estque
le vice est attrayant ainsi
que
la vertu;de
telle sorte qu'il faudrait direnon
plusque
l'Agréable est lemobile du
Bien,
mais
qu'il estlemobile de
toutesnos
actions quelles qu'elles soient. Il est facilede
résoudre cette objection.Pour
s'assurerque
le vice fait souffriretque
la vertu rend heureux, ilne
fautpas considérerseulement
l'attraitimmé-
diat qui
nous
fait agir, il faut encore envisager les consé-quences de nos
actes.Un premier
plaisirnous
a conduits à mettreen œuvre nos
organes;une
souffrancenous
prévient lorsque cetusage
devient abusif.Tout
acte vicieux apour conséquence une
douleur. Cette consé-quence
peut être plusou moins immédiate;
elle est—
9toujours inévitable.
Pour
bien séparer le vicede
la vertu etnous
guidersûrement
vers le Bien, la nature après avoir créé le plaisir quinous
fait agir, s'est servie de la souffrance quinous
arrête.En
étudiant lemouvement
dela vie,
en comparant
ses actes avec leurs suites,en voyant
à quels désordres pouvait conduire la satisfactionimmo-
dérée
de
ses besoins,l'homme
a formulé lagrande
loi dela
modération
des désirs. Il a conclu qu'il étaitde
son intérêtde renoncer
àun
attrait fugitifen vue
d'un bien- être durable. Touteslespages de
l'histoirenous montrent
la
grandeur
des peuples austères et ladécadence
des peuplescorrompus
; elles confirment cette loique
le bon-heur
estindissolublement lié à la vertu.Dans
les considérations qui précèdent,nous avons
étudiél'homme, comme
s'il vivait isolé, sans teniraucun compte
des liens qui l'unissent à ses semblables, etnous
n'avons établique
les règlesde
lamorale
individuelle. Ilnous
reste à parlerde
lamorale
sociale, àmontrer que
son principe est lemême
etque
leBien
sur la terre n'a pasd'autre caractèreque
l'utilité.Icilarègle s'élargit,mais
elle
ne change
pas.En
parlantde
lamorale
individuellenous
n'avions ànous occuper de
l'individuque dans
les actes ayant trait à sapropre personne
; il était sujet actif et sujet passif. Maintenant,au
contraire, lamorale
con-siste
dans une
série d'actesque nous
accomplissons lesuns
vis à vis des autres,en
tenantcompte non
plus seu-lement de
notre intérêt personnel,mais de
l'intérêtdu
prochain etde
la collectivité. Il fautenvisagerleshommes comme
étant lesmembres
d'un seul corps, etcomme
devant rapporter leurs actes
au bonheur
de cet être collectif qui les contient tous. Il suitde
làque
lamorale
sociale exigera
une
sériede
sacrifices individuels envue de
l'intérêtgénéral.De même que
ladernière conclusionde
la
morale
individuelle était qu'il fallaitsacrifier l'Agréableimmédiat
etmomentané
àun
bien-être futur et durable,de même
ici lamorale
socialedans
le but d'assurer lebonheur de
tousne
parle leplussouvent que de
privations etde
sacrifices.La
morale, qui apour conséquence
d'as- surerlebonheur,
se trouveen
réalitécombattre fréquem- ment
l'Agréableimmédiat
et c'est ce qui constitue la difficultéde
la faire appliquer par leshommes.
Pour
rendre ce devoirmoins
difficile,Dieu
l'a revêtu d'un attrait spécial.Notre
sensibilité est lapremière
raisonde
notreamour pour nos
semblables.Avant de comprendre
l'utilité d'un état social régi par les loisde
lamorale, avant
de
découvrirque
notre devoir est d'obligernos
semblables,nous sommes
charitables etdévoués
par instinct. Ainsi lamère
soigne son enfant,non en vue de son propre
intérêt,non en vue de
l'accom- plissement d'un devoir social,mais
parceque
toutes les tendancesde
sa nature le luicommandent.
Elle estheureuse de
sedévouer pour
son enfant et souffriraitde ne pouvoir
le faire. Cette affectionde
lamère,
il est vrai, estun
fait exceptionneldans
la nature, elle aune
puissance irrésistible, parce qu'il est indispensable au plande
la créationque
l'enfant soit entouréde
soins incessants.L'œuvre
était trop importantepour que
lamoindre
place fût livrée au hasard.Pour
n'être pas aussi puissants, les sentiments qui unissent leshommes
lesuns aux
autres n'en sont pasmoins
réels. Ilssont d'autant plus fortsque
leshommes
sont plusrapprochés
par les liensdu sang ou de
l'amitié.Nous sommes
attachésaux
membres de
notrefamille, ànos
amis, à nos compatriotes,et
de proche en proche
notresympathie
s'étend à toute la famillehumaine. En
vertude
notre sensibiliténous nous
intéressons à l'humanité entière :Dans la pauvre
âme
humaineLameilleure pensée esttoujours incertaine, Mais une larme y coule et ne se trompepas.
A. de Musset.
Et c'est ainsi
que
lamorale
socialecomme
lamorale
individuelle apour premier mobile un
attrait naturel;de
même
qu'elle apour conséquence
dernière lebonheur de
l'être.Nous venons
d'étudier lamorale
individuelle et lamorale
sociale etnous ne sommes
pas au boutde
nos recherches.Nous avons vu
les êtres tendre aubonheur, mais nous
n'avons pas encore établide
gradationdans
leurs jouissances.En
envisageantchaque
acte en luimême nous avons montré que
son utilité était l'indicede
sa légitimité. Il faut faireun
pasde
plus, il faut classer nos actes, lessubordonner
lesuns aux
autres.Dans
la sciencede
l'esthétique, cette question est capitale, car ilne
suffit pas de direpour
quelle raison les chosesnous
paraissent désirables, il est encore plus nécessaire decomparer
nos désirs,de
dire s'ils ont tous lamême
valeur
ou
s'ilen
est de plus importants lesuns que
les autres.Le
principe quidomine
toute cette étudenous
permettra derépondre
à cette question.La
valeur d'un êtreou
d'un acte est proportionnelle à son utilité, à l'im- portancedu
rôle qu'il jouedans
la création.Nous
place- ronsau premier
échelon les actes utiles à l'individu;nous
—
12—
priserons
davantage
les actes qui ontune
portée plusgrande
et qui ontpour
butde
faciliter legroupement
social;
nous
réserverons, enfin, lerang suprême aux
actes qui, étant lepropre de
l'humanité, lui assurent la supé- riorité sur toutes les espèces créées.L'homme
est le roide
la création, l'organe qui lui vaut cette autorité est l'organe noble par excellence. Cette autorité, ilne
la doit pas à sa force physique, carsous cerapportil est inférieur àun grand nombre
d'animaux, il ladoit à sonintelligence, à sa pensée.La
puissance intellectuelle est lapremière
forcedu monde,
celle qu'il importera le plus àl'homme
d'accroître.
Toute prédominance
accordéeaux
appétits matériels,au
détrimentdu développement
intellectuel, aurapour conséquence
nécessairede
lui enlever ce quifait sa véritable force et sa beauté.
C'est ainsi
que
guidé par son intérêt,l'homme découvre
le but verslequel ildoit tendre.
En
agissantconformément
à son intérêt,
l'homme
agitconformément
à la volontédu
Créateur. L'Agréable bien
compris
lui aprouvé
qu'il devaitemployer
tous ses efforts à maintenir et àaug- menter
sa puissance vitale : l'étudedu monde complétera
cette démonstration et
nous montrera que
tel est bien réellement le plande
l'univers.Le
butde
la création c'est le progrèsde
la vie.Le
naturaliste et legéologue en
fourniront despreuves
irréfutables.« Si l'on considère l'ensemble des êtres, dit
M. de
« Saporta
dans une page
éloquente, le progrèsen
« ressort
comme
étantla basemême
et l'essencedu
plan« général des choses créées. Partir
de
l'algue etdu
«
mollusque
inférieur,même
de plus bas encore,pour
« aboutir à
l'homme
et àl'homme
intelligent,moral
et« religieux, n'est-ce pas constater le plus magnifique et
le plus incontestable
enchaînement du
progrès. L'être unicellulaire, inerte à forcede
simplicité organique, semontre au
seuil de la création tout entière ; puis, àmesure que
les siècles se déroulent par myriades, à travers d'innombrables vicissitudes, les êtres semul-
tiplient, se compliquent, se spécialisent, se ramifient ;
ils acquièrent
peu
àpeu
la force, la souplesse, la diversité ; ils s'écartent toujoursdavantage
lesuns
des autres ; leurs opérations secompliquent
demême que
leurs
organes
; leurs facultés selocalisent, leurs instincts seprononcent
; l'intelligence paraît la dernière,comme
un
soleil d'abord faible qui se lèverait à l'horizon et dissiperait les nuages.Quel
spectacleque
l'exécution de ce plan qui se poursuitinexorablement comme un drame
éternelmarchant
d'acteen
acte,de
scèneen
scène,pour
aboutir àun
inexorabledénouement,
celuioù nous devenons
acteursnous-mêmes, en
pleine possessionde
nos destinées et conscientsdu
rôle quinous
a été dévolu ! »Telle est la conception la plus générale à laquelle
nous
puissions arriver.Sur
cette terre le butde
la création est la naissance, lemaintien et ledéveloppement de
la vie.La
fin de l'être est le progrès, c'est-à-dire l'accrois-sement
vitalau
pointde vue
physique,au
pointde vue moral
et surtoutau
pointdevue
intellectuel. C'est larèglepremière
à laquellepeuvent
seramener
toutesles autres;règle qui contient en elle les lois de l'esthétique et les lois
de la morale.
g
IL — Du Beau.
Parvenu
à ce pointde
nosdéveloppements, nous sommes en mesure de répondre
à laseconde
questionque nous avons posée en
tête de ce chapitre.Nous
connais- sons l'Agréable et sa fonction.Nous pouvons
recherchermaintenant
si le sentimentdu Beau
doit êtreconfondu absolument
avec l'Agréableou
s'il n'en estqu'une
frac- tion. Faut-il dire indifféremmentde
tous les sentiments agréables qu'ils sontbeaux
? faut-il diredu
plaisirde manger ou du
plaisir d'agirque
ce sontdeux
plaisirs esthétiques? Sinous
consultons l'usage usuel de nos mots,nous répondrons
parla négative.Dans
notrelangue, lemot Bon
et lemot Agréable
s'emploient, à l'exclusiondu mot
Beau,pour
désigner les sensationsdu
toucher,de
l'odorat etdu
goût.Le mot
deBeauté
est réservéaux
sensations des organes de lavue
etde
l'ouïe.Quelques
philosophes ontprétendu que
cette distinction n'avaitpas sa raison d'être, qu'elle avait legrave
incon- vénient cl obscurcirla questiondu Beau en
scindant inuti-lement
l'Agréable,en
faisantsupposer
des divergences fondamentales làoù
il n'y avaitque
desnuances de
détail.Cet
argument
a sa valeur.Nous croyons néanmoins que
la distinction entre le
Beau
etl'Agréable n'estpasirration- nelle, qu'elle est le résultat d'uneremarquable compré-
hensiondu
rôlede nos organes
et doitêtreprécieusement
respectée. Noire langue a distingué les sensationspurement
matérielles qui atteignent l'êtrephysique
sansexciter l'organisme intellectuel, des sensations qui ont
pour
but de fournir des aliments à l'intelligence.Pour
distinguer les secondes des premières,
pour marquer
leur supériorité, elle
emploie un mot
particulieren
luidonnant une
haute valeur. Elle réserve lemot
de Beautéaux
plaisirsde
l'esprit.Le
Beau, c'est l'Agréable intellec- tuel.Nous avons pensé
qu'il y avait intérêt à mettreen
lumière le caractère saillantdu
Beau, àmontrer que
leBeau,
comme
tout ce quinous
plaît, joueun
rôle fonda-mental dans
la création et apour
but denous
faireaccom-
plir les actes nécessaires
de
la vie,mais nous ne pensons
pas qu'ilconvienne
d'aller plus avant et d'identifier leBeau
avectout ce quiest Agréable.Quelque bonne
volontéqu'on
ait,on ne pourra
jamais direque
l'actede manger
fait naître le sentiment
du
Beau, ou, sion
le dit, c'estévidemment que
l'on modifie le sens attaché ordinaire-ment
aumot
de Beauté.Toutefois, si le
Beau
est distinct des plaisirspurement
sensuels, il
ne
faut pas oublier qu'il y aharmonie
dans tous nos plaisirs et qu'ilsconcourent au même
résultat :le
développement de
la vie. Ainsi, l'actede manger
se traduit parun
plaisir quine
saurait s'appelerun
plaisir esthétique ;mais
cet acte apour conséquence
d'entretenir la vie, de fortifier l'être,de
luidonner
ses caractères essentiels, c'est-à-dire sa Beauté.Les
divers ordresde nos
sensations agréables ontpour
but de façonner l'être selon le plande
la création et ainsi,chacun
d'eux, dans sa sphère d'action, est générateur d'une beauté.Pour
qu'il
y
ait sentimentdu
Beau, il suffit de mettre en pré- sencede
cet êtrenormal un
esprit capable decomprendre
cette « normalité. »
Le
sentimentdu Beau
sera d'autant—
16plus
complet
et d'autant plus vifque
notre espritcom- prendra mieux
cette conformation normale, qu'il auraune
idée plus nettede
la véritable fonctionde
l'être, c'est- à-diredu
Bien.On
s'explique ainsicomment
le Beau, touten
étant absoludans
son essencepuisqu'il seconfond
avec le Bien, est,comme
le Bien, relatifdans
ses manifestations, puis- qu'il varie avec lesnotionsque
les divers êtresen peuvent
avoir4. Ilest vrai, etnous
l'avonsditen
têtede
cetteétude,l'artiste,
en
créant l'œuvre d'art,ne
poursuit pas d'autre butque
son plaisir;mais
ceplaisirdépend
précisément delanature
de son
esprit,de
samanière
habituellede
penseret
de
sentir. Si la finalité n'apparaît pascomme mobile
immédiat,on
peut dire qu'elle est à l'état latent dans son esprit ;en
dernier ressort, c'est elle qui dirige tous ses actes.Au
fur et àmesure que l'homme
se civilise, qu'ilépure
ses jouissances et règle ses actions sur les vraies loisde
la vie, ildécouvre
pluscomplètement
les loisde
laBeauté. Tel se plaira
dans
l'ivresse, tel autre dans ladébauche,
jusqu'au jouroù
ils aurontcompris
la supério- ritéde
la sobriété et desamours
chastes.Lorsque Musset
chante Lucie, il est faitpour
plaireaux
délicats ; lorsqu'il s'oublie avec laGamargo,
il écritpour
lescorrompus
etachève de
lescorrompre. Le
vol, la ruse, la fourberie, paraissent des forces utilesaux
nations barbares et, par conséquent, sonten honneur
chez elles ; les nations civi- lisées les flétrissent, parce qu'elles ontreconnu
leur1 « Est eadem veritas apud omnes, non tamen sequaliter omnibus
nota. » (Saint Thomas.)
action dissolvante. Si
au
lieu de s'adresseraux
esprits cultivés l'artiste veut se fairecomprendre de
la foule, ildevra
négliger les idées les plus noblespour
faire appelaux
instincts les plus rudimentaires.On
l'a diten
parlant de la politique et cela estégalement
vraidans
les arts :on
acquiert la popularité par ses défauts,on
laperd
par ses vertus.Le moindre
vaudeville libertin est assuré d'avoir partoutde nombreux
auditeurs.Par
contre, l'amour d'une Bérénice, la vertueusemysanthropie
d'un Alceste, la conscience hésitante d'unHamlet,
les doutes d'un Faustne
serontcompris que du
petitnombre
des esprits cultivés. C'estpour eux que
le véritableartiste doit écrire.Quelques exemples
particuliersnous
ferontmieux com- prendre comment
l'idéedu Beau dépend
de l'état de culturede
notre esprit et de la conceptionque nous pou- vons
avoirdu
rôle des divers êtres créés.L'amour de l'homme pour
lafemme
estun
sentiment universel correspondant àune
loi primordiale de la créa- tion.L'homme
est faitpour
rechercher lafemme
et il latrouve belle.
Analysons
les détailsde
cesentiment etnous
verrons les idées deshommes
sur la beautéde
lafemme
se modifier selon l'utilité particulière qu'ils
en
attendent.Le débauché
recherchera lessignesde
sensualité,l'homme
moral
les signesde
chasteté,l'homme
instruit les signes d'intelligence.Le
paysan,peu
curieux des mérites intel- lectuels, sepréoccupera uniquement
des qualités physi- ques, desrougeurs
signesde
santé,de
la fermeté de la chair,de
l'épaisseurde
lamusculature
; à l'inverse, les classes riches priseront les signes de richesse et d'oisi- veté : les attaches fines, le teint pâle, la finesse de la peau.— 18
Quand on
parle d'unebelle nourrice, tout lemonde
entend bien sur quels points le
jugement
est porté.Lorsque nous
apprécionsun
animal, notre idéalde Beauté correspond
exclusivement à notre idéal d'utilité.Il est
un
idéalde chaque
race, selon les services qu'onlui
demande
; il y a l'idéaldu
chevalde
course,de
selle,de
voiture,de
gros trait; l'idéaldu
chiende garde ou de
chasse,du
chien d'arrêtou du
courant, etc.Qu'est-ce
qu'un beau
temps, si cen'estun temps
utile ?D'une
façon générale c'estun temps
chaud, permettant l'exercice, le libreépanouissement de
la vie.Pour un
cultivateur, ce sera parfois
un temps
pluvieuxlorsqu'il sera utile à ses récoltes.— Une
belle routepour un
voiturier estune
route bien entretenue,une
route favorable à la traction ;pour un
touriste, c'estune
route accidentée, pittoresque.—
Jamaisun
paysan, parlant des orages siredoutables
pour
lui,ne
diraun
bel orage ; l'artistepourra
le dire, car il se désintéresse des récoltes des
champs
et se laisse séduire par l'aspect grandiose etimprévu
des forces naturelles déchaînées.Ces
appréciations diverses correspondent à des utilités différentes.Dans un
autre ordre d'idées,on
est souvent surpris d'entendreun médecin
parler d'unbeau
cas pathologique.Que
veut-il dire? Si ce n'estque
ce casrenferme
tous leséléments qui lui sont essentiels, qu'il
correspond
exacte-ment
à sa fin, qu'il fournitau médecin,
avidedeconnaître, lemaximum
d'utilité.Ces exemples montrent
quelle est latendance
géné- raledans
l'emploidu mot
Beauté.Nous
l'appliquons à toutes les utilités, à toutes lesconvenances
quelles qu'elles soient,mesurant
la beauté à l'utilité, prisant surtout ce quinous
paraît le plus essentiel, c'est-à-dire—
19ce qui exerce
une
action sur lemouvement
vitalde
notre être.En
cherchantdans
l'Agréable etdans
l'Utile les prin- cipesde
l'esthétique etde
lamorale nous sommes en
désaccord avecde nombreux
défenseursde
la doctrine spiritualiste.En
France,M.
Cousin acombattu
cettethéorie avecune extrême
vivacité et il estparvenu
à la faireprendre en
défaveur par lagrande
généralitédu
public. Il n'est pas inutile demontrer
icique M.
Cousin, qui se prétendun
fidèle représentant
de
la doctrinede
Socrate, esten
réalité
en
oppositioncomplète
avec le chefde
la philoso- phie grecque.La pensée de
Socratenous
a été transmise fidèlement parXénophon,
danssesMémorables
(L. III. chap.vm).
« Crois-tu, dit Socrate, qu'autre
chose
est le Bien,« autre chose le
Beau
?Ne
sais-tu pasque
tout ce qui est«
Beau pour une
raisonestBon pour
lamême
raison?La
« vertu n'est pas
bonne dans une
occasion et belledans
«
une
autre, leshommes
aussi sont appelésbons
etbeaux
« de la
même manière
etpour
lesmêmes
motifs : ce qui«
dans
le corps deshommes
faitla beauté apparente,en
« fait
également
la bonté, enfin tout ce qui peut être« utile
aux hommes
estbeau
etbon
relativement à l'usage« qu'on
en
peut faire.— Comment,
objecte Aristippe,un
« panierà ordures est
donc
aussiune
belle chose?—
Oui« par Jupiter, et
un
bouclier d'or est laiddu moment que
« l'un est
convenablement
faitpour
sonusage
et l'autre« non. »
Le
passage est singulièrement caractéristique.Socrate identifie le
Beau non seulement
avec le Bien,dans
son sens le plus élevémais
avec l'Utiledans
ses8
—
20applications les plus
humbles.
Ailleurs,dans
le Banquet,Xénophon
fait encore dire à Socrate : «Les
êtres sont«
beaux
lorsqu'ils sont bien adaptés par l'artou
par la« nature à la destination
que nous
voulons leurdonner
«
dans
l'usage. »Platon a reproduitla
même
doctrine.Dans
le Gorgiaset
dans
YAlcibiade il ditàdifférentesreprises : «Le Beau
« est ce qui plaît, ce qui est utile. »
Dans un
dialogue spécialement consacré à l'étudedu
Beau, le 1er Hippias,il arrive à
deux
reprises et pardeux
voies différentes à lamême
conclusion : «Le
Beau, dit-il, estun
plaisiravantageux. »
Mais
vers la findu
dialogue,en
analysant cette définition, Platon s'imagine qu'on peuten
tirer cette conclusionque
leBeau
est la causedu
Bien. Or, la causene pouvant
être identifiée avec l'effet, cette définition conduirait àpenser que
leBeau
est différentdu
Bien, ce qui est inadmissibleet contraireprécisémentà tout ceque
Platon avoulu démontrer. Et alorsen
vertude
cette seule objection qui aujourd'huine
retiendrait pasun
seul instant notre esprit, Platon hésite, et, sans proposerde
nouvelles conclusions, il paraît douterde
la justessede
celles qu'il a émises
précédemment.
Il semblerait
que
la critiquemoderne
auraitdû
fairejnsticed'une objection aussi insignifiante et reconnaître
que
la doctrinede
l'identitédu Beau
etdu
Bien,de
l'Agréable etde
l'Utile, subsistait tout entière et consti- tuait la véritable doctrine socratique1.1 « S'il est une idée, dit M. Fouillée, quidominetouteladoctrine
« socratique, c'est celle d'une identité absolue entre l'Utile et le
« Bon, entre lebien de l'hommeet lebien universel. »
—
21-En
exposantl'Esthétiquecomme nous venons de
le faire,nous pensons donc
être plusque
personne,un
fidèle disciplede
la philosophie spiritualistede
Socrate et de Platon. Cette doctrine,au
surplus, a été cellede
tous lesgrands
philosophesde
l'antiquité.On
la retrouve tout entièredans
l'Éthique d'Aristote, et legrand
docteurde
l'Église, saint
Thomas,
amontré dans
saSomme comment
elle se conciliait avec les
dogmes du
Christianisme1.Le
derniermot du
spiritualisme estque
lemonde
estsagement
organisé,que nous devons
respecter les forces naturelles etque
cetteobservance de
la règle qui est notre devoir, assureen même temps
notrebonheur.
Sans
doutenous ne prétendons
pas direque
la vertudonne
àl'homme
tout lebonheur
qu'il désire. Il faut le reconnaître,l'homme
a des aspirationsque
la réaliténe
saurait satisfaire.
Le bonheur
parfait vers lequel il tend, ilne
l'atteintjamaiset ilen
estd'autantplusloin qu'il lerêve plus élevé.En
outre,nous
apportonsen
naissant desgermes
morbides, des maladies intellectuelles et physi- ques.Les
fautesde
nos ancêtresnous vouent au malheur
sansque
notre vertu puisse annihiler entièrement ces causesde
souffrance. Enfin si l'on tientcompte de
toutes les misèresinévitablesde lavie,de
la rigueur des climats, des imperfectionsde
l'état social, des accidents de toute1 « Actus virtuosi subjacent legi naturse Quod ad legem
« naturae pertinet, est
omne
illud ad quodhomo
inclinatursecun-«
dum suam
formam Inclinaturunumquodque
naturaliterad« operationem sibi convenientem secundum
suam
formam, sicut« ignis ad calefaciendum Multa secundum virtutem fiunt ad
« quaenatura non primo inclinât, sed per rationis inquisitionem ea
« homines adinvenerunt quasi utiliaad bene vivendum. »
Summa,
t. III, 1. xciv, de lege naturali.
-gi
nature, si l'on
songe que
la fin de toute vie est la mort, qu'avantde
disparaîtrenous-mêmes nous voyons chaque
jour partirun de ceux que nous avons
aimés,on
peut direque
lemalheur
pèselourdement
surl'homme
et l'oncomprend que
les philosophes aientpensé
qu'il étaitplus utile
de prêcher
la résignationque de
promettrele
bonheur.
Mais, ceci étant constaté, ce qu'il faut dire, etnous
n'avons pasvoulu
dire autre chose, c'estque
la plupartde
ces misères sontune conséquence
d'actes
anormaux,
contrairesaux
lois vitales.Par
le vicel'homme
lesaugmente
;par
la vertu seule il peut lesdiminuer. Si la
somme de bonheur que
leshommes
peuvent
espérer ici-bas est bien limitée, il n'est pas demoyen pour eux de
l'acquériren
dehorsde
la vertu.Cette conclusion est modeste, sans doute,
mais
la vie n'enpermet
pas d'autre. Si l'on veut s'élever àune
conception philosophiquerépondant
pluscomplètement aux
aspirationsde
notreâme,
il faut chercher ailleurs cebonheur
parfaitque nous
désirons siardemment
etque
la vie
nous
refuse.Où
la réalité finitcommence
l'espé- rance. Et, parun
admirable contre-coup, cette croyance à la vie future transfigure la vied'ici bas, la revêt d'une beautésuprême,
fait disparaître les tristesses inévitables,rend
aisés les devoirs les plus difficiles et devient tel-lement
nécessaireque
sans elle lemonde
paraîtrait vide et lebonheur
impossibleaux hommes.
§111.
— Accord des
définitionsdu Beau.
Avant de
déduire lesconséquences de
notre principe,nous
voudrions lecomparer rapidement
avecceux
des diverses philosophies.Malgré
des désaccords apparents, la plupart des esthétiquesrenferment
des conclusions semblables, et cette conformité est bien faitepour
leurdonner
l'autorité qu'on se plaît à leur refuser.Hegel
définit leBeau,
la manifestation sensiblede
l'Idée,l'Être
conforme
àl'Idée.Ilestclairque
cetteformule setransformeaisément en
la définition : l'Êtreconforme
à sa fin.Hegel
n'avait faitque
traduire la belle définitionde
Plotin : leBeau
est la participationde
l'Être àune
raison qui lui vientde
Dieu, c'est l'unionde
l'Être avec l'Idée : Kotv&ma loyov.Gomme
variante de lamême
pensée,nous
citerons la définitionde Schopenhauer
: laBeauté
est la manifestationde
la volontéuniverselle, cellede
Schelling: laBeauté
est laforme
des choses telles qu'elles sontdans
leurs types.M. Levesque, dans un remarquable
livre sur la Sciencedu Beau,
a défini le Beau,une
force agissant avec puis- sance,conformément
à l'ordre qui est le sien.Ce
n'estqu'une paraphrase
de ladéfinitiond'Hegel.La longueur
dela définition n'ajoute rien à sa valeur, et d'autre part, elle a l'inconvénient
de
contenir legerme
d'une idée fausse.Ayant
défini le Bien,une
force libre agissantconformé- ment
à l'ordre qui est le sien, et ayantcomparé
lesdeux
définitions
du Beau
etdu
Bien,M. Levesque
avu
dans24
chacune
d'ellesun élément
qui n'était pasdans
l'autre;dans
la définitiondu
Beau, l'idée de puissance,dans
celledu
Bien, l'idée de liberté ; et ilen
a concluque
le Bien et leBeau
étaientdeux
idées différentes.Nous nous
séparons sur ce pointde M. Levesque; nous pensons que
le Bien n'est pas lié à l'idéede
liberté, ni leBeau
à l'idéede
puissance.L'un
et l'autre se définissentde même
: laconformité
de
l'être avecsa fin.On
attribue à Platonune
définition qui aeu un grand
succèsdans
saforme
française : leBeau
est la splendeurdu
vrai.La
définition est courte, sonore, frappée énergi-quement; mais
elle a lemalheur de ne
rien dire.Le mot Splendeur
est insignifiant; iln'est autrequ'un synonyme du mot
Beauté. Ilne
restedans
la définitionque
lemot
Vrai.
Le Beau
c'est le Vrai. Cela est exact, à la condition d'être bien compris. Il faut entendreque
le vrai n'est pas tout ce qui existe,mais
tout ce qui,en
existant, seconforme
à la loi.Toutes
ces définitions reviennent à dire : leBeau
est l'Être normal.Mais
fautede
l'avoir dit avec assezde
netteté, les formules ont été
mal
interprétéeset ontdonné
naissance à dessystèmes
défectueux.En
introduisant dansla définition
un mot
trop vague, lemot
Idée;en
luidonnant une importance
capitale,on
a été conduit à détournerson
regarddu
côté matériel des choses, et à rechercher leBeau
exclusivementdans
des idées abstrai- tes.On
apu
écrireque
laBeauté ne
pouvait êtreun
attribut
de
lamatière, qu'elle était toutedans
l'Idée, seule réelle manifestationde
lapensée
divine.Parvenu
à ce point, lesystème
idéaliste se perdaitdans
l'incompréhen-sible.
Il faut ajouter, en outre,