G. T H . G UILBAUD
Deux fois treize ou une théorie du schisme
Mathématiques et sciences humaines, tome 12 (1965), p. 31-35
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DEUX FOIS TREIZE
ouUNE THEORIE DU SCHISME
G. Th. GUILBAUD
.... au
’
au ’Gibelin:
quelqu’un
de mes
Poètes
dict bienmais je
ne scay où c’est.1
Il y a de cela huit cents ans:
l’Empereur Frédéric,
que nous disons Barbe- rousse, venu en Italie avec sessoldats,
apris
Rome en1165,
pourétablir,
par laforce, qui
est vraiment le pape. Car il y en adeux,
ouplutôt
lespartisans
de Calixte disent
qu’Alexandre
ne l’est pas, et inversement. Il y a un pape etun
antipape: beaucoup de
bonnes gens ne sont passûrs
de savoirqui
estqui.
Uneépidémie,
ou lesLombards,
ou lesdeux, obligeront bientôt l’Empereur
à regagner les pays du Nord: àRome, l’angoisse
de l’incertitude demeure. Elle tourmente unhomme sage et
savant,
nomméJean,
éluabbé
par les chanoines de Sainte Marie de l’autrecôté
du Tibre.(Qui
va à Romepeut
encore voirl’Eglise,
de Santa Maria in Trasteverequi
fut l’une despremières églises romaines).
A l’aube du 26 Octobre1171,
à l’heure desmatines,
il se sentpoussé,
nous dira-t-illui-même,
par uneinspiration profonde,
ildécide d’étudier
à fond leproblème,
il écrira untraî- té ;
non pas un ouvragepolémique,
où l’onprend parti;
mais untraité,
comme ilconvient,
fort au-dessus descontingences historiques,
hors de l’actualité bienqu’utile
auxcontemporains.
Unethéorie
abstraite du schismequi
commencera parénumérer
toutes lespossibilités.
II
Ce
traité,
onpeut
le lire: unecopie (est-ce
laseule?) figure
à la Bi-bliothèque Manicipale
de Toulouse(sous
la cote202);
c’est unparchemin
de 86feuilles,
datantprobablement de
la fin du Xlvèmesiècle,
relié en bois:Rome trans tiberim
apud
titulum calixtipositus,
adimpetrandam
misericordiam Do- mini nostri nocturne orationisvigilias pervenissem...
et
après l’explicit :
Scripsimus
hec dicta utpurgent
nostra delicta quespiritus
misit sanctus in corde doctoris. Amen.’
Une
édition imprimée
en a éténaguère procurée
par un éruditbénédictin :
De vera pace contra schisma sedisapostolicae opusculum, quod
annoRomae
conscripsit
Iohannes abbas Sanctae MariaeTranstiberim, edidit,
adno-tavit, indicibusque
instruxit Domnus AndreasWILMART,
o. s. b.(Romae,
Fac.Theol. Pontif . Athen.
Lateranensis, mcmxxxviij).
C’est un volume in-8° de LXXI + 234 pages, n° 2 de la nouvelle
série
de la collection "Lateranum".III
Des
schismes,
l’histoire en estremplie:
c’est une forme assezparticulière
de
conflit,
que l’abbé Jean duTranstevère vivait,
mais dont ilconnaissait,
parla
Bible,
de nombreuxexemples.
Leplus
célèbre: Roboam etJeroboam,
la succes-sion de Salomon
(premier
livre desRois, chap. 12).
Mais notre auteur ne se con-tente pas de
puiser,
dans lesEcritures,
un albumd’exemples.
Ilorganise
soncatalogue
et prouvequ’il
estcomplet.
Voici son
schéma:
une situation de schisme est une relationquaternaire.
Il y a, bien
entendu,
les deuxadversaires,
y les deuxpartis:
P’ et P".Puis,
celui
qui choisit, appelons-le
C. EtDieu,
enfin.Le cas le
plus simple:
unapartium electa,
alterareproba.
C’est dire que l’un des deuxpartis
est le "bon"(élu
parDieu)
et l’autre le mauvais(réprouvé).
Mais ce n’est pas
toujours
sisimple,
carpeut-être
sont-ils bons tous les deux.Ou bien
encore tous les deux mauvais.D’où trois
espèces (dont
deux sontdotées
desymétrie ) :
Il faut
maintenant,
pour faire la liste de tous les"sociogrammes" possibles,
que notre auteur
énumère
les relations avecC, l’agent qui
choisit: commentêtre
partisan?
On
peut être
pour, oucontre,
oumême être
à’ la fois pour sousquelque
rap-port
et contre sousquelque
autre :Ce n’est pas tout: il y a bien des
façons
deprendre
unmême parti (cap.
XX:quod singule
differentie in bonam et in malampartem accipiantur),
il y en a de bonnes et demauvaise s./On peut prendre
mal le bonparti,
onpeut
au contraireprendre
lemauvais,
mais à bon droit. Ce que nous traduirons par :Muni de ces
distinctions,
yl’Abbé
Jeanénumère
tous les caspossibles,
etpour chacun d’eux fournit une illustration
biblique.
~
IV
Le tableau de toutes les
configurations possibles
se construit facilement.Voici pour commencer les Treize Schémas : 1 ère
espèce:
Una parselecta,
altérareproba
2ème
espèce:
Duae electae3ème
espèce:
Duaereprobae
chacune est subdivisée selon la
prise
departi.
Enfin, dédoublera
tableau des TreizeSchémas
enajoutant
relation(CD)
’
qui peut être positive (Bene)
ounégative (Mâle).
Au total:
Vingt
six caspossibles.
V
Il faut maintenant montrer que
chaque
cas a étéréalisé
au moins une foisdans l’histoire
biblique.
Voici un Ichantillon de la manière :
1 )-
L’histoireracontée
aupremier
livre des Rois(12,24)
ainsiqu’au
deuxièmedes
Chroniques ( 11, 2 ) :
l’attitude deShemeya (en
grec et latin:Semeias),
duae
partes reprobae:
R1 et R2(Roboam
&Jeroboam)
pro R1 et proR2,
bene.2)-
Au début du deuxième livre deSamuel,
unjeune
Amaleciteprend
leparti
deDavid contre
Saül,
mais il leprend
mal.una
partium
electaE,
alterareproba R;
proE,
contraR;
mâle.3)-
A la fin duchapitre
5 des Actes desApôtres,
se trouveracontée] ’interven-
tion au Sanhedrin d’unpharisien
nomméGamaliel, qui
dans le conflit des Sanhe- drites(pars reproba)
contre lesApôtres (pars electa)
choisit desuspendre
sonjugement (simul
pro etcontra)
et fait bien(bene) :
Il ne semble pas que cette
façon
de faire aitinspiré beaucoup
de continua-teurs. Les rares commentateurs modernes
(A.
Wilmartdéjà cité
et F. Chatillon dansRMAL, 1,
2(1945),
page179)
sont un peuinquiets: "mathématique",
"flotte- mentsquant
à la moralité" etc.... Les soupçons,enfin, qu’a toujours attirés
lapraxéologie.
On
peut
se demander en effet àquoi
tout celapeut
bien servir. Traitant duschisme,
àpareille époque ,
on s’attendrait à une conclusionconcrète,
un con-seil d’action pour le moins: "voilà ce
qu’il
faut faire ...". Mais rien de tel dans notretraité:
ils’agit
seulement d’une sorte d’ascèsepurificatrice qui
commence par nous
révéler
lacomplexité
duproblème.
N’est-ce pas uneleçurn
utile que de nous dire(et
par la Bible nousmontrer)
que lescinq
relations sont indé-pendantes :
il ne suffit pas de savoir si A est élu et Bréprouvé
pour nousdécider
à choisir leparti
de A. Etmême
si nous le faisions il faut encore savoir si, nousle faisons comme il faut
(bene ; mâle).
Notre auteur a
pensé
que c’est une bonnediscipline préalable (garante
de la"Custodia
Cordis")
que d’énumérer toutes lespossibilités.
Eviter laprévention
et la
précipitation...
Mais il ne
s’agit
ici que d’unesimple
Note sur unprécurseur ignoré
de lapraxéologie mathématique.
Je laisse à mes lecteurs le soin depoursuivre
la ré-flexion.
On y reviendra ici
même;
en attendantquelques références,
pourprolonger
ces réflexions sur la combinatoire :
C. LEVI
STRAUSS, Anthropologie Structurale,
p.
54, fig.
1 et sqq et p. 83 -Paris,
Plon1958.
F.
FLAMENT,
Théorie desGraphes
et StructuresSociales,
Collection Math. et Sciences de
l’Homme ,
Paris1965,
page159.
E.