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Comme évoqué précédemment (voir section 2.2 sur les normes africaines), il n’existe que très peu de travaux concernant la norme en Afrique subsaharienne (Boutin et al., 2007a : 319), et encore moins traitant de la norme de prononciation du français au Burkina Faso. C’est pour cette raison que cette partie ne sera pas divisée en deux sections, la première concernant la norme subjective et la seconde traitant la norme objective. On peut toutefois s’appuyer sur deux enquêtes pour définir une ébauche de la norme phonético-phonologique du français au Burkina Faso : une enquête sociolinguistique menée à Ouagadougou (Batiana, 1993) et le point d’enquête du projet PFC mené également à Ouagadougou (Prignitz, 2007 et Carrière-Prignitz & Boutin, 2010).

La première enquête, menée auprès de douze étudiants burkinabè à Ouagadougou, par Batiana (1993 : 204), s’est intéressé aux jugements que peuvent avoir les Burkinabè concernant la façon de parler le français. Cette enquête s’est déroulée sous forme d’entretiens semi-dirigés (Batiana, 1993 : 204) et ne prend pas en compte la variation diastratique (l’échantillon étant composé uniquement d’étudiants). Les résultats et conclusions de cette enquête, qui se basent à la fois sur les représentations des étudiants, leurs productions et leur perception, permettent d’une part de rendre compte de ce que les Burkinabè considère comme des traits particuliers de « l’accent français »40, et d’autre part d’esquisser une norme concernant la prononciation du français au Burkina Faso.

40 Au Burkina Faso, le fait d’imiter la manière de parler des Français porte un nom : « chogobiter ». D’après Batiana (1993 : 204), « chogobiter, autrement dit, parler comme un Français […] est perçu par les Ouagalais comme indécent, comme un manque de modestie ou tout simplement comme une volonté de son auteur de s’identifier au « blanc », ce qui l’éloignerait du même coup des autres Burkinabé ».

D’après les réponses fournies par les étudiants, un locuteur qui parle comme un Français « parle d’une voix monocorde sans élever la voix » (Batiana, 1993 : 204). L’auteur explique que ce jugement, qui peut paraitre très subjectif au premier abord, est à replacer dans un contexte plus large : toutes les langues nationales du Burkina Faso, à l’exception du fulfulde, langue de l’ethnie peul, sont des langues à tons (Batiana, 1993 : 205). De ce fait, le français, langue qui n’est pas tonale, peut donner une certaine impression de monotonie à un auditeur burkinabè dont l’oreille est habituée à la hauteur mélodique des syllabes de sa langue première (Batiana, 1993 : 205). L’auteur remarque ainsi que « les locuteurs francophones du Burkina Faso ont […] tendance à produire des syllabes intonées lorsqu’ils parlent français » (Batiana, 1993 : 205). On pourrait croire que la variation tonale sur les syllabes du français est calquée sur le système tonal d’une langue burkinabè – un des grands véhiculaires régionaux, le mooré ou le dioula, par exemple –, mais il ne semble pas que cela soit le cas, la variation tonale étant identique chez des locuteurs de différentes langues premières, et ce sans qu’il s’agisse d’effets stylistiques (Batiana, 1993 : 205-206). Au vu de ces résultats, Batiana (1993 : 206) émet l’hypothèse d’une « norme tonale du français au Burkina Faso ».

L’enquête permet également d’identifier des phénomènes phonético-phonologiques propres à

« l’accent français » dans les représentations des Burkinabè. Batiana (1993 : 206) note ainsi que

« pour la totalité [des] informateurs, un locuteur qui chogobite, c’est quelqu’un qui réalise systématiquement une vibrante uvulaire là où les locuteurs nationaux réalisent une vibrante roulée [r] ». D’autres réponses obtenues suggèrent le remplacement de la voyelle centrale neutre (ou schwa) [ə] (même en cas d’élision), typique du chogobit, par la voyelle antérieure mi-fermée [e], avec « boulangerie » prononcé [bulãʒeri] par un locuteur burkinabè parlant sa variété, mais [bulãʒəʁi] ou [bulãʒʁi] par un locuteur burkinabè chogobitant (Batiana, 1993 : 206). Batiana (1993: 206) explique ce phénomène par l’absence de la voyelle centrale neutre dans l’ensemble des langues burkinabè, à l’exception du lyele.

Si cette enquête offre un petit aperçu de la norme de prononciation du français et des particularités du français du Burkina Faso, il faudrait toutefois mener une étude de perception plus approfondie, auprès de plus d’auditeurs, du même type que les enquêtes de perception présentées au premier chapitre (voir section 1.4.2.2, page 30ss.) pour permettre de rendre compte de l’existence, dans la réalité des locuteurs burkinabè, d’une norme de prononciation propre au Burkina Faso.

La seconde enquête burkinabè, menée par Carrière-Prignitz (2007), s’inscrit dans le cadre du projet international PFC (voir section 1.4.2.2), et de ce fait dans les approches modernes qui se basent sur les pratiques de la majorité des locuteurs (Detey et al., 2015). Cette seconde enquête permet l’analyse de la production de locuteurs francophones burkinabè, en tenant compte de la variation diastratique et diaphasique (cf. section 1.4.2.2), pour pouvoir élaborer une description plus objective du système phonético-phonologique du français du Burkina Faso. Les conclusions de cette analyse démontrent que le français de référence pour le Burkina Faso, en matière de prononciation, est relativement proche du français de référence international (Carrière-Prignitz, 2007 : 245). Concernant les voyelles, le système vocalique du français burkinabè ne semble pas se démarquer de celui du français de référence international (Carrière-Prignitz, 2007 : 245). Comme le relèvent toutefois Carrière-Prignitz et Boutin (2010 : 267),

« l’existence d’un schwa en français du Burkina n’est pas prouvée pour tous les contextes », il est présent en position interne mais absent en position finale. De plus, il est réalisé [ø] dans les monosyllabes (Carrière-Prignitz & Boutin, 2010 : 267). Concernant les consonnes, à nouveau les auteures (2010 : 267) ne remarquent que peu de changements, à l’exception d’une part de la réalisation apicale [r] et de son élision possible, surtout en position finale, et d’autre part de la légère palatalisation de la fricative post-alvéolaire sourde [ʃ] en [ç].

De ces deux enquêtes, on peut conclure que le français de référence pour le Burkina Faso ne semble pas connaitre de modifications importantes par rapport au français de référence international, mis à part la réalisation apicale [r] et l’éventuelle norme tonale dont fait état Batiana (1993). L’étude d’identification des accents africains par des auditeurs ouest-africains menée par Boula de Mareüil et Boutin (2011) (voir section 2.2.2.2) n’a d’ailleurs pas permis de définir des traits distinctifs propres à l’accent burkinabé. Tous ces résultats permettent d’esquisser une norme burkinabè de prononciation du français, mais d’autres études seraient nécessaires pour permettre d’en cerner plus distinctement les contours.

Pour conclure, cette première partie théorique visait à proposer un aperçu des différents types et niveaux de la variation linguistique, ainsi qu’un regard critique sur la norme de prononciation du français, avant de se pencher davantage sur le statut, le rôle et la place du français en Afrique de l’Ouest, et plus particulièrement au Burkina Faso. Il a été démontré que la langue, loin d’être un ensemble homogène et statique, varie considérablement. Le premier chapitre a également permis d’illustrer la complexité de la notion de norme phonético-phonologique et l’absence de consensus quant à l’existence d’une seule et unique norme de prononciation du français

reconnue et acceptée par l’ensemble des locuteurs francophones dans toute la francophonie. Le second chapitre proposait un aperçu de la situation géolinguistique de l’Afrique de l’Ouest et plus particulière du Burkina Faso, où les dynamiques linguistiques sont très différentes de celles que l’on peut trouver en Europe. Une attention particulière a été portée à la situation du français en Afrique de l’Ouest et à la question de sa ou ses norme(s) de prononciation. Tous ces éléments sont nécessaires pour comprendre les objectifs de l’étude menée au Burkina Faso présentée dans la deuxième partie de ce travail.

Partie Pratique

3 Etude de perception

L’étude de perception présentée dans ce travail a été réalisée à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, auprès d’étudiants burkinabè en août 2014 et est constituée de deux parties : un premier volet, quantitatif, sous la forme d’une expérience de production, suivie d’un second volet, qualitatif, sous la forme d’entretiens individuels avec les participants.

L’expérience de perception présentée ici est basée sur les études de Detey et Le Gac (2008) en France et de Racine et al. (2013) en Suisse romande (voir premier chapitre, section 1.4.2.2, pour la présentation de ces deux études).