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Submitted on 30 Sep 2020
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Enseigner la transformation de Fourier : une approche innovante
Eddie Smigiel, Guillaume Chevereau
To cite this version:
Eddie Smigiel, Guillaume Chevereau. Enseigner la transformation de Fourier : une approche inno-
vante. 13ème édition du Colloque de l’Enseignement des Technologies et des Sciences de l’information
et des Systèmes CETSIS 2018, Oct 2018, Fès, Maroc. �hal-02953282�
Enseigner la transformation de Fourier : une approche innovante
Eddie Smigiel
eddie.smigiel@insa-strasbourg.fr
AHP-PReST UMR 7117 / Université de Strasbourg INSA de Strasbourg
24, Bd de la Victoire 67084 Strasbourg Cedex France
Guillaume Chevereau
Icube UMR 7357 / INSA de Strasbourg 24, Bd de la Victoire
67084 Strasbourg Cedex France
RESUME : Dans le cadre de l’enseignement de la transformée de Fourier dans le supérieur, nous mettons en lumière le concept d’obstacle historique à l’apprentissage. La science et les technologies évoluent. La didactique d’un temps peut s’avérer datée et se révéler aujourd’hui un obstacle qui repose sur la reproduction tacite. Nous montrons que l’évolution de la technologie — les signaux sont passés d’analogiques (continus) à systématiquement numériques (discrets) aujourd’hui — suggère une simplification didactique sensible. Un signal discret est formalisé par un vecteur de tandis qu’un signal analogique est représenté par un vecteur de , mathématiquement bien plus subtil. Quand la transformation de Fourier est introduite comme changement de base, elle prend une signification géométrique que les étudiants s’approprient relativement aisément. En dépit de la simplification que favorise la technologie, le traitement du signal continue à être enseigné majoritairement selon sa nature analogique. La communauté des enseignants gagnerait à revisiter de façon critique ses méthodes pour profiter d’une didactique adaptée à son époque.
Mots clés : transformation de Fourier, changement de base, représentation vectorielle du signal, obstacle didactique.
1 INTRODUCTION
La transformation de Fourier figure au syllabus de très nombreux étudiants de sciences ou de sciences de l’ingénieur. Le concept est néanmoins réputé difficile parce que enraciné dans un formalisme mathématique intrinsèquement délicat. La transformation de Fourier est un outil théorique complet lorsqu’il est associé à la théorie des distributions qui n’a été achevée proprement sur un plan mathématique qu’en 1950 par Laurent Schwartz, ce qui lui a valu la médaille Fields.
Pour de tels concepts, intrinsèquement difficiles, il revient à l’enseignant la responsabilité de réfléchir à la meilleure voie d’accès qui donnera aux étudiants les meilleures chances de s’approprier cet outil. Toutefois, il est tentant pour un enseignant d’opter pour la méthode que ses professeurs lui ont montrée lorsqu’il était lui-même étudiant, ne serait-ce que parce qu’un jeune enseignant a un temps limité à consacrer à ses préparations. Ainsi, un enseignant est souvent conservateur par nécessité. Cependant, les technologies évoluent et la pertinence didactique d’une époque n’est plus nécessairement la même aujourd’hui. Sur un plan historique, la théorie du traitement du signal a explosée dans les années vingt du siècle dernier, a connu une accélération pendant la seconde guerre mondiale, tirée notamment par l’effort de guerre et le développement du radar et a atteint un haut niveau de maturité à la fin des années quarante notamment avec les travaux de Claude Shannon. Pendant cette époque, le support physique du signal était analogique, et donc considéré comme continu et les traitements étaient réalisés par
des circuits électroniques analogiques, essentiellement à tubes. Puis, la période de l’après-guerre a vu apparaître les techniques numériques avec l’apparition des premiers processeurs. La croissance du numérique ne s’est plus interrompue tant et si bien qu’aujourd’hui, les signaux sont souvent numériques natifs. Une date pivot est probablement 1965 où Cooley et Tukey inventent le fameux algorithme de transformée de Fourier rapide bien connu sous l’appellation FFT.
Dans cet article, nous analysons les approches modernes de la transformée de Fourier et constatons qu’elles sont restées très classiques au point qu’on peut les considérer comme datées. Nous argumentons en faveur d’une approche intrinsèquement physique des signaux, plutôt que de commencer par une approche mathématique qui ensuite trouve une application physique.
Nous présentons par conséquent une approche innovante où la transformée de Fourier est présentée directement dans sa forme discrète en tant que changement de base, ce qui permet aux étudiants d’évoluer dans le contexte familier de la géométrie euclidienne.
Puis, nous présentons des arguments qui plaident pour
une véritable valeur ajoutée à cette approche et enfin,
nous présentons deux ressources numériques
pédagogiques qui exploitent l’approche géométrique.
2 DIDACTIQUE CLASSIQUE DE LA TRANSFORMEE DE FOURIER
Au vu du corpus gigantesque, il est difficile de faire l’étude exhaustive de toute la littérature francophone et anglophone qui traite de la transformée de Fourier à l’usage des étudiants. Les auteurs ont privilégié quelques sources qui sont soit des ouvrages qui figurent en référence unique ou principale des syllabus, soit des polycopiés disponibles librement sur Internet ou des ouvrages classiques, unanimement reconnus.
Les auteurs ont privilégié les sources citées dans des établissements dont la réputation ne souffre pas ou peu de contestation. On pourra objecter que le choix des établissements est arbitraire. C’est vrai.
De façon générale, on constate que l’analyse de Fourier est systématiquement abordée par les signaux continus, soit par la décomposition en séries de Fourier puis l’intégrale de Fourier ou l’inverse.
La transformée de Fourier discrète est généralement présentée ensuite, un peu comme un mal nécessaire, en tant qu’approximation numérique de l’intégrale de Fourier.
La table qui suit montre en première colonne, les établissements dans lesquels on a trouvé les références, en dernière colonne l’ordre de présentation des concepts (DSF pour décomposition en série de Fourier, IF pour intégrale de Fourier et TFD pour transformée de Fourier discrète), en deuxième colonne le numéro de référence (ouvrage ou polycopié) qu’on trouvera dans la partie « Bibliographie ». On trouve ces textes en version PDF sur Internet.
Etablissemen t
Référence du texte
Référe nce du cours
Ordre de présentation Stanford
University
James [2] EE261 DSF, IF et TFD Berkeley
University
Lee, Varaiya [3]
EECS2 0N
DSF, TFD et IF
MIT Oppenheim
[4]
6.003 DSF, IF et TFD Princeton
University
Oppenheim [4]
ELE 301
DSF, IF et TFD Caltech Oppenheim
[4]
EE111 DSF, IF et TFD Ecole
Polytechniqu e/ENS Ulm
Mallat [5] MAP 555
IF, DSF et TFD Ecole des
Mines de Paris
Di Meglio, Chaplais [6]
S1314 IF, DSF, TFD Table 1 : synthèse des approches didactiques de l’analyse de Fourier pour quelques établissements réputés.
Dans les lignes qui suivent, nous nous intéressons à une référence particulière et étudions comment la notion de transformée de Fourier y est amenée. Cette référence est représentative de ce que l’on trouve généralement dans la littérature.
Dans [7], bien que l’ouvrage, relativement récent (la 9
èmeédition est datée de 2012), porte sur le traitement numérique du signal, le premier chapitre s’intitule « La numérisation du signal. Echantillonnage et codage » montrant par là le lien supposé indéfectible avec le signal analogique. On peut comprendre dans la mesure où notre lien au monde passe par les cinq sens dont le traitement est analogique et semble continu. Le terme de « discrétisation » d’un signal physique est en lui- même un non-sens. N’importe quel signal est issu d’un capteur et relève d’une mesure physique. Les mesures de ce capteur sont nécessairement entachées d’une incertitude, et cela n’a donc pas de sens de parler de signal continu, qui requerrait une précision infinie.
Par exemple, pour un signal temporel , pour que soit continu, il faudrait que quelque soit , on soit capable de distinguer de (pour pouvoir assigner les valeurs et ). Cela nécessite d’avoir un chronomètre sans incertitude de mesure, ce qui n’existe pas. Si est très inférieur au temps caractéristique du phénomène considéré, le concept de signal analogique prend du sens, mais il ne faut pas perdre de vue, qu'il s'agit d'une approximation.
Un signal physique est donc par nature discret, et c’est par un acte de foi que l’on s’autorise à penser que l’on peut étendre des signaux discrets à des signaux continus. Le cheminement pertinent au sens physique du terme est donc de discret vers continu et pas l’inverse. Par ailleurs, les images, par exemple, sont numériques natives. Il ne tombe plus sous le sens comme autrefois que le tout premier contact avec le signal doive mentionner son caractère analogique. Quoi qu’il en soit, le chapitre 1 est structuré comme suit : le paragraphe 1.1 intitulé « Analyse de Fourier » présente en premier lieu la décomposition de série de Fourier d’une fonction périodique (§ 1.1.1) puis la transformation de Fourier d’une fonction (§1.1.2) définie par l’intégrale de Fourier. Les liens entre décomposition en série et intégrale de Fourier sont explicités. Selon les propres termes de l’ouvrage,
« Après un certain nombre de rappels sur l’analyse de Fourier, les distributions et la représentation des signaux, le chapitre premier rassemble les résultats les plus importants et les plus utiles sur l’échantillonnage et le codage d’un signal. »
Le chapitre 2 intitulé « La transformation de Fourier discrète » est entièrement consacrée à la transformée discrète.
Juste avant le paragraphe 2.1, figure une introduction au chapitre d’environ une page et demi. Nous en citons quelques extraits pour comprendre la dynamique didactique qui consiste ici en l’articulation entre intégrale de Fourier et transformée discrète, plutôt présentée comme mal nécessaire.
« La transformation de Fourier Discrète s’introduit
quand il s’agit de calculer la transformée de Fourier
d’une fonction à l’aide d’un calculateur numérique. En
effet un tel opérateur ne peut traiter que des nombres
et de plus en quantité limitée par la taille de sa
mémoire. Il s’en suit que la transformée de Fourier :
doit être adaptée, d’une part en remplaçant le signal par des nombres qui représentent un échantillonnage de ce signal et d’autre part en limitant l’ensemble des nombres sur lesquels portent les calculs à une valeur finie N. Le calcul fournit alors des nombres définis par :
Comme le calculateur est limité dans sa puissance de calcul, il ne peut fournir ces résultats que pour un nombre limité de valeurs de la fréquence f , qu’il est naturel de choisir multiples d’un certain pas de fréquence Δf . Alors :
Les conditions dans lesquelles les valeurs calculées constituent une bonne approximation des valeurs recherchées sont étudiées par la suite. »
On remarquera quelques expressions comme notamment « doit être adaptée » ou « constituent une bonne approximation » qui explicitent le statut inférieur de la TFD par rapport à la « pureté » ou la
« vérité » de la transformée intégrale de Fourier. Cette approche est assez générale et elle vaut aussi pour la plupart des références de la table 1. Cet exemple reflète le fait que beaucoup de manuels conçoivent d’abord l’outil mathématique avant de l’appliquer au traitement du signal, et doivent ce faisant adapter cet outil. Nous argumentons que l’outil mathématique doit être conçu comme allant de pair avec le traitement du signal, sans relation de hiérarchie.
3 APPROCHE INNOVANTE
Aujourd’hui, le premier contact d’un étudiant avec la transformée de Fourier au sens large, sera probablement une TFD et plus précisément une FFT par l’intermédiaire de Matlab ou ses équivalents ou encore par l’intermédiaire du module FFT d’un oscilloscope moderne. Par ailleurs, l’approche pose aussi un problème en terme de didactique. La théorie de l’intégrale de Fourier est difficile dans la mesure où elle est en prise avec les fonctions de , en général, qui est un espace vectoriel de dimension infinie au sens de l’infini dense des réels, ce qui est assez subtil sur un plan mathématique. Lorsqu’on veut traiter de l’intégrale de Fourier proprement, il convient de distinguer la transformée de Fourier des fonctions ordinaires de la transformée des distributions dont on rappelle que la théorie mathématique rigoureuse est relativement récente. Par ailleurs, on est amené à définir et utiliser l’impulsion de Dirac qui décontenance les étudiants pour ses propriétés si particulières.
3.1 La Transformée de Fourier comme changement de repère
Un signal réel échantillonné sur une durée finie est mathématiquement un vecteur de noté :
(sous forme de vecteur ligne transposé par souci de mise en page),
et qu’on peut écrire comme combinaison linéaire de N vecteurs de la base dite canonique :
(1)
avec , … et
. Notons qu’en toute rigueur, il faudrait d’ailleurs préciser la base dans laquelle on exprime un vecteur lorsque l’on utilise la notation entre parenthèse :
De façon générale, a toutes ses composantes nulles sauf la n-ème qui vaut 1. Les vecteurs de cette base canonique, extension à la dimension N des classiques , et , peuvent être rendus continus pour donner les impulsions de Dirac , impulsion centrée en , qu’on peut voir comme étant les vecteurs de la base canonique de .
A ce stade de progression du cours, il est important de rappeler quelques éléments très classiques de la géométrie dans parce qu’il importe de montrer aux étudiants en quoi le concept nouveau est ancré dans des éléments de culture classique que l’étudiant est censé maîtriser. On lui donne ainsi toutes les chances de prévenir un décrochage précoce qui serait lié à la peur de la nouveauté. Nous faisons ces quelques rappels pour convaincre le lecteur à quel point la TFD devient intelligible si on fait l’effort de faire le lien avec la géométrie classique.
Un vecteur de muni d’un repère , , ) s’écrit :
A ce stade de leurs études, les étudiants ont compris le concept de vecteur intrinsèque, c’est-à-dire qui a une existence propre indépendamment de ses coordonnées dans un repère qui n’est jamais qu’une représentation possible parmi une infinité. On peut donc aisément leur montrer que ce même vecteur intrinsèque peut s’écrire dans une autre base , , ) :
avec :
On en vient à présent à la TFD présentée comme
changement de repère. L’équation (1) représente le
vecteur intrinsèque x comme combinaison linéaire de la
base canonique. Cette base canonique est généralement
appelé espace direct ou espace temporel. Il n’y a pas de
raison que ce soit la seule représentation possible du vecteur intrinsèque.
L’idée de la TFD consiste à écrire le vecteur intrinsèque dans une autre base, dite réciproque ou fréquentielle celle-là, et les nouvelles composantes au nombre de N sont calculées par autant de produits scalaires ou projections entre le vecteur intrinsèque
et les vecteurs de la nouvelle base exprimés moyennant leurs composantes dans l’ancienne base.
Dans la définition de la TFD, les vecteurs de la nouvelle base sont obtenus par échantillonnage régulier à N composantes des exponentielles complexes. Il vient que les composantes de ces vecteurs de base s’écrivent, dans la base canonique :
Il importe de bien comprendre que l’indice n est relatif aux N nouveaux vecteurs de la nouvelle base. En tant que tel, n varie de 0 à N-1, puisque pour construire une base, il nous faut au moins autant de vecteur que la taille de l’espace. Notons que si la base des exponentielles complexes est bien orthogonale, elle n’est pas normée, ce qui pose pas mal de soucis par la suite.
Pour déterminer les N nouvelles composantes du vecteur intrinsèque dans la nouvelle base, il convient donc de calculer autant de produits scalaires ou de façon équivalente, de projeter le vecteur intrinsèque sur les vecteurs de la nouvelle base. Il faut préciser ici que les vecteurs de cette nouvelle base sont à composantes complexes. Le vecteur correspondant au signal est généralement réel, au moins à ce niveau d’un cours d’introduction au signal. En revanche, le caractère complexe des seconds opérandes des produits scalaires conduit à modifier la définition même du produit scalaire que les étudiants ont rencontré dans le cadre plus strict de la géométrie dans . On accepte aisément que dans , le produit scalaire s’écrit :
de manière à ce que la norme d’un vecteur soit égal à la
racine carrée du produit scalaire de ce vecteur avec lui- même. On a ainsi défini, soit dit en passant, le concept d’espace de Hilbert.
Nous sommes maintenant prêts à écrire la formule générique la TFD. Si on note , la n-ième composante du vecteur intrinsèque exprimé dans la nouvelle base fréquentielle, alors :
qu’il faut bien comprendre comme produit scalaire du
vecteur intrinsèque exprimé dans la base canonique et les exponentielles complexes elles aussi exprimées dans la base canonique. On note que le signe négatif dans l’exponentielle est lié à la nouvelle définition du produit scalaire dans .
Un changement de base est réversible. Ainsi la TFD admet une transformée inverse, qui n’est rien d’autre que le produit scalaire entre le vecteur intrinsèque exprimé dans la base de Fourier et le n-ième vecteur de base canonique, lui aussi exprimé dans la base de Fourier. On se contente ici de donner la formule :
Nous concluons cette partie déjà bien longue par quelques remarques, dont la liste est loin d’être exhaustive tant le sujet est riche et subtil.
Les formules de TFD et TFD inverse admettent des variantes selon les auteurs. En particulier le rapport de la TFD inverse peut être déplacé dans la TFD directe voire même figurer dans les deux transformées, directe et inverse sous forme de rapport