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Géographie Économie Société: Article pp.169-177 of Vol.15 n°1-2 (2013)

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Géographie, économie, Société 15 (2013) 169-177

géographie économie société géographie économie société

Comptes Rendus

Jacques de Courson, 2011, Zanzibar : histoires pour après-demain, Paris, L’Harmattan, 230 p.

Pourquoi Zanzibar ? Le nom de cet archipel en face des côtes de la Tanzanie, dont les deux « z » évoquent l’exotisme, justifie-t-il le choix du titre du dernier ouvrage de Jacques de Courson ? Déjà auteur d’une dizaine d’ouvrages se rapportant aux villes et à la prospec- tive, ce grand voyageur, avec lequel je partage la passion du Brésil, nous invite à le suivre à travers plus de cinquante villes réparties entre quatre continents. Des villes qu’il a visitées physiquement ou en imagination et à propos desquelles il formule commentaires et anec- dotes tout en visionnant parfois leur futur que pourront vérifier ses petits-enfants comme le veut le sous-titre. L’économiste-urbaniste s’est donc permis de faire appel occasionnel- lement à la fiction sans autre prétention que littéraire comme il l’écrit dans son prologue.

Ceci étant, il ne manque pas de souligner qu’une ville n’est ni un roman, ni une pièce de théâtre, mais un assemblage de choses dont l’évolution se manifeste lentement. Son objectif consiste ici à raconter des histoires pour éviter que l’avenir des villes ne nous tombe trop vite sur la tête.

À tout seigneur tout honneur : Paris ouvre la marche avec une allusion à un article du Parisien (libéré depuis longtemps) du 15 juillet 2089 rendant hommage à la dame de fer du Champ-de-Mars. Une œuvre qui résiste au temps et aux tempêtes. L’évocation du cimetière (« Séjour des dieux ») Montparnasse, ou se trouvent enterrés Sartre, de Beauvoir et autres Gainsbourg, se fait en situant le lecteur au début de la 2e décennie de ce siècle. Que les nos- talgiques se rassurent, sa pérennité se voit assurée par l’UNESCO qui le consacrera « site funéraire exceptionnel ».

Vient ensuite la Grande Pomme que l’auteur décrit sur la base, comme pour beaucoup d’autres villes, d’une expérience personnelle ici facilitée par un voyage en bus venant de Montréal. C’est la fête du travail… pardon ! le Labour Day, premier lundi de septembre en Amérique du Nord pour se distancier d’un 1er mai jugé trop à gauche par l’establishment.

Notre auteur décrit le Washington Square en aimant y voir l’hôtel où Simenon a écrit un de ses romans. De Montréal, de Courson aime évoquer l’effet du soleil sur les tours ce qu’il ose désigner comme étant le District Business Center ignorant de toute évidence que, depuis 1974, le français est la seule langue officielle de ce qui reste de l’ex-Nouvelle-France à savoir le Québec dont l’ancienne Ville-Marie est devenue la métropole après s’être faite

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damée le pion par Toronto en tant que plus grande ville du Canada. C’est en déambulant sur une grande artère qu’il pense que Montréal, à l’instar de toute ville, n’a pas toujours existé.

On s’en doutait. Qu’elle est, elle aussi, le fruit d’une rencontre, en un territoire délimité et en un temps donné de trois choses : de la terre, des hommes et du travail en un lieu choisi par le prince, un marin ou une ligne de commerçants. Ce choix pour Montréal ce fut celui du Sieur de Maisonneuve, au nom du Roy.

Dubaï, visitée par notre globe trotteur en 2006, est une de ces villes qui, par ses tours, lui a procuré la peur de les voir tomber sur sa tête. Jamais, raconte-t-il, il n’a senti à ce point com- bien ce que l’on appelle une ville peut-être une boursouflure, un château d’hypocrisies accu- mulées, un empilement de milliards, entassés côte à côte, comme à la parade, pour éblouir, fasciner, hypnotiser investisseurs et architectes. Faut-il se surprendre que l’auteur imagine voir tomber ces tours les unes après les autres à travers une histoire qu’il situe en 2020. Le mythe de Babel n’aurait rien appris aux hommes. C’est ce qui l’incite à croire qu’ils continueront à construire des tours pour essayer d’atteindre le ciel et espérer ne pas mourir.

Bogota, également visitée en 2006, saisit par son absence de mixité globale, les riches et les pauvres vivant en des lieux bien étanches. De Courson y voit un problème de gou- vernance quasi insoluble. Une fois assumée la responsabilité des biens essentiels : le trans- port public, l’eau et l’assainissement, la collecte des déchets, etc., que devient la politique au sens de l’organisation par les citoyens eux-mêmes de l’élaboration de la gestion et du contrôle du bien commun ? Et que deviennent le droit et la justice ? se demande-t-il.

São Paulo se mérite une attention particulière. L’auteur a connu cette mégalopole à 30 ans grâce à l’appui d’un futur président du Brésil — dont les initiales sont FHC — qui, au début des années 1970, s’est retrouvé en exil comme professeur à Paris. Les liens entrete- nus par ce dernier avec l’Universidade de São Paulo ont permis à de Courson d’obtenir un poste de (jeune) professeur invité pour une période de deux ans. De vingt millions d’habi- tants, la métropole brésilienne peut-elle atteindre les cent millions en 2050 ? s’interroge- t-il. Comment concevoir une telle éventualité en sachant que pour l’auteur, Sampa n’est plus depuis longtemps une ville, mais un assemblage hétéroclite de quartiers marqués par l’inégalité, dont le fonctionnement quotidien en réseaux éclatés et distendus se trouve en perpétuelles menaces de fractures de dysfonctionnements importants. Ceci constituerait une véritable énigme pour tout urbaniste habitué à dresser et à faire appliquer des plans directeurs.

Chicoutimi, à deux heures de route au nord de Québec, capitale du pays de Maria Chapdelaine où de Courson a foulé le sol en 2000, se rendra dix ans plus tard « célèbre » par son maire qui s’obstine à faire réciter la prière (catholique) à son conseil au début de chaque séance. C’est en l’an 2020 que le lecteur se voit transporté en étant invité à apprécier son climat agréable rendu possible par les changements climatiques. Que l’on est loin de celui qui a fait perdre à la douce et chaste Maria son amoureux, victime du blizzard. Une cabane en bois rappelle celle que chantait Line Renaud avec pour différence qu’elle se veut sobre en énergie et se monte en une journée. On l’imagine exportée en Limousin profond.

Toute ville est une petite république, jalouse et fière de son identité. Mais malheur à celui qui oserait concevoir une ville éternelle sachant ce qu’il est advenu de Babylone lit-on en épilogue. En effet, au contraire, peut-on lire, il faut rendre hommage à toutes les Jérusalem, Paris, Versailles, Washington et Saint-Pétersbourg de ce monde. En conclusion, l’auteur rappelle à son lecteur qu’il a cherché à lui apprendre à penser autrement son futur sur la base

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de celui des villes faites de terre, d’eau, de pierres, de tôles, de poussières et de quelques arbres noueux au bord des rues. Concernant ces derniers, de Courson semble ne pas avoir remarqué ceux, très nombreux, qui bordent chaque côté des rues des quartiers populaires et cossus de Montréal contrairement aux villes européennes dont tout le charme n’est que pierres. Pour après-demain : il suffirait d’en planter. André Joyal

Université du Québec à Trois-Rivières

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Édith Mukakayumba et Jules Lamarre (dir.), La géographie en question, Paris, Armand Colin, 320 p.

À quoi sert la géographie aujourd’hui ? À former des géographes, bien sûr, mais quelle sorte de géographes ? Il semble que l’on est bien loin du temps où ce cher Élisée Reclus racontait ses histoires d’un ruisseau (1869) et d’une montagne (1880). Pourquoi et com- ment remettre la géographie en question ? Voilà le questionnement d’une majorité des collaborateurs à cet ouvrage issu d’un colloque tenu en 2011, dans le cadre du plus grand congrès scientifique francophone de ce monde sous l’égide de l’Association canadienne- française pour l’avancement des sciences (ACFAS). Il s’agissait alors de viser trois objec- tifs : faire le point sur l’état des lieux de la géographie d’aujourd’hui ; débattre de la place que devrait occuper la géographie dans l’enseignement et la recherche ; identifier com- ment mettre en œuvre les moyens pour que la géographie occupe bel et bien cette place.

Pour y arriver, C. Dugas de l’Université du Québec à Rimouski soulève ce qui pour lui correspond à un sempiternel questionnement. Qu’est-ce que la géographie ? À quoi sert-elle ? Où travaille un géographe ? Y a-t-il de l’emploi en dehors de l’enseignement ? Quelles sont les perspectives d’avenir de la profession ? Dans une certaine mesure, en guise de réponse, R. De Koninck croit utile de rappeler ce que n’est pas la géographie : elle n’est pas que représentation du monde, elle est aussi interrogation, analyse, éloge, critique et refondation du monde. Oui, mais dira-t-on, quelles sont les chances qu’un jeune géographe frais émoulu de l’université reçoive une réponse positive subséquente à l’envoi de son curriculum vitae ? Elles seraient presque nulles s’il est détenteur d’un Ph. D. aux dires des responsables de l’ouvrage qui, en 2009, ont créé la Maison de la géographie de Montréal, pour faire de la géographie et pour en vivre en dehors de l’uni- versité. Au moment d’écrire ces lignes, ils venaient de faire circuler l’invitation à un troisième colloque dans la même veine, toujours dans le cadre de l’ACFAS, en mai 2013, fiers de l’intérêt suscité de part et d’autre de l’Atlantique par les précédents colloques.

En effet, celui à l’origine de cette œuvre collective permet la contribution de sept auteurs français et d’un auteur belge, les autres étant en grande majorité québécois.

Le débat ne pouvait être mieux lancé que par nul autre que Paul Claval. Ce dernier rappelle que dans un monde marqué par la mobilité, la disparition des sociétés paysannes et la structuration des réseaux sociaux, pour le géographe, le thème de l’identité devient central. Reconnaissant l’existence d’un malaise disciplinaire réel, le professeur émérite de Paris-Sorbonne recommande la modification des procédures pédagogiques ainsi que le retrait partiel de certaines branches qui ont caractérisé les programmes universitaires. Ce faisant, les géographes devraient accorder davantage d’importance à la dimension écolo-

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gique de leur discipline. Pour ce faire, selon Y. Brun-Picard, diplômé québécois d’Aix-en- Provence, il faudrait que les géographes acceptent de se mouiller les pieds en allant sur le terrain comme l’a enseigné aux Québécois, au milieu du siècle dernier, le Grenoblois Raoul Blanchard. Oui, il faut être prêt à voir ce qui se passe sur place et rendre compré- hensible les dynamiques anthropologiques à la surface terrestre. Mettre un pied en avant pour avancer (non pas vers l’arrière comme on indiquait autrefois dans les tramways à Montréal) mais vers après-demain soutient-il.

Pour sa part, L. Deshaies, autrefois de l’UQTR, la géographie ne serait plus en crise épistémologique, mais en crise d’adaptation à une nouvelle vision de la discipline.

Pessimiste, à ses yeux, il est loin d’être certain qu’elle survivra à la présente crise, du moins au Québec, étant donné que celle-ci va au cœur des intérêts particuliers, sinon individuels. Oui, dans les départements de géographie de la plaine du Saint-Laurent, pour employer une expression du monde du hockey sur glace : on joue les coudes particuliè- rement élevés. L’épithète « Dégage ! » ne serait pas l’apanage du seul printemps arabe…

En France : quelle crise de la géographie ? s’interroge B. Lemartinel, codirecteur du Festival international de géographie de Saint-Dié-des-Vosges, en faisant une allusion suave à Roger Brunet qui, en 2004, dans les Cahiers d’Histoire s’est plaint de la réputation de boy-scout de l’Institut de géographie de la rue Saint-Jacques. Il paraît que l’on chantait dans les excursions (Sur les sentiers de terre battue, tu marcheras… valdérie, valdera…), qu’on y lutinait (!) les filles et que l’on bricolait les contenus du savoir en géomorpholo- gie… Ouf, rien de moins. Le même Brunet rappelle que nul autre que Braudel évoquait au milieu du siècle dernier la crise grave de la géographie humaine. Une crise accentuée par des conflits professoraux où les « écoles » masquaient bien souvent des affrontements de personnes… comme au Québec depuis quelques années. Car, ainsi le veut l’adage : « là où il y a des hommes, il y a de l’hommerie ». La géographie n’y échappe pas.

On doit à mon collègue C.Morisonneau l’un des chapitres parmi les plus intéressants.

Son hommage à Raul Blanchard s’avère des plus pertinents. Ce disciple de Vidal de La Blache, un des créateurs de la géographie régionale, disait que « La géographie s’ap- prend avec les pieds ». Et il l’a bien démontré en parcourant le nord du Québec laissant une somme de travail qui aurait fait de lui le géographe français qui a le plus influencé le Québec. Avec un sous-titre interrogateur, La géographie, science des régions ? en relation avec l’objet du volume, mon collègue invite à sortir de l’idée que la géogra- phie serait la connaissance du caractère spatial de phénomènes. Pour lui, la géographie n’est pas plus la science de l’espace que l’histoire serait celle du temps ou du passé. La géographie n’existerait pas : il n’y aurait que des géographies « de ». Il répond à son interrogation : la géographie est la science des régions. Mais il ne faudrait pas voir les géographes comme des spécialistes de l’espace selon la Québécoise L. Dufresne qui tire profit de sa formation pour écrire des œuvres de fiction. L’espace est trop vaste et engloberait trop de variables pour en faire une spécialité. Alors, les géographes suivent la tendance et se spécialisent dans différents créneaux : un continent, une région, un secteur d’activité, une orientation (urbaine, rurale, historique) une idéologie, mainte- nant surtout écologique. La liste serait proportionnelle au nombre de professeurs que comptent les départements de géographie…

Dans cet aréopage, Y. Veyret professeure émérite de Paris X, avec son ton jovialiste, fait vraiment bande à part, comme si on ne l’avait pas prévenue du thème du colloque à

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l’origine de cet ouvrage. Il est curieux de la voir évoquer la visibilité grandissante de la géographie dans les médias alors qu’au moins deux autres auteurs (R. Étongué Mayer et C. Dugas) soutiennent exactement le contraire. Malgré l’évocation de quelques éléments d’inquiétudes pour le futur, notre auteure n’hésite pas à évoquer une géographie renou- velée qui aurait un effet attractif pour beaucoup d’élèves… français il va sans dire. En s’appuyant sur deux auteurs (qui devraient être invités au prochain colloque), elle soutient que la géographie, tant scientifique que scolaire, a réussi à mieux cerner son périmètre d’études, ses objectifs et sa démarche. Si ce texte a donné lieu à un débat, il est regrettable que le lecteur n’en soit pas informé.

Comme on n’attire pas des mouches avec du vinaigre, on attire des participants à un colloque par la promesse d’une publication. En conséquence, on trouve ici un bon quart de communications qui n’ont rien à voir avec l’objectif de l’ouvrage. Beaucoup d’arbres auraient pu être épargnés si les responsables de cette édition ne s’étaient pas compro- mis par leur promesse. Comme mot de la fin, j’ai retenu cette citation de Didier Lucas, rédacteur en chef de Géoéconomie : « La géographie est une science d’avenir, si les géo-

graphes veulent bien s’en apercevoir ». André Joyal

Université du Québec à Trois-Rivières

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Luc-Normand Tellier et Carlos Vainer, 2012, Métropoles des Amériques en muta- tion, Presses de l’Université de Québec, 358 pages.

Cela se révèle vite une gageure pour le chroniqueur que de s’attaquer à un ouvrage collectif de 20 chapitres et pas moins de 38 contributeurs. Les métropoles des Amériques évoquées par les auteurs sont diverses, bien qu’elles se concentrent principalement dans les trois États d’Amérique du Nord et au Brésil (outre Bogota et la municipalité de Tigre en Argentine). L’ouvrage regroupe à la fois des textes aux ambitions théoriques très nettes (souligner les mutations communes aux métropoles étudiées, comme le fait Luc- Normand Tellier ; contester le modèle de la ville unique comme le font de leur côté Carlos Vainer ou Pietro Garau) et des études de cas évoquant notamment les conflits de pouvoir, les actions collectives qui permettent de concevoir « autrement » la métropole ou encore les dynamiques liées aux services publics urbains.

L’un des grands parti-pris théoriques est de souligner les convergences entre métro- poles des Amériques du Nord et du Sud, ce qui permettrait d’aller contre sept idées reçues énumérées de façon critique dans l’introduction de Luc-Normand Tellier. 1 La mondia- lisation ne favoriserait que les riches (pays et métropoles) ; 2. Le libéralisme opérerait partout sous des formes à peu près similaires, dont la social-démocratie ne serait qu’une variante ; 3. On pourrait résumer le continent en deux pays riches (Canada, EU), un déve- loppé (Chili), un géant (Brésil), un communiste (Cuba) et un grand nombre de pays au destin incertain ; 4. Le développement aurait été autocentré au Nord et exocentré au Sud (colonisations différentes) ; 5. On pourrait opposer le modèle canado-américain (métro- poles où les riches sont en périphérie et les pauvres au centre) au latino-américain (plus forte présence des riches au centre et des pauvres en périphérie, comme à Sao Paulo) ;

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trouve favelas ou villas miserias) ; 7 La planification urbaine serait plus aisée au Canada ou aux EU, notamment par le contrôle du cadastre et l’absence de corruption.

L’argument majeur des auteurs, pour relativiser ces fausses évidences fétichisées, est de souligner que le phénomène métropolitain présente des caractéristiques communes sur l’ensemble du continent (mais également en Europe). Plusieurs éléments, de registres variables, viennent appuyer cet argument.

D’abord, l’examen des taux de croissance semble remettre en cause des divisions établies car des pays « pauvres » (comme le Pérou) ou des métropoles émergentes tirent leur épingle du jeu. En outre, dans son chapitre de conclusion, L. N. Tellier considère qu’au sein des métro- poles, les phénomènes socio-spatiaux se sont complexifiés : la pauvreté fait aujourd’hui tache d’huile en Amérique du Nord, notamment dans les centre-ville tandis que « les banlieues bourgeoises (…) encore exceptionnelles en Amérique latine, il y a trente ou quarante ans » (p. 333) y sont aujourd’hui légion. De plus, le développement des quartiers résidentiels fermés est une marque de la métropole contemporaine, qui donne forme à une « ville insulaire »1 sur l’ensemble du continent. Viviana Riwilis leur consacre d’ailleurs un chapitre quelque peu ambigu, puisqu’après qu’elle ait appelé à la prudence en ce qui concerne leur interprétation comme signe de fragmentation urbaine, ses travaux empiriques, qui s’intéressent notamment à l’accès à l’eau de ces ensembles, « montre(nt) la persistance et peut-être même l’augmentation des écarts historiques existant dans l’accès à l’eau potable, écarts liés aux inégalités sociales » (p. 331). Enfin, les transformations morphologiques communes aux métropoles entraîneraient la mutation des modèles de gouvernance, « qui seraient mieux en adéquation avec les nou- velles réalités urbaines en formation » (p. 7) et convergeraient ainsi sur tout le continent.

Finalement, certaines tendances associées à la mondialisation (spécialisation produc- tive, « coalitions de croissance », spéculation immobilière, nouveaux espaces urbains et périurbains) se retrouveraient partout, faisant émerger une ville unique, reflet de l’écono- mie de marché, dont L. N. Tellier souligne qu’il faut la critiquer, non pour la « saper », mais pour lui permettre de s’« adapter ». Ainsi, les différents chapitres de l’ouvrage consacrés aux plus pauvres ou aux luttes des femmes s’inscriraient dans cette optique d’une critique constructive, dessinant des lignes d’évolution pour les métropoles. C’est du moins ainsi que Tellier conclut son ouvrage.

Cette vision ne manque pas d’interroger le lecteur qui aura lu la critique radicale contenue dans le chapitre de Carlos Vainer, qui coordonne également l’ouvrage et qui considère que les stratégies métropolitaines contemporaines reflètent la domination d’un discours hégémonique et colonial sur la ville : celui des institutions internationales et de leurs relais, notamment les consultants locaux. Il souligne l’importance de « jeter à la poubelle de l’histoire les prétendues “best practices” » (p. 264), de se débarrasser de toutes ces « idées hors lieu » afin de décoloniser le savoir urbain au Sud. De même, Pietro Garau appelle à une défense vigoureuse des droits publics face au modèle de la ville unique (héritage de la « pensée unique ») et salue les mobilisations citoyennes récentes en Italie, notamment la victoire à un référendum révoquant une loi qui réservait au secteur privé une certaine part des services d’eau municipaux.

En outre, les analyses de L.N. Tellier confèrent une importance fondamentale à la

1 Cf. à ce propos le numéro spécial d’Espaces et sociétés (2012/2, n°150).

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croissance économique dans l’analyse des évolutions métropolitaines. Or, dans un ouvrage où de nombreuses contributions soulignent les impasses du modèle de déve- loppement fondé sur la croissance économique, cela apparaît comme un hiatus. Prenons un exemple : l’auteur évoque « la mise en valeur du Cerrado brésilien » (p. 334) alors que les écologistes parleraient sûrement de la dégradation irrémédiable de cette région devant l’avancée de l’agro-business. Mentionnons également les réflexions d’Ana Lucia Britto et Berenice de Souza Cordeiro qui montrent que les politiques impulsées sous les gouvernements Lula en ce qui concerne les réseaux d’eau et d’assainissement au Brésil se sont progressivement affranchies des particularités locales, pourtant essentielles à leur fonctionnement efficace et socialement juste, au profit de technologies plus lourdes et de programmes trop centralisés.

En conclusion, si l’ouvrage présente de nombreuses contributions tout à fait intéres- santes sur les dynamiques métropolitaines et notamment sur les mobilisations qui visent à redonner une orientation plus « publique » à ces dernières, on peut s’interroger sur son économie générale, puisque si le lecteur ressort convaincu du caractère commun des mutations métropolitaines, il l’est nettement moins quant à la possibilité d’appréhender ces mutations dans un cadre théorique suffisamment robuste pour mettre à mal ce modèle

de ville unique qu’elles expriment. Paul Cary.

Ceries / Lille 3

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Michel Kokoreff et Didier Lapeyronnie, 2013, Refaire la cité – L’avenir des ban- lieues, Paris, Seuil, La République des idées.

Sous le titre « Refaire la cité - L’avenir des banlieues », Michel Kokoreff et Didier Lapeyronnie ont rédigé un livre à la fois court et percutant. Ils posent de fait des questions absolument redoutables. Ces enseignants-chercheurs, qui suivent de près les réalités des quartiers (par exemple, F. Dubet et D. Lapeyronnie ont écrit « Les quartiers d’exil » en 1992), partent d’un constat alarmant, en examinant aussi bien l’histoire de ces quartiers que leur problématique actuelle.

Dès 1960, le ministre chargé de la construction, Pierre Sudreau, s’inquiétait du deve- nir des quartiers que l’on édifiait alors à grand coup de bâtiments industrialisés, mais ce fut seulement en 1973 qu’une directive - la directive Guichard- mit fin à la construction de ces grands ensembles, souvent à dominante HLM. Il restait alors à gérer le stock des 4 millions de logements construits dans le cadre des politiques précédentes.

La question des quartiers a commencé à émerger comme problème politique national majeur via le programme Habitat et Vie Sociale (HVS) lancé en 1977, puis via toutes les recommandations de la commission Dubedout en 1982. L’objectif était très clairement une volonté d’intégration de ces quartiers, comme de leurs habitants, au reste de la cité. Les émeutes urbaines de 1990 ont sonné le glas de ces espoirs. Le rapport alors commandé à Jean-Marie Delarue pour tenter de renouveler les méthodes d’action publique, s’intitula in fine « Les banlieues en difficulté : la relégation », pointant ainsi le risque qui lui apparais-

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sait majeur, et demandant que l’on sache, pour le conjurer, multiplier tous les ressorts de la démocratie locale. Périodiquement, au gré des changements électoraux, l’État, jamais à court de sémantique neuve, lance un plan ad hoc quand il ne réforme pas les structures chargées de suivre des questions, par exemple après les émeutes de 2005, mais toujours bien sûr en voulant lutter contre tout totalitarisme et restaurer la légalité républicaine.

Aujourd’hui, où en est-on ?

Les quartiers se sont ghettoïsés, au sens strict du terme : une loi de fait les transforme parfois en des sites clos, dans lesquels la police comme les pompiers ne s’aventurent qu’avec précaution, avec par exemple un risque de coups mortels pour quiconque vou- drait y prendre des photos, et parfois un régime d’autorisation personnelle délivrée par ceux qui tiennent le quartier pour les médecins qui veulent y exercer. Les grilles de lecture ethniques, religieuses et communautaires sont de plus en plus pertinentes (Kepel, 2011 ou Lagrange, 2010). Le halal y est devenu une norme de fait, comme, parfois, l’observation de plus en plus stricte du ramadan. L’appel des pouvoirs publics à la parole des imams pour rétablir le calme en cas de trouble en est un autre signe.

Les différentiations économiques s’aggravent. La dernière période 2008-2011 s’est tra- duite par une brutale aggravation du taux de chômage dans les quartiers en ZUS (zone urbaine sensible). Cette donnée est bien sûr corrélée avec une forte proportion de jeunes en échec scolaire, ainsi que la présence, mal dénombrée, d’immigrés habitant dans des condi- tions relevant souvent de ce que l’administration appelle « le logement indigne ». Comme l’a montré une étude dite TeO (Trajectoires et Origines) pilotée par l’INED et l’INSEE en 2010, les enfants ayant deux parents français y sont souvent devenus minoritaires.

Autrement dit, les vingt dernières années de politiques publiques actives ont débouché sur la solution dénoncée comme épouvantail en 1991 par le rapport « La relégation » rédigé par J.M. Delarue, qui devint par la suite délégué interministériel à la ville. C’est un échec global de la République, comme en témoigne par exemple la dégradation constante du climat entre les habitants et la police, l’État ayant d’ailleurs procédé, avec la création des célèbres BAC (Brigade anti-criminalité) à une fusion localisée entre la lutte anti-cri- minalité et le maintien de l’ordre public.

In fine, les auteurs recommandent d’ouvrir les yeux, de cesser de balancer entre une lecture sociale et des approches d’abord sécuritaires, et tentent courageusement de dresser des lignes d’une éventuelle action politique. Ils demandent, avec d’excellents arguments, que l’on puisse y fabriquer du politique en passant par exemple par trois chantiers : la lutte contre les contrôles au faciès, le droit de vote des immigrés extra-communautaires aux élections locales et une sortie de l’hypocrisie sociale concernant les drogues en tout genre. Ainsi ces quartiers, reflets négatifs de la fragmentation de la société actuelle, et leurs habitants, pourraient peu à peu réintégrer une vie démocratique collective. On sou- haiterait y croire, mais que nous dit l’histoire passée ?

La lutte contre le contrôle au faciès est bien sûr indispensable - se faire contrôler sans motif dans et hors ces quartiers est insupportable et conduit à des postures de rejet. Mais est-ce possible dans un système qui donne à la même police nationale des fonctions à la fois de lutte contre la criminalité et de tranquillité locale ? Seule une disjonction entre ces fonctions (cf.

les approches récurrentes de Sébastien Roché) permettrait de progressivement mieux gérer ce fossé creusé par des décennies de discours musclés entre population et forces de l’ordre.

Le vote des étrangers extra-communautaires est une action logique. C’est une ancienne

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promesse électorale, en passe d’être une nouvelle fois laissée de côté. De toute façon, quel serait son apport réel, au-delà du signe de respect donné à d’anciens migrants, alors que dans ces quartiers le taux d’abstention parmi les personnes d’ores et déjà inscrites sur les listes électorales est très élevé ? Intégrer des nationaux « issus de la diversité » dans des postes autres que d’adjoints au maire serait déjà un signe tangible. Encore heureux que l’on ne retombe pas dans certains errements qui voulaient vers 2000 ériger les GPV (Grand Projet de Ville) en section de communes, avec une représentation politique auto- nome. C’était vraiment se lancer sur la voie d’un communautarisme d’État.

Quant à la légalisation du cannabis, cela relève d’une approche un peu courte. Dès lors qu’il existe une consommation de cannabis et de drogues plus dures dans la plupart des milieux dits in, parisiens ou autres, il faut bien qu’il y ait des lieux avec des fonctions économiques de dégroupage et de réassort des détaillants. Et cela fait longtemps que l’on sait que seul cet argent permet à certaines familles, notamment monoparentales, de payer les loyers fortement rehaussés par les actions dites de réhabilitation ou de démolition- reconstruction. La fonction de « cour des miracles », notamment pour la fourniture de drogues interdites, est bien connue au cours des siècles, et chaque grande agglomération moderne dispose des lieux ad hoc. Pourrait-on s’abstraire de cette donnée ?

L’ensemble de ces considérations conduisent à un questionnement plus vaste, de fait déjà présent en 1992 dans la conclusion du précédent livre de F. Dubet et D. Lapeyronnie

« Si on appelle société l’intégration d’une culture sociale, d’une culture nationale et d’une économie par le jeu des institutions, c’est cette représentation de cette société qui se défait » (op. cité, p. 232). Alors, vingt ans après le même constat fait par des hauts fonc- tionnaires (la relégation) et par des chercheurs (les quartiers d’exil), peut-on encore croire au mythe de la société urbaine, au mythe de l’intégration par le conflit, aux approches holistiques sur le vivre ensemble ? Il semble désormais que ces utopies aient perdu leur pouvoir mobilisateur tout comme leur capacité d’interpellation. Ainsi, la recherche d’une simple co-présence sociale, comme le disent certains, serait déjà une ambition forte. On ne peut certainement pas s’en réjouir mais peut-on continuer à parler de ces quartiers les yeux grands fermés, et vouloir refaire la cité au milieu de toutes les dynamiques qui vont en sens inverse ?

Rien n’est plus dur, disait Clément Rosset (in « Le réel et son double », 1976), de repé- rer le réel, si ce n’est de l’accepter. Mais peut-on aujourd’hui se dispenser de cet effort ? Olivier Piron Ancien secrétaire permanent du PUCA

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