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Casterman 1967 Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays.

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L'ASIE DU SUD-EST

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© Casterman 1967

Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays.

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ANNÉES TOURNANTES Collection dirigée par Jacques Nobécourt

JACQUES DECORNOY

L'ASIE DU SUD-EST

Vingt ans à la recherche d'un avenir

1967 CASTERMAN

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« Je suis fasciné par le romantisme de la révolution. » Président Sukarno

« Des hameaux proches aux villages lointains, Mangeant à leur faim et s'habillant chaudement, Nos compatriotes progressent, vont de l'avant.

Galvanisées par l'instruction politique, Nos troupes redoublent d'efforts méritoires. »

Président Ho Chi Minh

« Le monde tel qu'il est en Asie n'est ni serein ni pacifique. Sur la guerre au Vietnam, et sur l'ensemble de l'Asie, plane l'ombre de plus en plus menaçante de la Chine communiste. Nous nous battons parce que nous devons le faire si nous voulons vivre dans un monde où chaque pays puisse forger son propre destin. »

Président Johnson

« Tous les peuples qui veulent la révolution et la libération, tous les peuples qui veulent lutter pour l'indépendance et pour la sauvegarde de leur sou- veraineté, tous les peuples qui veulent défendre la paix mondiale ne peuvent que diriger le fer de lance de leur lutte contre l'impérialisme américain. »

Chou En-lai

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INTRODUCTION UNE ASIE PAR OPPOSITION

« Un peuple devrait être honteux d'avoir une histoire.

Et l'Européen tout comme l'Asiatique naturellement.

C'est dans l'avenir qu'ils doivent voir leur histoire. » (Henri MICHAUX, Un barbare en Asie)

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L'Asie du Sud-Est ne peut d'abord se définir que par opposition.

C'est l'Asie du sud de la Chine. C'est l'Asie de l'est de l'Inde. Mais l'Australie et la Nouvelle-Zélande en sont exclues ou s'en excluent.

C'est l'Asie morcelée. Asie du Sud-Est... Sous ce nom commode, sous ce titre de journal — « La Situation en Asie du Sud-Est » — vient avec monotonie se décrire une crise — « la guerre au Vietnam »,

« chaos en Indonésie », « la confrontation entre Djakarta et Kuala Lumpur » —, mais si chaque querelle retient l'attention de toute la région, l'inquiète, menace de l'enflammer, elle ne joue pas le rôle d'un fédérateur ou d'un coagulant.

L'Inde, la Chine, massives, ont la forme, la lourdeur de continents aux côtes étirées sur de fantastiques distances, mais l'impression première, à l'évocation de ces mots, est d'étendues terrestres couvertes de villages dont les habitants peuvent ignorer la mer. En Asie du Sud-Est, la mer est omniprésente. Elle baigne cette immense contrée, le Laos seul faisant exception, la découpe jusqu'à l'absurde : Birmanie, Thaïlande, Malaisie, courbes indochinoises, arc de trois mille îles indonésiennes étiré sur cinq mille kilomètres, et, venant buter sur la forêt de Bornéo qui plonge dans la mer de Chine du Sud, l'archipel philippin.

Car les Philippines, comme Ceylan, à l'autre extrémité de la carte, à portée de barque de l'Inde, sont ici rattachées à la région. Par arbitraire ? Mais les Philippins sont un peuple malais, dont l'histoire, à ses débuts, porte la même marque que les pays voisins, et, si les jeux politiques ont divergé ensuite, ils pourraient se recouper dans un proche avenir. Quant au bouddhiste Ceylan, il a amorcé des mutations qui rappellent celles des autres États orientaux.

Mais l'opposition n'est pas seulement celle de la terre et de la mer, ou de la masse démographique connue de tous, et de celle qui est souvent oubliée : l'Indonésie n'a-t-elle pas plus de cent millions d'habitants ? C'est aussi celle de l'histoire et de l'actualité. L'Inde nous semble être la même, d'Asoka à Akbar, à George V et à Nehru.

La Chine aussi, des premières dynasties à Mao. Des mythes sortent des mémoires à l'évocation de ces noms. Viennent ensuite seulement les définitions politiques et les mutations sociales. Mais l'Asie du

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Sud-Est a vingt ans, vingt-cinq ans au plus. Ses civilisations ont l'âge des autres. Son apparition dans le vocabulaire, dans la presse, sur les cartes des stratèges militaires et politiques date de la Seconde Guerre mondiale.

Depuis lors, elle n'a plus quitté l'actualité. Pour l'Occident, elle était, avant 1940, une juxtaposition de possessions coloniales, la Thaïlande faisant exception, et, pour ses divers peuples, une série de territoires à libérer, de nations à forger. La Grande-Bretagne, la France, les États-Unis se la partageaient avec la Hollande qui régnait sur la grande barrière du sud trouée de détroits. Aujourd'hui, le plus modeste des dominateurs de la région, le Portugal, conserve seul la moitié d'une île minuscule. Timor, et la Grande-Bretagne demeure présente à Brunei, auprès d'un sultan à la mosquée dorée et aux terres pétrolifères.

La carte n'a pas été profondément remodelée depuis la guerre.

Les capitales créées le plus souvent par le colonisateur sont le siège des nouveaux pouvoirs indépendants. Et pourtant, cet ensemble disparate, désuni, déchiré, a reçu un nom de l'Occident, qu'il reprend à son compte. Nécessité politique fait loi géographique : l'Asie du Sud-Est trouve alors une définition positive. Ses chefs d'État en prononcent le nom. L'Occident, faisant subir aux limites naturelles de sérieuses contorsions, l'englobe dans un traité. Les deux décennies passées sont pour elle plus que des « années tournantes » : sa création.

Cependant, affirmer que l'Asie du Sud-Est existe parce qu'elle appartient au vocabulaire ne satisfait pas. Qu'y a-t-il derrière la formule ? Non pas un, mais dix pays. Un Birman essaie, depuis Manhattan, d'unir le monde, mais aucun leader ne se fait le porte- parole des terres baignées par la mer de Chine. Marx règne à Hanoï, a inspiré épisodiquement Djakarta, est interdit de séjour à Manille.

L'Indonésie vient de mettre un terme à sa lutte contre la Malaisie;

le Vietnam du Sud poursuit la sienne contre le Vietnam du Nord.

L'islam est religion en Indonésie et en Malaisie, le catholicisme aux Philippines, le bouddhisme presque partout ailleurs. Les ententes régionales meurent avant de naître. La mer et les rivalités entre États ne sont pas seules à découper la région. A l'intérieur des frontières, les communautés doivent coexister, mais mal le plus souvent. Et

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Bandung, ce lieu devenu date, cette capitale d'une gigantesque prise de conscience du monde « sous-développé », n'aura été qu'un pôle provisoire à l'échelle de l'univers : il n'attire pas les pays voisins.

La définition de l'Asie du Sud-Est est a priori impossible. Elle ne peut se découvrir qu'au fil de l'histoire. Non pas histoire unique, linéaire. Autour de la ligne centrale, que de retours en arrière, d' « aberrations » ! Cependant, de grands traits communs apparaissent lors d'une analyse qu'il n'est pas question ici, en quelques pages, d'affiner. Il s'agit seulement de rendre sensibles les courants prin- cipaux, sans se perdre dans les épiphénomènes, les soubresauts, mais aussi de relever des faits importants qui semblent défier l'évolution générale sans trouver leur place dans la synthèse.

Or, cette époque commence par une rupture totale. En tant que région, l'Asie du Sud-Est rompt ses amarres avec la préhistoire. Un révélateur étranger, mais asiatique, s'impose à elle et l'impose à elle-même : le Japon. L'Ordre Nouveau déferle dans la mer de Chine.

Lorsque la Sphère de Coprospérité se trouve disloquée à Hiroshima, son reflux laisse une Asie du Sud-Est couverte de slogans nationalistes, économiquement exsangue, mais en lutte pour sa liberté. Le Japonais parti, le colonisateur revient. Il a gagné la guerre, mais perdu la bataille d'Asie. Il tente la reconquête. Il tergiverse, ou il brise les révoltes politico-sociales avant de se retirer. L'aide étrangère avait été nécessaire pour accélérer l'évolution. Les forces locales, qu'orga- nisent les guerres de libération, sont assez fortes pour vaincre à Dien Bien Phu, cet autre nom, comme Bandung, d'envergure mondiale. Le conflit indochinois domine en effet la première décennie d'après-guerre. Il est le germe d'un second conflit, qui n'est pas terminé. Il n'est pas seul en cause, mais il a valeur de symbole. La France y casse son corps expéditionnaire, et déjà son régime.

L'U.R.S.S. en fait un terrain de guerre froide. La Chine y donne la preuve de son importance planétaire. Les États-Unis, débordant leur zone d'action philippine et rejetés de Chine, y mobilisent leur puissance pour « lutter contre le communisme ».

Pourtant, la guerre d'Indochine ne doit pas cacher une évolution plus générale, plus importante, plus profonde peut-être. Lorsque les indépendances sont proclamées, les drapeaux flottent sur des

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parlements, des institutions diverses, qui sont des legs de l'Occident.

Voulant ignorer le XX siècle, il s'est trouvé des Hollandais pour affirmer que l'indépendance fut une bombe à retardement laissée par les Japonais. C'était méconnaître des fermentations nationalistes à l'œuvre depuis cinquante ans. L'argument est-il valable pour l'organisation politique que les colonisateurs ont mise en place, ou dont ils avaient tracé le plan, ne serait-ce que par le biais de l'éducation offerte aux futurs dirigeants ? En fait, il n'y eut pas calcul. La preuve en est que les leaders nationalistes mirent quelque temps à mesurer l'inadéquation des systèmes aux réalités. L'adoption par les ex- colonisés de structures appréciées dans les « métropoles » facilita au contraire les transitions. C'est lorsque la remise en cause de l' « ordre établi », même indépendant, se précipita, dès la fin de la guerre, qu'il y eut heurt violent.

Une décennie a suffi pour que les institutions de la tradition occidentale soient presque partout balayées, au profit d'un retour à ce que les dirigeants estiment être la vraie tradition. Les critiques se sont amoncelées, petit à petit, et ont fini par faire crouler l'édifice en 1955-1956. Camouflage d'une volonté de puissance? Incapacité de respecter des règles démocratiques, telles que nous les comprenons ? Inadaptation de ces règles à des sociétés qui les ressentaient comme des corps étrangers ? Il faudra analyser les faits, laisser parler les acteurs, d'abord. Les virages effectués dans la plupart des pays d'Asie du Sud-Est, à cette époque, sont dus autant à la volonté des chefs qu'à la pression des événements.

Cette mutation, ou cette mue, n'est pas terminée. En cours depuis dix ans, elle est évitée par certains et demeure une tentative ailleurs.

Aucun régime ne donne l'impression de se vouloir « définitif », celui de Hanoï mis à part. De Djakarta à Phnom-Penh, de Colombo à Bangkok ou même à Manille, qui peut dire quelles seront demain les structures du pouvoir, quels seront les mots d'ordre et l' équilibre des forces ? Le socialisme recouvre tant de formules, le capitalisme, tant d'inconnues. Et quel sens ont ces mots là-bas? Pour une libre entreprise philippine qui ne s'embarrasse pas d'idéologie et de justification, que de manifestes économiques, de mélanges de doctrines, d'appels à la communauté d'antan!

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Il faut tenter de produire un bilan. Ces anciennes possessions sont, en vingt-cinq ans, devenues enjeu, alors que, fouillant en dedans d'elles-mêmes, elles cherchaient à se donner une personnalité.

N'ont-elles réussi qu'à s'affubler d'un masque ? Au nom de la sym- pathie de méthode, il ne faut pas cacher les manques. Au nom de la critique, il serait tout aussi absurde de plaquer nos schémas sur Bornéo, Mindanao ou la plaine des Joncs. Les réussites coexistent avec les échecs, dans tous les domaines.

Un enjeu... Car lorsque ce nom, « Asie du Sud-Est », est aujour- d'hui prononcé, nul ne peut se contenter de le dire seul. Il ne s'agit pas de cette fameuse « interdépendance », de ce « monde rétréci » dont il est tant question, formules qui restent d'ailleurs à définir.

En fait, la région tout entière souffre d'un grand vide dans lequel s'infiltrent, s'engouffrent les influences étrangères. Lutte politique, plus que défense en général d'intérêts économiques. Au programme révolutionnaire proposé par la Chine vient s'opposer, avec une fermeté de plus en plus implacable, l' « ordre » américain.

Et pourtant, les Asiatiques devront bien modeler selon leurs critères leurs régimes politiques, leurs économies, leurs valeurs cul- turelles. En attendant cette possibilité, dont rien ne permet de fixer l'échéance, l'Asie du Sud-Est reste divisée. Elle ne peut même demeurer dans les frontières d'une définition.

Hors des virtualités du futur existe-t-elle ?

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1 L'ASIE BOUGE

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Le 10 février 1905, la Russie s'incline devant le Japon.

Il est des dates — que l'histoire se charge ensuite de transformer en symboles — qui n'expliquent rien. Elles sont pourtant utiles comme points de repère. L'imagination des peuples sait les transformer en exemples. Le 10 février 1905, le Japon jaune vainc la Russie blanche.

1911 : l'Empire chinois s'écroule et Sun Yat-sen va tenter de libérer son pays et de bâtir un socialisme modéré, rencontre de l'Orient et de l'Occident. 1918 : un bibliothécaire inconnu range des fiches à Pékin et commence à s'intéresser au marxisme; il s'appelle Mao Tsé-toung. Entre-temps, la Russie, elle aussi, mais en partie seulement, asiatique, sera devenue l'U.R.S.S.

Revenons en arrière. 1906 : en Inde, le parti du Congrès, frappé par la victoire japonaise, fait pour la première fois figurer dans un manifeste le mot « Swaraj », « indépendance ». 1920 : Gandhi impose son programme de non-violence.

L'Asie « bouge », un grand pays devient communiste, les Occi- dentaux s'entre-tuent de 1914 à 1918. L'Asie du Sud-Est écoute, observe, et ces chocs ne la laissent pas indifférente.

A vrai dire, les éveils nationalistes ne coïncident pas avec ces grandes dates, bornes pour l'historien. Ils sont diffus, secrets presque.

Le voyage d'un maître d'école javanais à La Mecque et au Caire, la rencontre d'un intellectuel vietnamien et d'un Occidental de gauche, le lancement d'un journal universitaire birman, ce sont des étincelles qui peuvent faire frémir un milieu mal à l'aise sous la férule coloniale. Les grands bouleversements du continent attisent ensuite un feu qui aura été allumé sans que personne ne le sache, en dehors des quelques auditeurs d'un orateur nationaliste et peut-être d'un informateur de la police européenne.

L'Asie se transforme à grands coups de serpe. Gandhi mobilise les masses, mais l'attention, entre les deux guerres d'Occident, se concentre sur les gigantesques remous de l'Extrème-Orient. Le Japon s'ébroue sur ses petites îles, puis les déborde et part à l'assaut du continent : l'impérialisme est asiatique aussi. La Chine républicaine, la Chine morcelée par l'étranger, se secoue contre les hégémonies;

les émissaires soviétiques la sillonnent, mais le bibliothécaire inconnu

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de Pékin va se plonger dans un bain paysan. La Chine va commencer à voir se déplacer de formidables armées de Chinois ; elle « marche », se tord sur elle-même, avant d'enfanter un régime marxiste. Au sud, dans un petit pays qui veut d'abord être libre, le Vietnam, un parti nationaliste, le V.N.Q.D.D., tente de copier Tchiang Kaï-chek, cependant que des hommes de la trempe de Ho Chi Minh prennent leurs leçons à Moscou et en Chine « rouge ». Mais là n'est pas le plus important. Ce qui compte, c'est ceci : la Chine part à la conquête de sa personnalité, à sa reconquête plutôt. Au cours de cette histoire, elle découvre que l'image qui apparaît a des traits jusqu'alors inconnus, imprévisibles, mais chinois. Le Japon la heurte jusqu'au creux de son continent, avant d'aller balayer les mers du sud. Il devient comme une Asie sur l'Asie, en surimpression. Son impérialisme ira jusqu'à s'allier à l'impérialisme allemand, et, sous cet entrelacs d'oppositions armées, l'Asie du Sud-Est secouera les impérialismes d'Occident.

L'Asie des premières décennies du siècle constitue un énorme bouillon de culture. De l'interpénétration du Japon et de la Chine

— ou, plus justement, des Chines — va naître la plus grande révolution de tous les temps. L'interpénétration des deux voisins orientaux?

Elle commence bien avant la poussée nippone sur le continent. C' est à Tokyo que le jeune Tchiang Kaï-chek va parfaire ses connaissances militaires au tout début du siècle. C'est là-bas, où vivent des milliers d'étudiants chinois, qu'il se lie avec l'immigration dans laquelle milite Sun Yat-sen et qu'est fondé le parti national du peuple, le Kuomintang.

Qu'est-ce qui importe alors en Chine ? L'agitation visible, ou le silence d'un énorme paysannat dans l'attente de ses chefs ? Sun dirige le pays de 1916 à 1925, date de sa mort, cependant que monte l'étoile de Tchiang. L'Occident refuse d'abandonner ses privilèges.

Sun se tourne vers la nouvelle U.R.S.S. et y envoie une mission d'étude dirigée par le futur maréchal à qui la doctrine déplaît, mais que les méthodes d'organisation séduisent : il se prend à rêver pour la Chine d'une structure d'encadrement solide, mais non de la révolution dont elle est sortie. Lorsque Sun meurt, après avoir tenté d'unir une Chine fièrement nationaliste et tout en évitant les heurts de classes, la voie est ouverte pour Tchiang Kaï-chek, pour l' impossible

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dialogue entre lui et les communistes et pour le déroulement d'une révolution dont le monde entier va suivre la progression.

La grande année de l'unité chinoise, avant 1949 et la communi- sation totale, c'est 1927 : les concessions britanniques ferment, les seigneurs de la guerre sont, sinon tous vaincus, du moins affaiblis.

Nouveau symbole : c'est aussi l'époque à laquelle le président épouse la fille du riche banquier James Soong. L'austère militaire qui refuse la critique s'allie avec la classe des possédants. Peu de temps après, il massacre les grévistes de Canton et de Shanghaï. Le P. C.

avait déclenché, par erreur tactique, ce mouvement; il avait aussi, sur ordre de Moscou, poursuivi une collaboration évidemment absurde avec Tchiang. Il va aller comme au purgatoire, se fondre dans les campagnes. Peu nombreux sont ses membres qui savent alors, en dehors de Mao, que c'est là qu'il va découvrir sa vraie force.

Le communiste chinois, le communisme asiatique sont ruraux.

Le maréchal perd la Chine

Pendant que les communistes opèrent un retour aux sources, le pouvoir se coupe de la population démunie. Tchiang se convertit au méthodisme, fréquente des militaires et des hommes d'affaires.

Son entourage est corrompu, sa philosophie politique, mélange de puritanisme à l'américaine et de vertus chinoises, totalement inadaptée, incapable d'affronter les immenses difficultés que connaissent les campagnes chinoises. Derrière la façade côtière et urbaine, on voit se développer des « soviets » qui, en 1931, se fédèrent en un « gouver- nement central provisoire des républiques soviétiques chinoises ».

C'est l'ordre contre la réforme agraire, c'est l'encadrement contre l'encadrement sous-tendu par une doctrine implacable et une analyse des forces sociales de la nation.

Le Japon frappe alors. Les aventures continentales de Tokyo ne sont pas une nouveauté, mais la situation intérieure de l'archipel pousse à l'aventure. Le Japon est bloqué à l'est : une loi américaine votée en 1924 interdit l'émigration. La crise économique l'a atteint trois ans avant le reste du monde capitaliste. Le système parlementaire craque de toutes parts : la classe politique dominante, au service de

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grands intérêts privés, n'arrive pas à rétablir l'équilibre économique et financier. Une vie intellectuelle très brillante a pénétré le pays, et en particulier les milieux universitaires, après la guerre mondiale.

L'ordre moral imposé par les puissances d'argent ne l'avait pas supprimée, mais ces puissances sont elles-mêmes débordées. Elles avaient misé sur une expansion matérielle illimitée, mais leur incapa- cité à conjurer les dangers intérieurs se traduit par une poussée ultra-nationaliste bientôt infreinable et attisée par une armée désireuse de conquête et de pouvoir. Lorsque la crise mondiale atteint Tokyo, faisant chuter le commerce extérieur et réduisant le peuple à la misère, commencent les assassinats politiques, les agissements des comploteurs, la diffusion massive d'idées proches du fascisme. C'est alors que des incidents sont créés de toutes pièces en Mandchourie et ouvrent la voie aux opérations militaires contre une Chine dont l'apparente unité inquiète les Japonais.

L'invasion nippone en Chine commence en Mandchourie avec l'attaque de Moukden en septembre 1931. On se bat bientôt à Shanghaï même. Un État fantoche du Mandchoukouo est créé, qui ne trompe personne, mais la Société des Nations, impuissante, laisse faire. Tokyo pénètre sans grand mal dans toute la Chine du Nord.

Selon Tchiang Kaï-chek cependant, le danger se situe ailleurs : dans le Kiangsi, forteresse rocheuse d'où il déloge en 1934 les com- munistes qui s'y étaient créé un repaire. L'armée rouge part et entame l'une des plus célèbres épopées du siècle, la « longue marche », qui la mène à treize mille kilomètres de là dans le Chensi. Yenan devient la capitale de Mao.

Un nouvel équilibre va alors s'instaurer en Chine, après « l'incident de Sian ». Tchiang Kaï-chek, en tournée dans le Chensi, est fait prisonnier par un de ses généraux et se voit contraint de rencontrer des communistes ayant à leur tête Chou En-laï. Ténébreuse histoire, mais qui se conclut, en décembre 1936, par une alliance entre natio- nalistes et communistes contre l'ennemi commun, l'envahisseur japonais. Utile accord, car, au cours de l'été 1937, Tokyo reprend des hostilités ouvertes, après avoir multiplié les coups d'épingle.

Nankin tombe, puis Canton. Tchiang doit s'enfuir à Tchoungking,

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dans le Setchouan; il y établit sa nouvelle capitale et y demeurera jusqu'à la fin de la guerre mondiale. Le Japon ne reconnaît qu'une Chine, celle de son fantoche Wang Ching-wei, un ancien membre influent du Kuomintang.

On peut dire que, dès 1938, le dictateur a perdu la Chine, non pas tant à cause de l'impérialisme japonais qu'en raison de l'incapacité de Tchiang de réunir autour de lui les Chinois. Le programme qui peut à la fois sauver le pays de l'invasion, c'est-à-dire la résistance populaire à Tokyo, et remodeler la société selon d'autres critères que le nationalisme et la protection des intérêts privés, ce n'est pas lui qui le détient, mais ceux avec qui il a fait alliance à Sian. Or, dans les provinces de son exil intérieur, Tchiang ne promulgue aucune réforme agraire et ne peut débarrasser son administration et son armée de la gangrène de la corruption. Le fossé s'élargit à nouveau avec les communistes; il n'avait d'ailleurs été apparemment comblé que par tactique. Le maréchal bloque les provinces communistes, alors que les armées étrangères occupent une grande partie du pays.

Situation excellente pour les dirigeants marxistes qui scolarisent, vivent chichement, donnent l'exemple de la vertu nationaliste en appelant au combat contre Tokyo. Ce sont eux, et non les anti- communistes du Kuomintang, qui séduisent les envoyés de Roosevelt ulcérés de voir l'extrême-gauche prendre à son compte les valeurs et les slogans qui permettront à la Chine de s'opposer à ses défis intérieurs et extérieurs. Les armées de Tchiang passeront certes à l'attaque pendant l'été 1945, peu de temps avant la chute de Tokyo.

Elles auront pourtant bientôt à se mesurer à un adversaire autrement coriace, dont les unités grandiront, et lanceront, pendant quatre années, des campagnes qui contraindront finalement Tchiang à se réfugier à Taïpeh. Le 1 octobre 1949, Mao proclamera à Pékin la République populaire de Chine.

Les fondateurs du Kuomintang avaient lutté au nom du natio- nalisme et leurs successeurs malheureux s'étaient faits les représentants d'un jeune et vigoureux capitalisme qui, une fois les intérêts étrangers balayés, une fois close l'ère avilissante des « concessions », pensait prendre la relève des anciennes équipes dirigeantes. Leur fierté nationale, au début du moins, pouvait inspirer les colonisés du reste

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de l'Asie. Leur incapacité et leur refus de faire cesser l'endettement de la masse paysanne, de la faire sortir du cycle de la famine et de l'état d'ignorance, ne pouvaient être pris pour modèle par ceux qui estimaient que l'insurrection contre l'Occident devait se doubler de réformes internes. Si en Chine, une leçon pouvait être apprise, c'était auprès des troupes de Mao. Quant au Japon, il était à la fois une tentation et un repoussoir. Son superbe refus de se plier aux injonctions des grandes capitales ou des organisations internationales alors entièrement aux mains du monde blanc, semblait une poursuite de la politique victorieuse menée au début du siècle contre la Russie.

Son projet, qui prit corps petit à petit, d'une «Sphère de Coprospérité»

ne pouvait dissimuler un appétit d'asservir à son économie les forces matérielles et humaines des pays qu'il engloberait. Son régime militaire extrémiste, qui ne portait pas atteinte au capitalisme dont la crise l'avait fait naître, ne pouvait inspirer d'autres nationalistes que sous sa forme extérieure, sa surface politique, mais les bases sur lesquelles il reposait n'existaient nulle part ailleurs. La politique japonaise ne cachait aucunement ,sous son idéologie mal construite, sa volonté de conquête, mais, anti-occidentale pour des raisons historiques et aussi par besoin de ressources et de marchés, elle exportait auprès de certaines élites qui ne songeaient qu'en termes d'indépendance, fût-elle formelle, des germes poussant au soulè- vement contre les hégémonies occidentales. C'est elle qui devait finalement obtenir le plus de retentissement en Asie du Sud-Est, plus que la Chine qui n'avait pas encore opté et présentait deux solutions, de force inégale, aux problèmes posés aux nations colonisées, plus que la Chine aussi parce que celle-ci se battait en champ clos, sans porter encore à l'étranger les thèmes de la libération.

L'indépendance et la révolution

Le prestige du Japon, de la Chine et même de l'Inde jouent un rôle dans l'éveil nationaliste en Asie du Sud-Est. D'autres in- fluences peuvent être évoquées, ainsi celles de l'U.R.S.S. et de l'Islam moyen-oriental. Importent aussi les souvenirs, ceux de la liberté précoloniale, des empires déchus dont témoignent les temples.

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Phénomènes d'une immense complexité, car viennent s'y mêler la formation des élites, les divisions raciales, les tempéraments des peuples assujettis et de leurs maîtres blancs. Le Malais de Malaisie est plus assoupi que le Malais d'Indonésie, le Vietnamien plus turbu- lent que le Cambodgien, le Philippin plus nerveux que le Laotien.

Ces traits d'histoire et de géographie humaine sont importants, mais interviennent aussi les modes de relations économiques et sociales qui se sont établis entre les métropoles et les pays d'Asie, et les « tissus » nationaux sur lesquels les colonisateurs ont agi. Or, l'analyse de la situation avant la rupture de 1942 montre que la région est balkanisée et que chaque territoire possède ses caractéris- tiques propres défiant tout jugement global, toute explication syn- thétique. L'équation politique, ici comme ailleurs, n'a aucun sens.

L'état de choses au Tonkin peut faire comprendre des révoltes;

il ne peut suffire à les provoquer. Il convient aussi de prendre en considération cet autre élément : la politique coloniale telle qu'elle fut, mais qui aurait pu s'amender, ou au moins s'éclairer. Autrement dit, rien n'est « écrit » en 1920 ou 1930 : on se trouve seulement en face d'évolutions plus ou moins plausibles.

Il faut ajouter que, devant une même situation apparente, les élites locales peuvent réagir différemment, selon leur passé et leur formation idéologique. Le mouvement nationaliste vietnamien, au nord surtout, sera petit à petit imprégné de marxisme, cependant qu'à Java l'idée de nation constituera un but en soi. Ici, il s'agit d'indépendance; là, il faut en même temps faire triompher la révolu- tion. Ici et là, dans les rizières, travaille une population colonisée à forte densité. Ce n'est pas l'opposition d'un Islam plus ou moins pur à une morale bouddhique; c'est cela, en tant seulement que composante, entre autres, d'un complexe socio-historique déter- miné. Et pourtant, tous les pays du Sud-Est asiatique sont alors, selon les modalités diverses, économiquement colonisés.

En Birmanie, l'impact britannique se situe principalement dans les régions basses et rizicoles du delta de l'Irrawaddy, le reste du pays étant peu touché en dehors de minces zones bordant les voies de pénétrations routières et ferroviaires. La présence anglaise a beau- coup développé la production de riz, phénomène intéressant qui

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permet à un pays sans pression démographique de devenir un grand exportateur de cette céréale. La politique suivie par Londres apparaît, dans un premier temps, comme bien conçue : les terres à riz sont occupées par des colons birmans et les dangers de la grande propriété foncière sont évités. L'erreur va ensuite consister à laisser s'implanter des Indiens (jusqu'en 1937, New Delhi et Rangoun sont placées sous une même administration) dont les investissements vont dépasser en importance ceux des Anglais. Le capital indien et, dans une moindre mesure, chinois va petit à petit faire dépendre le paysannat birman de prêteurs dont les pratiques usuraires provoquent d'abord un fort mécontentement, puis des incidents très violents. Les acti- vités industrielles et minières restent modestes, en raison des faibles ressources du pays. La Birmanie demeure donc essentiellement sou- mise au capital étranger et à des exportations trop peu diversifiées.

Une réaction s'opérera après la guerre mondiale contre la puissance économique indienne, mais le mouvement nationaliste ne trouve pas directement sa source dans une situation économique dont il ne fera pas un thème majeur de revendication. En dépit de certains remous sociaux, les préoccupations de la minorité intellectuelle qui s'agite concernent d'abord l'indépendance, même si, en 1936, Ba Maw fonde le « parti de l'homme pauvre » et si d'autres jeunes chefs créent, tardivement, un syndicat paysan (1938) et ouvrier (1940).

Le communisme, qui depuis quelques années attire une poignée d'individualités, est encore embryonnaire en 1939 et se voit opposer le Parti révolutionnaire birman dont l'un des dirigeants, parlant de cette époque de l'immédiat avant-guerre, dira : « Nous pensions qu'il était temps de commencer la lutte révolutionnaire. Il s'agissait du combat politique pour prendre le pouvoir; ce n'était pas fondamentalement une lutte de classes au sens économique du mot, car nous n'étions pas encore vraiment socialistes. » Le colonisateur britannique semble s'être ingénié à créer dans toutes ses possessions d'Asie des problèmes raciaux qui sont loin d'être résolus aujourd'hui et dont les véritables explications doivent être recherchées dans le domaine économique. Le phénomène indien en Birmanie n'est pas unique ; on le retrouve à Ceylan et nous aurons l'occasion, à chaque fois qu'il sera question de la Malaisie, de parler

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ANNÉES TOURNANTES

Collection dirigée par Jacques Nobécourt Jacques Decornoy

Né en 1937 à Orléans, Jacques Decornoy a vécu pendant un an aux États-Unis avant d'entrer à l'Institut d'Études Politiques de Paris, et ensuite à l'École Nationale d'Administration. Après l'É.N.A. il a choisi de devenir journaliste. Entré au Monde en 1964, il s'y est spécialisé dans les affaires d'Asie du Sud et du Sud-Est.

Il a effectué des reportages en Inde, au Cambodge, en Malaisie, à Singapour et a pu se rendre à la fin de 1966 à la fois au Vietnam du Sud et au Vietnam du nord.

l'asie du sud-est

L'Asie du Sud-Est possède une triste originalité : elle est en guerre depuis vingt-cinq ans. Luttes internes entre groupes ethniques ou clans politiques, combats de libération contre les anciens colonisateurs, puis contre de nouvelles hégémonies. Le conflit vietnamien est le plus grave, mais le sang coule aussi au Laos, aux Philippines, en Thaïlande, en Indonésie, en Birmanie. Ceylan n'échappe pas aux querelles linguistiques, ni la Malaisie aux divisions raciales.

Tous les « Grands » sont intervenus, ou interviennent dans cette zone.

Pour Jacques Decornoy, L' « Asie du Sud-Est » demeure une formule utile, mais que les oppositions locales, encore attisées par l'étranger, vident de sens.

Cette vaste région doit pouvoir se retrouver dans la paix face à ses propres problèmes. Elle ne doit pas servir de champ de bataille aux divergences qui séparent Américains, Chinois et Soviétiques.

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