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L’édifiante histoire des blouses «qui laissent voir les fesses»

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Dans le formidable ouvrage qu’il consacre à notre corps,1 le méde- cin et journaliste Mauricio Ortiz ose d’étranges associations. «De même que les globules rouges n’ont aucune notion de métrique ou de philosophie, les besoins de l’hémoglobine demeurent totale- ment étrangers à la pensée, écrit-il.

Nous n’avons pas accès à l’infor- mation qu’émet la petite cavité de la carotide et nous ignorons tout des peines qu’éprouve le rein à distiller les urines, ou de la lente poussée des cheveux dans leur follicule. Nous n’avons aucune idée du flux de liquide céphalora- chidien, nous ne connaissons pas l’âme phosphatée des os, et ne faisons aucun cas des filigranes des cellules électriques.»

Il poursuit : «Et pourtant, nous ne cessons de penser au corps. Cha- que jour, nous nous demandons comment l’habiller, quoi lui donner à manger, et comment il va être perçu. Son extrême fragilité nous cause bien du souci et nous fré- missons à l’idée de tout ce qui pourrait lui arriver. La douleur, grande ou petite, se charge de nous rappeler fréquemment que nous avons un intestin, que dans l’épaule se greffent des muscles et qu’à l’intérieur du genou se frô lent les cartilages.»

Et les fesses ? Ce n’est généralement pas la douleur qui se charge de nous rappeler que nous avons des fesses, mais bien – le cas échéant – le regard des autres. Notamment quand elles ne sont plus complè-

participe de ce fait très précisément au respect de la dignité de chacun des hospitalisés qui la porte.

Pays centralisé à vocation égalita- riste, la France se fait généralement une joie de tout régler par voie administrative. Soit, en l’espèce avec la Charte de la personne hospi- talisée. Il s’agit là d’un document volumineux contenant les décli- naisons pratiques des principes éthiques fondamentaux qui s’im- posent à tous les établissements hospitaliers publics et privés. Or, les auteurs n’avaient pas jusqu’à présent jugé utile de traiter spéci- fiquement de la question de la blouse hospitalière et des parties anatomiques qu’elle laisserait ou non entrevoir.

Seul extrait officiel : «Le respect de l’intimité de la personne doit être préservé lors des soins, des toilettes, des consultations et des visites médicales, des traitements

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Revue Médicale Suisse

www.revmed.ch

29 août 2012

la conception de la pudeur que l’on peut avoir lorsque l’on est en pleine forme n’est pas la même lorsque l’on souffre

actualité, info

en marge

tement recouvertes par les tissus que la bienséance réclame. Et il n’y a, ici, généralement pas de pièces à y remettre. Aujourd’hui cette référence aux parties mus- culo-adipeuses de la région posté- rieure du bassin humain n’est pas le fait du hasard. Elle résulte d’une nouvelle affaire hospitalière fran- çaise que l’on voit depuis peu se développer sur la Toile. La France, qui a décidemment le chic pour constituer des abcès de fixation

dans son riche tissu sanitaire.

Des abcès que le politique peine à vider.

L’affaire en question résulte d’une pétition lancée pour dénoncer l’obligation qui peut être faite aux personnes hospitalisées de porter une blouse «ouverte dans le dos».

On sait que c’est là un vêtement qui facilite la pratique des soins mais qui peut aussi laisser entre- voir certaines parties du corps ; des parties que l’on préfère géné- ralement cacher à l’étranger pour les réserver à de privés usages.

Sur la Toile, le lancement de la pé- tition a vite déchaîné les passions et a rapidement rencontré un assez large écho. Elle est aujourd’hui devenue une véritable affaire qui voit les services spécialisés du mi- nistère français de la Santé chargés de trouver au plus vite des solu- tions concrètes. La pétition est in- titulée «Pour des chemises d’hô- pital respectant la pudeur et la dignité des patients». Son auteure fait valoir que dans la plupart des établissements hospitaliers, les patients sont «affublés de la même chemise». «Taille unique, ouverte dans le dos, quelques boutons pression à l’arrière, et le plus sou- vent, découvrant leurs fesses au moindre mouvement, explique- t-elle. En se levant et en marchant un peu, un patient ainsi affublé se retrouve à moitié nu devant son voisin de chambre, ou devant les soignants, soignés, familles et amis, se trouvant en même temps que lui dans le couloir.»

Les signataires de cette pétition refusent de considérer comme une fatalité hospitalière le fait de devoir

«renoncer à sa pudeur». Selon eux ce n’est pas parce que son état de santé impose un séjour à l’hôpital que l’on doit subir cette contrain te vestimentaire. Et ce n’est pas parce que l’on souffre et que l’on a perdu son autonomie que son corps doit être potentiellement exposé à la vue de tous. Cette situation est, disent-ils, d’autant moins accep ta - ble que des solutions alternatives existent. Rien n’impose que l’échan- crure soit dorsale. On trouve ainsi aujourd’hui sur le marché diffé- ren tes formes de chemises de pa- tients se nouant sur le côté, «façon cache-cœur», ou ayant simplement une fermeture plus adaptée aux circonstances.

Et les signataires de la pétition de se faire quelque peu menaçants.

«Nous incitons les patients hospi- talisés à signaler systématiquement ce problème sur les questionnaires de sortie qui leur sont souvent remis à la fin de leur séjour, annon- cent-ils ainsi. Nous demandons aux directeurs d’établissements hospitaliers de prendre en compte le respect de la pudeur et de la dignité des patients lors des pro- chaines commandes de chemises d’hôpital. Nous souhaitons simple- ment que le code de santé publique et la charte de la personne hospi- talisée soient respectés : le respect de l’intimité de la personne doit être préservé à tout moment de son séjour hospitalier.»

Face à ces revendications qui sem blent de bon sens, quelques soignants tentent de rappeler que, si elle peut avoir certains inconvé- nients, cette blouse offre aussi de nombreux avantages. Elle facilite notamment le travail de tous ceux qui, au quotidien, effectuent les gestes d’hygiène parfois ingrats que réclame l’état de santé de per- sonnes clouées sur leur lit. Ces soignants expliquent aussi que la conception de la pudeur que l’on peut avoir lorsque l’on est en pleine forme n’est pas la même lorsque l’on souffre et que son corps récla- me des soins.

Dans ce cas, laisser entrevoir telle ou telle partie de son anatomie n’est pas forcément synonyme d’une humiliation et d’une atteinte à la dignité du patient. Il en est même d’autres qui soutiennent que la «blouse» facilite la réalisa- tion collective des gestes soignants dans l’univers hospitalier et qu’elle

L’édifiante histoire des blouses

«qui laissent voir les fesses»

revue de presse

© istockphoto.com/bonnie jacobs

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1 Ortiz M. Du Corps. Préface d’Antonio Tabucchi. Paris : Editions du Seuil, 2012.

Nous avons, il y a peu, fait une recen- sion de cet ouvrage dans ces colonnes (Rev Med Suisse 2012;8:1302-3). Sa relecture fait qu’il nous semble plus riche encore qu’au premier abord. Nous n’hésitons donc pas à le citer à nouveau tant il est vrai que l’on ne se lasse guère d’écrire à la louange des ouvrages que l’on aimerait faire connaître. Pour le plai- sir des lectures. Etant bien entendu, en cette année anniversaire, que nous nous gardons comme la peste de cette mé- chante formule de Rousseau (1712- 1778) : «La louange ne sert qu’à cor- rompre ceux qui la goûte».

de chaque année. «Des études ont montré que le nombre d’infarctus a reculé de 21% au Tessin suite à l’in- terdiction de fumer dans les établis- sements publics», explique l’onco- logue Thomas Cerny. A Genève, une étude montre que «les hospitalisa-

tions pour maladies des voies respi- ratoires ont diminué de 19% depuis la réglementation cantonale».

Le texte ne changera rien dans les cantons romands – à l’exception du Jura – a martelé hier le comité d’ini- tiative. (...)

Patrick Chuard Tribune de Genève du 14 août 2012

pré et postopératoires, des radio- graphies, des brancardages et, plus généralement, à tout moment de son séjour hospitalier. La per- sonne hospitalisée est traitée avec égards.» Tout ceci va devoir être étoffé et une nouvelle version sera proposée dès la rentrée des classes.

Car, le gouvernement doit désor- mais compter avec la dimension politique prise par cette affaire.

«Les situations très concrètes évoquées sur vos blogs décrivent parfaitement la gêne, pouvant parfois aller jusqu’à l’humiliation, qui peut être celle des patients, âgés ou non, dans de telles circons tan- ces» a écrit Marisol Touraine aux responsables de la pétition contre la «blouse». La ministre française de la Santé ajoute : «Il y va tout simplement de la dignité de la personne. Je partage le sentiment qui est le vôtre, à savoir que l’inti- mité de la personne doit être res-

pectée dans l’ensemble du proces- sus de soins, sans toutefois que ce respect perturbe la pratique des personnels soignants.» Soigner et respecter. Un parfait exercice, en somme, de grand écart politique.

Jean-Yves Nau jeanyves.nau@gmail.com

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