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La prononciation du français au Burkina Faso: une étude perceptive

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Academic year: 2022

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Master

Reference

La prononciation du français au Burkina Faso: une étude perceptive

DIDELOT, Marion

Abstract

Ce travail de maitrise présente une étude perceptive concernant la prononciation du français menée au Burkina Faso, terrain encore relativement peu exploré. Cette étude est articulée autour de trois objectifs : premièrement, observer comment les auditeurs burkinabè perçoivent leur propre prononciation, deuxièmement, observer s'il existe une forme de français de référence international dans leur réalité quotidienne et si tel est le cas, quels locuteurs en sont les plus représentatifs et troisièmement, observer s'il existe une forme de français de référence régional dans la réalité des auditeurs burkinabè et, s'il existe, examiner quels locuteurs en sont les plus proches. L'étude perceptive présentée dans ce travail est divisée en deux volets : une étude de perception et une étude sociolinguistique.

DIDELOT, Marion. La prononciation du français au Burkina Faso: une étude perceptive . Master : Univ. Genève, 2015

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:76392

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

(2)

Université de Genève Faculté des Lettres

Ecole de Langue et Civilisation Françaises

La prononciation du français au Burkina Faso : une étude

perceptive

Travail de Maitrise en Français Langue Etrangère Directrice de mémoire : Prof. Isabelle Racine

Août 2015

Marion Didelot

Chemin de l’Etang 33A 1219 Châtelaine

marion.didelot@etu.unige.ch 09-310-889

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Remerciements

Le présent travail de mémoire est le fruit d’un long parcours universitaire, qui m’a permis d’entrer dans l’univers captivant de la linguistique et de la sociolinguistique, qui m’a ouvert les portes de la francophonie et donné envie d’aller la découvrir avec un semestre à l’université de Ouagadougou. Si le chemin a été passionnant, il n’a pas toujours été facile et je tiens à remercier toutes celles et ceux qui m’ont aidé à le parcourir.

Tout d’abord, je tiens à exprimer toute ma gratitude à ma directrice de mémoire, la professeure Isabelle Racine, qui m’a non seulement initiée à la phonétique-phonologie dès ma première semaine en tant qu’étudiante, mais aussi permis de faire mes premiers pas dans le monde de la recherche et sans qui mon parcours universitaire aurait sans doute été radicalement différent.

Un immense merci pour toutes les idées, les relectures et commentaires, toujours précieux et formateurs, sans oublier les messages de soutien alors que je désespérais de pouvoir ne serait- ce que réaliser mon expérience, coincée au Burkina Faso sans connexion internet. Merci de m’avoir accordé une telle confiance et d’avoir passé tant de temps à m’écouter, me guider, me rassurer et me conseiller pour que je puisse mener ce travail à bien.

Je tiens également à remercier mon juré, Alexei Prikhodkine, pour ses précieux conseils concernant la partie sociolinguistique de mon travail, pour son aide pendant mes recherches bibliographiques et pour ses suggestions quant à l’analyse de mes données.

Merci à mes frères, Jean-Loup et Sylvain, sans qui le déroulement de mon expérience en terres africaines aurait été nettement plus chaotique et l’analyse statistique de mes données m’aurait probablement valu plusieurs nuits blanches.

Tous mes remerciements à Gaëlle également, pour l’oreille toujours attentive, pour le soutien et les conseils, pour les messages et appels de détresse, pour les pep talks dans les moments de découragement. On y est arrivées !

Je tiens encore à exprimer ma gratitude à toutes les personnes qui, de près ou de loin, m’ont aidée, écoutée, conseillée et guidée dans ce travail et tout au long de mes études universitaires, et tout particulièrement les collaborateurs de l’ELCF. Merci aussi à toute l’équipe du projet PFC !

Un grand merci aux étudiants burkinabè qui ont accepté d’écouter pas moins de 75 fois la même phrase… et de répondre ensuite à mes questions bizarres sur les accents. Sans auditeurs, impossible de mener une enquête perceptive !

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Et pour terminer, un immense MERCI à César et à mes parents, qui m’ont toujours soutenue, rassurée, encouragée et surtout supportée dans les bons et mauvais moments ! Sans vous, je n’y serais jamais arrivée.

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Table des matières

Introduction ... 6

Partie Théorique ... 8

1 Français oral : variation et prononciation ... 8

1.1 La langue varie ... 8

1.2 Les types de variation ... 9

1.2.1 La variation diachronique ... 10

1.2.2 La variation diatopique ... 12

1.2.3 La variation diastratique ... 13

1.2.4 La variation diaphasique ... 13

1.2.5 La variation diamésique ... 14

1.3 Les niveaux de variation ... 14

1.3.1 Le niveau phonétique-phonologique ... 15

1.3.2 Le niveau morphologique ... 15

1.3.3 Le niveau syntaxique ... 16

1.3.4 Le niveau lexical et discursif ... 16

1.4 Norme(s) de prononciation pour le français ... 19

1.4.1 Normes subjectives ... 20

1.4.2 Normes objectives ... 23

1.4.2.1 Une approche traditionnelle ... 24

1.4.2.2 Des approches modernes ... 27

1.4.3 Des normes phonético-phonologiques plurielles pour le français ? ... 33

2 Situation géolinguistique du français en Afrique subsaharienne ... 35

2.1 Situation géolinguistique globale en Afrique subsaharienne ... 39

2.1.1 Situation actuelle du français ... 39

2.1.1.1 Statut et fonctions du français ... 40

2.1.1.2 Lieux d’apprentissage ... 43

2.1.1.3 Distribution des langues ... 44

2.1.2 Variétés de français ... 46

2.1.3 Avenir du français ... 48

2.2 Normes africaines ... 49

2.2.1 Normes africaines subjectives ... 49

2.2.2 Normes africaines objectives ... 51

2.2.2.1 Le modèle traditionnel ... 51

2.2.2.2 Les approches modernes ... 51

(6)

2.3 Situation géolinguistique du Burkina Faso ... 56

2.3.1 Situation actuelle du français ... 56

2.3.1.1 Statut et fonctions du français ... 57

2.3.1.2 Lieux d’apprentissage ... 57

2.3.1.3 Distribution des langues ... 58

2.3.2 Variétés de français ... 59

2.3.3 Avenir du français ... 60

2.4 Une norme burkinabè ? ... 61

Partie Pratique ... 64

3 Etude de perception ... 64

3.1 Objectifs de l’étude ... 64

3.2 Méthode ... 65

3.2.1 Participants ... 65

3.2.2 Matériel ... 65

3.2.3 Procédure ... 66

3.2.4 Analyse des données ... 67

3.3 Résultats ... 68

3.3.1 Résultats pour la question 1 ... 68

3.3.2 Résultats pour la question 2 ... 70

3.3.3 Résultats pour la question 3 ... 74

3.3.4 Résultats pour la question 4 ... 76

4 Etude sociolinguistique ... 79

4.1 Objectif de l’étude ... 79

4.2 Méthode ... 80

4.2.1 Participants ... 80

4.2.2 Matériel ... 80

4.2.3 Procédure ... 82

4.2.4 Analyse des données ... 82

4.3 Résultats ... 82

4.3.1 Résultats pour la question 1 ... 82

4.3.2 Résultats pour la question 2 ... 83

4.3.3 Résultats pour la question 3 ... 84

4.3.4 Résultats pour la question 5 ... 85

4.3.5 Résultats pour la question 6 ... 86

Discussion générale ... 87

(7)

Conclusion ... 97 Références ... 101 Annexes ... 107

(8)

Introduction

« L’observateur le moins averti note que le français tel qu’il est pratiqué en Afrique, en Belgique, au Québec ou en Suisse, etc. ne s’identifie pas strictement à celui dont usent les Français. » (Moreau, 2000)

Si tous les locuteurs francophones parlent français, ils ne parlent pas tous le même français et nul besoin d’être linguiste pour s’en rendre compte, comme le souligne Moreau (2000). En effet, le français d’un locuteur francophone peut être influencé par son origine géographique et/ou son appartenance à tel ou tel groupe social par exemple. Cette diversité au sein de la francophonie est particulièrement saillante à travers les différents accents que l’on attribue communément aux locuteurs francophones : l’accent belge, l’accent québécois, l’accent du Midi, l’accent africain, l’accent « jeune », l’accent « des beaux quartiers », etc. Ces différentes manières de parler, que les experts nomment « variétés », ne sont toutefois pas considérées comme égales : il y a celles plus « prestigieuses », qui incarnent « le bon français », et les autres, qui peuvent être qualifiées de « régionales », « familières » ou encore « bourgeoises » par exemple. Variation va donc ainsi très souvent de pair avec hiérarchisation (Moreau, 2000). Au sommet de cette hiérarchisation se trouve le « bon français », celui qui suit la norme, les règles de la « bonne » prononciation du français. La définition de cette norme et les attitudes qu’elle engendre auprès des locuteurs francophones ont fait et continuent à faire l’objet de nombreuses recherches et publications de la part des linguistes et sociolinguistes, du moins concernant la francophonie dite « du Nord », soit les Etats européens francophones et le Canada. Mais qu’en est-il dans les autres espaces francophones ?

En Afrique subsaharienne, les recherches concernant la norme n’en sont encore qu’à leurs débuts (Boutin, Lyche & Carrière-Prignitz 2007a) : existe-t-il la même norme de prononciation en Afrique subsaharienne qu’en Europe ? Existe-t-il également une norme propre au continent africain ? Plusieurs ? Depuis quelques dizaines d’années, ces questions amènent les experts à conduire des enquêtes en terres africaines pour tenter d’y répondre. Si plusieurs études se sont intéressées à la prononciation du français dans certains Etats africains francophones, notamment en Côte d’Ivoire, au Mali, en République centrafricaine ou encore au Sénégal, très peu de travaux existent sur la prononciation du français au Burkina Faso, et encore moins concernant la perception que peuvent en avoir les locuteurs burkinabè.

C’est suite à ce constat et dans le cadre de la recherche autour de la variation en français oral et de la question de la norme de prononciation que se situe l’étude présentée dans ce travail. En effet, cette étude, menée au Burkina Faso, s’intéresse à la perception de plusieurs variétés de

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français par des auditeurs burkinabè et est complétée par un questionnaire abordant les représentations linguistiques que peuvent avoir les Burkinabè concernant la prononciation du français et sa ou ses norme(s). L’objectif de l’étude était triple : tout d’abord, observer comment les auditeurs burkinabè perçoivent leur propre prononciation, ensuite observer s’il existe une forme de français standard international dans leur réalité quotidienne, et s’il s’avère que c’est le cas, déterminer quels locuteurs en sont les représentants, et enfin observer si une forme de français standard régional existe elle aussi dans la réalité des auditeurs burkinabè et si tel est le cas, identifier quels locuteurs en sont représentatifs.

Afin de mieux comprendre les résultats et les particularités de cette étude perceptive, une partie théorique préalable est nécessaire dans ce travail. Le premier chapitre traitera d’abord de la variation dans la langue, des différentes formes qu’elle peut prendre et des différents niveaux de la langue qu’elle peut toucher, avant d’aborder la question de la norme de prononciation, qu’elle soit définie par les représentations qu’en ont les locuteurs ou par des linguistes spécialistes. Le deuxième chapitre abordera dans un premier temps la situation géolinguistique du français en Afrique subsaharienne, en s’intéressant à la situation actuelle du français, aux différentes sortes de français présentes et à l’avenir de la langue française, avant de s’attarder sur la question de la norme de prononciation du français en Afrique subsaharienne, à nouveau du point de vue des locuteurs et du point de vue des experts. Dans un deuxième temps, ce chapitre se consacrera à la situation géolinguistique du français au Burkina Faso, à travers la situation du français aujourd’hui, ses différentes formes, son avenir et son éventuelle norme de prononciation.

Suite à cet aperçu théorique, ce travail présentera les deux volets de l’étude perceptive menée au Burkina Faso, l’étude de perception tout d’abord (chapitre 3) et l’étude sociologique ensuite (chapitre 4). A chaque fois, les objectifs de l’étude seront présentés, suivis des aspects méthodologiques, concernant les participants, le matériel, la procédure et l’analyse des données, avant de s’intéresser aux résultats obtenus. Par la suite, la discussion générale permettra d’interpréter les résultats des deux volets de l’étude perceptive, en s’appuyant sur les aspects théoriques traités dans les deux premiers chapitres de ce travail. Enfin, la conclusion reviendra sur les points essentiels abordés dans ce travail avant de proposer de nouvelles pistes de recherche.

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Partie Théorique

1 Français oral : variation et prononciation

Dans la littérature comme dans l’imaginaire collectif, le français oral ou parlé est très souvent qualifié par des termes tels que « populaire », « familier », « non conventionnel », « non standard » ou encore « informel » (Blanche-Benveniste & Bilger, 1999 : 21). Force est de constater que ces termes peuvent être considérés comme dépréciatifs et renvoient une image de la langue parlée peu reluisante : soit elle se cantonne au peuple – lorsqu’elle est « populaire » ou « familière » –, soit elle est définie par ce qu’elle n’est pas – elle n’est pas

« conventionnelle », pas « standard », et pas « formelle » (Blanche-Benveniste & Bilger, 1999 : 21). De plus, ces termes indiquent de façon implicite que la forme « conventionnelle »,

« standard » ou « formelle » est l’écrit. Cette vision un peu simpliste de la langue amène à se poser plusieurs questions : le français oral se limite-t-il à une langue populaire, familière et non formelle ? Ne suit-il pas lui aussi certaines conventions ? Ne possède-t-il pas lui aussi une forme dite standard ? Répondre à ces questions est peut-être plus difficile pour l’oral que pour l’écrit, mais il est erroné de croire aujourd’hui encore que l’oral n’est qu’une sous-catégorie de la langue, subordonné à l’écrit et dont l’usage est réservé à un milieu populaire ou familier. La langue, avant d’être écrite, est parlée, elle l’a toujours été et le sera toujours.

Ce premier chapitre traitera dans un premier temps de la variation au sein de la langue, en détaillant les différents types de variation et les différents niveaux de la langue qui peuvent être concernés par la variation. Dans un deuxième temps, il sera question de la norme de prononciation pour le français, question qui sera abordée du point de vue des représentations qu’en ont les locuteurs d’une part, et du point de vue plus objectif des linguistes d’autre part.

1.1 La langue varie

La variation, reflet de la diversité des usages, est un phénomène que l’on retrouve dans toutes les langues. Un article de Bernard Laks (2013), malicieusement intitulé « Why is there variation rather than nothing ? », explique ainsi pourquoi la variation linguistique, quelle qu’elle soit, n’est pas la somme de variétés moindres qu’il faudrait homogénéiser, mais bien un phénomène naturel et commun à toute organisation sociale :

« […] a speech community is a concrete social organisation. It is therefore, ex definitio, deeply heterogeneous, divided, hierarchical and structured by an antagonistic social

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dynamics. In such case, the implication is that linguistic variation and heterogeneity on the one hand and social heterogeneity on the other are simply the two aspects of the same social reality. It is because no perfectly stable homogeneous community can ever exist that no perfectly stable and invariant homogeneous language can exist » (Laks 2013 : 32).

Comme l’écrit Laks (2013), le français est une langue vivante, elle subit des transformations et évolue continuellement, comme le fait n’importe quel organisme. En d’autres termes, la langue varie. Moreau (2000 : 147-148) rappelle que la diversité est et a toujours été présente dans la langue, sans jamais avoir empêché des personnes appelées à se rencontrer de communiquer entre elles efficacement.

La variation touche la langue dans ses formes écrite et orale et peut dépendre de facteurs spatiaux, temporels ou sociaux par exemple, ces phénomènes seront abordés dans la section 1.2 en tant que types de variation. En plus de ces facteurs, la langue varie à différents niveaux : dans son vocabulaire ou dans sa prononciation par exemple, ces niveaux de variation seront abordés dans la section 1.3.

1.2 Les types de variation

Ainsi que l’explique Gadet (2003a), les façons de parler se modifient et divergent en fonction de plusieurs facteurs : le temps, l’espace, mais aussi le groupe social auquel appartiennent les usagers de la langue ou encore les activités pour lesquelles la langue est utilisée. Ces différentes façons de parler forment ce que les sociolinguistes appellent des variétés d’une langue et peuvent se classer par types de variation (Gadet, 2003a). On distingue quatre ou cinq types de variation : la variation diachronique, la variation diatopique, la variation diastratique, la variation diaphasique et la variation diamésique (cette dernière étant inclue dans la précédente pour certains sociolinguistes, voir section 1.2.5).

Ces différents types de variations peuvent également être classés selon le point de vue de l’usager ou de l’usage tel que l’illustre le Tableau 1 (ci-dessous).

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Variation selon l’usager

temps changement diachronie

espace

géographique, régional, local,

spatial

diatopie société,

communauté social diastratie

Variation selon l’usage

styles, niveaux, registres

situationnel, stylistique, fonctionnel

diaphasie

chenal oral/écrit diamésie

Tableau 1: Classement de la variation selon l'usager et l'usage (repris de Gadet, 2003a : 15).

Ainsi que le montre le Tableau 1 (ci-dessus), les variations diachroniques, diatopiques et diastratiques dépendent ainsi du locuteur – ou usager de la langue – alors que les variations diaphasiques ou diamésiques dépendent quant à elles de la langue et du contexte d’énonciation – ou usage (Gadet, 2003a). Ces différentes catégories de variation ne sont par ailleurs pas mutuellement exclusives : la variation diatopique est fréquemment couplée à la variation diastratique par exemple, une grande partie des locuteurs des milieux ruraux étant moins éduqués que ceux des milieux urbains. De plus, le « parler jeune », typique de la variation diastratique, n’exclut pas que les jeunes puissent recourir à une autre variation si la situation l’exige, la variation diastratique serait alors couplée avec de la variation diaphasique.

1.2.1 La variation diachronique

Le premier type de variation concerne les changements dans la langue que l’on peut observer dans le temps, il s’agit de la variation diachronique (Gadet, 2003a). Comme le mentionne Gadet (2003a), toute langue subit des transformations au fil du temps, certaines plus rapides que d’autres selon l’époque. Les traces écrites, à travers les textes littéraires notamment, constituent les seuls témoignages disponibles pour se rendre compte de comment s’écrivait la langue dans le passé, et plus difficilement comment cette dernière se prononçait (Gadet, 2003a).

Un exemple de variation diachronique : les premiers vers de Le roman de la rose de Guillaume de Lorris1, écrit au début du XIIIème siècle

(1) Maintes gens dient que en songes N’a se fables non et mençonges ;

1 Guillaume de Lorris, ~1230-1240. Le roman de la rose, Paris : GF Flammarion, 48-49.

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Voici la traduction en français contemporain de ces mêmes premiers vers : (2) Beaucoup de gens disent que dans les rêves

il n’y a que fables et mensonges.

Des siècles séparent ces deux versions, mais il s’agit bien de textes écrits en français. Les différences entre ces deux extraits reflètent les changements qu’a subis la langue française au cours de près de sept cent ans. Ce sont des traces de l’évolution de la langue, en d’autres termes ce sont des traces de la variation diachronique en français.

S’il est relativement facile d’observer les changements dans le temps pour la langue écrite, la situation est plus complexe pour la langue orale, comme l’explique Gadet (2003a : 8) : « Sur ce qu’a pu être jadis la langue parlée, on ne dispose des témoignages directs que de quelques générations. Plus avant, on doit se contenter de remarques ou de citations, écrites, ou de documents dont la fiabilité est à soumettre à des recoupements […] ». Il est donc plus aisé d’illustrer la variation diachronique d’une langue pour sa forme écrite que pour sa forme orale, et ce du fait de l’absence de témoignage direct des formes orales anciennes. Néanmoins, pour les changements ayant eu lieu au cours des dernières décennies, les enregistrements sonores d’époque sont des témoignages fiables des formes orales qui ont changé aujourd’hui.

Voici un exemple de variation diachronique orale, un bref extrait d’un entretien radiophonique avec l’écrivaine Colette (1873-1954) datant des années 1950 (tiré de Racine, 2014)2 :

(3) Journaliste : Est-ce que « La retraite sentimentale » ne représente pas à travers ses situations et son atmosphère générale un état de votre sensibilité de femme à cette époque ?

Colette : Peut-être [pøtɛtr]… Peut-être [pøtɛtr] mais c’est très [trɛ] loin vous savez. Je vous reproche [rœprɔʃ] d’aller prospecter [prɔspɛkte] des époques si éloignées dans ma vie […].

Tous les /R/ de Colette sont des /R/ « roulés ». Il s’agit d’une prononciation du /R/ apico-dental vibrant. Cette prononciation est attestée – entre autres – dans le français parlé en Bourgogne au milieu du XXème siècle, mais a disparu aujourd’hui (Racine, 2014). Il s’agit ici aussi de variation diachronique.

2 L’extrait sonore est disponible ici : https://www.youtube.com/watch?v=5ieO2MlwB1w [31.07.2015]

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1.2.2 La variation diatopique

Ainsi que l’écrit Gadet (2003a), lorsqu’une langue est parlée sur un territoire plus ou moins vaste, elle a toujours tendance à se morceler en usages d’une région ou d’une autre. Le français étant parlé sur un très large territoire, réparti sur plusieurs continents, il est évident qu’il subit lui aussi ce morcellement. Le français de Louisiane n’est pas le même que celui de l’ile de la Réunion, qui lui est différent du français de Belgique. La variation diatopique traite de cette diversité dans l’espace, de ces différentes façons de parler selon l’origine ou le lieu de résidence des locuteurs. Toutefois, comme le précise Gadet (2003a), en raison de la forte mobilité des locuteurs, de l’accès plus généralisé à l’éducation et de la présence grandissante des médias, il n’est plus aussi aisé, aujourd’hui, d’identifier géographiquement un locuteur simplement en l’écoutant. Les particularités locales sont plus saillantes et mieux préservées lorsque les contacts avec d’autres variétés de français sont relativement limités : en milieu rural, chez les personnes âgées et chez les locuteurs moins éduqués (Gadet, 2003a).

La variation diatopique est très souvent la variation la plus connue et la plus « visible » – ou devrait-on dire audible ? – pour des locuteurs non linguistes, ou du moins non spécialistes (Boula de Mareüil, 2010 : 43). Il est également intéressant de noter, comme le font Moreau et al. (2007 : 14), que les locuteurs, pour opposer leur communauté à la norme ou différentes prononciations au sein de leur communauté, semblent plus sensibles à la variation diatopique qu’à la variation diastratique (voir section 1.2.3), alors qu’ils expérimentent cette dernière davantage dans leur quotidien.

Quelques exemples3 de variation diatopique : (4) On y va-tu ? (Québec) – On y va ? (5) C’est gâté (Burkina Faso) – C’est abimé (6) Poutzer (Suisse) – Nettoyer

(7) Une chocolatine (Sud-Ouest de la France) – Un pain au chocolat

Chacun des exemples proposés ci-dessus n’est produit que dans une région de l’espace francophone. Un locuteur suisse ne dirait pas « on y va-tu ? », de même qu’un locuteur burkinabè ne dirait pas « poutzer ». D’une région francophone à une autre, le français n’est pas exactement identique, il varie. Il s’agit de la variation diatopique.

3 Tous les exemples présentés dans les sections à venir sont mes propres exemples, à moins qu’un auteur ne soit spécifiquement mentionné.

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1.2.3 La variation diastratique

La variation diastratique concerne la diversité liée aux caractéristiques démographiques et sociales des locuteurs, comme l’explique Gadet (2003a). En effet, des locuteurs de la même zone géographique, vivant à la même époque, peuvent s’exprimer différemment, et ce en raison de leur appartenance à des milieux socio-économique distincts. Ainsi, tel que le met en avant Gadet (2003a), certaines formes sont utilisées fréquemment par des locuteurs appartenant à un milieu socio-économique défavorisé, alors qu’elles sont absentes du répertoire de locuteurs issus des milieux bourgeois par exemple. Toujours selon Gadet (2003a), certaines formes, au contraire, n’appartiennent qu’au répertoire de locuteurs appartenant à une classe sociale élevée lorsque ceux-ci se retrouvent dans des situations d’énonciation formelles, et sont absentes du répertoire lexical des locuteurs issus de milieux socio-économiques défavorisés.

Gadet et Paternostro (2013) proposent quelques exemples de variation diastratique, et plus particulièrement de la façon de parler des jeunes de la région parisienne :

(8) il y a il y a des gens euh parfois genre euh même tu as rien fait ils se disent que (..) tu peux voir des problèmes avec les gens euh (..) tu cours tu sais même pas pourquoi [Aziz, Montreuil]

(9) moi une meuf elle parle comme ça je la calcule même pas (..) tu vois les filles qui disent ‘je m’en bats les couilles’ chaque fois je les reprends (..) même pas une meuf elle dit ça [Stéphane, Montreuil]

Un locuteur parisien n’appartenant pas à la même classe sociale que les auteurs des deux exemples cités ci-dessus ne produit pas de tels énoncés. Tous habitent pourtant la même région et à la même époque, mais ne parlent pas de la même façon. Il s’agit dans ce cas de variation diastratique.

1.2.4 La variation diaphasique

La variation diaphasique se rapporte à la diversité stylistique et/ou situationnelle. En effet, comme le fait remarquer Gadet (2003a), un locuteur, quelle que soit son origine géographique ou appartenance sociale, peut s’exprimer de différentes façons selon la situation énonciative dans laquelle il se trouve. Blanche-Benveniste (1997a) explique que le choix d’utiliser, par exemple, car à la place de parce que, ou encore le pronom nous au lieu de on correspond à préférer une variante de prestige à une variante plus familière, et qu’on retrouve ce phénomène chez tous les locuteurs. Blanche-Benveniste (1997a : 23) ajoute que « de ce fait, on ne peut les

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[ces variantes de prestiges] utiliser pour caractériser une appartenance sociologique [variation diastratique] ou régionale [variation diatopique] ».

Le choix par un locuteur d’utiliser telle ou telle variante sera dicté par le contexte plus ou moins formel de l’interaction (Moreau, 1997 : 284). Un même locuteur peut tout à fait formuler ces deux demandes selon la situation d’énonciation :

(10) Pourriez-vous me dire à qui je dois m’adresser pour obtenir ces informations ? (11) Et je dois demander ça à qui ?

La demande formulée en (10) sera considérée comme normale dans une situation d’interaction formelle, situation dans laquelle l’exemple (11) ne serait pas du tout adapté et très probablement sanctionné. La variation diaphasique est souvent présentée dans les dictionnaires ou dans les grammaires scolaires sous le nom de registres ou styles, avec les catégories « populaires »,

« soutenu » ou encore « standard » (voir entre autres Gadet, 2003b et Moreau, 1997). Elle peut également englober la variation diamésique (voir section 1.2.5 ci-dessous).

1.2.5 La variation diamésique

La variation diamésique se concentre sur le chenal, écrit ou oral : on ne parle pas comme on écrit et vice-versa (Gadet, 2003a). Quelques exemples de variation diamésique sont proposés par Gadet (2003b) : le passé simple, l’interrogation par inversion complexe (Pierre est-il parti ?), entre autres, sont plus courantes à l’écrit, alors que les détachements (Les épinards / bof) ou les interrogations par intonation (Tu viens ?), entre autres, sont plus fréquents à l’oral.

Ce cinquième type de variation peut toutefois être couplé à la variation diaphasique, le médium de communication étant très souvent – si ce n’est toujours – déterminé par la situation d’interaction. Cela explique que certains sociolinguistes ne distinguent pas ces deux types de variations, estimant que la variation diamésique est inclue dans la variation diaphasique (Gadet, 2003a).

1.3 Les niveaux de variation

Les différents types de variation présentés et expliqués dans la section 1.2 peuvent toucher différents niveaux de la langue. En effet, les modifications peuvent être visibles aussi bien au niveau lexical, qu’au niveau morphologique, syntaxique ou encore phonético-phonologique.

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1.3.1 Le niveau phonétique-phonologique

Ainsi que le met en avant Gadet (2003b), c’est à ce niveau que les phénomènes qui varient sont les plus nombreux, et de ce fait les plus frappants. C’est d’ailleurs à travers ce que l’on appelle couramment « l’accent » d’un locuteur que son interlocuteur va pouvoir l’identifier géographiquement et/ou socialement. Le système vocalique du français est très variable, avec sept voyelles pour la variété de français du Midi contre près d’une vingtaine pour la variété du français laurentien (voir entre autres Detey, Durand, Laks & Lyche, 2010), ce qui explique le nombre élevé de phénomènes de variation possible au niveau phonético-phonologique (Gadet 2003b). En plus de la variation en relation avec les différents systèmes vocaliques et consonantiques, la liaison, la prononciation ou l’élision des schwas ou e caducs, les simplifications des groupes consonantiques ou encore les assimilations font également partie de ces phénomènes de variation phonique (Gadet, 2003b). Enfin, l’intonation – ou prosodie – peut démarquer deux variétés de français entre elles : ainsi le « parler jeune » se caractérise par exemple par une intonation particulière (voir entre autres Paternostro & Goldmann 2014), de même que le français de Suisse romande (voir entre autres Avanzi, Schwab, Dubosson &

Goldman, 2012). De la même manière, la prosodie des variétés de français d’Afrique n’est pas identique à celles des autres variétés de français (voir entre autres Bordal & Lyche, 2012). La variation phonético-phonologique ne se limite donc pas à la variation diatopique, mais se retrouve également dans les autres types de variation (diaphasique, diastratique, diachronique).

Quelques exemples de variation phonétique en français : - variation diatopique

(12) facture : [faktir] (Burkina Faso) – [faktyʁ] (Suisse – France – Belgique) (13) fête : [fɛt] (France) – [fɛːt] (Suisse) - [fɜːt] ou [faet] (Québec)

- variation diaphasique :

(14) je sais pas : [ʃɛpa] (situation familière) – [ʒən(ə)sɛpa] (situation formelle)

1.3.2 Le niveau morphologique

Ainsi que l’explique Gadet (2003b : 99), les phénomènes morphologiques sont très présents dans la variation, mais ils sont presque systématiquement catégorisés comme étant des

« fautes » : « les variantes portent un tel poids de jugement social lorsqu’elles s’éloignent de la norme qu’elles sont la plupart du temps objet de rejet et de stigmate ». Quelques exemples de variation au niveau morphologique :

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- variation diatopique

(15) ils sontaient (français Laurentien, Amérique du Nord) – ils étaient

(16) Je vais y faire (Région de Genève-Lyon-Savoie) – je vais le faire (Benetti, 2012) - variation diastratique

(17) Les femmes kabyles, ils ont plus de droits (Blanche-Benveniste, 1997b : 42)

1.3.3 Le niveau syntaxique

De nombreux phénomènes syntaxiques peuvent être observés dans la variation. Si certains d’entre eux ne sont que rarement critiqués – les détachements par exemple –, d’autres font l’objet de jugements négatifs très marqués (Gadet, 2003b : 99). Quelques exemples :

- variation de type diastratique/diaphasique

(18) La fille que je sors avec (Gadet, 2003a) – jugé comme « populaire » (19) C’est quoi que tu dis ? (Gadet, 2003a)

(20) C’est lui que je parle (Benetti, 2012) - variation de type diamésique

(21) Je pense pas venir – je ne pense pas venir

(22)Oh tu sais moi, la bicyclette, je n’aime pas me fatiguer (Benetti, 2011) (23) Y a un jeune couple ils ont un bébé d’une année (Benetti, 2012) - variation de type diatopique

(24) On est eu venu ici quelque fois le week-end mais c’était toujours fermé (Suisse Romande) (Andreassen, Maitre & Racine, 2010)

(25) J’ai personne vu (selon le modèle de « j’ai rien vu ») (Suisse romande) (Benetti, 2012) (26) il est grand que son frère (Burkina Faso) (Prignitz, 1999) – il est plus grand que son frère

1.3.4 Le niveau lexical et discursif

Comme le mentionne Gadet (2003b : 101), le lexique représente le niveau privilégié de la variation pour une majorité des locuteurs : bien qu’il existe un répertoire lexical commun à l’ensemble de la francophonie, chaque région possède « ses » propres mots, soit utilisés uniquement sur son territoire, soit qui possèdent une signification particulière pour les locuteurs de cette région.

(19)

A travers l’espace francophone, le lexique français désignant des objets quotidiens varie fortement d’une région à l’autre, de la Suisse à l’Afrique de l’Ouest, en passant par le Québec ou la Belgique (Colin, 2003). La variation lexicale ne concerne toutefois pas uniquement la variation diatopique, elle est présente dans tous les types de variations présentés à la section 1.2, ainsi que l’illustrent les quelques exemples suivants :

- variation diatopique

(27) le blé d’Inde (Québec) – le maïs

(28) un goudron (Burkina Faso) – une rue large et bitumée

(29) reprendre la craie (Burkina Faso) – reprendre son emploi d’enseignant (Prignitz, 1999) (30) agender (Suisse) – fixer une date, inscrire dans un agenda

(31) peindre le diable sur la muraille (Suisse) – insister sur le côté négatif de quelque chose (inspiré de l’allemand « den Teufen an die Wand malen ») (Andreassen et al., 2010)

(32) une lugée (Suisse) – une chute, un échec (Andreassen et al., 2010)

- variation diaphasique

(33) une bagnole – une voiture (34) bouffer – manger

- variation diastratique (35) une meuf – une fille (36) une garot – une cigarette

(37) la teuf était trop stylée – la soirée était très agréable

Tous ces différents niveaux de variation se retrouvent dans la Figure 1 (ci-après).

(20)

Figure 1 : Inventaire des niveaux de variation (tiré de Gadet, 2003a : 44).

La Figure 1 (ci-dessus) fournit d’autres exemples de phénomènes variationnels dans la langue, concernant tous les niveaux de la langue. Un bref coup d’œil permet déjà de se rendre compte de l’étendue de la variation, qui touche tous les niveaux de la langue, du plus petit (phonologie) au plus grand (lexique et discours).

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Pour conclure, la langue subit toutes sortes de modifications en fonction de plusieurs facteurs, que l’on peut classer du point de vue de l’usager ou de l’usage de la langue (Gadet, 2003a), et à tous les niveaux de la langue (Gadet, 2003a). Parmi tous les phénomènes de variation possibles présentés ci-dessus, c’est de la variation diatopique au niveau phonético- phonologique en français qu’il sera question dans ce travail, soit les transformations que peut subir la langue française en différents endroits à travers l’espace francophone et au niveau de sa prononciation uniquement, sans s’attarder sur la variation lexicale, syntaxique ou morphologique.

La notion de variation implique le fait de varier par rapport à un point de référence. Pour la langue, ce point de référence correspond à ce que l’on appelle la norme ou le standard. Plusieurs exemples cités dans les sections précédentes présentaient une forme attribuée à certains locuteurs, appartenant à une catégorie sociale donnée ou à une zone géographique particulière par exemple, pour la comparer à une seconde forme qui n’était attribuée à aucun locuteur en particulier, en d’autres termes, une forme de référence. La deuxième partie de ce premier chapitre va s’intéresser à la notion de norme et de standard en français, et plus particulièrement en matière de prononciation.

1.4 Norme(s) de prononciation pour le français

Si, comme l’explique Laks (2002), l’écrit possède une norme de référence relativement explicite et fixe depuis le XIXe siècle, ce n’est pas le cas pour l’oral. Toujours selon Laks (2002 : 5), les phonologues sont, eux, « confrontés à la diversité géographique, sociale et stylistique de la langue, à la variabilité des usages, et à l’absence d’une norme stable, explicite et parfaitement définie ». En d’autres termes, pour la prononciation du français, la variété des usages prime sur la norme, qui est changeante, implicite et difficile à cerner (Laks 2002)4. Avant de d’essayer de cerner la ou les normes de prononciation du français – ou norme(s) phonético-phonologique(s) –, il convient de différencier deux types de normes : « […] norme objective, observable, et norme subjective, système de valeurs historiquement situé. Dans le premier sens, lié à normal, il renvoie à l’idée de fréquence ou tendance, et il peut être utilisé au pluriel, au contraire du second sens, reflété par normatif ou normé, en conformité à l’usage

4 Dans ce travail, il sera question de la notion de norme uniquement en rapport avec la prononciation du français, et non pas à un niveau plus large concernant le français oral de manière générale (avec ses particularité syntaxiques et morphologiques par exemple). Toute mention de la norme dans la suite de ce travail se rapporte donc à la notion de norme phonético-phonologique – ou norme de prononciation – du français.

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valorisé (la Norme, qui a pu être fictive) » (Gadet, 2003a : 19). La suite de ce chapitre abordera d’abord la norme dite « subjective », soit les représentations qu’ont les locuteurs francophones de la norme de prononciation du français, avant de se concentrer sur la norme dite « objective », qui, comme le met en avant Laks (2002), est souvent difficile à dégager. Enfin, une dernière section évoquera la question des normes phonético-phonologiques plurielles pour le français.

1.4.1 Normes subjectives

Ce que Houdebine-Gravaud (2002) et Gadet (2003a) appellent « normes subjectives » se réfèrent aux imaginaires des locuteurs et locutrices du français. Il ne s’agit pas d’une norme établie sur la base d’analyses de fréquence ou de tendance, mais établie d’après les représentations qu’ont les sujets parlants de la norme de prononciation du français. D’après Gadet (2003a), même si cette norme est subjective, elle n’en reste pas moins solidement ancrée dans les mentalités – ou imaginaires – des locuteurs : « la norme subjective impose aux locuteurs une contrainte collective qui donne lieu à des jugements de valeurs constitutifs de l’attitude courante, quelle que soit la façon de parler de chacun. Elle s’appuie sur la norme objective, et tout en avançant des motivations linguistiques ou culturelles, sa raison d’être est sociale. Elle prend force de ce que, outre l’imposition par des institutions, elle est intériorisée par les locuteurs, même ceux qui ne la respectent pas» (Gadet, 2003a : 19). Comme l’explique Gadet (2003a), la norme subjective est ainsi fondée en partie sur des observations linguistiques objectives, mais surtout sur des représentations sociales, gravées dans la mentalité de tout locuteur.

Pöll (2005) écrit que la langue française sert fréquemment d’exemple pour illustrer le cas d’une langue à norme unique : la langue française est associée à la France, et surtout à sa capitale, Paris. Houdebine-Gravaud (2002 : 15) abonde dans ce sens et met en avant le fait que le français – peut-être plus que d’autres langues – est connu pour son enseignement très prescriptif et la façon dont il est idéalisé par ses locuteurs. Qui n’a jamais entendu quelqu’un déclarer « ce n’est pas très français ce que je viens de dire » après avoir produit un énoncé non conventionnel dans une conversation à bâtons rompus ? Généralement, le ou les interlocuteur(s) ont parfaitement compris ce que le locuteur voulait dire, mais celui-ci se sent obligé de commenter son erreur, alors qu’il se trouve dans un cadre informel où la langue n’est que rarement l’objet même de la conversation. Une telle attitude très normative et des remarques souvent dépréciatives face à son propre parler ne sont pas rares chez les locuteurs francophones (Houdebine-Gravaud, 2002).

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Cette tendance à l’idéalisation de la norme – il faut suivre et surtout appliquer les règles du

« bon français », et ce dans toutes circonstances – est profondément ancrée dans l’attitude des francophones vis-à-vis de leur langue (voir entre autres Houdebine-Gravaud, 2002 et Pöll, 2005). Ce phénomène va plus loin encore, ainsi que l’explique Gadet (2003a : 18), en amenant les locuteurs à une représentation de la langue comme un ensemble homogène et parfait. Pöll (2005 : 15) va jusqu’à parler d’un « mythe du français monolithique, c’est-à-dire du caractère essentiellement mono-normatif de la langue de Molière, [qui] se trouve constamment divulgué et renforcé, consciemment ou inconsciemment, aujourd’hui encore ». Dans l’imaginaire des locuteurs du français, il existe donc LE français, sorte d’idéal uniforme que tout le monde devrait parler mais qui, en réalité, n’est parlé par personne, exception faite peut-être de quelques rares locuteurs modèles – et cela reste à nuancer. Cette façon de parler le français, idéale, inaccessible et homogène, correspond à ce que l’on appelle communément le français

« standard »5 (Gadet, 2003a : 18). Comme le constate Gadet (2003a), d’après leurs propres représentations, les locuteurs francophones devraient non seulement tous parler de la même façon afin de garantir l’homogénéité de la langue, mais il leur faudrait surtout parler la langue telle qu’on l’écrit, puisque que c’est sous cette forme qu’elle serait la plus pure. Cette suprématie de la forme écrite instaure une distance entre langue orale et langue écrite, distance non dépourvue de jugements de valeurs (Gadet, 2003a). Ainsi, toujours d’après Gadet (2003a), le français de référence est non seulement idéalisé et renvoie de ce fait une image fausse de la langue, qui se résumerait à sa forme écrite – qu’il faut imiter lorsque l’on parle –, mais il pose également un autre problème : il jouit d’un statut particulier qui lui confère une toute puissance sur les autres variétés, dépréciées par l’ensemble des locuteurs du français, même si ce sont ces mêmes variétés qu’ils emploient au quotidien. Dans l’imaginaire des locuteurs francophones, le français de référence est donc placé sur une sorte de piédestal et surplombe toutes les autres façons de parler, lui seul incarne la « bonne » prononciation du français, lui seul respecte la norme de prononciation du français. Or l’écrasante majorité des locuteurs du français ne parle pas le français de référence et de ce fait ne suit pas les normes de prononciation qui le régissent, mais elle s’y compare systématiquement et ce faisant, dévalue sa propre façon de parler face à un français de référence non seulement idéalisé mais qui plus est souvent très lointain, géographiquement et/ou socialement parlant (voir entre autres Moreau, 2000 et Gadet, 2003a).

5 Le français standard peut également concerner des aspects syntaxiques, morphologiques et lexicaux, mais tel ne sera pas le cas dans ce travail. L’appellation « français standard » peut également être remplacée par « français conventionnel » ou« français de référence » (Morin 2000). Cette dernière appellation sera dorénavant préférée dans ce travail, toujours en ne prenant en compte que les aspects phonético-phonologiques du français.

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Il semble donc qu’en comparaison avec d’autres espaces linguistiques – notamment les espaces anglophone ou anglophone par exemple, qui acceptent plusieurs normes et non pas une seule et unique norme (voir Pöll, 2005) – la norme jouisse d’un prestige et d’une aura plus développés dans l’espace francophone. L’évaluation très souvent dépréciative des locuteurs francophones envers leurs propres parlers, de même qu’envers les parlers d’autres régions ou d’autres milieux sociaux, ainsi que la comparaison constante avec une norme idéalisée et fantasmée en sont les preuves les plus saillantes (voir entre autres Houdebine-Gravaud, 2002 et Pöll, 2005). Selon Moreau (2000 : 147), le discours normatif propre au français n’a pas garanti l’homogénéité de la langue, qui reste et restera toujours plurielle, mais il a ancré dans les mentalités des locuteurs l’idée d’une seule et unique norme et a pour conséquence une grande insécurité linguistique.

Dans l’imaginaire des locuteurs francophones, il n’existe, pour l’ensemble de la francophonie, du Canada à la Polynésie, en passant par l’Europe et l’Afrique, qu’une seule et unique norme de référence pour la prononciation français. Ceux qui ne parlent pas le français de référence ne parlent tout simplement pas le « bon français ». Leurs variétés sont stigmatisées, elles sont perçues comme « non standard » et une grande majorité des personnes avouent dans les enquêtes sociolinguistiques porter une attention particulière à leur façon de parler dès qu’ils se retrouvent confrontés à « la norme » ou à tout interlocuteur qui la représente6. C’est dire le poids de cette norme, pourtant subjective et incarnée par une seule poignée d’individus. En résumé, comme l’écrit Houdebine-Gravaud (2002 : 12), rares sont les locuteurs francophones qui ne se préoccupent pas ou peu de leur façon de parler ou de celle de leurs interlocuteurs.

Cependant, si les locuteurs dévaluent relativement facilement leurs propres parlers face à l’idéal du français de référence, il faut préciser qu’ils entretiennent une relation très ambivalente avec leur façon de parler (Moreau, 2000). Ils la dévalorisent très facilement certes, mais en sont fiers et elle fait partie intégrante de leur identité (voir entre autres Moreau, 2000). La variation diastratique, par exemple, permet d’illustrer cette attitude, qui peut sembler paradoxale : la variété du « parler jeune », pour ne citer que l’exemple le plus connu de variation diastratique, est très éloignée du standard, mais est-elle réellement dévaluée face à ce dernier par les jeunes ? Ne cherchent-ils pas justement à se démarquer à travers leur façon de parler très caractéristique et qui leur est propre ? Quant à la variation diatopique, si les locuteurs avouent parfois se sentir mal à l’aise face à la prononciation standard du français, beaucoup d’entre eux ne le sont plus face à une autre variété régionale : posséder sa propre prononciation du français est dès lors une

6 Voir p. ex. pour la Belgique, Moreau, Brichard et Dupal, 1999 et pour la Suisse romande, Singy, 1996.

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marque d’identité, d’appartenance à une communauté précise, de fierté (voir entres autres Singy, 1996, Moreau, Brichard & Dupal, 1999 et Moreau, 2000).

Pour conclure, la norme subjective de prononciation du français est celle d’une langue idéalisée, homogène et inaccessible (Gadet, 2003a) : le français de référence. Ce dernier voudrait que l’on parle le français comme on l’écrit, que tous les locuteurs aient exactement la même prononciation, peu importe leur appartenance géographique ou sociale, peu importe le contexte de l’interaction : « un seul français, et le même français pour tous » (Gadet, 2001). Le français de référence jouit ainsi non seulement d’un statut particulier (Gadet, 2003a), mais il est surtout omniprésent dans l’imaginaire des locuteurs francophones : ces derniers comparent systématiquement leurs propres façons de parler avec le français de référence et toute déviance vis-à-vis de cette prononciation idéalisée est dépréciée (Moreau, 2000 et Gadet, 2003a).

1.4.2 Normes objectives

La dénomination « normes objectives », que l’on retrouve dans les travaux de Houdebine- Gravaud (2002) et de Gadet (2003a), correspond aux tendances et fréquences observables dans les usages des locuteurs. Il s’agit donc d’une norme qui devrait être exempte de jugements de valeurs ou représentations, se basant uniquement sur la langue telle qu’elle est utilisée par ses sujets parlants.

Comme mentionné à la section 1.4, selon Laks (2002), pour l’oral, la variété des usages prime sur la norme, cette dernière étant changeante, implicite et compliquée à définir. Cette différence peut s’expliquer de par le fait que la norme est plus « accessible » pour l’écrit : il est en effet relativement facile de rassembler de grands corpus comprenant des textes écrits formels et/ou informels, pour ensuite les analyser et en dégager les tendances et fréquences observables qui serviront à l’élaboration d’une norme grammaticale par exemple (Laks, 2002). Il est en revanche plus difficile de récolter des données orales (Morin, 2000). Pour des raisons techniques tout d’abord : si les nouvelles technologies permettent aujourd’hui d’enregistrer des locuteurs facilement, et ce avec des appareils transportables et fiables, ce n’était pas le cas il y a encore quelques dizaines d’années, lorsque le matériel était lourd, encombrant et le résultat pas nécessairement suffisant pour mener des analyses fines. Pour des raisons pratiques ensuite : contrairement aux données écrites, il ne suffit pas de récolter les données orales pour pouvoir les analyser. Sans transcription, les données orales ne sont pas utilisables. Or ce travail exige non seulement temps, précision et rigueur, mais également une formation spécifique. Cette

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étape supplémentaire, indispensable, rend ainsi la collecte de données orales bien plus longue et fastidieuse que celle de données écrites. Sans oublier qu’il est plus difficile « de décrire les productions orales et de les décrire objectivement, car leur interprétation passe nécessairement par les filtres de celui qui écoute (syntaxique, morphologique et phonique), alors que les propriétés de la langue écrite sont – relativement – faciles à observer, à décrire, à compiler » (Morin, 2000 : 91). Un locuteur du français du Midi, qui possède moins d’une dizaine de voyelles dans son répertoire, aura par exemple énormément de peine à retranscrire et décrire objectivement la façon de parler d’un locuteur du Québec, qui possède, lui, plus d’une quinzaine de voyelles par exemple (cf. section 1.3.1). Le premier locuteur percevra la façon de parler du second locuteur à travers son propre filtre phonique ce qui peut l’empêcher d’entendre certaines nuances par exemple. Enfin, il faut également tenir compte de ce que Labov (1972 : 43) a défini comme « le paradoxe de l’observateur », selon lequel le risque existe que le locuteur ne parle pas de manière réellement spontanée s’il se sait enregistré – ne pas l’avertir et l’enregistrer sans son accord n’étant pas envisageable.

Il n’existe donc pas de consensus concernant l’existence d’une seule norme de prononciation pour le français qui serait acceptée et reconnue de tous (voir entre autres Morin, 2000 et Laks, 2002). Au contraire, dans la recherche sur la norme de prononciation, plusieurs modèles semblent coexister (Chalier, 2014). Parmi ces différentes visions et représentations de la norme de prononciation en linguistique, deux conceptions paraissent se dégager aujourd’hui (Chalier, 2015) : une approche relativement classique ou traditionnelle d’une part et un courant plus récent, proposant de nouvelles approches, d’autre part (Detey, Racine & Lyche, 2015).

1.4.2.1 Une approche traditionnelle

Au sein de l’approche traditionnelle ou classique, Morin (2000) distingue deux modèles concernant la norme de prononciation du français : le premier insiste sur le fait que la prononciation de référence pour le français doit être « neutre » (Martinet & Walter, 1973), alors que le second définit la norme de prononciation du français d’après la prononciation du groupe social dominant (Morin, 2000).

Le premier modèle définit la norme de prononciation du français par une prononciation

« neutre », qui doit « passer inaperçue », « sans accent particulier » (Martinet & Walter, 1973).

La norme de prononciation doit donc être exempte de tout trait qui pourrait la rattacher à une certaine région ou à une certaine classe sociale (Morin, 2000 : 126). D’après Martinet et Walter

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(1973), les locuteurs représentatifs de cette prononciation sont des locuteurs originaires du Nord de la France, vivant à Paris mais n’étant pas nés dans la capitale. Cette conception de la norme pose toutefois un problème majeur comme le mentionne Morin (2000) : qui décide qu’une prononciation passe inaperçue justement ? La prononciation des locuteurs modèles proposés par Walter et Martinet (1973) passe-t-elle réellement inaperçue aux oreilles d’un locuteur de français du Midi par exemple, ou encore aux oreilles d’un locuteur du français de Belgique ? Le deuxième modèle issu de l’approche traditionnelle définit la norme de prononciation d’après une élite sociale (Morin, 2000). En effet, selon ce modèle, la norme de prononciation est avant tout sociale : le modèle de prononciation reconnu et accepté comme étant le meilleur est celui du groupe social dominant, « la norme de prononciation est une affaire de classe, et seulement de classe » (Morin, 2000 : 92). La norme de prononciation est ainsi définie par des critères à la fois diastratique (locuteurs issus d’un milieu socio-économique très particulier), diaphasique (situation d’énonciation formelle) et diatopique (origine géographique de l’élite sociale) (Laks 2002). Si parler le « bon français » revient à parler de la même façon que le groupe social dominant, encore faut-il savoir quel est ce groupe social dominant : il n’a pas toujours été le même, ce qui explique l’évolution de la norme de prononciation (Laks 2002).

Historiquement7, la norme de prononciation a été calquée tour à tour sur différents groupes sociaux dominants. D’abord associée au français de Touraine, la norme de prononciation est ensuite assimilée à la prononciation de « la plus saine partie de la Cour » (Morin 2000 : 92). A la révolution française, la norme est basée sur la prononciation des protestants et de la bourgeoisie (Laks 2002). Au XIXème siècle, c’est le « français de la conversation soignée des milieux parisiens de l’aristocratie, puis de la bonne bourgeoisie qu’il convient de maîtriser»

(Morin 2000 : 94). Pour le XXème siècle, comme l’indique Lyche (2000), les linguistes peinent à s’accorder : pour Fouché (1959), par exemple, il s’agit de « la prononciation en usage dans une conversation ‘soignée’ chez les Parisiens cultivés », alors que pour Malécot (1977), il s’agit de « la conversation sérieuse mais détendue de la classe dirigeante de la capitale ». Quant à Encrevé (1988), il associe la norme de prononciation du français avec les professionnels de la parole. Lyche (2000) fait remarquer que malgré quelques désaccords, la plupart des définitions proposées par les linguistes associent norme de prononciation et manière de parler des Parisiens éduqués.

7 Pour ce descriptif historique, voir entre autres Lyche (2000), Morin (2000), Laks (2002) et Boula de Mareüil (2010).

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Aujourd’hui, en accord avec la position d’Encrevé (1988), la norme de prononciation du français n’est plus uniquement observable parmi les Parisiens privilégiés socio- économiquement, mais surtout auprès des médias et des enseignants (voir entre autres Laks, 2002 et Boula de Mareüil, 2010). Quant à savoir de quelle prononciation s’inspire les médias et les enseignants, il semble que ce soit toujours celle d’une certaine élite sociale parisienne.

Selon Boula de Mareüil (2010 : 22), il semble toutefois que le pouvoir des enseignants ne soit pas aussi grand que celui des médias, la norme étant majoritairement incarnée et transmise par

« les professionnels de la parole ». Une position que partage également Laks (2002 : 7) tout en la nuançant quelque peu : pour lui, la régulation des usages, l’imposition et la diffusion des changements, ainsi que la légitimation de certaines variantes, et la dévaluation d’autres qui en résulte, sont assurés par les « mass médias », bien plus que par la transmission d’une norme de référence explicitement formulée. Les médias n’ont pas un discours normatif/prescriptif en soi, mais les locuteurs les imitent de plus en plus et de ce fait, tout ce qui n’est pas identique à la variété des médias sera dévalué. Pour Moreau et al. (2007), on ne peut évincer l’enseignant quand il est question de norme de prononciation, ou le professeur de français tout du moins :

« cette question [dans quelle mesure chacune des 40 personnes enregistrées conviendrait pour occuper un poste de professeur de français dans leur pays] nous semble approcher au plus près l’idée que les individus se font de la norme : il est douteux en effet qu’on puisse à la fois estimer qu’une personne pratique un français de piètre qualité et la placer en bonne position comme enseignant potentiel de français » (Moreau et al., 2007 : 23). D’après Boula de Mareüil (2010), bien que les enseignants aient un certain rôle dans la diffusion d’une norme de référence, il semblerait toutefois au vu des résultats de récentes enquêtes qu’ils aient perdu de leur influence au profit des médias. Toujours selon Boula de Mareüil (2010), les journalistes auraient volé la vedette aux enseignants et représenteraient aujourd’hui la norme. Ils détiendraient la façon de parler idéale, celle qu’il est fortement recommandé de suivre, à l’écrit comme à l’oral (Boula de Mareüil, 2010). Il semble en effet plus acceptable de s’imaginer un enseignant de français avec un léger accent régional – mais uniquement si l’accent est très léger –, que d’imaginer un présentateur du journal de 20 heures sur une grande chaine de télévision nationale ayant ce même accent léger8. Concernant les médias, on peut encore préciser que le sport est un cas à part : un présentateur sportif ayant un accent régional prononcé ne pose pas de problème. Un

8 Cette remarque ainsi que la suivante (sur le cas des journalistes sportifs) ont été soulevées par Philippe Boula de Mareüil lors d’une table ronde (Salon du Livre de Genève, 03.05.2014) et lors d’une conférence donnée à l’Université de Genève, le 05.05.2014.

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journaliste en charge du rugby peut facilement se faire mieux apprécier de par son accent du midi par exemple.

Pour conclure, d’après l’approche traditionnelle concernant la norme de prononciation en linguistique, deux définitions permettent d’expliquer ce qu’est le « français de référence » comme l’appelle Morin (2000). La première voit le français de référence comme un français

« neutre », sans trace d’origine sociale ou géographique (Martinet & Walter, 1973), alors que la seconde définition associe la norme de prononciation au parler d’un groupe social dominant (Morin, 2000) et sa diffusion aux médias et dans une moindre mesure aux enseignants (Boula de Mareüil, 2010). Force est de constater que ces définitions de la norme de prononciation proposées par ces deux modèles sont relativement éloignées « des tendances et fréquences observables » que Gadet (2003) évoque dans sa description de la norme objective. Laks (2002 : 7) qualifie d’ailleurs ce français de référence de « construction purement doxique », faite d’anciennes descriptions, de remarques personnelles de certains phonologues et d’analyses partielles peu fiables.

1.4.2.2 Des approches modernes

Un courant plus récent tend à réexaminer la question de la norme de prononciation non plus en fonction d’un groupe social dominant, mais en fonction des pratiques de la majorité des locuteurs (Detey & Le Gac 2008). Ce courant se base notamment sur les travaux en linguistique de corpus9 et peut s’articuler autour de deux axes : celui de la description de la production de locuteurs francophones natifs et celui de la perception d’auditeurs francophones natifs (voir entre autres Chalier, 2014 et Detey et al., 2015).

Laks (2002) parle de « flou descriptif » concernant la norme de prononciation du français, expliquant cette situation notamment par l’absence d’enquêtes suffisamment grandes pour être représentatives de la variété des usages pour l’oral. Les approches modernes ont justement pour objectif de combler ces lacunes en proposant une analyse méthodique de données orales fiables récoltées dans l’ensemble de l’espace francophone, afin de proposer une description objective des variétés de français parlées dans le monde. Concernant la prononciation du français, le

9 Sur le plan de la prononciation, le projet international « Phonologie du Français Contemporain : usage, variétés et structure » (Durand, Laks & Lyche, 2009) est une des grandes références pour la linguistique de corpus. Mais il existe bien sûr de nombreux autres grands corpus oraux qui ont permis l’analyse plus fine de phénomènes liés au français oral, et ce à tous les niveaux (syntaxique, lexical, morphologique, etc.), tels que les corpus ESLO (Orléans, site internet : http://eslo.huma-num.fr/ [31.07.2015]) ou du GARS (voir travaux de Blanche-Benveniste et collègues, Aix-en-Provence) par exemple.

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projet international « Phonologie du Français Contemporain : usage, variétés et structure » (ci- après PCF) (Durand, Laks & Lyche, 2009) fait office de référence. Comme l’expliquent Detey et al. (2015), le premier axe de ces nouvelles approches concernant la norme de prononciation cherche à décrire les différents systèmes phonético-phonologiques du ou des français dans toute la francophonie en se basant sur l’étude des productions des locuteurs, tout en prenant en compte la variation diastratique et diaphasique (voir par exemple Detey et al., 2010, Guess, Lyche & Meisenburg, 2012, Simon, 2012 et Detey, Lyche, Racine, Schwab & Le Gac, à paraitre). Ces descriptions ne se veulent en aucun cas prescriptives, mais au contraire objectives, établies en fonction des tendances observées dans les données recueillies dans le corpus PFC.

Ainsi, Detey et al. (à paraitre) proposent le système phonético-phonologique suivant pour le français de référence :

Tableau 2 : Inventaire vocalique pour le français de référence (tiré de Detey et al., à paraitre).

Tableau 3 : Inventaire consonantique pour le français de référence (tiré de Detey et al,. à paraitre).

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Ces deux tableaux permettent de définir la prononciation du français de référence, dont le système vocalique est composé de dix voyelles orales /i, y, u, e, ø, o, ɛ, œ, ɔ, a/, pas nécessairement présentes dans toutes les positions, et trois voyelles nasales /ɑ̃, ɔ̃, ɛ̃/ (voir également Lyche, 2010). Quant à l’inventaire consonantique, il compte dix-huit consonnes et trois semi-voyelles. Lyche (2010 : 153) ajoute que « […] l’articulation du /R/ s’est stabilisée en faveur de l’uvulaire /ʁ/ ».

Si de nombreux locuteurs du Nord de la France ont une prononciation du français qui ressemble aux deux tableaux ci-dessus, qui est vu comme la norme à atteindre (voir section 1.4.2.1), il serait faux de croire qu’il s’agit là de la prononciation observée chez tous les locuteurs de cette région (Detey et al., à paraitre). Comme le remarquent Detey et al. (à paraitre), « […] even within northern France, French is plural and although RF [reference french] might be seen throughout the francophone world as the prestige variety, […] it cannot be assimilated to any specific local norm » et de conclure ainsi « since French is plural it follows that Reference French must as well be plural ». Dès lors, comme le proposent Detey et al. (à paraitre), il semble plus approprié de parler de plusieurs français de références, un pour chaque variété de français parlée dans la francophonie. Il n’est plus question d’une norme de prononciation unique et absolue pour toute la francophonie, mais de français de référence suisse, de français de référence belge, de français de référence laurentien ou encore de français de référence centrafricain par exemple, comme l’illustrent les tableaux suivants :

Tableau 4 : Inventaires vocaliques des français de référence belge, suisse et du Midi (tiré de Detey et al., à paraitre).

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