N° 787
Libre opinion
De la bonne utilisation des compétences...
par Anne-Marie LOUIS Professeur de Sciences Physiques Lycée Viollet-Le-Duc - 78640 Villiers Saint Frédéric
Le 24 juin, je reçois une convocation pour le 25 juin. Jusque-là rien d’anormal. Il s’agit du Baccalauréat Technologique série STI Génie Énergétique. Je vois ici un inconvénient majeur : je n’ai jamais enseigné en terminale dans cette section, mais seulement en première.
Or, si le programme de première STI GE est très voisin du programme d’électricité de terminale S, il n’en va pas de même en terminale car il s’agit de physique appliquée (c’est d’ailleurs cette matière qui est mentionnée sur ma convocation).
Le professeur enseignant en terminale STI GE a pour sa part été convoqué en terminale L (où elle n’a jamais enseigné non plus) ; c’est en vain qu’elle a essayé d’obtenir un échange de nos deux convocations.
Les collègues de l’U.d.P. que j’appelle à mon secours se montrent comme toujours remarquablement solidaires mais ne peuvent, hélas, rien pour moi, tout comme les collègues du Snes. Je les remercie cependant pour leur assistance diligente.
Me voici donc à Vincennes devant un sujet que je ne sais pas traiter à 75 %. J’ai l’impression d’être dans un cauchemar de Luis Bunuel : je joue dans une pièce de théâtre, le rideau se lève et je ne connais pas mon texte ! Les trois autres collègues acceptent très aimablement un arrangement me permettant de ne corriger que l’exercice d’optique (5 pts) et se partagent les trois autres exercices. Et pour les oraux, où il me semble honnête de refuser d’interroger, ces collègues devront se partager le travail sans moi ; c’est donc avec un certain malaise que j’assiste aux deux délibérations du jury !
Une première anomalie m’étonne dans cette histoire : depuis que j’enseigne dans ce lycée je n’ai jamais eu à remplir de fiche à l’intention du Service des examens. Il semble donc que ce soit l’administration qui donne nos noms au hasard. Ensuite, je dois dire que j’ai été quelque
BULLETIN DE L’UNION DES PHYSICIENS 1545
Vol. 90 - Octobre 1996 A.-M. LOUIS
peu abasourdie par les avis et conseils de mes collègues (quasiment tous, et de toutes matières) :
– pour l’écrit : «tu n’as qu’à utiliser la correction et suivre le barème !»
(vous ne trouvez pas que même quand on domine le sujet on a parfois des problèmes d’évaluation, non ?) ;
– pour l’oral : «tu te prépares quelques exercices faciles en prenant un livre !» Moi, je trouve que c’est faire bien peu de cas du travail demandé aux élèves en une année dans une matière à coefficient 5, et ce serait avoir une curieuse notion de la conscience professionnelle que de croire que l’on peut faire illusion avec un peu d’esbroufe ! Et ce ne sont pas les collègues qui enseignent dans cette section qui me contrediront ; – «un prof doit tout connaître dans sa matière» me dit une collègue de mathématiques (que l’on enverra, j’espère, un jour, corriger en comp- tabilité ou gestion : ce sont toujours des chiffres !). D’accord si ce sont des sciences physiques (ma matière), pas d’accord s’il s’agit de physique appliquée, surtout avec vingt-quatre heures pour «jeter un coup d’œil sur le programme» ! Où sont passés la réflexion et le questionnement accompagnant normalement l’approche d’un pro- gramme, face aux difficultés des élèves et aux confusions possibles ? – «cela fait partie des obligations de service ; un enseignant de collège peut être amené à corriger au Baccalauréat» m’a dit une collègue du Snes. En ce cas, je pense pouvoir tout aussi bien corriger en histoire, en sciences économiques ou en anglais (pour la philo j’hésite un peu).
Et peut-être pourquoi pas en chinois ? Je m’aide de la correction, je regarde si les petits caractères sont au bon endroit et j’applique le barème !
J’aimerais savoir si d’autres collègues ont connu les mêmes déboires, et poser cette question : nos revendications pour un enseigne- ment de qualité peuvent-elles s’accommoder d’aberrations administra- tives lourdes de conséquences ?
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