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NOTICE
SUR
LA VIE ET LES TRAVAUX
DE
SÉBASTIEN-RENÉ LENORMÀND
Par M. le C" JAUBEKT
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LuoàlàSociété botanique doFrance,danssaséance derentréedu 15 novembre4872.
NOTICE
SUR
LA VIE ET LES TRAVAUX
SÉBASTIEN-RENÉ LENORMAND
Par M. le C
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àlà Sociétébotanique de France, dans saséancede rentréedu 45 novembre4872.Parmi
lessavantsdont l'histoirede laBotanique aimeàconsacrer lesouve- vir,sontceuxqui.,modestement
attachés à leur province nataleet sans s'être signaléspar de grandes découvertes oudes publicationsdu
premierordre, ontéminemment
contribuéaux progrès delascience par lepatronagequ'ils yont exercé, par l'étendue de leursrelations, parune
libéralité sans bornes, autant qu'ils l'onthonorée par leur désintéressement etladignité deleur caractère.Tels furent, en France etde nos jours,
Mougeot
(deBruyères),Requien
(d'Avignon),Lenormand
(de Vire, peut-être l'une de nos villes deFrance
qui, à importance égale, ontde tout temps produit le plus dezélateurs des sciencesetdeslettres).Honoré
del'amitiéde ces troishommes
excellents, ilm'a
étédonné
de lesvisiter souvent, d'entretenir avec eux, pendant de lon-gues
années,une
correspondance pleinedecharme
etd'instruction.Le
pre- mierfut, dès 1819,mon
guide dans les Vosges; le second,mon
introducteur danslabrillante végétationdu
Midi; et,peu
de tempsavant lejour qui nousa ravi
Lenormand,
nous échangions encore, dans sa retraite philosophique deLénaudières, lesfruitsde nosétudes etnos sentiments.Sébastien-René
Lenormand
naquit le2 avril L796,àCondé-sur-Noireau,où
ilpassases premières années chez un parent pendant que sonpère sié- geait dans les assemblées législatives. Le député rentra dans la vie privée, après avoir courageusement lutté contre le coup d'État du 18 brumaire. Ilappela son filsà Virepourle placer au collègequi venaitde s'organiserdans cette ville sous les auspicesde
M.
Asselin,numismate
distingué, alorssous- préfet de l'arrondissement.A
quinze ans, le jeune élève avait brillamment traversé les premières épreuves de toute carrière libérale : il fut envoyé d'abordà Caen, et bientôt aprèsdansune
pension préparatoire pour l'École polytechnique. Les événements de1S\U
lui donnèrent une autre direction, et il s'appliqua auxétudesdu
barreau.Reçu
avocaten 1820,ilvint exercersa profession àVire.Pendantsesdivers séjours à Paris, au traversdes leçonsde l'Écolededroit et des exercices aridesdela procédure,son penchantdécidé pourla botanique
s'était déjà manifesté. Il avait, dans ses heures de loisir, fréquenté le plus qu'il l'avait pu leJardin-des-plantes, où l'attiraient la bonté paternelle des maîtres, leconcours empressé de leurs auxiliaires. Ainsi, dans le
même
temps,
moi-même —
alors inconnu au jeune condiscipleque
plus tard je devaissiheureusement
rencontrer dans lamême
voie,—
jedésertaisaussile palais dejustice pour l'amphithéâtrede Desfontaines, notre premierpatron, et les conseilspratiquesdu
jardinier en chef, le bon Jeanïhouin
, qu'ilme
semblevoir encoredans lessentiers de l'École, son cahier de notes sous le bras et à sa boutonnière son cornet àécrire à côté du ruban de la Légion d'honneur.
Lenormand
etmoi
avonsainsi., à une année de distance l'un de l'autre, prêté leserment d'avocat, tout en vouant à l'histoire naturelleune
sortedecultedomestique.
Ses talents
comme
jurisconsulte furentpromptement
appréciés dans son paysnatal,et ilyconquit,dansla confiance publique,l'un despremiers rangs.Le
présidentdutribunaldevantlequelilplaidait,M. Dubourg
d'Isigny,homme
d'esprit,poèteet savant,étaitépris
comme
lui dela botanique,ettousdeux
lui consacraientencommun
leurs loisirs : à leur collaboration est dû le premier catalogue qui ait étépublié des plantesdu
Bocagenormand.
Sur cesentre-faites, sa
sœur
aînée avait épouséDominique
Delise, habitant laville voisine de Fougères, naturaliste aussi zélé qu'il avait été braveofficier, poursuivant dans sa retraite des travaux estimés dans plusieurs branches de la crypto-garnie,
notamment
les Lichens :que
de liens entre lesdeux
beaux-frèressidignes l'unde l'autre!
L'ordre des Algues,siapprofondi de nosjours danssastructure intime, n'a- vait, jusqu'au
commencement
de ce siècle, guèreattiré l'attention des natu- ralistesque
sousses aspects généraux, par l'étonnante diversité et l'élégance desesformes; ildevint pourLenormand
l'objetd'unevéritableprédilection.A
Gaen, ilen avait abordé l'étude dans les leçons deLamouroux,
l'un des premiers classificateurs decetteimmense
familledevégétaux. Il la poursuivit avec ardeur, en société avecses compatriotesAlpli. deBrébisson,Roberge
et spécialement Chauvin,plus tard professeurà Gaen,dontil devait êtreun jourlepanégyriste dans
une
noticeémue
et savanteoù
se déguisent ses décou- vertes personnelles, maisoù
se reflète son proprecaractère.Lesmêmes
mérites se retrouventdans sonéloge d'un autre botanisteéminent, Turpin, originaire aussi deVire.En
1828, ilavait acquisun
auxiliaire, plusprécieuxencore, desesrecher- ches, enunissant son sort àune femme
aimable et vertueuse, qui partagea bientôt tous sesgoûts.Ilavait, le6 octobre de cette année,obtenu lamain
deM
lle MéliteLe
Gouix, filled'un avoué très-considéré deVire. Elle suivait son mari danssesexplorationssurles côtesde laNormandie,
surtout àGran
ville,Arromanches, Port-en-Bessin, etc., etc'estelle quidès lors a portéà la per- fection la préparation des Algues,
que
la générosité deM. Lenormand
a ré- pandues ennombre
prodigieuxdans la plupart desgrandes collections, à leur toursesdébitrices.Ses largessesenattiraientd'autresdelapartdetous lescol- lecteurs.Nul
neluia payéplusmagnifiquementsadetteque
Harvey,aprèsson voyage de 185£i enAustralie, entreprisspécialementpour
larécoltedesAlgues.Après les
événements
de 1830,M. Dubourg
d'Isigny, sonami
malgré la différencedeleursopinions politiques, ayantdonné
sadémission des fonctions deprésidentdu
tribunal civil de Vire pouréviter deservirlegouvernement
nouveau, l'avaitpressé de le remplacer, cequ'il auraitété facile d'obtenirdu
ministrede lajustice,M. Dupont
(del'Eure),detouttempslié aveclafamilleLenormand.
Cettedémarche,
si honorable pour tous les deux, n'eut pas de suite:Lenormand,
parun
désintéressementbien rare,surtoutauxépoques de révolutionoù
tantde gensseprécipitentsurlesemplois publics, voulut rester avocat. Peut-êtreaussi méditait-ildéjà laretraitecharmante, mais prématurée au pointde vue des vulgaires intérêtsdu monde, que
lui gardaitsa propriétéde Lénaudières. Toutefois cefut euoctobre
1835
seulementqu'il renonça au barreau et au séjour de Vire : la santé deM
meLenormand
s'était altérée etexigeait des soinsassidus; tousdeux fixèrentdéfinitivement leur résidence à Lénaudières.Le
voyageurquis'y rendàpied, en parlantdeVire, traverseun
payspitto- resque, mêlé de bois et deprairies; il s'engage dansune
véeombreuse
qui conduit àlademeure du
sage:Vossapereetsolos aio benevivere, quorum Conspiciturnitidis fundata pecuniavillis(l).
C'est
un
petit manoirpatrimonial, debonne
apparenceet qui sentsavieille bourgeoisie, loin desvillages, dansune
situation riante.Au
nord, une belle plantation desapins l'abriteainsique
lepotager,— paulum
silvœsuper his, delamaison d'Horace.A
l'ouest, lacournormande,
qui estun
verger avecune
fontaine,—
jugisaquœ
fons, etlamétairie,— modus
agrinon
itama- gnus
(2).A
l'est,une
allée enterrasse et taillée, dontles ouvertureslatérales laissent glisserlavue dansun
vallon etaudelàsur descollines boisées.— Au
midi, desbosquetscomposés deplantes choisies de pleine terre, sorte dejar- dinbotanique,
moins
les étiquettesde fer-blanc. Point deportier : on entre partout en tournant leloquet d'une barrière basse.Au
seuilun
cordial ac- cueilvous attendait: alorscommençaient
les entreliens familiersoù
lecœur
avaitla meilleure part, maisoùla botanique netardait guère à se placer en
tiers quinecraintjamais d'être importun. L'herbier fournissait d'inépuisa- bles sujetsde recherche et de comparaison; une foule de questionsde no- menclature, de géographie botanique, deculture, étaienttourà tour abor- dées sansfatigue ni pédanterie. Bientôt
une
courtepromenade
entraînait dansle voisinage àla recherchede ce
que
nous appelonsune bonne
plante, leSibthorpia
europœa,
parexemple, au moulinde Bionet,leLepidium
Smithiique
levisiteur, pressé d'arriver au rendez-vous, avaitomis decueillir surles talusdela vée(3).(1) HORAT. Epht. I, XV.
(2) Sat. Il, VI.
(3) Le compte rendud'une excursion delaSociétéLinnéenneauxenvironsimmédiats deVire, le 8juillet 1866, mentionne, entre autres espèces plus ou moins rares, dans tihe première série :
Androsœmum
officinale,Œnanlhe
crocala^ Wahlenbergia Itedcraceaj Sibthorpia—
5—
On
s'asseyait ensuite à une table frugale, où le cidre (i) du cru était pré- féréauxvins finsdu
Midi, qui pourtant n'ymanquent
pas. Puison
passait en revue les plantesdu
potager et des bosquets, qui à leur tour provoquaient d'utilesobservations.Comme
lesintérêtsdela patrie restent,bon
grémal
gré,au fond de toutes choses,même
dans lesexistencesque
l'expérience a le plus détachées dela politiqueactive, on s'entretenait, dansl'allée de laterrasse, desévénements
,
des misères
du temps
présent, etl'on méditait ensemble sur l'avenir. Telle était notre conversationà laveillepour
ainsi diredes désastres de 1870.Lenormand
appartenait à cette génération sérieusement formée, sous la Restauration, à lapratique desinstitutions libérales.Nous
avonsvu sondésin- téressementen 1830.Lorsque
éclatala néfasterévolution de 1848, ses conci- toyens, qui avaientéprouvé son patriotismedans lesluttes électorales, lepor- tèrent à la sous-préfecture de Vire : il ne fallut,pour
vaincre sa résistance, rienmoins que
lesinstancespubliquement
répétéesdelapopulation.Dans
ces graves circonstances, sa présence à la têtedel'arrondissement fut pour tous unegarantie.A
lafm
de 1849, il écrivaità notre confrère, l'excellentcrypto- gamiste, ledocteur Roussel :europœa, Potamogeton pusillus, Carex elongata, Leersia oryzoides, Âvena longi- folia, PolypodiumDryopteris, Pierygophyllum lucens, Philonotis fontana, Cinclidotus fontinaloiries, etc.
Dans une secondesérie :
RanunculusLenormandi, Helodes palustris, Isnardia palustris,
Carum
verticilla- tum, Helosciadiuminundatum,Exacum
filiforme, Pilularia globulifera, Nitella Irans- ucens, etc.(1) Turamènes lajoieàla table attristée; jj Surtesflotsd'orfrémitune mousseargentée;
Lafièvreaux yeux ardents que rappellelevin, Abandonnesaproie à ton aspectdivin.
L'arbre quit'aproduit n'occupe pas sans cesse Lesmains dulaboureur autourdesa faiblesse; 11suffità lui-même,etses brasvigoureux
Savent bien, sans nossoins,porter leursfruitsnombreux.
C'estl'ami de Cérès : àl'abri desa tête Lesépisfortunés méprisentla tempête, Et dansle
même
champune double moisson Nous donnel'aliment auprèsdelaboisson.Salut,pommiers touffusquicouvrez la Neustrie!
(Castel, les Plantes,)
—
6—
« Concevez-vous riende plus désolant pour
un
pauvre bjtaniste,qui a» cherché à s'isoler le plus qu'il lui était possiblepour ne pas êlre distraitde
•» sesoccupations habituelles,
que
de lenommer,
àson insu,à une place qui» lejetteau milieu desaffairespubliques et de la politique,sans lui laisser le
» temps de sereconnaître?
Que
de mauvais sang j'ai fait pendant les huit>> mois
que
j'aipassés dans cette mauditegalère, etque
de fois,me
voyant« sous-préfet, j'ai penséau
Médecin malgré
lui! »Sesactesavaientjustifiépleinementlesespérances deses administrés; aussi l'avaient-ils vu avec
un
profond regret résigner ses fonctions le lendemaindu
jouroù échouala candidaturedu
braveet honnêtegénéraiCavaignac contre lefuturempereur
: il avaitobéi à saconscience.Le
15février 1849, ilexpli- quait ainsi sa résolution aumême
correspondant :«
Ce
n'est qu'après avoir adressé trois foisma
démission et lorsque la» nomination
du
président actueldela République neme
permettait plusde» resterau poste où m'avait appeléla précédenteadministration,
que
j'aipu
» obtenirla permission de rentrer dans
ma
solitude. J'ai répondu à la con-•) fiancede
mes
concitoyens, puisque l'ordre etla tranquillité n'ont pas été» troublés
un
seulinstantdans notrepays; maisje n'auraisni la volonté, ni» le courage, ni la force de
m
'imposer désormaisun
pareil sacrifice.Mon
» cabinet est
encombré
de paquetsque
je n'aipu encore classer »Vingtans après, nous calculions tristement tous
deux
les dernières consé- quences de l'immense aberration populaire dedécembre 1848
: quipou-
vait prévoir àquel degré d'abaissement la France serait si prochainement entraînée?
Jusqu'en 1885, la botanique n'avait fait
que
partager la vie studieusedeLenormand. Le
tempsétaitvenu pour luides'ylivrersans réserve.Il a peu écrit pour les académies ou pour la presse. Ses publications se bornentà sespremièresétudes surlafloredeNormandie,àquelques
mémoires
sur dessujets spéciaux, à des discours à la Société Linnéenne de Normandie, à l'éloge de Chauvin, etc. Toutefois, ces modestes publications sont non- seulement instructivespour lesnaturalistes, mais, deplus,marquées
au coindu bon
goût et de la saine littérature. C'estque Lenormand
était aussiun
homme
degoût,un lettré familier avecles bonsauteursdel'antiquité etceux de notre langue. Il revendiquait volontiers les droits des poètes de sa ville natale à la célébrité, du vieil Olivier Bassolin, le chantre populaire desVaux
de Vire, et, au
commencement
dece siècle, deCastel, auteurdu poëme
des Plantes (1), de Chênedollé, chantredu
Génie de l'homme. Plusieurs de sescompagnons
d'études s'étaient essayés aussi avec succès dans l'art des vers,Chauvin dans la versification latine,Dubourg
d'Isignyet d'autres dansla poésie française :
Lenonnand
se plaisait à réciter leurs gracieuses pro- ductions.Mais son talent d'écrire s'est
donné
carrière dans l'immense correspon- dance qu'il a entretenue pendant un demi-siècle avec les savants desdeux
hémisphères. Il étaitimpossibledeciter, dans quelquecontréeque
ce fût,un nom
de botaniste, plusoumoins
autorisé, qui n'eût chez luiune
sorte decompte
ouvert (2). C'étaitun
travail incessant de préparation de plantes à expédier, de classementetdedistribution des espèces reçuesdu
dehors. Par exemple, le 31 octobre 1865, il écrivait àun ami
:« J'ai vécu près de quatre mois au milieu de productions marines de
» Java, de Curaçao,des îlesMalouines,
du
détroit deMagellan, des côtesdu
» Chili, etc.
Tout
ce temps a étéconsacréà remettreà l'eau l'énorme masse» d'Algues
que
j'avais reçues deplusieursdemes
amiset à lespréparer avec» le plus grand soin possible. Les échantillons s'élèvent à plus de neuf
» cents »
Et ailleurs :
« Outrela besogue
que me
donnent lesAlgues,je suistellementencombré
» de paquetsdeplantes
que
je nesjïs bientôt plusoù
poserle pieddansmon
» cabinet. Jen'en avaisjamais tant reçu
que
cette année. Il vient dem'en
„ arriver de Ceylan,
du royaume
d'Assarn et de l'Himalaya, par des corres-» pondants anglais; etdelaGuyane, par M. Sagot,etc., etc. »
L'extrait chronologique qu'on feraitde la correspondance de
Lenonnand,
serait
une
histoire complète des événements, des voyagesoù
la botaniquea été intéressée, etconstituerait son meilleur éloge.
Dans
ses lettres se pein- draientavecfidélité, dansun
stylesimpleet attachant, sonadmirableactivité,(1) Touslesrecueilsdelittérature comptent parmiles chefs-d'œuvre du genre des- criptifoùle sentiment profond de la nature est allié à l'exactitude scientifique, ses peintures dequelques plantesd'une organisation merveilleuse : Ophrysapifera,Mimosc pudtca,Dionœa muscipula, Valiisneriatpiralis.
2) Lenormandacité,parordre alphabétique,dansson discoursà laSociété Linnéenrie du G juillet 1860, tous ceux avec qui il a entretenu des relations suivies : ils sont au nombrede r-entvingthuit.
l'élcndue deson savoirelde son obligeance : dans les
reposes
qu'il recevait desesplus célèbrescomme
deses plushumbles
correspondants, on trouverait partout les témoignages de l'empressement avec lequel de telles relations étaient recherchées, de l'affectionrespectueuse qu'elles inspiraient àtousceuxque
leurbonne
fortune y avait introduits.Soit
que
la botanique, ne conduisant la plupart de ses adeptes qu'à des jouissances pures d'ambition et d'intérêt de fortune, leur présentemoins
d'occasionsderivalité, soitmême que
cegenre d'études ait une vertu intrin- sèque pour adoucir lesmœurs,
il est certain qu'en généralune
bienveil lance réciproqueetune
heureuse disposition à s'entr'aiderrégnent parmi les botanistes : ilscomposentcomme
une corporation cosmopolite,qu'animeàun
degré singulier l'esprit de propagande. Ces traits étaientéminemment
déve- loppéschezLenormand
: quellepassion de rendreservice! queldévouement!
En
dehorsdes positionsofficielleset nedemandant
jamaisrienpour lui-même, son créditen faveur d'autruiconsistait àexploitercelui de ses correspondants.Il n'y mettait pasdefaçons, àpeu près en ces termes : « X... est
un homme
» demérite; il fera
honneur
à notre chère botanique. Je vous charge deses» intérêts... J'enai répondu : vous
m'en
rendrez compte. » Et jamaisune
telledélégation n'étaitrefusée.
Mougeot
et Requien, souvent associés àLenor-mand
dansses démarches, en agissaientdemême:
tel ce philosophedel'anti- quité qui léguait àses amissesenfantsmineursà pourvoir.Les voyageurs surtout avaient dans
Lenormand
un conseil,un
appui,un
correspondant, dont la sollicitude les suivait pas à pas dans leurs loin- tainesexplorations : ilsaisissait toutes les occasions de leur transmettre des nouvelles et des encouragements.Ceux
de ses compatriotes de laNor- mandie
qui s'étaient voués aux expéditions scientifiques reçurent d'une manière spéciale lesmarques
multipliées de son ingénieuse sympathie.Le
plus célèbre d'entre eux,Dumont
d'Urville, qui, après avoir affronté les banquises glacéesdu
pôle, trouvaune
mort si cruelle dansune
cata- strophe dechemin
de fer, avaitcomme
lui reçu le jour à Condé-sur- Noireau etétait son ami de jeunesse :Lenormand
fut le promoteur de la souscription qui éleva au grand navigateurune
statue dans leur ville natale.MM.
Vieillard etDeplanche, tousdeux
chirurgiensdela marine,étaient partis pour la Nouvelle-Calédonie,munis
de ses instructions détaillées qu'ils de- vaient remplir et encore dépasser avec tant d'énergie et de persévérance— 9 —
au travers des tribus sauvages. Pendant plusieurs années ils lui adressèrent sans relâche leurs abondantes récoltes, avec mission de les classer et de
lesdistribueren première ligneauxétablissements scientifiquesetàplusieurs de ceux de l'étranger, en secondeligne à des particuliers inscrits sur
une
sortedeliste d'honneur,
où
l'indulgente amitié deLenormand
m'avait placé.Il s'était chargé de cette
immense
manutention : il yfutpuissamment
aidé parM
meLenormand. Chaque
espèce était d'ailleursaccompagnée
d'une étiquette de sonécriture élégante, indiquant, outre sesdéterminationsprovi- soiresd'une remarquablesagacité, ledétailprécis deslocalités etdelarécolte.Ilétaitallé pour moi, après le retour desvoyageurs,jusqu'à dresser, toujours de ua main,
un
catalogue général des envois successifs, d'aprèsles contrôles lea plussurs et ses propres rectifications. Ces matériaux précicut, grossis de ceuA deM.
Pancher, ancienjardinierdu Muséum,
et deM.
Balansa, qui a déjà si bien mérité de la botanique dansses expéditions en Orient, sont lefondement
de la grandeœuvre
d'uneFlorede la Nouvelle-Calédonie, entre- prisepar ledoyen
actueldelabotanique,M.
Brongniart, tropprématurément
privé de la collaboration de notre regretté confrère ArthurGris. Prochaine- ment, noussommes
fondés à l'espérer, lemonde
savant seracomplètement
initiéàlabellevégétationdecettecoloniefrançaise,
émule
del'Australie.Pour- quoises côtessont-elles attristéesparles épavesde nosdiscordesciviles!Un
herbier, instrument indispensable etproduitd'un travail incessant, est pour le botanistecomme
l'histoire de sa vie : progrès de ses connaissances, circonstances privées, joies et douleurs de la famille, amitiés, services reçus ou rendus réciproquement, tout y a laissé des tracesoù
l'on se plaît à reve- nir; les événementspublicseux-mêmes
y sont, à l'occasion,marqués
à leurs dates: ainsi s'ajoutaitsans cesseau riche herbierdeLenormand une
valeur desentiment. Ilen avait posé lesbasesdèssa jeunesse dans son apprentissage auMuséum
de Paris, et pendant plus de cinquante années il y a rassemblé et classé avecune
patience et dansun
ordre admirable les échantillons des espèces végétalesde la terre et des eaux dans tousles climats: jamaisaucun
particulier n'a peut-être réussi à former
une
collection plus vaste.Heureux
le botaniste qui, àson dernier jour,necraint pasque
son trésortombe
entre des mainsindifférentes, et qui peut letransmettreà ses enfants, élevésparluidans desgoûts simpleset studieux! L'herbier qu'ilsperfection- nerontà leur tour'sera pour eux la source d'iné' a des jouissances.Ce
- 10 —
bonheur
n'était pas réservéàLenormand
: de son mariage n'était issue qu'unefilleenlevée en 1829, encoreenfant, et dontla naissance avaitété fatale àla
santédesa mère. Les parents, désolés, n'avaient trouvé de consolation
que
dans leur mutuelle tendresse etdans leurscommuns
travaux de L'herbier.Le
sort inévitabledescollections,même
lorsqu'elles passentune
première foisdeleursauteurs àleurs familles, estdes'absorber finalement dans les établis- sements publicsauprofit,ilest vrai, des générationsfutures. Parlestempsqui courent, lesdynasties,
même
botaniques, n'ont pas une longue durée; et, enfin de cause, la république des lettres, devenue leur héritière, reste chargée de perpétuer leur
œuvre
etde préserver leurmémoire
de l'oubli.Lenormand
avait tout préparé
pour
assurerun
tel asile à son herbier; il l'avait légué, longtempsà l'avance, ainsique
sa bibliothèque, à la Faculté des sciences deGaen
et à la piété intelligente dedeux
deses meilleurs amis,M.
Morière, professeur, etM.
Vieillard, conservateur de cet établissement.Dans
la der- nière session dela SociétéLinnéenne
deNormandie
tenue à Vire, il a énu-méré
les provenances de toutes lescollections qui tour à tour sont venues, parune
sorte d'attraction qu'à tous les litres il avait su rendre irrésistible, sefondre dans son herbier : toutes les régionsdu
globe, tous les jardins etmusées
botaniques yavaient d'innombrables représentants. Il prononça alors ces parolesque M.
Morière a rappelées surlatombe
entr'ouvertedeLenor-mand,
entourée deshommages
et, on peut le diresans exagération, arrosée deslarmesd'une population entière:« Je ne mourrai pas toutentier : j'ai assuré lesortdescollections quiont
» fait le
charme
dema
vie. Elles recevrontune
honorable hospitalité dans» la galerie
du
Jardin-des-plantes de Caen. Je continuerai à les rendre de» plus en plus dignesde figurerprès decelles ded'Urville, de
Lamouroux,
» de Chauvin, de Roberge, de d'Isigny. » Ainsi, jusqu'à la fin, l'amitié et la reconnaissance s'allièrent, dans cette
Ame
généreuse, àJ'amour
de labotanique.
Cinq années seulement s'écoulèrent encore à Lénaudières, au milieu des
mêmes
travauxLe
11décembre
1871,Lenormand
s'éteignitdoucement, après unecourte maladie, entreles bras desa digne compagne.Une
rare réunion de qualitésdu cœur
etde l'esprit,un
caractère à la foisfermeetpleind'aménité,
une
probité antique, uneraison saine, unemodé-
ration parfaite dans les opinions et la conduite de la vie, telsétaient les titres
—
11—
de
Lcnormand
à l'estime publique, à l'attachementde tousceuxqu'il a plus particulièrement connus. Lesservices qu'avecun
zèle infatigable il a rendusàlascience se continueront après lui par l'enseignement nédeses travaux.
La Société botanique de France devait à sa
mémoire un
tribut spécial de regrets : sa province le citera toujours avec orgueilcomme un
de ses meil- leurs citoyens.FARTS. I! PRIMER]E DE E. ilAUTINET, IlU E M1G.NOS, ïi.
/.-
*
SMITHSONIAN INSTITUTION LIBRARIES