CAS CLINIQUE /CASE REPORT
Problèmes des antivenins en Afrique
Problems of antivenoms in Africa
E.K. Kouame · A. Ouattara · L.N. Assa · Y.P. Yapo · Y. Ehounou · Y. Brouh
Reçu le 12 décembre 2012 ; accepté le 10 janvier 2013
© SFMU et Springer-Verlag France 2013
Introduction
Les envenimations par morsures de serpent représentent un problème de santé publique en Afrique par leur fréquence sous estimée, leur gravité et la difficulté de la prise en charge [1,2]. Elles sont fréquentes dans les zones rurales et consti- tuent une forme d’accident de travail en milieu agricole [3].
Les vipéridés sont responsables de 90 % de ces envenima- tions avec une morbimortalité importante [4]. Leurs morsu- res entraînent une véritable exodigestion des tissus de la vic- time (œdème, nécrose, liquéfaction) associé ou non a des troubles hématologiques [5]. Le traitement efficace demeure l’antivenin spécifique mais son coût élevé limite son utilisa- tion en Afrique. On assiste depuis lors à une prolifération d’antivenins à bas coût dont l’efficacité est remise en ques- tion [6-8]. Nous rapportons un cas d’envenimation par mor- sure de vipère à Agboville (Côte d’Ivoire) chez qui l’admin- istration de huit doses d’un antivenin générique a été inefficace.
Observation
Un planteur de 57 ans sans antécédent particulier a été mordu au mois de novembre à la cheville droite aux environ de 9 h lors des travaux champêtres par un serpent qu’il a formelle- ment identifié comme une vipère (le patient ne portait pas de bottes de protection). Il a ressenti une lourdeur au niveau de la jambe droite avec un saignement en nappes aux points de morsure. Il a regagné difficilement le village distant d’environ 3 km de son champ où il a procédé à un lavage à l’eau tiède de la zone mordue. Il a été ensuite conduit dans un véhicule per-
sonnel au Centre hospitalier régional (CHR) d’Agboville situé à 20 km du village. À l’admission, soit environ 3 h après la morsure, le patient présentait un état de choc (pression arté- rielle à 80/60 mmHg, tachycardie à 124 battements.min-1et une obnubilation avec un score de glasgow à 13) associé à un œdème douloureux du membre mordu remontant au genou avec des traces de crochets. Il a bénéficié d’une expansion volémique avec un litre de gelatine associé à 1 g de paracéta- mol, une sérothérapie antitétanique, une bi-antibiothérapie (ceftriaxone, metronidazole) et un pansement alcoolisé du membre œdematié. L’évolution a été marquée en quelques heures par une extension de l’œdème jusqu’à la racine de la cuisse avec apparition de phlyctènes à la cheville. En l’ab- sence d’antivenins dans la région, le patient a été évacué en réanimation du CHU de Cocody (Abidjan, Côte d’Ivoire) situé à 100 km du CHR d’Agboville. À son admission en réanimation (24 h après la morsure), on notait une adyna- mique, une pâleur conjonctivale, un subictère, un saignement en nappes aux points de morsure, une extension de l’œdème au bassin et au scrotum avec des ecchymoses siégeant préfé- rentiellement au niveau des mollets et de la cuisse. Le bilan biologique montrait une anémie aiguë à 5,9 g.dL-1avec une thrombopénie à 30.000.mm-3. Le test de coagulation sur tube a permis de noter un sang incoagulable confirmé par les tests biologiques de l’hémostase. On notait aussi une cytolyse hépatique (ASAT = 289 UI.L-1; ALAT = 119 UI.L-1), une insuffisance rénale d’allure fonctionnelle (créatininemie = 31 mg.L-1, urémie = 1,1 g.L-1) et une hyperbilirubinemie (totale = 27,7 mg.L-1; conjuguée = 5,9 mg.L-1). Il a été pro- cédé devant ce tableau clinique à une transfusion sanguine de 700 ml de culots globulaires, de 4 unités de concentrés pla- quettaires et de 5 poches de plasma frais congelé. Il a en outre bénéficié de l’administration de 8 doses d’un antivenin (ASNA C®, du laboratoire indien Bharat Serums and vacci- nes). Cet antivenin est fabriqué à partir d’immunoglobulines d’origine équine et chaque millitre de ce produit neutraliserait 20 à 25 DL 50 de venins standard de 11 espèces de serpents dont les genresBitis,Dendroapsis,NajaetEchis. L’adminis- tration s’est faite selon le protocole suivant : une dose initiale d’une ampoule dans 250 ml de sérum salé isotonique
E.K. Kouame (*) · A. Ouattara · L.N. Assa · Y. Brouh Anesthésie réanimation, CHU Cocody, Abidjan, Côte d’Ivoire e-mail : kkedmond2002@yahoo.fr
Y.P. Yapo · Y. Ehounou
Anesthésie réanimation, Institut de cardiologie, Abidjan, Côte d’Ivoire
Ann. Fr. Med. Urgence (2013) 3:184-186 DOI 10.1007/s13341-013-0287-4
Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur archives-afmu.revuesonline.com
administrée en 1 h, répétée à la 4eh, à la 12eh et à la 24eh pendant 48 h. Malgré ce traitement la symptomatologie clinique et les désordres biologiques persistaient motivant la prescription d’un autre antivenin (FAV Afrique® de Sanofi- Pasteur France). Cet antivenin est composé de fragments d’immunoglobulines équines F (ab’)2, et chaque millitre de ce produit neutraliserait au moins 20 à 25 DL50 de venins standard de 10 espèces de serpents dont les genresBitis,Den- droapsis,NajaetEchis. L’évolution a été rapidement favo- rable avec une régression importante de l’œdème (Fig. 1A et 1B) et une normalisation du bilan biologique (Hb = 9,5 g.dL-1 , plaquettes = 268.000 mm-3, TP = 74 %, créatininémie = 12 mg.L-1) autorisant la sortie au 12ejour d’hospitalisation.
Discussion
Les vipères africaines sont des serpents facilement identifia- bles. Les populations à risque sont essentiellement les agri- culteurs qui travaillent très souvent sans moyens de protec- tion individuelle (bottes et gants). Le patient a formellement identifié le serpent comme étant une vipère. Les espèces de vipéridés couramment rencontrées en zone forestière en Côte d’Ivoire appartiennent aux genres Bitis(avec la vipère du Gabon,Bitis gabonica) etCausus(vipères nocturnes africai- nes) dont les venins sont riches en enzymes de spécificité variable [9,10]. Certaines entraînent des nécroses sévères, d’autres agissent sur les différentes étapes de l’hémostase en entraînant une coagulopathie liée à l’activation et la consommation de plusieurs facteurs de la coagulation [11].
L’examen sur tube sec a été utile dans le diagnostic précoce des troubles de la coagulation chez ce patient [12]. Le seul traitement étiologique reconnu efficace est l’antivenin spéci- fique (FAV Afrique®) [13]. C’est un produit de nouvelle génération, purifié, bien toléré. Malheureusement cet antive- nin n’est disponible que dans de rares officines et seulement
à Abidjan et son coût élevé (160€la dose) est un frein à son utilisation pour notre population à faible revenu. Depuis plu- sieurs années, on assiste à une prolifération d’antivenins en provenance des pays asiatiques qui ont un coût réduit (66€) et dont l’efficacité reste à prouver [8].
Conclusion
Les envenimations par morsure de serpent constituent une urgence vitale. Un antivenin spécifique est le seul traitement efficace qui doit être disponible et accessible aux popula- tions rurales.
Conflit d’intérêt :
les auteurs ne déclarent pas de conflit d’intérêt.
Références
1. Chippaux JP (2005) Évaluation de la situation épidémiologique et des capacités de prise en charge des envénimations ophédien- nes en Afrique subsaharienne francophone. Bull Soc Pathol Exot 98:263–8
2. Einterz E, Bates M (2003) Snakebite in northern Cameroon:
134 victims of bites by the saw-scaled or carped viper, Echis ocellatus. Trans R Soc Trop Med Hyg 97:693–6
3. Fayomi B, Massougbodji A, Chobli M (2002) Données épidé- miologiques sur les morsures de serpent declarées au Bénin de 1994 à 2000. Bull Soc Pathol Exot 95:178–80
4. Mion G, Olive F (1997) Les envenimations par vipéridés en Afrique noire. In Saïssy JM,ed. Réanimation tropicale Paris Arnette 349-66
5. Mion G, Olive F, Giraud D, et al (2002) Surveillance clinique et biologique des patients envénimés. Bull Soc Pathol Exot 95:139–49
6. Chippaux JP (2011) Estimate of the bruden of snakebites in sub- saharan Africa, a meta-analytic approach. Toxicon 57:586–99 7. Brown NI (2012) Consequences of neglect, analysis of the sub-
saharan African snake antivenom market and the global context.
PLoS Negl Trop Dis 6:e1670
Fig. 1 Régression d’œdème avec phlyctènes rompues, desquamation, ecchymose et plaie nécrotique au membre inférieur droit à J6 d’hospitalisation (trois jours après administration du FAV Afrique®) par morsure de vipère
Ann. Fr. Med. Urgence (2013) 3:184-186 185
Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur archives-afmu.revuesonline.com
8. Visser LE, Kyei-Faried S, Belcher DW, et al (2008) Failure of a new antivenom to treat Echis ocellatus snake bite in rural Ghana:
the importance of quality surveillance. Trans R Soc Trop Med Hyg 102:445–50
9. Bellefleur JP, Le Dantec P (2005) Prise en charge hospitalière des morsures de serpent en Afrique. Bull Soc Pathol Exot 98:273–6
10. Chippaux JP (2006) Envénimations et intoxications par les ani- maux venimeux ou vénéneux II : envenimation par viperidae.
Med Trop 66:423–8
11. Larréché S, Mion G, Goyffon M (2008) Troubles de l’hémostase induits par les venins de serpents. Ann Fr Anesth Reanim 27:302–9
12. Chippaux JP, Amadi-Eddine S, Fagot P (1998) Validité d’un test de diagnostic et de surveillance du syndrome hémorragique lors des envenimations vipérines en Afrique sub-saharienne. Med Trop 58:369–71
13. Dzikouk GD, Ngoa LES, Thonnon J, et al (2002) Titrage compa- ratif de trois serums antivenimeux utilisés contre les serpents d’Afrique subsaharienne. Bull Soc Pathol Exot 95:144–7
186 Ann. Fr. Med. Urgence (2013) 3:184-186
Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur archives-afmu.revuesonline.com