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NOMADISME ET ADAPTATIONS SÉDENTAIRES CHEZ LES ÉVENKS DE SIBÉRIE POSTSOVIÉTIQUE : « JOUER » POUR VIVRE AVEC ET SANS CHAMANES

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Academic year: 2021

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(1)

HAL Id: tel-02573850

https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02573850

Submitted on 14 May 2020

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Alexandra Lavrillier

To cite this version:

Alexandra Lavrillier. NOMADISME ET ADAPTATIONS SÉDENTAIRES CHEZ LES ÉVENKS DE SIBÉRIE POSTSOVIÉTIQUE : “ JOUER ” POUR VIVRE AVEC ET SANS CHAMANES. Anthropologie sociale et ethnologie. ÉCOLE PRATIQUE DES HAUTES ÉTUDES, Sorbonne V ème section, SCIENCES RELIGIEUSES, 2005. Français. �tel-02573850�

(2)

V

section – Section des SCIENCES RELIGIEUSES

THÈSE

Pour obtenir le grade de

DOCTEUR DE L’ÉCOLE PRATIQUE DES HAUTES ÉTUDES Discipline : anthropologie

présentée et soutenue publiquement par

Alexandra LAVRILLIER Le 12 janvier 2005

Titre

NOMADISME ET ADAPTATIONS SÉDENTAIRES CHEZ LES ÉVENKS DE

SIBÉRIE POSTSOVIÉTIQUE :

« JOUER » POUR VIVRE AVEC ET SANS CHAMANES

© Alexandra Lavrillier, 2005

Directeur de thèse : Mme Roberte HAMAYON, Directeur d’études, EPHE

JURY :

Mme Anne-Victoire CHARRIN, Professeur, INALCO

Mr Maurice GODELIER, Directeur d’études, EHESS

Mr Jean-Pierre DIGARD, Directeur de recherches, CNRS

Mr Piers VITEBSKY, Professeur,SCOTT POLAR RESEARCH INSTITUTE, CAMBRIDGE

(3)
(4)

Dulin dunnèdun,

Bidjèrè sivun èrèndun,

ènèdjènnyl indjanèl,

Ajamamat ènèdjèktyn djulaski !

Èvè kil èvinmatyn èvidjènèl !

Sèvèki u it i èdjèn hoktolbotyn,

Gorojolo so ardjadjan hutèkarbi!

« Sur la terre du milieu, /Vivent dans la lumière du soleil, /Vont ceux qui sont nés,/Qu’ils aillent de l’avant pour le meilleur ! / Jouez les « jeux » des Évenks ! / D’en haut, Sèvèki [l’esprit gouvernant l’univers naturel] surveillera leurs routes [destins],/ Longtemps, il conservera la vie de mes suivants ! »

Ces paroles sont extraites d’un chant évenk, enregistré pendant l’été 1999 dans la taïga (A.Lavrillier & H.Lecomte, 2002, 4). Vladimir Andreev, doyen du clan évenk dènmè veut, par ces mots, selon le principe rituel évenk du « dire, c’est faire », assurer un bon avenir aux siens.

(5)

REMERCIEMENTS En France :

Mesdames Roberte Hamayon, mon directeur de maîtrise, de DEA et de doctorat, Marie-Lise Beffa, mon tuteur de DEA pour leur soutien, leur aide constante et leur amitié. Madame

Anne-Victoire Charrin, à qui je dois d’avoir découvert ma passion pour la Sibérie. Madame Laurence Delaby pour m’avoir encouragée dans l’étude des Évenks. L’EPHE, qui m’a permis de présenter et travailler mes matériaux et analyses dans le cadre d’une charge de conférence (« Pratiques rituelles contemporaines en Sibérie ») assurée en collaboration avec V. Vaté, spécialiste des Tchouktches. Monsieur Maurice Godelier, à l’initiative duquel existe aujourd’hui un site internet consacré aux Évenks1où j’ai pu intégrer une grande partie de mes matériaux de terrain, mais également pour son soutien et la confiance qu’il a su m’accorder. Mes amis et jeunes collègues : V. Vaté, P.T.Li, P. Lastier, Y. Dorémieux, G. Lacaze, J.-G. Sender, P. Juret, J.-M. Leclerc, H. Lecomte, D. Liolios, S. Jobert, H. Vouhé, B. Kousheev, I. Kousheeev, I. Abzaeva, J.-L. Lambert, O. Akakça, E. Maj, A. Litwak et bien d’autres encore, pour leur amitié, leur aide, leur soutien et leurs encouragements.

Ma fille N.P. Vassilev et mon mari P.P. Vassilev pour leur patience et leur compréhension, mon père A. Lavrillier, décédé le 23 juillet 2004, pour m’avoir donné le goût de l’observation, pour tout ce qu’il m’a appris et pour ses encouragements constants. À tous les trois pour leur amour.

Les organismes financeurs ayant permis la réalisation des terrains :

- Monsieur Louis Dumont et Madame Tardieu, du Fonds Louis Dumont d’Aide à la recherche en Anthropologie Sociale pour m’avoir fait confiance au tout début de mes recherches (mission 1997). Monsieur Aymard, de la Maison des Sciences de l’Homme pour m’avoir fait entrer dans un cycle d’échange de chercheurs avec l’Académie des Sciences de Russie.

- Institut Polaire – Paul-Emile Victor et Monsieur Jugie, Monsieur Delbart, Monsieur Humblot pour leur soutien et l’intérêt qu’ils ont porté à mes recherches (missions 1997, 1998-99, 1999-2000 et 2000-2002).

1

(6)

A Iakoutsk :

-Bibliothèque Nationale “Pouchkine” : V.A. Samsonova (la Directrice), A.G. Ivanova (section des périodiques); L.N. Patapova (section des peuples du Nord), N.A. Nikitina (Section des documents rares),

-Archives nationales : V.S. Slepcova

-Institut des Peuples du Nord et Université gouvernementale : G.I. Varlamova-kèptukè, Myreeva A.N. et bien d’autres

-Radio des Peuples du Nord « Gevan » : L.A. Alexeeva,

-Ministère de l’Enseignement : Madame le Ministre, F. Gabyševa et son assistante N. Andreeva et qui ont permis la réalisation du terrain de 2003.

-À tous ceux qui ont su m’accueillir et me faire confiance.

En Iakoutie du sud et dans la région de l’Amour : Un immense merci à tous les Évenks que j’ai pu rencontrer, dont à ma grande tristesse, nombre ne sont plus de ce monde aujourd’hui. Ce travail leur est dédié pour les remercier de m’avoir accueillie si gentiment, pour m’avoir toujours aidée à découvrir leur monde, pardonnant mes maladresses. Je leur dois à tous, ma plus belle leçon d’humanité et d’humilité. Je leur suis infiniment redevable.

Je remercie particulièrement les familles suivantes : Neustroevy, Kolesovy, Naumova, Afanasevy, Lexanovy, Kirillovy, Markovy, Aleksandrovy, Dmitrievy, Gerasimovy, Fëdorovy, Ivanovy, Vasil’evy, Abramovy, Pudovy, Adreevy, Pavlovy, Nikolaevy, Makarovy, Syngalevy, Savviny, Kul’bertinovy, Nepserdinovy, Alekseevy, Rastolovy, Isakovy, etc. Parmi eux, je remercie tout particulièrement les nomades pour m’avoir acceptée dans leur nomadisation, pour avoir toujours pris soin de moi dans leur univers sylvestre souvent dangereux.

(7)

TABLE DES MATIERES

Translittérations utilisées………..…XI Choix typographiques et orthographiques………...XIII Choix terminologiques………...XIII

INTRODUCTION………..………..1

P

REMIERE PARTIE :

H

ISTOIRE ET APPARITION DES TROIS TYPES SOCIAUX EVENKS………..12

1 GENERALITES SUR LES ÉVENKS...13

1.1 LES SOURCES... 13

1.1.1.1 La période pré-soviétique... 13

1.1.1.2 La période soviétique ... 17

1.1.1.3 La période postsoviétique... 25

1.2 HISTOIRE DES SOURCES SUR LES ÉVENKS ORO'ON ET SUR LES ÉVENKS DE IAKOUTIE ET DE L’AMOUR... 28

1.3 LES ÉVENKS ET LEURS GROUPES REGIONAUX EN RUSSIE, CHINE ET MONGOLIE... 38

1.3.1 REPARTITION GEOGRAPHIQUE... 39

1.3.1.1 Les Évenks de l’ouest de la Russie ... 40

1.3.1.2 Les Évenks de l’est de la Russie ... 40

1.3.2 QUELQUES CHIFFRES DE POPULATION EVENKE EN RUSSIE AUJOURD’HUI... 46

1.3.3 LES ÉVENKS DE CHINE ET DE MONGOLIE... 47

1.3.3.1 Chiffres de population et classement officiel des sous-groupes évenks ... 47

1.3.4 NOMENCLATURE DES ÉVENKS DE RUSSIE,DE CHINE ET DE MONGOLIE... 50

1.3.4.1 Toungouses... 50

1.3.4.2 Évenk, Urankij, Ilè ... 52

1.3.4.3 Ewenke ... 55

1.3.4.4 Ilè... 55

1.3.4.5 Oro on... 55

1.3.4.6 Birare, Birar en, Birarchen ... 58

1.3.4.7 Manègre... 59 1.3.4.8 Khamnigan ... 60 1.3.4.9 Solon, oLkor ... 61 1.3.4.10 Samagir ... 64 1.3.4.11 Kili... 66 1.3.4.12 Xundysal ... 67

1.3.5 A PROPOS DES THEORIES PRINCIPALES SUR L’ORIGINE DES TOUNGOUSES... 68

1.4 LES AUTRES PEUPLES TOUNGOUSO-MANDCHOUS... 73

2 HISTOIRE DES ÉVENKS DU SUD DE LA IAKOUTIE ET DE LA RÉGION DE L’AMOUR ...79

2.1 LA PERIODE DES TSARS... 79

2.1.1 QUELQUES DONNEES SUR L’HISTOIRE DES ÉVENKS DE IAKOUTIE DU SUD ET DE LA REGION DE L’AMOUR... 83

(8)

2.1.2 LES MODIFICATIONS PRINCIPALES DE LA SOCIETE EVENKE APPORTEES PAR LA

COLONISATION IMPERIALE... 92

2.1.2.1 Nouveaux modes de subsistance ... 92

2.1.2.2 Relations économiques, nouveaux besoins ou la naissance d’une nouvelle logique de « commerce extérieur » ... 94

2.1.2.3 Modifications ethniques ... 96

2.1.2.4 Modification dans l’organisation sociale ... 96

2.1.2.5 Changement dans les rituels funéraires ... 98

2.1.2.6 La christianisation ... 98

2.2 UNE CASSURE MAJEURE DANS L’HISTOIRE ÉVENKE : LES MINES D’OR ET LE POUVOIR SOVIÉTIQUE... 102

2.2.1 DEVELOPPEMENT DES EXPLOITATIONS MINIERES (1870-1960) ... 103

2.2.2 CHINOIS, ÉVENKS ET FRONTIERE SINO-RUSSE... 105

2.2.3 LES ANNEES 1920-1930 :ECONOMIES REGIONALES ET ADAPTATIONS EVENKES... 108

2.2.4 AMORCE DE COLLECTIVISATION ET PREMICES DE SEDENTARISATION... 115

2.2.4.1 Les données officielles ... 115

2.2.4.2 Ce qu’en disent les archives du Parti Communiste ... 116

2.2.5 SOULEVEMENTS ÉVENKS CONTRE LE POUVOIR SOVIETIQUE... 119

2.2.5.1 La grande insurrection de Nelkan et la République toungouse... 119

2.2.5.2 Révoltes isolées et mouvements de populations ... 123

2.2.6 LADEUXIEME GUERRE MONDIALE... 125

2.2.6.1 Des Évenks à Berlin ... 125

2.2.6.2 L’effort de guerre des Évenks (1940-1950) ... 127

2.2.7 LUTTE CONTRE LE CHAMANISME,RUPTURE ET CONTINUITE... 128

2.2.8 INTENSIFICATION DES ÉCONOMIES TRADITIONNELLES DES ÉVENKS ET COLLECTIVISATION PROGRESSIVE (1940-1960) ... 130

2.2.8.1 Chasse du gibier et des animaux à fourrure ... 130

2.2.8.2 Dix ans de prison pour six côtes de renne ... 132

2.2.8.3 La pêche ... 132

2.2.8.4 Du beurre de renne pour les Soviets... 132

2.2.8.5 Les Évenks et leurs rennes loués aux entreprises minières ... 133

2.2.8.6 Alphabétisation pour tous et écoles-internats... 134

2.2.8.7 Collectivisation massive et sédentarisation... 135

2.2.9 CONSTRUCTION DU BAM, MINES DE CHARBON ET URBANISATION DE LA REGION, REORGANISATION DE LA RENNICULTURE –UNE PERIODE FASTE DE COMMUNISME (1970-1980)... 139

2.2.9.1 La construction du BAM... 139

2.2.9.2 Une période à la fois faste et néfaste (1970-1980)... 140

2.3 CHUTE DU COMMUNISME :PERESTROÏKA ET CRISE ECONOMIQUE (DE 1986 AUX ANNÉES 1990) ... 143

2.3.1 PROFUSION DE PETITS COMMERCES PRIVES ET NOUVEAU DEVELOPPEMENT MINIER.... 145

2.3.2 LA TAÏGA : UNE «MERE NOURRICIERE » ET UN LIEU DE REFUGE ET D’ISOLEMENT... 147

(9)

D

EUXIEME PARTIE

:

N

OMADISME ET ADAPTATIONS SEDENTAIRES

(activités économiques, organisation sociale et pratiques rituelles) (1994-2004)…………..150

1 SILHOUETTES DES TROIS TYPES SOCIAUX...151

1.1 LES GROUPES NOMADES : APPARTENANCES ADMINISTRATIVES... 151

1.2 LES VILLAGES ÉVENKS DE NOTRE REGION : VARIATION DES ADAPTATIONS... 152

1.3 VISIONS CROISEES DES VIES NOMADE ET SEDENTAIRES... 161

1.4 LES ÉVENKS DES VILLES... 162

1.4.1 POPULATION DES ÉVENKS DE IAKOUTSK... 163

1.4.2 LES RELATIONS VILLE-VILLAGE... 163

1.5 PRATIQUE DE LA LANGUE ÉVENKE : DIALECTES ET NORME ECRITE... 164

2 LES TYPES SOCIAUX EVENKS : DE LA TAÏGA, DU VILLAGE ET DE LA VILLE.. 169

2.1 LA TAÏGA... 169

2.1.1 LA DOUBLE ECONOMIE OROION : CHASSE ET RENNICULTURE... 170

2.1.2 GESTION DE L’ESPACE ET DU TEMPS POUR L’EXPLOITATION DES RESSOURCES NATURELLES... 173

2.1.3 CALENDRIER DES ÉVENKS NOMADES... 187

2.1.3.1 L’été-le nouvel an évenk (dju)a)... 189

2.1.3.1.1 Les activités principales ... 189

2.1.3.1.2 Partage du travail et conséquences du rassemblement... 190

2.1.3.1.3 Renaissance fêtée par les hommes, les insectes, les oiseaux, les arcs-en-ciel et les ours. ... 191

2.1.3.2 L’automne - promesses de chasse (bolo) ... 196

2.1.3.3 L’hiver – chasser pour vivre (tugè/tu)è) ... 201

2.1.3.4 Le premier printemps -naissance des bébés rennes (nèlkini) ... 203

2.1.3.5 Le deuxième printemps – fonte des neiges (njè2nèni) ... 207

2.1.4 LA CHASSE (ESPACE SAUVAGE ) ... 211

2.1.4.1 Variations historiques des pratiques de chasse ... 212

2.1.4.2 Les caractéristiques des différentes chasses... 213

2.1.4.3 Acteurs et buts de chasse... 219

2.1.4.4 Classification vernaculaire des gibiers et la notion de « sauvage » ... 220

2.1.4.5 Terminologies de chasse ... 223

2.1.4.5.1 Entre chance et non chance : aucune place pour le hasard... 224

2.1.4.5.2 La notion de « tuer » ou l’expression de la chasse chanceuse ... 229

2.1.4.6 À propos de la chance ... 232

2.1.4.6.1 Les aspects et composantes de la chance à la chasse ... 232

2.1.4.6.2 Rituels pour faire venir et revenir la chance à la chasse ... 238

2.1.4.6.2.1 Si2kèn, si2kèlavun, majin, baraljak, bèllèj... 241

2.1.4.6.3 Les signes de chance à la chasse ... 245

2.1.4.7 Rituels de chasse à la viande ... 249

2.1.4.8 Le nimat, partage équitable des ressources de la nature ... 253

2.1.4.9 Les rituels de chasse aux animaux à fourrure ... 255

2.1.4.10 La chasse comme vision du monde... 259

(10)

2.1.4.10.2 Bu)a la nature qui nourrit et la notion de « croire »... 260

2.1.4.10.3 La nature Bu)a et ses habitants ... 261

2.1.4.10.4 Dresser les esprits... 262

2.1.4.10.5 Chronologique des rituels et localisation des sépultures animales ... 264

2.1.4.10.6 Territorialisation et nature de certains esprits de chasse ... 266

2.1.4.10.7 Dans les objets de chasse : esprits et empreintes humaines (onnir)... 267

2.1.4.10.8 Une empreinte humaine (onnir) sur la viande... 269

2.1.4.10.9 La femme plus « lourde » que l’homme ... 270

2.1.4.10.10 Séparation entre sphère domestique et sphère sauvage, homme et femme - porteurs d’enfants ... 272

2.1.4.10.11 « Toutes sortes d’individus » chez les espèces de gibier et les rennes domestiques ... 273

2.1.4.10.12 Ne pas aller chasser avec une âme fragilisée ... 276

2.1.4.10.13 Des âmes humaines logées dans le corps des animaux sauvages ... 277

2.1.4.11 Échanges et circulations des principes vitaux entre sphère domestique et sauvage ... ... 278

(11)

2.1.5 LA RENNICULTURE (ESPACE NATUREL DOMESTIQUÉ) ... 283

2.1.5.1 De l’apprivoisement... 283

2.1.5.2 Usages et symboliques du renne ... 285

2.1.5.3 Propriété du renne ... 287

2.1.5.4 Le renne domestique, un idéal d’humanité ... 288

2.1.5.5 Le renne domestique : un pouvoir particulier ... 290

2.1.5.6 Soins et rituels pour les rennes domestiques... 290

2.1.5.7 Deux sortes de rennes sacrés on#un et akta ... 294

2.1.6 TERRITOIRE DE CAMPEMENT (ESPACE DOMESTIQUE (« À HUMAINS »)) ... 300

2.1.6.1 Du campement ... 302

2.1.6.2 Campement et déplacements : écriture dans l’espace de la parenté et de la hiérarchie ... 303

2.1.6.3 Le quotidien d’une tente : complémentarité des sexes... 309

2.1.6.4 La tente : une petite cosmogonie... 310

2.1.6.4.1 Espace de tente : pérennité d’une présence et règles de déplacement... 310

2.1.6.4.2 Le feu : interdits, pouvoirs et transmission ... 313

2.1.6.4.3 Attachement de l’âme au feu domestique, au monde des vivants (des traces et des fils) . 315 2.1.6.4.4 Des rubans de couleurs pour protéger la vie (ulganivun)... 317

2.1.6.4.5 L’enfant du feu... 319

2.1.6.5 « Toutes sortes de gens, avec et sans malu » ... 320

2.1.6.6 Territoire domestiqué et piétiné : disparition des esprits donneurs de vie et venue des preneurs de vie ... 327

2.1.6.7 Les esprits de défunts décédés de malemort (bèlbuka, i//i) ... 328

2.1.6.8 Type social nomade ... 329

2.1.6.8.1 Nimak, mata, classement des individus... 329

(12)

2.2 LES VILLAGES (ESPACE SUR DOMESTIQUÉ) ... 335

2.3.1 ECONOMIES MULTIPLES : NATURE ET MONNAIE,PARTAGE ET PROFITS... 335

2.2.1.1 La nature à la rescousse ... 336

2.2.1.2 Les ressources monétaires... 338

2.2.1.3 Des PME évenkes pour l’avenir... 341

2.2.1.4 Adaptations villageoises : émergence de l’idée de profit individuel ... 342

2.3.2 L’HABITAT... 343

2.2.2.1 Composition des maisonnées ... 343

2.2.2.2 Disposition et planification des maisons... 344

2.3.3 INFRASTRUCTURES DU VILLAGE... 347

2.3.4 CIMETIERES ET FIGURES D’ESPRITS SEDENTAIRES... 348

2.3.5 ACTIVITES RITUELLES... 350

2.2.5.1 Rituels collectifs... 350

2.2.5.1.1 La fête des éleveurs de rennes uktèvun ... 351

2.2.5.1.2 Le rituel de renouveau ikènipkè ... 356

2.2.5.2 Gestes rituels et rites individuels ... 360

2.2.5.2.1 Au sein de la sphère domestique (maison)... 361

2.2.5.2.2 Cycle de vie et composantes de la personne humaine ... 363

2.3.6 TYPE SOCIAL VILLAGEOIS... 367

2.2.6.1 Facteurs de distinction entre individus, sphère d’influences et identités ... 367

2.2.6.1.1 Les intellectuels... 372

2.2.6.2 Valeurs et parcours de vie... 379

2.3 LA VILLE (ESPACE URBANISÉ)... 384

2.3.1 ECONOMIE MULTIPLES : REUSSITE PROFESSIONNELLE,PETITS COMMERCES,TOURISME ETHNIQUES ET PROFITS... 385

2.3.1.1 La nature nourricière : un luxe, un loisir... 386

2.3.1.2 Réussite professionnelle et petits commerces ... 387

2.3.1.3 Des associations pour « l’avenir du peuple évenk » ... 390

2.3.2 HABITAT ET LIEUX DE RENCONTRE... 393

2.3.3 TYPE SOCIAL URBAIN... 395

2.3.3.1 Facteurs de distinction entre individus, sphères d’influences et identités... 396

2.3.3.2 Valeurs et parcours de vie... 401

2.3.4 ACTIVITES RITUELLES... 407

2.3.4.1 Rituels collectifs... 407

(13)

T

ROISIEME PARTIE

:

« J

OUER

»

AVEC LA NATURE POUR VIVRE

(

AVEC ET SANS CHAMANES

)

(chez les nomades, les villageois et les citadins) ………..………….………417

1 ÉTUDES TRANSVERSALES DES RITUELS DES TROIS TYPES SOCIAUX ... 418

1.1 ADAPTATIONS DES RITUELS DES TROIS TYPES SOCIAUX... 418

1.1.1 PLACES DES RITUELS... 418

1.1.1.1 Séparation progressive des pratiques rituelles de la vie économique ... 418

1.1.1.2 La nature pour cathédrale... 421

1.1.2 FONCTIONS DES RITUELS... 423

1.1.2.1 Fonctions sociales ... 423

2.1.2.1.1 Rituels individuels pour collectivistes, rituels collectifs pour individualistes ... 423

2.1.2.1.2 Des rituels pour unique occasion de « pratiquer » sa culture... 424

2.1.2.1.3 À chaque type social son propre rituel, persistance d’une mentalité de société acéphale. 425 1.1.2.2 Une identité pan-évenke ?... 430

1.2 LES SPECIFICITES RITUELLES... 431

1.2.1 RITUELS COLLECTIFS : RECUPARATION ET RECONSTRUCTIONS... 431

1.2.2 RITUELS INDIVIDUELS : PERSISTANCE ET DISPARITION... 435

1.2.3 QAUTRE CATEGORIES DE GESTES RITUELS : CE QU’ILS REPRESENTENT... 437

1.2.4 UNE HIERARCHISATION DE CHARGE SYMBOLIQUE PARMI LES RITUELS... 440

1.3 TRANSFORMATIONS DE GESTES RITUELS... 444

1.3.1 VARIATIONS DE DEUX GESTES RITUELS (RUBANS DE COULEURS ET FUMIGATIONS)... 444

1.3.1.1 Ulgani-da chez les nomades ... 445

1.3.1.2 Ulgani-da chez les sédentaires... 471

1.3.2 ANATOMIE DES RECONSTRUCTIONS... 479

1.4 RITUELS DES NOMADES,RITUELS DES SEDENTAIRES : QUESTIONS D’ESPRITS ?... 483

2 LES PRINCIPES ESSENTIELS DE L’ACTION RITUELLE EVENKE : « JOUER » ET ONNIR ... 492

2.2 « JOUER » ... 492

2.3 « ONNIR » : EMPREINTE HUMAINE ET PRESENCE D’ESPRITS... 506

Conclusion………..516

(14)

TRANSLITTÉRATIONS UTILISÉES Russe (cyrillique) Translittération des slavistes Évenks cyrillique Translittération Iakoute cyrillique Translittération a a [ a [ a \ b \ b \ b ] v ] v v ^ g ^ g ^ g _ d _ d _ d ` e ab jè c ë ad / ë jo ed jo f ž ž ž h z z z i i i i i i a j a j a j j k j k j k k l k l k l l m l m l m m n m n m n d o d o d o n p n p n p o r o r o r p s p s p s q t q t q t r u r u r u s f f f t x x / h h / x t x u c c v w v w v w x š x š š y šw š! š! z ‘’ | y | y | y e ‘ e ‘ e j } ju ar / } ju ~ ja a[ / ~ ja ҕ

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(15)

CHOIX DE TRANSLITTERATION ET DE TRANSCRIPTION :

Au cours de ce travail, seront cités des termes en russe, en évenk, mais aussi en iakoute. En effet, les Évenks sont depuis fort longtemps en contact avec les Iakoutes et les emprunts linguistiques entre les deux peuples sont assez fréquents. Ces deux langues appartiennent à des branches linguistiques différentes de la famille des langues altaïques.

Le tableau ci-dessus indique les translittérations que j’ai utilisées. Les termes en évenk seront indiqués en italique, les termes iakoutes seront en italique souligné et les termes en russe seront en « italique entre guillemets »

Pour le russe, la translittération choisie est celle des slavistes, avant les dernières réformes de 2003. Pour le iakoute, je me bornerai à reproduire l’alphabet cyrillique iakoute contemporain. Pour l’évenk, le choix fut plus difficile. En effet, cette langue est, encore aujourd’hui, très dialectalisée et possède une langue officielle écrite en cyrillique mais qui ne permet pas de mettre en évidence les réalités phonétiques et phonologiques. Cette situation fait que l’on rencontre, selon les ouvrages, des modes de notation et de transcription très différents.

Dans ce travail, les termes évenks trouvés dans les sources écrites seront translittérés à l’identique (à partir de la translittération du cyrillique), tandis que les termes issus de mes recherches de terrain seront notés selon la phonétique locale. Pour ce faire, j’utiliserai un mode de transcription (inspiré des travaux de divers spécialistes de l’évenk) qui permettra, je l’espère, de mieux rendre compte des réalités phonologiques. Principalement, j’ai choisi le cyrillique et le j latin pour marquer la mouillure, alors que dans l’orthographe cyrillique officielle, la mouillure n’est pas marquée distinctement de la voyelle. Les voyelles longues seront marquées par

:

à la suite de la voyelle concernée, le suffixe de l’infinitif sera – da.2

Dans le tableau ci-dessus, j’ai décalé vers la droite et marqué en italique les lettres cyrilliques qui ne font pas partie des sons traditionnels du iakoute ou de l’évenk, mais qui, aujourd’hui, sont entrées dans ces langues avec les emprunts de mots russes désignant les « objets » de la vie moderne.

L’évenk et le iakoute sont des langues traditionnellement orales, qui, en même temps que d’autres langues sibériennes, ont reçu un alphabet officiel tout d’abord en latin dans les années 1920, puis en cyrillique à la fin des années 1930.

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Pour de plus amples détails, voir en deuxième partie « Pratiques de la langue évenke : dialectes et norme écrite ».

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CHOIX TYPOGRAPHIQUES ET ORTHOGRAPHIQUES

Au cours des première et deuxième parties de ce travail de thèse, où la présentation des faits prend une place majeure, je distinguerai parfois les faits (en caractère romains) de certaines ébauches d’analyses ou émission d’hypothèses (en italique) s’inscrivant en apartés, mais importantes pour la suite de l’énoncé.

Les noms de peuples et noms de lieux relativement connus en France ont été conservés dans le texte dans leur transcription française usuelle (Iakoutie, Évenk, Évène, Krasnoïarsk, Iénisséï, iassak, Stanovoï, Iablonovyï, etc.) et sont accordés. Les autres seront translittérés et ne seront pas accordés (Orowon, Solon, „ita, etc.). Par ailleurs, j’ai parfois tenu à distinguer, en cas d’homonymie, nom de ville ou village et nom de rivière (par exemple, la rivière „ul’man, et le village de type urbain Tchulman). J’ai préféré orthographier « iakoute » avec un i, considérant que le y faisait plus anglophone.

J’ai majoritairement conservé les noms russes ou iakoutes des catégories administratives régionales (« rajon », « okrug », « kraj », ulus et anciennement « uezd », « zimov’e », etc.) puisqu’elles n’ont pas d’équivalent direct en français. Même si ce sont des noms russes ou iakoutes, je ne les indiquerai pas toujours en italique afin d’éviter les confusions avec les autres termes russes, évenks ou iakoutes, plus importants pour l’énoncé.

C’est volontairement que je n’ai pas mis d’espace entre les initiales des prénoms et patronymes des auteurs cités.

CHOIX TERMINOLOGIQUES

Sauf mention contraire, « toungouso-mandchou » désigne l’ensemble des peuples dont les langues appartiennent à ce groupe linguistique : les Mandchous, les Sibe, les Évenks (de Russie, de Mandchourie et de Mongolie) les Évènes, les Néghidales, les Oultches, les Orotches, les Oroks, les Oudéghéïs, les Nanaïs (de Russie et de Mandchourie).

« Peuples toungouses » désigne les huit peuples que l’ethnographie actuelle définit comme tels : Évenks, Évènes, Néghidales, Oultches, Orotches, Oroks, Oudéghéïs et Nanaïs. « Les Toungouses » désignent les Évènes et les Évenks réunis. Tandis que « Toungouses du Bassin de l’Amour » ou « Toungouses de l’Amour » désignent les Néghidales, les Oultches, les Orotches, les Oroks, les Oudéghéïs et les Nanaïs réunis.

J’utiliserai souvent « renniculture » pour élevage du renne et ses dérivés « renniculteur » « rennicole(s) ».

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L’éparpillement des Évenks en tous petits groupes sur l’immense territoire que représente la Sibérie dans sa totalité, le nord de la Chine et de la Mongolie réunis, m’a conduite à utiliser différentes expressions. Géographiquement, les Évenks forment des « groupes régionaux » et « sous-groupes régionaux », souvent établis par l’ethnographie russe. Indépendamment de leur position géographique, ces groupes et sous-groupes régionaux peuvent former des « ensembles culturels », selon qu’ils partagent une même forme d’économie (du renne, du cheval, etc.), un même type de dialecte ou une même langue empruntée (le iakoute, le bouriate, etc.), un même type d’ornementation, etc. Enfin, je désignerai par « groupe socialement signifiant » ou « groupe socialement uni », les Évenks de sous-groupes régionaux qui entretiennent entre eux des relations suivies, comme des échanges économiques réguliers ou des intermariages sur plusieurs générations. Ainsi, au sein d’un seul sous-groupe régional, il peut y avoir plusieurs groupes socialement signifiants, qui, entre eux, n’ont pas de relations suivies.

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INTRODUCTION

Cette étude est construite autour d’un questionnement : que deviennent les pratiques rituelles et les croyances d’un peuple traditionnellement nomade, éleveur de rennes et chasseur de la taïga, à l’issue de bouleversements historiques majeurs, qu’ils ont traversés depuis l’installation de l’Empire russe, puis du pouvoir soviétique, jusqu’à leur entrée dans l’économie de marché ? Ces bouleversements ont été leur réorganisation ethnique, une sédentarisation partielle, les tentatives de christianisation, les campagnes d’athéisme militant et la disparition progressive de leurs chamanes. Pour tenter de répondre à ce questionnement, j’ai effectué environ cinq ans de terrain chez les Évenks du sud-est sibérien, tant en milieu nomade, que chez les sédentaires des villages et villes.

Les Évenks sont plus connus en Europe sous le nom de Toungouses. Aux XVIIe-XVIIIe siècles, dans la littérature russe, le terme Toungouse renvoie à l’ensemble des peuples de la branche linguistique toungouso-mandchoue, à l’exception des Mandchous et des Sibe.3Puis, dans la littérature ethnographique, le terme toungouse désigne les Évenks et Evènes réunis. Enfin, sous la période soviétique, dès les années 1930, « Toungouse » devient la deuxième appellation des Évenks dans la littérature ethnographique, tandis que les Évènes sont aussi appelés Lamoutes.

Le terme « Toungouse » n’est pas une auto-appellation, et son origine est controversée. Quant au terme Évenk, il vient de èvèn, èvènki, l’un des auto-ethnonymes les plus répandus parmi les différents groupes évenks et évènes.4 En 1930, les autorités soviétiques choisissent comme appellation officielle « èvenki » pour désigner les Évenks, et « èveny » pour les Évènes. Ces deux derniers seraient vraisemblablement à l’origine, un seul et même peuple et leurs langues et cultures restent encore aujourd’hui extrêmement proches l’une de l’autre.

Les Évenks occupent une place spécifique parmi les peuples sibériens. En effet, ils sont connus de ceux-ci pour avoir les chamanes les plus puissants. Certains, comme les Tchouktches ont même affublé leurs propres chamanes de costumes chamaniques

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Les peuples qui parlent ces langues de la branche toungouso-mandchoue, sont outre les Mandchous (désormais sinisés, sauf une partie des Sibés), les Évenks (35 000 en Russie, 35 000 en Chine et 1 000 en Mongolie), les Évènes (19 000 en Russie), les Néghidales (1 000 en Russie), les Oultches (3 000 en Russie), les Orotches (1 000 en Russie), les Oudéghéïs (2 000 en Russie), les Oroks (400 en Russie) et les Nanaïs (Goldes) qui sont 12 000 en Russie et 4 200 individus en Mandchourie sous le nom de Hedze. Les chiffres de populations de Russie sont issus du recensement de 2002, dont les résultats sont disponibles sur le site www.gks.ru/perepis/t5.htm.

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Je traiterai des différentes hypothèses concernant l’origine du terme toungouse, en première partie (cf. « Nomenclature des Évenks de Russie, de Chine et de Mongolie » : « Toungouse », « Évenk, Urankaj, Ilè »)

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d’inspiration toungouse.5 Les chamanes toungouses ont également impressionné les occidentaux et c’est d’ailleurs des langues toungouso-mandchoues que vient le mot « chamane ». C’est l’Archiprêtre Avvakum, l’apôtre de la « vieille foi » (1620-1682), qui décrit le premier dans la littérature russe un chamane toungouse et mentionne ainsi pour la première fois le terme « chamane ». Le mot apparaît pour la première fois en français dans Relations de voyage de Mr Evert Ysbrand, publié à Amsterdam en 1699, et c’est dès la seconde moitié du XIXe siècle, que « chamane » et « chamanisme » sont utilisés pour désigner des phénomènes de même type observés ailleurs dans le monde.

Lors des expéditions de découverte de la Sibérie, ce sont des Évenks que l’on préférait prendre comme guides, tant pour leur excellente connaissance du milieu que pour leur capacité d’adaptation sur des terres inconnues. C’est d’ailleurs grâce à leurs dessins des systèmes fluviaux sibériens, sur écorce de bouleau, que les premiers explorateurs se sont orientés et ont réalisé les premières cartes (Vasileviw, G.M., 1963, 315-319). Les Évenks ont également la réputation d’être les meilleurs chasseurs de toute la Sibérie.

La question de l’origine des Toungouses n’est pas résolue,6néanmoins, l’archéologie et la littérature orale de ces peuples attestent d’importants mouvements de migrations depuis les premiers siècles de notre ère.

C’est ainsi que l’ensemble des peuples toungouses est aujourd’hui réparti sur un immense territoire couvrant toute la Sibérie et chevauchant les frontières de la Mandchourie et de la Mongolie. Parmi eux, le peuple évenk est le plus éparpillé de tous, dispersé qu’il est, en petits groupes, du nord au sud et de l’est à l’ouest sibérien : du fleuve Ienisseï jusqu’à la mer d’Okhotsk, des bords de l’océan Arctique, jusqu’au fleuve Amour, et au delà des frontières en Mandchourie et en Mongolie. Dans cet éparpillement, les Évenks ont emprunté divers éléments culturels aux peuples autochtones de ces régions. Si certains petits groupes se sont adaptés aux différents milieux et voisinages, en adoptant l’élevage de chevaux, de gros bétail, voire même l’agriculture, les Évenks n’en restent pas moins tous des chasseurs. Il est d’ailleurs frappant de remarquer chez chacun des peuples toungouses la persistance d’un fond commun linguistique et culturel toungouso-mandchou, en dépit des siècles et des milliers de kilomètres parcourus.

C’est aux XVIIe–XVIIIesiècles que débute la colonisation russe en Sibérie. Une fois les premières forteresses construites et voies de communication établies, commencent parallèlement les missions orthodoxes pour convertir les populations indigènes au

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Bogoraz 1904-1909 : 457-459.

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christianisme, ainsi que le commerce des fourrures et la soumission des autochtones à l’impôt en fourrure, le iassak. Le baptême était négocié contre des produits alimentaires, des vêtements, de la verroterie et des icônes. C’est lors des baptêmes que furent donnés les premiers prénoms russes, à l’origine des noms de famille d’aujourd’hui. Les missionnaires ont tenté d’anéantir le chamanisme en détruisant costumes, tambours et autres objets rituels. Cette politique dura jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, où les popes se contentèrent de baptiser le plus grand nombre de sujets autochtones. Les Évenks, comme une grande majorité des peuples de Sibérie, n’ont pas vraiment adopté la foi chrétienne, si ce n’est le port occasionnel de la croix, qu’ils voyaient, selon leurs représentations, comme un moyen d’éloigner les mauvais esprits. Les icônes ont été traitées, selon les cas, comme une représentation d’esprit domestique ou comme un esprit pourvoyeur de gibier qu’on nourrissait de sang.

Pour la récolte de l’impôt en fourrure, les Russes désignèrent des « princes » indigènes parmi chaque groupe évenk et iakoute, qui avaient pour tâche de rassembler les contributions en fourrure, mais aussi d’organiser des conseils pour régler les problèmes relatifs au iassak et aux actes criminels (guerre intertribales et crimes en tout genre). La date de l’installation du pouvoir impérial russe, varie selon les régions de Sibérie. Les Évenks ont fui, tant qu’ils le pouvaient, ce nouveau pouvoir en se réfugiant dans les zones de montagne boisées.

Au milieu du XIXe siècle, s’installent dans certaines terres évenkes de Sibérie, les premières exploitations minières, principalement de l’or et du charbon et ce sont encore une fois les chasseurs évenks qui servent de guides et de transporteurs aux géologues russes, qu’ils font voyager sur le dos de leurs rennes.

Lors de la guerre civile, les Évenks ont subi les mouvements incessants, tantôt des troupes tsaristes « blanches », tantôt des « rouges », et ont payé bien souvent un lourd tribut pour avoir accueilli, voire même défendu successivement les uns et les autres.

Le pouvoir soviétique, une fois installé dans ces régions, mit en place ses politiques bien connues : - l’« alphabétisation pour tout » ; -l’« athéisme militant » pour combattre le chamanisme (par l’arrestation de chamanes, la destruction des costumes et autres objets rituels, et l’interdiction de toutes pratiques rituelles) ; - la « collectivisation » (par la confiscation des rennes domestiques qui deviennent alors la propriété des fermes d’État nouvellement créées et portant le nom de « kolkhoze », puis de « sovkhoze » et les Évenks sont réduits au rang de salariés) ; et, - une propagande communiste intensive auprès des populations indigènes (par la création de cellules communistes autochtones). Le but de la politique soviétique était de faire de chaque citoyen de l’URSS, un homo sovieticus, effaçant ainsi toutes différences ethniques. Un autre objectif était de faire de ces régions sibériennes

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des zones économiques rentables, mettant l’accent tantôt sur les exploitations minières, tantôt sur l’élevage de rennes et la chasse.

Parcourant des milliers de kilomètres, les Évenks ont fui ces nouvelles contraintes en se réfugiant encore plus loin dans l’épaisse taïga ou dans les zones nordiques de toundra. Certains ont même organisé des soulèvements anti-soviétiques, utilisant, comme ils l’avaient fait maintes fois par le passé, la taïga comme une forteresse protectrice.

Avec le temps, une partie de la population évenke a été sédentarisée dans les premiers villages qu’on lui avait fait construire. Tous les enfants furent contraints à suivre un enseignement en internat, ce qui obligea les femmes à venir vivre au village pendant l’année scolaire. Certains jeunes gens ont été choisis, pour suivre des études supérieures à l’Institut des Peuples du Nord de St-Pétersbourg (Leningrad) en vue de constituer une intelligentsia autochtone, d’autres ont suivi une formation professionnelle (médicale, administrative, dans le bâtiment ou en mécanique) afin de constituer une main d’œuvre pour les nouveaux villages.

Avec la Perestroïka et la chute du système économique et politique communisme, les peuples de Sibérie ont dû traverser une grave crise économique conduisant certaines régions éloignées des grandes voies de communication, à des situations de famine. Néanmoins, les peuples ont recouvré le droit d’être eux-mêmes et dans toute la Russie, on assiste à un « retour aux traditions » dont les modalités varient. Pour la première fois, les peuples autochtones de Sibérie ont officiellement le droit de récupérer leurs auto-ethnomymes et de pratiquer leurs grands rituels saisonniers. Certaines régions développent plus que d’autres ce mouvement de « retour à la tradition », car elles ont acquis une certaine autonomie en matière d’éducation et de culture. Les initiatives se multiplient pour réorganiser les anciennes fêtes saisonnières interdites, et les publications en langues autochtones sur la culture, sur les pratiques rituelles, sur l’identité ethnique et les manifestations « chamaniques » sont encouragées.

Indépendamment de cela, on assiste chez les populations restées nomades, en tout cas chez les Évenks, à un autre mode de « réveil » des traditions. Avec la crise économique, le gouvernement cesse de payer les salaires aux éleveurs et chasseurs des fermes d’État et désormais, les Évenks nomades ne doivent leur survie qu’au « bon vouloir de la nature ». Ils se sont alors mis à pratiquer avec plus d’intensité et d’attention qu’avant les rituels du quotidien.

En dépit des contraintes de l’histoire, le chamanisme a survécu, tant bien que mal, chez les Évenks. En effet, pendant la période soviétique, certains chamanes ont continué leurs

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activités en cachette et certains d’entre eux, certes très rares, exercent encore aujourd’hui, de manière semblable aux descriptions des rituels chamaniques toungouses du XIXesiècle. Chez les Évenks que j’ai rencontrés, le système de croyance semble être resté quasiment conforme à ce que décrivent les plus anciens ouvrages ethnographiques. Le chamane reste une figure omniprésente dans les mentalités, comme celui qui peut vraiment assurer une bonne vie et un bon avenir aux Évenks.

Mais le problème de la disparition des chamanes, qui se pose déjà à de nombreux groupes, est sur toutes les lèvres : « Quand les chamanes étaient nombreux, nous vivions bien, mais qu’allons nous faire maintenant ? » L’une des réponses trouvées est inhérente au système de croyance des Évenks, voire même de l’ensemble des Toungouses. On entend souvent sur le terrain : « Si nous voulons bien vivre, nous devons « jouer » ! ».

Que vient donc faire le jeu ici ? Le jeu, nous le verrons, est une forme d’action rituelle. « Jouer », èvi-da ou ikè-da, en évenk, désignent les actions de « chamaniser », « danser », « chanter », « décorer avec des motifs », « dessiner », « jouer comme un enfant », « jouer à des jeux en tout genre », « jouer comme un acteur », « jouer d’un instrument », « gambader », « sautiller, pour un animal sauvage », etc. Cette conception globale du jeu comme forme d’action rituelle n’est pas uniquement toungouse, on en retrouve des éléments comparables dans presque toutes les langues de Sibérie et voire même ailleurs, mais le cas évenk semble particulièrement riche en la matière.7

Le terrain a montré que les questions, « - Comment vivre ? », « - Comment « jouer » sans chamane ? », et, « - Peut-on vraiment « jouer » sans chamane, afin de nous assurer un bon avenir ? », sont omniprésentes dans l’esprit des Évenks rencontrés. Et les réponses trouvées varient selon que l’on est nomade de la taïga, villageois ou citadin, bien qu’il s’agisse, à priori, d’un même système de croyance. C’est ainsi que l’on a vu apparaître, dans ces trois univers, divers modes d’action rituelle avec et sans chamanes.

La « vie », pour les Évenks, est un concept vécu au jour le jour, comme un pari, et ce, dans plusieurs sens du terme. D’une part, traditionnellement, les nomades ne cessent de dire : « Qui sait si je serai encore vivant demain ! », entendant par là que les dangers du froid, les animaux féroces, le risque de mourir, comme certains, d’épuisement dans la forêt gelée en poursuivant un gibier, sont le lot quotidien de la vie de chasseur nomade, et que les jours qui passent ne sont rien d’autre qu’un défi lancé à la mort.

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R.N. Hamayon a écrit plusieurs articles autour du « jeu » comme principe essentiel d’action rituelle (1992b, 1993, 1995, entre autres).

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D’autre part, d’un point de vue moderne, gens de taïga et sédentaires s’unissent pour exprimer une angoisse que leur ont suggérée les politiques de défense des peuples autochtones et que les populations allochtones ressassent sans répit. « - On dit partout, que nous sommes un peuple en train de mourir ! », disent les Évenks. Mais ce peuple, chasseur des régions les plus froides de la Sibérie, réagit souvent avec cet humour plein d’optimisme qui est propre à sa rage de vivre : « Peut-être, comme le disent les autres, que nous sommes mourants, mais nous ne mourrons pas ! » Pour les Évenks d’aujourd’hui, la « vie », n’est jamais le fait du hasard, mais celui des esprits.

Étudier les actes rituels contemporains qui oscillent entre tradition, adaptation et réinvention, revient à se demander ce que deviennent les croyances d’un peuple nomade de la taïga, quand il passe à une vie de salarié sédentaire. « Mais où est donc le Baraljak de la ville ? »,8demandent parfois sur un ton mi-plaisantant, les Évenks de la ville.

Nous avons aujourd’hui la chance de pouvoir étudier parallèlement trois types sociaux bien différents (nomade, villageois, citadin) appartenant à un même peuple. C’est autour des questions ci-dessus mentionnées et avec un matériel ethnographique recueilli en cinq ans de terrain dont quatre ans en milieu nomade que je propose ce travail.

Les ouvrages concernant les Évenks du sud de la Iakoutie et du nord de la région de l’Amour, sont peu nombreux. De plus, les dernières monographies sur les différents groupes évenks sont basées sur des données recueillies entre la première moitié du siècle dernier et les années 1970.9Une partie des articles, publiés au début des années 90, dépeignaient les Évenks comme un peuple ayant perdu sa culture et ayant totalement sombré dans l’alcoolisme. Enfin, les travaux relatifs aux Évenks citadins étaient quasi inexistants, et n’offraient que quelques données socio-démographiques. Ainsi, aucune publication ne présentait la société évenke contemporaine dans son ensemble. Ceci m’a conduit à organiser mes recherches de terrain de manière à récolter un matériel d’ordre monographique, prenant en compte la société évenke telle qu’elle est aujourd’hui et sans choisir, a priori, pour les qualifier, entre traditionnel et « tradition réinventée », et afin de saisir tous les changements apparus entre l’installation du pouvoir soviétique et l’entrée des peuples de Sibérie dans l’économie de marché.

Mon premier terrain (trois mois) eut lieu en 1994 et m’a permis de visiter onze régions de Iakoutie, habitées par des Iakoutes, des Évenks et des Évènes. En vue de la maîtrise, en

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Baraljak est l’un des noms d’une des figures d’esprits pourvoyeurs de gibier.

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Ces monographies restent aujourd’hui plus que précieuses et indispensables à la compréhension des systèmes de pensée des Évenks contemporains. Je les ai d’ailleurs largement utilisées dans un objectif comparatif ou pour compléter mes données.

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1995, j’ai effectué six mois de terrain. En 1997, 1998-1999 et 1999-2000, j’ai réalisé des terrains de respectivement sept mois, un an et un an et demi, essentiellement en milieu nomade, visitant une centaine de campements, ce qui me permit de suivre deux fois un cycle saisonnier annuel complet et d’apprendre la langue. Entre 2000 et 2002, j’ai enseigné, pendant un an et demi, dans une filiale de l’université gouvernementale de Iakoutsk. Pendant cette période, de nombreux déplacements dans différentes villes et villages, m’ont permis de parfaire ma connaissance des Évenks sédentaires et de réaliser des recherches approfondies dans les archives et bibliothèques. Le court terrain de 2003 m’a permis de vérifier ou infirmer certaines de mes hypothèses et de compléter quelques données. Au total, j’ai pu voir évoluer les pratiques rituelles traditionnelles et celles relevant du « retour à la tradition » sur une période de neuf ans.

Certains terrains ponctuels de courte durée ont été effectués, au-delà du cercle polaire, en Iakoutie, dans les régions de la Kolyma et d’Oïmjakon, et m’ont permis de rencontrer des Évènes, des Ioukaghirs, des Tchouktches et des Iakoutes. Mais la majeure partie des missions ethnographiques ont été effectuées en Iakoutie du sud et dans la région de l’Amour chez les Évenks éleveurs de rennes et chasseurs.10 J’ai pu également rencontrer, lors de diverses réunions ou conférences, des Évenks venus des régions du Iénisséï, d’Irkoutsk, de Transbaïkalie, de l’Olëkma, de Bouriatie et de la république de Mongolie. Ces rencontres ponctuelles m’ont permis d’effectuer certaines comparaisons et donné l’envie de continuer mes recherches post-doctorales sur les Évenks de ces territoires.

L’étude de chacun de ces milieux (taïga, village, ville) a nécessité un type d’approche particulier. Sur le terrain nomade, en dehors de la méthode d’observation participante, une technique s’est avérée particulièrement bénéfique. Par volonté de transparence vis à vis de mes hôtes évenks, j’ai toujours écrit mes carnets en russe ou en évenk (sauf informations confidentielles), laissant mes notes à la disposition de chacun, ainsi que les appareils photo et caméra. De plus, j’avais fait traduire ma maîtrise en russe afin de la donner à lire aux informateurs. Je me suis très vite aperçu que cette technique permettait d’obtenir des corrections, des informations supplémentaires, de comprendre des associations entre différentes données, de lancer des thèmes de discussions, etc. Ainsi, le recueil d’informations

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Les territoires évenks que j’ai parcourus s’étendent sur une superficie d’environ 770 000 km2: du sud, depuis le village évenk de la région de l’Amour - Ust-Njukža, situé à la hauteur du 56° N et au nord, jusqu’à la capitale de la République Sakha – Iakoutsk, au 62° N ; De l’ouest, depuis le village évenk de Tokko au 120° E, jusqu’aux campements nomades les plus à l’est, le long de la rivière Algoma, au 131° E. Le territoire de taïga, que j’ai sillonné régulièrement, au cours des terrains chez les Évenks nomades, principalement à dos de rennes ou en traîneau, et plus rarement en chenillette ou en hélicoptère, s’étend du sud au nord entre le 56° N et le 58° 10’ N et de l’ouest à l’est, entre le 121° E et le 129° E, et correspond approximativement à une surface de 325 000 km2. Cf. carte « Terrains ethnographiques effectués entre 1994 et 2003 », en annexe.

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est devenu peu à peu un travail quasiment collectif. L’apprentissage de la langue s’est avéré indispensable, car lorsqu’ils sont dans la taïga, les nomades parlent presque exclusivement évenk, quant aux anciens de plus de cinquante ans ils s’expriment avec difficulté en russe. Les plus anciens d’entre eux, sont trilingues (chinois,11 iakoute et évenk). Les Évenks nomades ne supportent pas les entretiens sous forme de questionnaire et encore moins les enregistrements magnétiques. Sur les terrains sédentaires, l’information se livre bien plus facilement, en particulier auprès des intellectuels. Les croyances, les traditions deviennent alors un système de pensée que l’on s’explique, que l’on a réordonné et l’information est livrée en bloc à l’ethnologue, en même temps que son explication. En milieu sédentaire, l’enregistrement ou l’interview est une méthode de travail tout à fait acceptée et même bienvenue. Néanmoins, les Évenks de cette région, qui sont habitués aux hélicoptères remplis de journalistes et de cinéastes, sont assez méfiants vis-à-vis de ce qu’ils englobent sous l’étiquette « journaliste » ou encore lu:!a (« occidental » en évenk). Ils disent être fatigués de voir passer à la télévision certains reportages les concernant au ton misérabiliste, les montrant comme un peuple fini. Si nous n’en sommes pas encore à l’exercice d’un veto ou d’une censure indigène, - comme chez les aborigènes d’Australie ou chez les Indiens d’Amérique du nord -, les Évenks du sud de la Iakoutie et de la région de l’Amour commencent, depuis la fin des années 1990, à vouloir limiter les arrivées et contrôler les films réalisés.

Dans les trois milieux, j’ai tenu à travailler avec des Évenks de tous les âges, y compris avec les enfants. Dans les milieux sédentaires, j’ai recueilli des informations auprès de représentants de tous les milieux socio-professionnels. J’ai également étudié en détails, non seulement, les écrits (livre, journaux et articles) de l’intelligentsia autochtone, mais aussi, les associations évenkes et leurs manifestations en tout genre.

Aujourd’hui, il est possible de consulter dans les Archives Nationales de Iakoutsk, des documents autrefois classés « top secret ». Les recherches dans les archives et dans les bibliothèques de Russie, ont occupé environ quatre mois de travail. Elles ont porté sur les archives politiques et administratives de la période soviétique relatives aux régions habitées par les Évenks. Je voulais me rendre compte de la date réelle et des modalités de l’installation du pouvoir communiste chez ce groupe évenk. Dans les archives de l’Académie des sciences

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Avant la Révolution de 1917 et jusqu’à la Révolution Culturelle chinoise et la fermeture des frontières qui s’en suivi, les Evenks se rendaient très fréquemment en Chine du nord pour vendre leurs produits de chasse. D’après les archéologues de la région de Nerungri, ces contacts commerciaux avec les Chinois ou les Mandchous durent depuis fort longtemps à en croire les découvertes réalisées lors des fouilles. Les anciens se souviennent que certains clans évenks, sont restés sur le territoire chinois.

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de Iakoutsk, j’ai recherché les manuscrits des ethnologues ayant travaillé chez les Évenks du sud de la Iakoutie et de la région de l’Amour. Dans les bibliothèques, j’ai complété ma bibliographie sur les Évenks, par des articles rares, mais aussi par quelques mémoires de thèses récents.

Lors de chacun de mes terrains, j’ai pu rencontrer mes collègues de la Fédération de Russie, qui travaillent dans les laboratoires d’ethnologie et d’anthropologie de l’Académie des sciences de Moscou, de St-Pétersbourg, d’Irkoutsk, de Blagovešwensk et de Iakoutsk. Lors de ces rencontres, nous avons pu échanger des publications, des données de terrain et mettre en place des plans de collaboration, pour l’instant informels. Avec mes collègues et amies de Iakoutsk (A.N. Myreeva, L.A. Alekseeva et G.I. Varlamova), nous avons pour projet de publier plusieurs recueils de littérature orale évenke, afin de sauvegarder les matériaux de terrain de ces ethnologues autochtones qui ont travaillé dans toutes les régions évenkes, depuis les années 1950.

L’une des difficultés, et non des moindres est d’obtenir un visa d’entrée sur le territoire russe, ce qui nécessite, bien souvent, des mois d’attente. Les autres obstacles font partie du lot quotidien de tout ethnologue qui s’aventure en terres éloignées. Il faut s’armer de patience pour attendre les transports gênés, bien souvent, par les conditions climatiques : En été les routes sont impraticables ; au printemps, les rivières sont infranchissables ; en hiver, le brouillard épais dû au froid ou aux tempêtes de neige empêche les avions de décoller, etc. Dès ma troisième mission, les hélicoptères avaient quasiment cessé de desservir les campements des nomades et j’ai dû effectuer presque tous mes déplacements en traîneau ou à dos de rennes. Dans la taïga, avoir de l’endurance physique est indispensable, pour résister au froid et à la faim, lors des nomadisations hivernales par - 50°C, et dont les étapes journalières peuvent durer jusqu’à sept heures sans interruption. En été, il faut être pourvu de nerfs d’acier pour résister à l’assaut de moustiques en tout genre pendant les transhumances, dont les étapes journalières durent de cinq à neuf heures. Poursuivant un troupeau de rennes domestiques, courant tant bien que mal, ou lors d’une journée de chasse à pied avec de la neige jusqu’aux genoux, il faut cacher sa fatigue, parce qu’on a passé plusieurs jours à convaincre le chasseur de pouvoir le suivre. En milieu nomade, il faut s’efforcer de voyager léger, en dépit du matériel technique, pour ne pas trop surcharger la caravane de rennes déjà bien lourde. C’est ainsi que, lors de mon premier terrain, j’ai très vite épuisé mes réserves de pellicule photos, de batterie pour la caméra, mais aussi de carnets. Les Évenks m’ont alors apporté tous les papiers d’emballage possibles pour que je puisse me confectionner un

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nouveau carnet et continuer à écrire. Ce sont eux aussi qui ont trouvé une solution pour recharger mes batteries de caméra, en bricolant un branchement sur leur générateur à manivelle du système de transmission radio. En se relayant, les uns les autres, pour tourner la manivelle, nous avons gagné quelques heures de film et d’enregistrement.

Mais la difficulté principale est d’obtenir l’information. Au contraire d’autres terrains ethnographiques, le système de l’informateur que l’on paie est une chose aujourd’hui encore impensable en Sibérie, le don d’argent vexe profondément les Évenks. Il faut donc les remercier autrement, en contribuant largement à l’approvisionnement en denrées alimentaires ou en offrant des objets utiles ou valorisés (cloches, lampes de poche, aiguilles à coudre, cuir et fils de couleurs, vêtements, matériel d’école pour les enfants, etc.). Il n’en reste pas moins que toute information est comprise comme un don, qui attend un jour un contre-don. Mais l’information la plus difficile à obtenir est celle qui concerne les rituels et leurs spécialistes, particulièrement en milieu nomade. De nombreux ethnographes l’ont remarqué, les Évenks ne livrent pas facilement ce genre de données, même aux leurs. Ces réticences peuvent être motivées par des raisons d’ordre symbolique, comme elles peuvent être la conséquence des politiques de lutte contre le chamanisme, pendant laquelle les Évenks ont appris à cacher leurs pratiques rituelles.

Les documents qui se trouvent dans les archives nationales de la ville de Iakoutsk et qui concernent les régions évenkes sont entreposés sans aucun classement dans des réserves fermées au public. Aussi, trouver le document qui vous intéresse relève souvent du hasard, et la recherche peut réserver quelques surprises. Par exemple, cherchant désespérément quelque chose sur les Évenks, j’ai été ravie de trouver un document régional portant le nom de « à propos des peuples ». Mais quelle ne fut pas ma surprise en découvrant un épais paquet de textes en caractères chinois, le tout régulièrement entrecoupé de mots en cyrillique, signifiant en russe, « révolution socialiste », « pouvoir soviétique », etc., écrits par des ouvriers chinois employés dans les mines d’or de la région.

Toutes ces petites misères d’ethnologue sont bien peu de chose et s’oublient bien vite, face à la gentillesse et à l’humour des gens de Sibérie. Et ces années de terrain restent une merveilleuse aventure, qui m’a permis de voir des paysages d’une immensité et d’une beauté époustouflante, mais surtout de rencontrer des gens formidables de courage.

Cette étude s’organise en trois parties. La première passe progressivement du global au local, des Évenks en général au groupe qui nous intéresse. Outre une présentation des courants de recherche et des sources consacrées aux Évenks en général et aux Évenks orowon

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en particulier, cette partie propose quelques données sur les différents groupes régionaux évenks (localisations, économies, ethnonymes), donnant ainsi plusieurs exemples de changements économiques, sociaux, voire ethniques, subis, au cours de l’histoire, par les groupes composant ce peuple. Enfin, une histoire de notre groupe régional évenk montre les circonstances politiques et économiques et les processus d’apparition des trois types sociaux contemporains (nomades, villageois et citadins) qui font l’objet de cette étude.

La deuxième partie décrit et analyse les trois types sociaux dans leurs formes d’économie, leur relation à l’environnement naturel, leur organisation sociale et leurs pratiques rituelles. J’ai volontairement commencé par l’étude du monde nomade (chasse, élevage du renne, nomadisme), culture originelle, pour en faire ressortir les concepts centraux et pouvoir analyser ensuite leur devenir chez les sédentaires.

La troisième partie est une étude transversale et comparative des formes d’action rituelle, avec et sans chamane, des trois types sociaux. Elle met en lumière les transformations en cours des représentations symboliques, et dévoile également deux concepts essentiels du système de croyance partagés par les Évenks qu’ils soient nomades de la taïga, ou sédentaires des villages ou des villes.

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PREMIERE PARTIE :

HISTOIRE ET APPARITION

DES TROIS TYPES SOCIAUX ÉVENKS

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Je commencerai dans cette partie par présenter les sources et les courants de recherches consacrés aux Évenks en général, avant de proposer un développement centré sur les données dont nous disposons aujourd’hui à propos des Évenks oro on. Je présenterai ensuite quelques informations quant à la répartition géographique des différents groupes évenks et à leurs ethnonymes. Ces données illustrent bien les transformations sociales et économiques subies par les groupes composant le peuple évenk. Enfin, il sera question de l’histoire du groupe évenk qui nous intéresse, montrant ainsi les contextes et les éléments historiques et écononiques ayant entrainé l’apparition des trois types sociaux (nomade, villageois et citadin) qui font l’objet de ce travail de thèse.

1

Généralités sur les Évenks

1.1 LES SOURCES

1.1.1.1 La période pré-soviétique

La littérature ethnographique sur les Évenks et les Toungouses en général, est considérable. Les différentes phases de collectes, analyses et compilations des données constituant cette littérature sont indissociables des mouvements de l’Histoire économique, diplomatique et politique de la Russie, de l’Union Soviétique et, aujourd’hui, de la Fédération de Russie. C’est ce qui ressortira ici à travers l’évocation succincte,1depuis le Moyen-Age jusqu’au début du XXesiècle,2des différents statuts ainsi que des orientations des récits, rapports et recherches des personnages successifs à qui nous devons aujourd’hui cette somme de connaissances sur les huit peuples toungouses.

Au Moyen-Age, en liaison avec le développement des relations économiques entre l’Europe et l’Orient, certains marchands, voyageurs et moines diplomates en route pour la Chine (et plus tard le Moyen-Orient) font état de leurs rencontres avec des populations de chasseurs nomades, certains transportés par des rennes, identifiés par la suite par quelques chercheurs russes, comme les premiers représentants de populations assimilables aux Toungouses. Ces notes, si éparses soient-elles, constituent à l’heure actuelle une importante référence pour les intellectuels évenks qui s’appuient dessus pour justifier un passé long et glorieux sur les territoires qu’ils occupent aujourd’hui.

1

Pour une vision complète et détaillée de l’histoire des recherches concernant les peuples toungouses en général, se reporter à l’annexe, ainsi qu’à la bibliographie.

2

L’exposé des recherches menées au cours des périodes soviétique et contemporaine, plus directement utile à mon étude, se trouve développé aux sous-chapitres suivants.

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Il faudra attendre le milieu du XVIIesiècle avec une victoire de guerre de la Russie sur la Pologne et surtout le règne de Pierre le Grand avec son désir d’agrandissement de l’Empire russe vers l’est pour commencer à avoir véritablement un faisceau plus nourri de données sur quelques groupes de populations toungouses. Ces données, nous les devons à des prisonniers de guerre, des ambassadeurs, et à un médecin encyclopédiste envoyé en Sibérie par le tsar, d’une part, à la recherche de « raretés et principes pharmaceutiques » et, d’une part, avec la mission de décrire les peuples de Sibérie. On voit ici naître un intérêt spécifique pour les populations sibériennes et la volonté de recueillir des données plus systématiques que celles dont on dispose à l’époque. Concernant les peuples toungouses, cela se traduit par un début de classification linguistique, par l’établissement de liens de parenté entre les populations des régions visitées, et par une classification selon les animaux utilisés pour le transport (rennes, chiens et chevaux).

Le XVIIIesiècle voit s’intensifier cette démarche de systématisation des connaissances sur l’Empire en expansion et sur ses habitants. Ce sont maintenant des géographes, historiens, astronomes, naturalistes, étudiants et soldats qui prennent part à d’importantes missions d’exploration géographique. Étudier les us et coutumes des populations rencontrées, leur environnement, leurs techniques de chasse, de cueillette et d’élevage font partie des objectifs de ces missions, au même titre que la cartographie des lieux traversés. Ajoutées à ces missions, quelques expéditions réalisées sur des initiatives privées apportent-elles aussi des pierres non négligeables à l’édifice des connaissances sur les populations qui nous intéressent ici : subdivision des Toungouses en sous-groupes classés selon leur type d’économie, données sur la littérature orale de certains groupes, première description d’un rituel chamanique, interdits dans les relations d’alliance. Cette importante somme de connaissances se rapporte essentiellement aux groupes toungouses de Transbaïkalie. Elle se rapporte également, sous forme de renseignements, aux Évenks du Iénisseï et, par quelques données éparses, à ceux de Iakoutie et des bords de la mer d’Okhotsk.

Il existe une nette continuité, dans la volonté de découvrir et de préciser la cartographie d’un territoire toujours en expansion, entre le XIXe et le siècle précédent. Cependant, le XIXesiècle est marqué3 d’une part, par la découverte de nombreux gisements miniers sur les territoires sibériens (en particulier sur les terres habitées par les Toungouses) et par l’exploitation commerciale des minerais mis au jour, ainsi que par l’intérêt politique porté à la région de l’Amour et à la frontière russo-chinoise d’autre part. Par ailleurs, les recherches,

3

Ces faits historiques, politiques et économiques ne sont retenus ici que par l’intérêt qu’ils présentent au regard de l’histoire des recherches sur les peuples qui nous intéressent directement.

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essentiellement en linguistique, concernant les peuples toungouses, se développent également à l’extérieur des frontières de l’Empire russe. Les missions se multiplient, commanditées et financées par l’Etat suivant les intérêts susmentionnés, ou d’initiatives d’ordre privé. Elles sont menées par une compagnie de commerce russo-américaine, par des voyageurs ou de plus en plus par des spécialistes en linguistique ou en ce qui ne tardera plus à donner naissance à l’ethnographie. Certaines d’entre elles permettent de découvrir de nouveaux groupes évenks, d’autres, comme celle du linguiste finnois M.A. Castren, permettent d’établir un lien entre les langues turques, finno-ougriennes et celles des Samoyèdes.

Le développement des enquêtes de terrain, l’accumulation de matériaux ethnographiques, de livres et d’articles dans les journaux locaux ont contribué à l’organisation d’une équipe de recherche spécialisée : la Société de Géographie de Russie devient l’organisme centralisateur des données de terrain. En 1851, en liaison avec l’effervescence des recherches ethnographiques de l’époque, fut créée la Section Sibérienne de la Société de Géographie de Russie ainsi qu’une section Sibérie Orientale, qui doivent baser leurs recherches sur les enquêtes de terrain. Parmi les nombreuses expéditions menées à cette époque, les publications issues deux enquêtes ethnographiques font autorité jusqu'à aujourd’hui. Il s’agit, d’une part, d’une ethnographie des peuples toungouses de l’ouest de l’Amour, publiée en plusieurs volumes par L. Schrenk. R. Maak, instituteur dans la ville d’Irkoutsk publie, d’autre part, trois tomes consacrés aux Iakoutes et aux Évenks du bassin de la Viljuj. Il y démontre, entre autres, que la majorité de cette population4est issue d’un groupe évenk venu de la rivière Angara. Les matériaux collectés au XIXesiècle sont assez complets pour avoir une vision globale du mode de vie des Évenks et pour donner lieu à la publication à Saint-Pétersbourg d’une synthèse des travaux réalisés sur les Évenks. Cependant, plusieurs groupes, notamment les Oro on restent encore totalement ignorés. Certains aspects, pourtant essentiels, de la culture des groupes connus n’ont pas encore fait l’objet d’observations précises ni de recherches particulières. Il en est notamment ainsi de l’étude de leur organisation sociale, des représentations symboliques, des pratiques rituelles, et des relations avec les peuples voisins notamment. De plus, les chercheurs ont tendance à généraliser les spécificités d’un seul groupe évenk à tous les autres, ce qui engendrera par la suite, dans les études toungouses, un certain nombre de confusions et d’erreurs.

C’est à la fin du XIXe siècle - début du XXeque des expéditions motivées par la collecte d’objets sont organisées, ceci en relation avec l’ouverture de plusieurs musées

4

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ethnographiques en Russie et l’intérêt croissant porté à la Sibérie en dehors des frontières russes. Au tout début du XXe siècle, plusieurs institutions de recherches ethnologiques existent déjà, et des cours d’anthropologie sont dispensés dans les universités. Ce même début du XXe siècle voit la publication d’une source majeure de données pour les études toungouses : il s’agit de la mise en forme par S. Patkanov de certaines des informations contenues dans le recensement des populations sibériennes de 1897. Concernant les Toungouses, il fait le point sur leurs noms de clans, il indique leurs positions sur la carte et montre la parenté qui allie les différents sous-groupes d’un même clan, - sous-groupes qui nomadisaient très loin les uns des autres. Avant les années 1920, on dispose d’une certaine quantité de matériaux ethnographiques sur plusieurs groupes évenks. La plupart de ces matériaux décrivent des traits culturels généraux facilement observables. D’autres cependant, précisent les particularités linguistiques et ethnographiques de certains groupes. On distinguait donc déjà les groupes et sous-groupes suivants5:

Les Évenks du Iénisseï : - sous-groupe de la Toungouska Inférieure, et des territoires du nord ; - sous-groupe de la Sym ; - sous-groupe de Viljuj-Erboga ensk.

Les Évenks de l’Est : - sous-groupe de l’Aldan ; - sous-groupe de Nel’kan-Maj ; - sous-groupe du Sud-Baïkal (Évenks éleveurs de bétail) ; - sous-groupe du Nord-Baïkal (chasseurs à pied) ; - sous-groupe du cours inférieur de l’Olëkma et de Vitim-Bauntovkij (éleveurs de rennes et chasseurs).

Parallèlement, certaines problématiques nouvelles émergent articulées autour de questions posées sur le chamanisme, sur les textes de chants évenks, sur les significations des décorations traditionnelles, sur les systèmes d’orientation, sur les calendriers de 13 mois, sur la position des femmes, l’éducation des enfants et les techniques de subsistance.

Cependant à cette époque, les expéditions n’ont pas encore pénétré dans les profondeurs des territoires évenks. Il n’y a aucun renseignement sur les groupes des sources de la Toungouska Pierreuse ni sur ceux des sources de la Toungouska Inférieure. Extrêmement rares sont les données ethnographiques sur les Évenks du cours supérieur de la Léna et du Nord-Baïkal, sur ceux des contreforts des Monts Stanovoï et des affluents de l’Amour, du Zej. On ne sait presque rien sur les Évenks du nord Arctique, évoluant le long des fleuves Anabar et Uda, ni sur ceux de l’île Sakhaline.

5

Pour plus de précisions quant aux localisations régionales exactes de ces sous-groupes, le lecteur est invité à se reporter à l’annexe.

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