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L'engagement économique et social de la SdN et de l'OIT. La protection et l'éducation des enfants et de la jeunesse

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L'engagement économique et social de la SdN et de l'OIT. La protection et l'éducation des enfants et de la jeunesse

DROUX, Joëlle, HOFSTETTER, Rita

DROUX, Joëlle, HOFSTETTER, Rita. L'engagement économique et social de la SdN et de l'OIT.

La protection et l'éducation des enfants et de la jeunesse. In: Hidalgo-Weber, O. & Lescaze, B.

Du multilatéralisme à Genève, de la SdN à l'ONU. Tome 1: La Société des Nations ou la singulière expérience du multilatéralisme. Suzanne Hurter, 2020.

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:147477

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HISTOIRE

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DE MULTILATERALISME A GENÈvT

DE LA SDN A |ONU

Ln SoclÉrr DES NnrroNS

OU

LA SINGUlIÈnr rxpÉRlENCE DU MULTIIRTÉnaLISME

Vers 1900, Ia globalisation du monde paraît inéluctable. Des lignes télégraphiques sillonnent Ies océans, reliant entre eux les continents. Désormais, en quelques heures, le monde entier est informé d'un événement qui s'est produit à I'autre bout de la planète. Les relations diplomatiques demeurent néanmoins opaques, souvent secrètes, dominées par des intérêts publics ou privés parfois irrationnels. Dans ce contexte se créent quelques organisations internationales qui s'efforcent de rationaliser les relations entre les Etats en fixant quelques règles agréées par la communauté internationale, qu'il s'agisse des prisonniers de guerre ou (gl I'acheminement du courrier. Ainsi surgissent le Comité international de la Croix-Rouge et I'Union postale universelle.

La diplomatie traditionnelle se révèle incapable, en l-914, de stopper un conflit devenu, presque instantanément, mondial. Désormais, ce ne sont plus seulement quelques utopistes qui rêvent d'une paix universelle en rationnalisant les relations entre les nations, mais les gouvernants eux-mêmes, soucieux d'éviter le retour de telles boucheries. Des projets de réorganisaûon de la société internationale surgissent, comme les fameux quatorze points du Président W. Wilson et sont discutés dans les chancelleries. Avant même la f,n de la guene, avant même les négociations de paix, bien des gouvernements sont convaincus de

la nécessité d'une Ligue des nations qui va devenir, après l'écroulement des trois grands empires européens (Russie, Allemagne, Autriche-Hongrie) pour ne pas mentionner la Turquie, une nouvelle organisation internationale: la Société des Nations, ambitieuse dans ses buts, limitée dans ses moyens, qui va s'efforcer durant vingt ans, de rationnaliser la société internationale grâce à ce qu'on appellera Ie multilatéralisme.

Pour la première fois dans I'histoire de I'humanité, les Etats tentent de mettre fin à leurs différents, collectivement, par des moyens pacif,ques. Ils n'y pawiendront qu'avec peine et finiront par échouer face aux puissances totalitaires qui déclencheront la Seconde Guerre mondiale. Mais ils parviendront, en quelques années, à créer des institutions spécialisées, chargées de résoudre de multiples problèmes concrets, comme ceux du travail, de la santé, des migrants et des réfugiés, voire du trafic de drogue, dont le succès, aujourd'hui quelque peu déprécié, voire oublié, sera pourtant à I'origine du système des Nations Unies. C'est cette histoire, méconnue, des débuts du multilatéralisme que racontent, dans des chapitres aussi vivants que variés les spécialistes de cette aventure humaine incroyable que fut la Société des Nations.

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TnBLE DEs MnrlÈnrs

Hommage

:

Robert Cramer et Guy-Olivier Segond préface

:

Tatiana ValovaYa

Avant-ProPos

:

PhiliPPe Burrin

Introduction

:

OIga Hidalgo-Weber et Bernard Lescaze Remerciements

p. 13 p. 1s

p.17 p. 19

p.27

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: Ln SoctÉrÉ ors Nnrtoxs

Chapitre 1: â.,es orËgines de la SdN

1,.L La naissance du multilatéralisme (1815-1918), Jean-Michel Guieu

1,.2 La Conférence de la paix et la naissance de la SdN, Jean-Michel Guieu

1.3

Le choix du siège, Bernqrd Lescaze

I.4

L'organisation de la SdN (adhésion, composition et fonctionnement), Bernard Lescaze

p.32 p.48 p. 62

p.78

Chapitre

2:

Le mrandat et les réalisations de la SdN 2.1. La paix par le droit, Robert KoIb

2.2

La Suisse et la SdN, Bernard Lescaze

2.3

Les Etats-Unis et la SdN, Ludovic Tournès

2.4

La SdN et la sécurité internationale,

un terrain d'expérimentation, Matthias Schulz

2.5

L'entrée de I'URSS dans le multilatéralisme, Irène Herrmann

2.6

La question des réfugiés, Rebecca Viney-Wood

p.96 p. 108 p. 126

p. 138 p. L52 p. 166

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3.1- La SdN et le Moyen-Orient, OzcanYilmaz

3.2

Les mandats de la SdN en Afrique, Alexander Keese

3.3

Les pays latino-américains face à la SdN, Corinne Pernet

3.4

Les pays d'Asie et la SdN, Antoine Roth

3.5

La lutte contre l'esclavage et le travail forcé, Alexander Keese

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Paix et justice sociale, Sandrine Kott

L'OIT et le tripartisme: négocier le progrès social, Dorothea Hoehtker et Kari TaPiola

Les réalisations économiques et monétaires, Madeleine Lynch DungY

La protection et l'éducation des enfants et de la jeunesse, Joëlle Droux, Rita Hofstetter

Epidémies, hygiène publique et drogues, CéIine Paillette Genève, carrefour de la mobilisation féminine,

Myriam Piguet et Françoise Thébaud

p.

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p.

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4.L 4.2

p. 256

p.272 p.282

p.344

p. 396

p.397 p.398 p.404 p.406 4.3

4.4

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298 4.5 31.4

4.6

p. 328

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5.1

Le Palais des Nations et le BIT à Genève, Catherine Courtiau

5.2

De la SdN aux Nations Unies, Patricia Clavin

5.3

L'exil de l'OIT au Canada, Olga Hidalgo-Weber

Annexe "1. : Secrétaires généraux de la SdN Annexq: 2 : Directeurs du BIT

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4 I L’engagement économique et social de la SdN et de l’OIT

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Joëlle Droux, Rita Hofstetter Une lente maturation

En janvier 1919, lorsque la Conférence de la paix inaugure ses travaux, la question des droits des enfants à la protection et à l’éducation n’est pas nouvelle. Depuis le début du XIXe siècle, l’enfance a déjà fait l’objet d’une multitude de débats nationaux. La nécessité de protéger les enfants face aux risques auxquels les expose le travail industriel s’était progressivement imposée aux Etats. Nombreux sont ceux qui prennent alors conscience que l’enfance s’étiole à la fabrique, écrasée par des tâches inadaptées à ses forces, dans un environnement malsain et insalubre. Dès les années 1830 une gestion plus économe des ressources humaines est réclamée dans la plupart des pays industrialisés. Des projets de loi sont rédigés, visant à mieux ajuster le travail des jeunes à leurs capacités (en fixant un âge minimum d’accès, des horaires limités, un encadrement du travail nocturne). Mais, même quand ils sont votés, ces dispositifs sont peu appliqués : la main d’œuvre infantile, peu coûteuse, permet aux entrepreneurs de produire à bas coût, et de se maintenir ainsi face à la concurrence. En dépit de cette première prise de conscience, le travail infantile continue donc de sévir dans les fabriques.

Un premier tournant intervient avec la construction des systèmes scolaires publics. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, nombre de nations décrètent la généralisation de la scolarisation (par l’obligation), pour préparer l’enfant à ses fonctions de citoyens et de producteur. Les Etats fixent un seuil d’âge (différents selon les pays), avant lequel la place de l’enfant est à l’école, et non plus au travail (12, 13 voire 14 ans). Progressivement, ce n’est plus seulement la protection contre le travail précoce qui est actée : d’autres catégories de mineurs vulnérables voient leurs droits réaffirmés par la loi (orphelins, enfants abandonnés, maltraités ou négligés, délinquants). L’enfance en tant que telle est désormais reconnue dans ses droits spécifiques à la protection et à l’éducation : partout ou presque, l’Etat se donne le devoir de les faire respecter.

Comment expliquer dès lors que l’enfance et la jeunesse aient pu faire l’objet d’un quelconque investissement de la part des organisations internationales qui se créent

4.4 La protection et l’éducation des enfants et de la jeunesse

Enfants travaillant dans un moulin à dévider aux Etats-Unis, en 1909.

Jeune travailleuse en 1924.

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dans le sillage du Traité de Versailles ? Les Etats-nations n’avaient-ils pas déjà entrepris de répondre à leurs besoins ? Nombreuses en effet sont les organisations internationales qui vont s’intéresser à l’enfance durant l’entre-deux- guerres : l’OIT en tout premier lieu ; mais aussi un organe spécifique de la SdN, créé en 1925, le Comité de protection de l’enfance ; du côté des réseaux internationaux, l’intérêt n’est pas moindre, au point qu’il est impossible de citer toutes les initiatives qui bouillonnent alors sur cet objet. Le point de rencontre de ces multiples agences, leur commun espoir aussi, est bien résumé en 1925 par la Britannique Eglantyne Jebb, cofondatrice de l’Union internationale de secours aux enfants : « On pourrait s’attendre à des progrès rapides vers un niveau raisonnablement élevé de soins et de protection des enfants dans le monde entier, si tous les gouvernements pouvaient accepter en principe certaines obligations minimales fixées par la SdN, et si celle-ci pouvait ensuite soutenir leurs efforts pour atteindre les normes qu’ils se sont ainsi fixées en leur donnant tous les conseils et informations nécessaires. »

Pour Jebb, le rôle des organes internationaux n’était donc pas prioritairement de déployer une action directe à destination des enfants du monde, et pour cause : il s’agissait là de la prérogative des Etats, souverains pour définir les besoins de leurs jeunes générations et y répondre, en lien avec leurs propres partenaires de terrain (œuvres privées notamment). Les tâches des organes intergouvernementaux seront donc autres : non pas se substituer aux Etats, mais développer des outils facilitateurs afin d’orienter l’action de ceux-ci vers des dispositifs et des pratiques efficaces et fonctionnels.

Pour mesurer le poids de la SdN et des organes qui lui sont associés sur le terrain de l’enfance, on ne doit donc s’attendre ni à des résultats spectaculaires ni à des actions d’éclat, telles que nos ONG actuelles, confrontées à l’urgence humanitaire, nous les donnent à voir. Mais plutôt à des fonctions plus discrètes. Le processus d’internationalisation de la question de l’enfance a en effet consisté pour l’essentiel à promouvoir et faciliter les échanges d’information pour rendre les frontières perméables aux réformes. Un processus qui n’a pas pris partout la même forme ni la même force. Comme on va le voir, nombre d’agences et d’acteurs internationaux s’y investissent.

OIT-BIT : la voie normative

Reprenons le fil de notre histoire du travail infantile : on a vu qu’à la fin du XIXe siècle de nombreuses législations y ont déjà été consacrées, entrecroisant scolarisation et interdiction du travail précoce. De national, cet objectif s’est même fait international : en 1890 à Berlin, puis en 1914 à Berne, les principales puissances européennes reconnaissent la nécessité d’interdire le travail précoce dans les fabriques et le secteur minier, au-dessous d’un seuil d’âge variable (10 à 14 ans selon les pays).

Cette absence de consensus autour de la question des âges délimitant ce cadre protecteur annonce des lendemains qui déchantent. Le travail conventionnel de l’OIT durant l’entre-deux-guerres allait en effet buter sur ce facteur.

La question du travail infantile est débattue dès la première conférence internationale de Washington en 1919 : le traité de paix avait en effet clairement mentionné l’abolition du travail des enfants comme un des objectifs de son mandat, dans le droit fil des congrès d’avant-guerre. Or, ce premier débat est vif : non pas sur le principe même de l’interdiction du travail précoce, mais justement sur la question des âges auxquels il doit s’appliquer. Si le seuil de 14 ans est repris comme base de discussion, plusieurs délégués expriment leurs réticences. Certaines contrées du sud, l’Inde notamment, font état de leurs circonstances particulières pour réclamer une norme moins exigeante. Au final, la convention n° 5 de l’OIT adopte pourtant l’âge de 14 ans comme minimum d’entrée au travail industriel, par 92 voix contre 3. Alors même que, sur les 39 pays représentés à Washington, seuls 9 Etats ont déjà adopté ce seuil des 14 ans (les autres sont au-dessous). Ce choix des 14 ans, résultat d’une convention qui se veut annonciatrice d’un avenir plutôt que constat de l’existant, sera déterminant pour la réception ultérieure de cet outil.

En dépit de cette souplesse, ces conventions seront peu ratifiées : seulement 18 ratifications enregistrées en 1919 pour celle sur le travail industriel ! Une ratification qui ne rime pas forcément avec application.

Un correspondant tchèque du BIT le signale en 1927 : « nous avons ratifié la convention sur la protection des enfants encore soumis à l’obligation scolaire, mais nos patrons peu consciencieux les emploient comme la main-d’œuvre qui leur revient à meilleur marché ». Ce constat d’une résistance patronale pointe aussi un problème majeur : celui de la cohérence entre dispositions légales sociales et réglementations scolaires.

Dans de nombreux pays en effet, les âges de fin de scolarité obligatoire ne coïncident pas avec le seuil des 14 ans imposé par les conventions de l’OIT. En cas de ratification de cette norme de l’OIT, que faire des

Eglantyne Jebb, (1876-1928).

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enfants qui sortent de l’école à 12 ou 13 ans, s’ils ne peuvent être autorisés à travailler ? Non seulement ils ne contribuent plus au budget familial, mais il faut encore les entretenir, et surtout les surveiller…

L’ampleur du problème et la complexité des problématiques qu’il génère incitent nombre d’agences internationales à s’en saisir.

Enquêtes et études se croisent et s’enrichissent au fil d’échanges d’une grande densité, notamment entre le Bureau international du travail et son homologue le Bureau international d’éducation (BIE) (dont on reparlera ci-dessous), ou encore les organes techniques de la SdN. La non-concordance des temps scolaires et sociaux sur laquelle planchent ces réseaux sera résolue paradoxalement grâce à la crise économique.

Dès le début des années 1930, le chômage de masse qui en résulte affecte tout particulièrement la jeunesse. N’ayant jamais travaillé, les jeunes chômeurs ne peuvent prétendre aux prestations de l’assurance-chômage (quand elle existe…). Oisiveté et misère risquent fort de pousser les jeunes au délit. C’est du moins ce que craignent une variété d’intervenants (œuvres philanthropiques, services sociaux, mouvements de jeunesse, syndicats, milieux enseignants), qui poussent l’OIT à se saisir de cette problématique. En 1935, celle-ci adopte une recommandation qui dresse un catalogue des mesures propres à juguler le chômage des jeunes.

Ce texte marque une ère nouvelle car il prône la concordance entre organisation du système scolaire et implémentation de la politique sociale, au nom d’une protection efficace de l’enfance. Il faut dire que dès 1934 une recommandation du BIE sur la prolongation avait déjà bien préparé le terrain. Cette prolongation a un double objectif. Non seulement elle décongestionne potentiellement le marché du travail en retardant l’arrivée des plus jeunes, mais en outre elle renoue avec l’objectif protecteur des législations du XIXe siècle.

Certes, l’application de ces mesures ne se fera pas sans difficulté : certains Etats hésitent notamment devant la charge supplémentaire qui leur serait ainsi imposée (création d’écoles, de postes d’enseignants).

Néanmoins, le soutien des milieux scolaires à cette intégration des dispositifs scolaires et sociaux en un véritable système protecteur, que symbolisent les collaborations nouées sur cette question entre BIT et BIE, relance l’œuvre conventionnelle de l’OIT. Une collaboration qui pave la voie à une élévation de l’âge de fin de scolarité à 14 ans (par ex. en France, 1936). L’OIT s’en voit confortée, et croit venue l’heure de réviser ses conventions sur l’âge minimum en les fixant désormais à 15 ans (convention n° 59 sur le travail industriel). Mais c’est aussi une décision qui, par contrecoup, met en difficulté les Etats qui venaient à peine de voter l’élévation de fin de scolarité à 14 ans…

Jean Piaget (1896-1980), scientifique,

directeur du Bureau international de l’éducation.

Fils d’Arthur Piaget, professeur à l’Université de Neuchâtel, Jean Piaget soutient à vingt-deux ans une thèse en sciences (sur les mollusques). Cette orientation biologique lui permet de construire l’épistémologie génétique fondée sur une théorie du développement cognitif de l’enfant qui se construit à travers les interactions avec le monde physique et social. Engagé en 1921 comme chef de travaux à l’Institut Rousseau où se mènent alors des investigations pluridisciplinaires sur l’enfance et son éducation, Piaget en fait son port d’attache ; il en devient codirecteur dès 1932 jusqu’à sa retraite en 1971. Il exerce simultanément d’autres fonctions, comme professeur d’histoire des sciences, de psychologie expérimentale, de psychologie

génétique, de sociologie à Neuchâtel puis à Genève, Lausanne, Paris ; invité encore dans diverses autres universités du monde. Dans ces domaines, mais aussi en philosophie, biologie, logique, Piaget déploie une prodigieuse activité de publication (80 livres, 700 articles). C’est en 1929 qu’il devient directeur du Bureau international de l’éducation (BIE) créé par l’Institut Rousseau.

Secondé par le directeur adjoint Pedro Rosselló et la secrétaire générale Marie Butts, Piaget fait du BIE une institution intergouvernementale, à laquelle participent un nombre croissant d’Etats. Enquêtes et conférences internationales débouchent sur des recommandations visant à l’amélioration des systèmes et programmes scolaires. Avec la fondation de l’UNESCO, des synergies s’inaugurent entre les deux instances, le BIE étant reconnu comme centre mondial d’éducation comparée et de documentation pédagogiques.

Directeur jusqu’en 1968 du BIE, Piaget exerce de surcroît divers mandats au sein de l’UNESCO : remplaçant du secrétaire général, direction de la section éducation, membre du conseil exécutif et des commissions de programme et de budget, membre du comité exécutif de l’Institut hambourgeois de l’UNESCO en faveur de la citoyenneté et l’éducation internationale, président de la délégation suisse de l’UNESCO. Comme diplomate de l’international dans le champ éducatif, Piaget promeut trois lignes de force : la compréhension internationale, les méthodes actives et une éducation de qualité pour tous, celle-ci constituant un droit humain inaliénable.

Rita Hofstetter

En 1967, Jean Piaget (1896-1980).

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La voie normative, pavée de bonnes intentions, se révèle donc chaotique.

Le bilan qu’on peut en faire reste ouvert à discussion : en fixant par le haut un seuil contraignant, l’OIT a obligé les nations à se questionner sur le statut qu’elles conféraient à l’enfance, et à se confronter à un horizon d’attente ambitieux.

Mais cela a été fait sans prendre suffisamment en compte la concordance sur les terrains nationaux entre les temporalités de l’école et celles des marchés du travail. De fait, la convention n° 5, et les conventions jumelles qui lui ont succédé ont créé les conditions de leur non-application.

Le Bureau international d’éducation (BIE) : la voie de la concertation intergouvernementale

L’école siège sur le banc des accusés de la Grande Guerre : imbue de nationalisme, vouant un culte à l’obéissance, l’école aurait dressé les élèves à devenir de braves petits soldats, prêts à s’élancer docilement sur les champs de bataille pour y périr en patriotes. Pour les éducateurs et intellectuels, pacifistes et féministes qui émettent cette sentence, c’est en

« révolutionnant » l’éducation que la paix sur terre se bâtira : l’école doit dorénavant se donner pour mission de forger des citoyens responsables, libres et autonomes, acquis aux valeurs de solidarité et de compréhension mondiale. A l’aube des années 1920, des pédagogues internationalistes vont jusqu’à s’insurger : pourquoi les enfants ne bénéficient-ils pas, comme les travailleurs (OIT) et les intellectuels (Institut international de coopération intellectuelle – IICI) d’une agence internationale, qui se préoccupe de leur sort pour résoudre les problèmes éducatifs mondiaux en recourant à la coopération internationale ?

Constatant que la SdN n’envisage pas de créer elle-même un tel organisme, les intellectuels et psychopédagogues, pétris de pacifisme, qui gravitent autour de l’Institut Rousseau/Ecole des sciences de l’éducation fondent le Bureau international d’éducation (BIE) à Genève, en 1925. S’inspirant explicitement de l’esprit de la SdN et de l’élan réformiste en vogue dans ces années 1920, cette nouvelle agence se donne pour mission de construire par la science et l’éducation la paix sur terre. Il s’agit alors d’une fondation privée, soutenue par un comité de patronage placé sous la présidence d'Albert Einstein et où figurent nombre de personnalités en vue dans les agences internationales de Genève (dont la SdN et le BIT). Le BIE ambitionne de fédérer toutes les associations éducatives de la planète partageant ses vues, une suprématie que ne lui reconnaîtront guère ces autres agences internationalistes, elles aussi en quête de légitimité.

En 1929, pour éviter la faillite et renforcer son assise et son efficience, le BIE de Genève est reconfiguré : ce sont désormais les Etats, en charge de régir les systèmes éducatifs nationaux, qui en sont les premiers partenaires.

Afin de garantir sa crédibilité scientifique et son audience, la direction de l’agence est confiée à Jean Piaget (1896-1980). Le psychologue écrit avoir accepté ce mandat un peu en guise d’aventure ; visiblement il s’est pris au jeu : épaulé du directeur adjoint Pedro Rosselló (1897-1970) et d’un staff aussi restreint qu’efficace, Piaget dirigera le BIE presque quarante ans durant. Le BIE devient ce faisant la première agence intergouvernementale en éducation, précurseur à ce titre de l’UNESCO, avec laquelle il collabore depuis 1946 pour s’y intégrer pleinement dès 1969.

Cinq gouvernements apposent leur signature sur l’acte de fondation du BIE en 1929 : Genève, l’Equateur, la Pologne, puis l’Espagne et l’Egypte ; la Suisse ne s’y ralliera qu’en 1934. Progressivement, suite à d’inlassables démarchages du BIE, d’autres Etats s’y affilieront (16 en 1939, 20 en 1950, 68 en 1968). Mais tout gouvernement intéressé peut s’associer aux travaux du BIE, qui dénombre plus de 200 correspondants dans plus de 70 pays déjà durant les années 1930.

Le BIE se donne pour objectif de centraliser la documentation relative à l’éducation publique et privée et de traiter les problèmes éducatifs mondiaux en y appliquant les méthodes de la collaboration internationale.

L’agence se revendique d’une stricte objectivité scientifique et d’une neutralité, qu’elle prétend « absolue » au point de vue national, philosophique, confessionnel et surtout politique : un défi qui n’est pas des moindres dans le contexte de l’exacerbation des nationalismes, des velléités hégémoniques des empires, de la nouvelle conflagration mondiale et des luttes d’indépendances qui marquent le XXe siècle.

C’est la voie de la concertation intergouvernementale que privilégie le BIE, en organisant annuellement, depuis 1934, des conférences internationales d’instruction publique (CIIP). Ces conférences réunissent les représentants des Etats membres, des observateurs d’agences internationales (SdN, BIT, IICI) et des délégués d’autres nations intéressées. Un comité de liaison est constitué avec le BIT, puis avec l’IICI, pour faciliter les collaborations scientifiques et une répartition

« harmonieuse des tâches ». A partir de 1946, c’est entre l’UNESCO et le BIE que s’inaugurent de telles synergies : le BIE est apparenté à une agence technique de l’UNESCO, contribuant aux projets de sa section de l’éducation et les CIIP sont désormais organisées sous les auspices conjoints de l’UNESCO et du BIE.

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Mariage d’essai affirme en diplomate pragmatique Piaget ; mariage de convenances qui s’est montré aussi mariage d’affection, renchérit le sous-directeur général de l’UNESCO (Clarence Edward Beeby), en 1948.

Ces conférences sont conçues comme une tribune où les gouvernements exposent et discutent les « faits saillants du mouvement éducatif » dans leur pays, afin « de se faire une idée de la marche de l’éducation dans le monde » (CIIP, 1946). Parmi les questions cruciales privilégiées, nombre se rapportent aux conditions d’accès à l’instruction : la scolarité obligatoire et sa prolongation, l’admission puis l’égalité d’accès aux écoles secondaires, l’organisation de l’enseignement spécial et rural, l’accès des femmes à l’éducation. Les programmes et curriculum scolaires mobilisent d’emblée l’attention, dans le but aussi d’élargir l’accès à la culture et de promouvoir une meilleure conscience internationale. Les conditions de travail et de formation des enseignants sont au cœur des préoccupations, la qualité de l’école étant considérée comme dépendant du statut et des qualifications des maîtres.

Les recommandations soumises à l’examen des Etats durant ces conférences et adoptées à leur issue n’ont aucune valeur contraignante : perdure la hantise d’une interférence sur les prérogatives des Etats, l’éducation restant chasse gardée des nations. L’argument est subtil pour transmuter cette liberté en une responsabilité. Chaque gouvernement aurait tout intérêt à posséder le meilleur système éducatif possible, garantie de la performance intellectuelle et économique du pays : l’émulation entre pays suffirait donc, chaque pays étant invité à s’enrichir de l’expérience d’autrui pour parfaire son éducation. Chacun est libre d’énoncer des prises de positions, d'amender les recommandations ou de s'y opposer. Mais la contrepartie de cette liberté est clairement énoncée : par sa présence, ses écrits, ses interventions et son vote des recommandations, le délégué d’un Etat s’implique et ce faisant engage le gouvernement qu’il représente (CIIP, 1934). L’engagement serait d’autant plus exigeant qu’il est librement consenti. La somme des articles de ces recommandations – plus de mille pendant les quatre décennies durant lesquelles Piaget et Rossellò dirigent le BIE – constitue pour le BIE une « charte des aspirations mondiales de l’instruction publique ».

C’est comme diplomate de l’internationalisme éducatif que le psychologue généticien Piaget se distingue dans l’enceinte du BIE. Avec son directeur adjoint, Rosselló, il y expérimente, à une échelle intergouvernementale Pedro Rosselló (1897-1970), directeur adjoint du BIE.

Né en Catalogne, d’une famille de cultivateurs, Rosselló se forme à l’enseignement d’abord à Madrid puis à Genève, attiré par la nouvelle science de l’enfant et de l’éducation que construit l’Institut Jean-Jacques Rousseau. De retour au pays, il devient inspecteur scolaire, enseigne la psychopédagogie au Musée pédagogique et dirige la section de psychologie de l’Institut d’orientation professionnelle de Madrid. Dès 1924, il est nommé collaborateur à l’Institut Rousseau où il se spécialise dans l’éducation comparée. Après avoir obtenu un doctorat en 1943 et publié le livre « Marc- Antoine Jullien de Paris », père de l’éducation comparée et précurseur du Bureau international d’éducation – texte fondateur de l’éducation comparée –, il accède au poste de professeur dans cette discipline en 1948.

Lors de la réorientation du Bureau international de l’éducation en une institution intergouvernementale, il en devient le directeur adjoint, secondant son ami Jean Piaget. Il conservera ces fonctions jusqu’en 1968.

Rosselló, épaulé de la secrétaire générale Marie Butts, est quarante ans durant la véritable cheville ouvrière du BIE. Il contribue à l’organisation annuelle des conférences internationales de l’instruction publique. Il rédige les bulletins du BIE, publication trimestrielle qui rend compte du travail du bureau, décrit les mouvements éducatifs internationaux, propose une bibliographie internationale et informe sur l’avancement des enquêtes du BIE.

Il crée l’Annuaire international de l’éducation et de l’enseignement qui paraît annuellement depuis 1933 et est diffusé dans le monde entier. Sur la base des données fournies par les Etats partenaires du BIE, Rosselló élabore une vue d’ensemble de la situation scolaire mondiale qu’il analyse minutieusement, pour en extraire une vision globale de la « marche mondiale de l’éducation ». Il pratique ainsi ce qu’il a théorisé comme une éducation comparée fonctionnelle et explicative, qui cherche les causes des phénomènes globaux en les contrastant, afin, si possible, de prévoir leur évolution.

Rita Hofstetter

Pedro Rosselló (1897-1970).

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et internationale, les méthodes mêmes de la coopération et du self- government qu’il a rencontrées à l’Institut Rousseau et dont il a renouvelé la théorisation : Piaget démontre que ces méthodes de coopération permettent le passage de l’égocentrisme à la réciprocité, l’ascension de l’individuel à l’universel, autrement dit à une solidarité interne ; voie d’accès à la rationalité et à la vérité, cette solidarité est au fondement de la construction de l’intelligence. « La compréhension entre individus de races ou de nationalités différentes est l’objet le plus essentiel que doive poursuivre l’éducateur soucieux d’un rapprochement des peuples.

[…]. Ce qu’il nous faut, c’est un esprit de coopération tel que chacun comprenne tous les autres, c’est une ‘solidarité interne’ qui n’abolisse pas les points de vue particuliers, mais les mette en réciprocité et réalise l’unité dans la diversité. […] C’est cette mise en relation des points de vue que nous appelons coopération, par opposition à leur uniformisation ou à la recherche utopique d’un point de vue absolu » (Piaget, 1931, pp. 71-72). Il s’agit à la fois de promouvoir ces pratiques et principes dans les écoles du monde et de les traduire en mode opératoire du BIE et de ses conférences : ce que les protagonistes du BIE appellent alors les méthodes de la concertation et coopération internationales, transposées ici à une échelle intergouvernementale. De fait, ils érigent ce faisant le BIE en Centre mondial d’éducation comparée, et c’est à ce titre que le BIE sera pleinement intégré dans l’UNESCO en 1969.

Le Comité de protection de l’enfance de la SdN : l’émergence d’une société civile internationale

Lorsque la SdN inaugure ses travaux en 1919, bien peu de délégués s’attendaient à voir figurer sur son agenda autre chose que des questions politiques ou diplomatiques. Et pourtant, c’est bien sur les terrains sociétaux que la SdN va s’illustrer. Après 1919, les débats qui touchent à ces questions ne seront plus jamais perçus comme des affaires purement nationales. Il faudra compter avec les acteurs internationaux que sont les organisations intergouvernementales, et plus encore leurs partenaires, réseaux et mouvements internationaux. Le terrain de la protection de l’enfance permet de montrer comment ces agents s’y sont pris pour s’imposer comme interlocuteurs de ces débats.

L’éclatement du conflit ne permet pas de concrétiser cet élan mais, dès 1919, le tropisme internationaliste est relancé. En 1921, une Association internationale de protection de l’enfance (AIPE) se crée à Bruxelles. Son

but ? Centraliser les informations sur les bonnes pratiques en matière de protection de l’enfance ; les discuter et les diffuser par des publications et des congrès périodiques ; faire entendre la voix des associations privées tant au niveau des débats nationaux que des forums internationaux.

Parallèlement, d’autres organisations se constituent pour réfléchir aux besoins de la jeunesse dans une société d’après-guerre chahutée par les crises politiques et sociales. C’est par exemple l’Union internationale de secours aux enfants (UISE), fondée à Genève en 1920. Engagée dans l’aide humanitaire à l’enfance menacée de famine dans le centre de l’Europe, l’UISE lance un vaste programme de secours mutuel à l’échelle internationale. Celui-ci transcende les frontières religieuses et politiques pour mettre sur pied de nombreuses actions d’aide à l’enfance telles que cuisines scolaires, distributions de colis alimentaires, homes pour orphelins de guerre, etc. Financées par les donateurs étrangers, ces œuvres sont relayées sur le terrain par une myriade d’acteurs (quakers, sociétés de Croix-Rouge). Une dimension transnationale qui suscite l’engouement des pacifistes : elle incarne de fait cet élan collaboratif sans frontière qu’ils appellent de leurs vœux pour reconstruire des relations internationales pacifiées.

Ces années 1920 voient donc émerger de nouveaux acteurs tels que l’AIPE et l’UISE : ces réseaux recrutent leurs membres dans un vaste vivier d’agents (magistrature, haute fonction publique, intellectuels, philanthropes) qui font de l’enfance leur cible d’intervention. Les relations entre ces réseaux ne sont pas forcément sereines. Parce que leurs champs d’actions se recoupent, concurrence et congruence se succèdent.

Ils n’en incarnent pas moins l’affirmation sur la scène internationale d’une « troisième voix » : celle d’une société civile qui porte ses causes sur l’agenda international, face aux gouvernements et aux agences internationales. Ils y parviennent peut-être aussi parce que bon nombre de leurs militants sont dotés d’un capital social qu’ils savent mobiliser au profit de leurs causes : ainsi, l’AIPE compte parmi ses têtes pensantes le Belge Henry Carton de Wiart (1869-1951), personnage public de premier plan (c’est un des « pères » du modèle belge de tribunal des mineurs) ; ou Henri Rollet (1860-1934), magistrat représentant des réformateurs de la justice des mineurs en France. Quant à l’UISE, elle est appuyée par les élites du CICR genevois, ou par d’éminentes personnalités britanniques.

Entre 1921 et 1924, ces deux réseaux exercent un lobbying constant auprès du Conseil de la SdN pour obtenir la création d’un organe sociétaire chargé de la protection de l’enfance. Ils obtiennent gain de

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cause en 1925 avec la création du Comité de protection de l’enfance (CPE). Son mandat ? Etudier les meilleurs dispositifs en la matière, et les porter à la connaissance du Conseil pour être recommandés à l’ensemble de la communauté internationale. Cet organe consultatif est composé de représentants des gouvernements et de mouvements associatifs (nommés assesseurs) ; il travaille en collaboration avec d’autres organisations qui y sont représentées par leur propre agent de liaison (tel le BIT).

En 1925, le CPE compte une dizaine de délégués gouvernementaux, et six associations assesseurs qui se retrouvent chaque année pour une session d’une huitaine de jours. Les associations qui siègent au CPE non seulement peuvent contribuer à ses travaux, mais elles lui servent aussi de courroie de transmission avec les terrains nationaux.

Or, ces représentants autoproclamés de la société civile internationale sur le terrain de l’enfance sont pour la plupart des personnalités de premier plan : on y retrouve Carton de Wiart ou Rollet, déjà mentionnés ; mais aussi l’Allemande Gertrud Baümer (1873-1954), militante féministe et femme politique, la Britannique Eleanor Rathbone (1872-1946), féministe active sur le terrain de la réforme sociale, l’Américaine Grace Abbott (1878-1939), travailleuse sociale et cheville ouvrière du Children’s Bureau, la Française Léonie Chaptal (1873-1937), experte sur le terrain de la professionnalisation des infirmières et des travailleuses sociales, ou encore le Suisse Alfred Silbernagel (1877-1938), juriste et magistrat. Toutes et tous contribuent à cette forme non contraignante de construction internationale des normes sur le terrain de l’enfance.

Ainsi, la feuille de route du CPE est issue d’un texte majeur promu par l’UISE : sa « déclaration des droits de l’enfant » (texte court composé de cinq articles et un préambule) adoptée par l’Assemblée de la SdN en 1924. Le caractère lapidaire de ses articles permet d’établir un postulat majeur, fondement de multiples outils internationaux de défense des droits des enfants depuis lors : les Etats ont le devoir de tout faire pour améliorer la protection infantile et juvénile. L’AIPE quant à elle va nourrir l’ordre du jour du CPE en y apportant les sujets d’études de son propre réseau : délinquance des jeunes, tribunal des mineurs, protection et éducation des enfants naturels, dispositifs de placement, cinéma éducatif, assistance des mineurs étrangers. Sur l’ensemble de ces questions, nombre d’études seront diligentées par le CPE entre 1925 et 1936 ; elles permettent d’accumuler une masse d’informations issues des quatre coins du globe, visualisant ainsi ce que chaque nation fait

ou s’apprête à faire pour mieux protéger l’enfance.

Durant cette courte décennie, le CPE alimente ainsi une diversité de réflexions sur des dispositifs existants ou à créer, par ses enquêtes, rapports, recommandations. Mais les échecs sont nombreux, aussi.

C’est le cas des projets de convention visant à améliorer l’assistance des enfants étrangers

dans leur pays de résidence, discutés sans interruption au CPE de 1925 à 1934, sans jamais déboucher sur une décision. C’est que le temps et les moyens ont manqué pour faire plus. Mais c’est aussi que cet appétit d’études a parfois rebuté le Conseil, qui n’avait nullement prévu de se laisser entraîner aussi loin en acceptant la création de cet organe consultatif. Mais l’Assemblée soutient son CPE, au point même de recommander en 1936 sa transformation en une Commission des questions sociales, augmentant et universalisant au passage les Etats qui y sont représentés. La SdN se dote là d’un organe chargé d’étudier les politiques sociales, en plaçant la protection de l’enfance et de la famille au centre de sa focale. La commission siège dès 1937, et publie rapidement des rapports majeurs sur des questions sociétales sensibles, dont l’étude avait été lancée par le CPE durant la décennie précédente (la protection des enfants naturels, l’organisation des tribunaux pour mineurs, les politiques de placement). Avant de sombrer avec l’ensemble de l’architecture sociétaire à l’automne 1939…

Si les performances du CPE demeurent limitées, son action reste cependant remarquable en ce qu’elle a initié aussi, au sein de la SdN, ce fructueux dialogue entre société civile, gouvernants et organisation internationale, jusque-là avant tout incarné par le tripartisme de l’OIT.

Et ce en misant non pas sur la voie contraignante, comme l’a fait cette dernière ; mais en institutionnalisant une forme de concertation originale, entre représentants des Etats et acteurs de l’initiative privée. Au fil de ce dialogue, certaines causes vont être médiatisées ; des dispositifs publicisés et évalués ; des catalogues de mesures diffusés et promus.

Traite des femmes et des enfants, Comité d’experts.

1921.

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Des agences facilitatrices d’échanges, constructrices de normes

Au total, la question de l’enfance, de sa protection et de son éducation ont donc fait l’objet d’une grande diversité de débats durant cette époque foisonnante de projets, de dispositifs, et de créations institutionnelles.

Facilitatrices d’échanges, initiatrices de débats, constructrices de normes, ces organisations nées au temps de la SdN, si diverses dans leurs mandats et leurs modes de fonctionnement, ont ainsi contribué à forger un soft power dont on sait qu’il est aujourd’hui un acteur majeur du jeu diplomatique international.

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Références

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