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Les différents types de variation présentés et expliqués dans la section 1.2 peuvent toucher différents niveaux de la langue. En effet, les modifications peuvent être visibles aussi bien au niveau lexical, qu’au niveau morphologique, syntaxique ou encore phonético-phonologique.

1.3.1 Le niveau phonétique-phonologique

Ainsi que le met en avant Gadet (2003b), c’est à ce niveau que les phénomènes qui varient sont les plus nombreux, et de ce fait les plus frappants. C’est d’ailleurs à travers ce que l’on appelle couramment « l’accent » d’un locuteur que son interlocuteur va pouvoir l’identifier géographiquement et/ou socialement. Le système vocalique du français est très variable, avec sept voyelles pour la variété de français du Midi contre près d’une vingtaine pour la variété du français laurentien (voir entre autres Detey, Durand, Laks & Lyche, 2010), ce qui explique le nombre élevé de phénomènes de variation possible au niveau phonético-phonologique (Gadet 2003b). En plus de la variation en relation avec les différents systèmes vocaliques et consonantiques, la liaison, la prononciation ou l’élision des schwas ou e caducs, les simplifications des groupes consonantiques ou encore les assimilations font également partie de ces phénomènes de variation phonique (Gadet, 2003b). Enfin, l’intonation – ou prosodie – peut démarquer deux variétés de français entre elles : ainsi le « parler jeune » se caractérise par exemple par une intonation particulière (voir entre autres Paternostro & Goldmann 2014), de même que le français de Suisse romande (voir entre autres Avanzi, Schwab, Dubosson &

Goldman, 2012). De la même manière, la prosodie des variétés de français d’Afrique n’est pas identique à celles des autres variétés de français (voir entre autres Bordal & Lyche, 2012). La variation phonético-phonologique ne se limite donc pas à la variation diatopique, mais se retrouve également dans les autres types de variation (diaphasique, diastratique, diachronique).

Quelques exemples de variation phonétique en français : - variation diatopique

(12) facture : [faktir] (Burkina Faso) – [faktyʁ] (Suisse – France – Belgique) (13) fête : [fɛt] (France) – [fɛːt] (Suisse) - [fɜːt] ou [faet] (Québec)

- variation diaphasique :

(14) je sais pas : [ʃɛpa] (situation familière) – [ʒən(ə)sɛpa] (situation formelle)

1.3.2 Le niveau morphologique

Ainsi que l’explique Gadet (2003b : 99), les phénomènes morphologiques sont très présents dans la variation, mais ils sont presque systématiquement catégorisés comme étant des

« fautes » : « les variantes portent un tel poids de jugement social lorsqu’elles s’éloignent de la norme qu’elles sont la plupart du temps objet de rejet et de stigmate ». Quelques exemples de variation au niveau morphologique :

- variation diatopique

(15) ils sontaient (français Laurentien, Amérique du Nord) – ils étaient

(16) Je vais y faire (Région de Genève-Lyon-Savoie) – je vais le faire (Benetti, 2012) - variation diastratique

(17) Les femmes kabyles, ils ont plus de droits (Blanche-Benveniste, 1997b : 42)

1.3.3 Le niveau syntaxique

De nombreux phénomènes syntaxiques peuvent être observés dans la variation. Si certains d’entre eux ne sont que rarement critiqués – les détachements par exemple –, d’autres font l’objet de jugements négatifs très marqués (Gadet, 2003b : 99). Quelques exemples :

- variation de type diastratique/diaphasique

(18) La fille que je sors avec (Gadet, 2003a) – jugé comme « populaire » (19) C’est quoi que tu dis ? (Gadet, 2003a)

(20) C’est lui que je parle (Benetti, 2012) - variation de type diamésique

(21) Je pense pas venir – je ne pense pas venir

(22)Oh tu sais moi, la bicyclette, je n’aime pas me fatiguer (Benetti, 2011) (23) Y a un jeune couple ils ont un bébé d’une année (Benetti, 2012) - variation de type diatopique

(24) On est eu venu ici quelque fois le week-end mais c’était toujours fermé (Suisse Romande) (Andreassen, Maitre & Racine, 2010)

(25) J’ai personne vu (selon le modèle de « j’ai rien vu ») (Suisse romande) (Benetti, 2012) (26) il est grand que son frère (Burkina Faso) (Prignitz, 1999) – il est plus grand que son frère

1.3.4 Le niveau lexical et discursif

Comme le mentionne Gadet (2003b : 101), le lexique représente le niveau privilégié de la variation pour une majorité des locuteurs : bien qu’il existe un répertoire lexical commun à l’ensemble de la francophonie, chaque région possède « ses » propres mots, soit utilisés uniquement sur son territoire, soit qui possèdent une signification particulière pour les locuteurs de cette région.

A travers l’espace francophone, le lexique français désignant des objets quotidiens varie fortement d’une région à l’autre, de la Suisse à l’Afrique de l’Ouest, en passant par le Québec ou la Belgique (Colin, 2003). La variation lexicale ne concerne toutefois pas uniquement la variation diatopique, elle est présente dans tous les types de variations présentés à la section 1.2, ainsi que l’illustrent les quelques exemples suivants :

- variation diatopique

(27) le blé d’Inde (Québec) – le maïs

(28) un goudron (Burkina Faso) – une rue large et bitumée

(29) reprendre la craie (Burkina Faso) – reprendre son emploi d’enseignant (Prignitz, 1999) (30) agender (Suisse) – fixer une date, inscrire dans un agenda

(31) peindre le diable sur la muraille (Suisse) – insister sur le côté négatif de quelque chose (inspiré de l’allemand « den Teufen an die Wand malen ») (Andreassen et al., 2010)

(32) une lugée (Suisse) – une chute, un échec (Andreassen et al., 2010)

- variation diaphasique

(33) une bagnole – une voiture (34) bouffer – manger

- variation diastratique (35) une meuf – une fille (36) une garot – une cigarette

(37) la teuf était trop stylée – la soirée était très agréable

Tous ces différents niveaux de variation se retrouvent dans la Figure 1 (ci-après).

Figure 1 : Inventaire des niveaux de variation (tiré de Gadet, 2003a : 44).

La Figure 1 (ci-dessus) fournit d’autres exemples de phénomènes variationnels dans la langue, concernant tous les niveaux de la langue. Un bref coup d’œil permet déjà de se rendre compte de l’étendue de la variation, qui touche tous les niveaux de la langue, du plus petit (phonologie) au plus grand (lexique et discours).

Pour conclure, la langue subit toutes sortes de modifications en fonction de plusieurs facteurs, que l’on peut classer du point de vue de l’usager ou de l’usage de la langue (Gadet, 2003a), et à tous les niveaux de la langue (Gadet, 2003a). Parmi tous les phénomènes de variation possibles présentés ci-dessus, c’est de la variation diatopique au niveau phonético-phonologique en français qu’il sera question dans ce travail, soit les transformations que peut subir la langue française en différents endroits à travers l’espace francophone et au niveau de sa prononciation uniquement, sans s’attarder sur la variation lexicale, syntaxique ou morphologique.

La notion de variation implique le fait de varier par rapport à un point de référence. Pour la langue, ce point de référence correspond à ce que l’on appelle la norme ou le standard. Plusieurs exemples cités dans les sections précédentes présentaient une forme attribuée à certains locuteurs, appartenant à une catégorie sociale donnée ou à une zone géographique particulière par exemple, pour la comparer à une seconde forme qui n’était attribuée à aucun locuteur en particulier, en d’autres termes, une forme de référence. La deuxième partie de ce premier chapitre va s’intéresser à la notion de norme et de standard en français, et plus particulièrement en matière de prononciation.