FrançoisDEMARÇAY
Département de Mathématiques d’Orsay Université Paris-Sud, France
1. Définition des faisceaux cohérents
Soit X un espace topologique, et soit A −→ X un faisceau d’anneaux commutatifs unitaires surX, oùA est un espace topologique, où la projection ‘−→’ est un homéomor- phisme local surjectif, et où les espaces de sectionsΓ(U,A)pourU ⊂ X ouvert ont une structure d’anneau.
Soit aussi un faisceau deA-modules surX: M −→ X,
où M est un espace topologique, où la projection ‘−→’ est un homéomorphisme local surjectif, et où les espaces de sectionsΓ(U,M)sont desΓ(U,A)-modules.
Comme l’a fait comprendre la théorie générale des faisceaux, on peut envisager A et M alternativement et simultanément comme une réunion topologisée de germes :
A = a
x∈X topologisée
Ax, et M = a
x∈X topologisée
Mx,
sachant que ces germesAxetMxs’identifient aux fibres des projections ‘−→’ respectives.
La prise de germe d’une sectionM ∈Γ(U,M)en un pointx∈ U d’un ouvertU ⊂X sera notée :
M 7−→ Mx ∈ Mx.
Des élément fixés de ces fibres Ax et Mx seront notés ax ∈ Ax et mx, nx ∈ Mx. La théorie générale des faisceaux dit que ce sont en fait des germes de sections locales continues définies dans des voisinages ouverts de x; rappelons en effet deux propriétés fondamentales établies au chapitre précédent.
Principe d’extension germique 1.1. Tout germemx ∈ Mx possède toujours un certain représentantlocalM ∈ Γ(U,M), à savoir une sectioncontinueM deM définie dans un certain voisinage ouvertx∈U ⊂Xqui redonne le germe :
Mx = mx.
De plus, si mx ∈ Mx et nx ∈ Mx ont pour représentants M ∈ Γ(U,M) et N ∈ Γ(U,M)dans un ouvert communx∈U ⊂X, alors :
mx = nx (dansMx) ⇐⇒ ∃x ∈ V ⊂ U sous-ouvert tel que M
V = N
V (dansV). Le plus souvent, une hypothèse de noethérianité est satisfaite, qui peut être conceptuali- sée abstraitement comme suit.
1
Définition 1.2. Un faisceau M de A-modules est dit localement finiment engendré lorsque, en tout pointx ∈ X, il existe un nombre fini K > 1de sections M1, . . . , MK ∈ Γ(U,M)définies dans un certain voisinage ouvertx∈U ⊂Xdont les germes engendrent toutes les fibres :
My = Ay ·M1y+· · ·+Ay·MKy (∀y∈U). Exemple 1.3. [Oka 1950] Toutefois, l’engendrement fini local peut parfois être mis en défaut. DansC2, prenons en effet deux boules ouvertes concentriques emboîtées de rayons 0< s < r :
Bs :=
(z, w)∈C2: |z|2+|w|2 < s et Br :=
(z, w)∈C2: |z|2+|w|2 < r , prenons la diagonale :
∆ :=
z =w ,
et attribuons un nom à son intersection avec la différence entre ces boules : A := ∆∩ Br\Bs
.
On doit pouvoir se convaincre visuellement que A est un anneau contenu dans la droite complexe{z =w} ∼=C∼=R2.
C2 w
U z
Br
A
A
zoom
Bs
a b
∆ V
Observons aussi que la partie du bord deBsqui est dans cette diagonale :
∂Bs∩∆ ⊂ A est un cercle ‘spécial’ de rayons√
2entièrement contenu dans l’anneauA, de telle sorte queAest fermé du côté de∂Bs, tandis qu’il est ouvert du côté de∂Br.
Introduisons maintenant le faisceau des fonctions holomorphes s’annulant sur A, dont les sections pour tout ouvertU ⊂Brsont :
IA(U) :=
f ∈O(U) : f(z, z) = 0, ∀(z, z)∈A∩U ; le fait qu’il s’agit d’un vrai faisceau a déjà été vu dans un exercice qui précède.
Le principe des zéros isolés montre alors que siU∩∆est connexe, et s’il existe un point (z0, z0)∈A∩U, alorsf(z, z)≡0partout dansU∩∆, doncf est localement factorisable par(z−w). On en déduit (exercice aisé) qu’en tout pointb∈Br, les germes de ce faisceau valent :
IA,b =
(Ob(z−w)
b si b ∈A,
Ob si b 6∈A.
(1.4)
Assertion 1.5. En tout point a ∈ A ∩∂Bs du cercle spécial, le faisceau IA n’est pas localement finiment engendré.
Démonstration. Sinon, il existerait un voisinage ouverta ∈ V qu’on peut supposer, après réduction, être une petite boule ouverte centrée ena, de telle sorte que V ∩ {z = w}est connexe, et il existerait un nombre fini J > 1 de fonctions f1, . . . , fJ ∈ IA(V) ⊂ O(V) satisfaisant :
IA,b = Obf1
b+· · ·+ObfJ
b (∀b∈V).
Mais le principe mentionné des zéros isolés forcerait cesfj(z, z)≡0à s’annuler en tout (z, z)∈∆∩V, doncfj(b) = 0en des pointsb∈Bs∩∆∩V de la diagonale intérieurs à la petite boule, d’oùb6∈A, ce qui, en se remémorant (1.4), conduirait à l’inclusion impossible de l’anneau local dans son idéal maximal :
IA,b = Ob ?⊂! mb :=
gb ∈Ob: gb(b) = 0 . Lemme 1.6. Si un faisceauM deA-modules est localement finiment engendré, et si, en un point x ∈ X, il existe des sections N1, . . . , NL ∈ Γ(U,M) définies dans un ouvert U 3xdont les germes engendrent :
Mx = Ax·N1x+· · ·+Ax·NLx,
alors en fait, il existe un sous-voisinage ouvertx∈V ⊂U dans lequel ces mêmes sections engendrent toutes les fibres :
My = Ay·N1y +· · ·+Ay ·NLy (∀y∈V). Démonstration. L’hypothèse que M est localement finiment engendré s’exprime donc, quitte à réduireU 3x, comme dans la Définition 1.2 :
My = Ay ·M1y+· · ·+Ay·MKy (∀y∈U). Mais alors, comme N1x, . . . , NLx engendrentMx surAx, il existe des germesak,`,x ∈ Axtels que :
Mk x = ak,1,xN1x+· · ·+ak,L,xNLx (16k6K). Le Principe d’extension germique 1.1 fournit alors pour ces germesak,`,xdes représentants Ak,` ∈ Γ(V,A)tous définis dans un certain sous-voisinage ouvert communx ∈ V ⊂ U tout en garantissant que :
Mk y = X
16`6L
Ak,`
yN`y (∀y∈V,16k6K).
Pour touty∈V, il vient alors par simple remplacement : My = X
16k6K
Ay ·Mk y
= X
16k6K
X
16`6L
Ay·Ak,`
yN`y
⊂ X
16`6L
Ay·N`y,
et comme l’inclusion inverse ‘⊃’ est évidente, on a l’égalité annoncée.
Étant donné un faisceau M de A-modules et étant donné un nombre fini arbitraire
Q >1de sections quelconques :
M1, . . . , MQ ∈ Γ(U,M)
définies dans un voisinage ouvertU ⊂ X, les problèmes qu’ont étudié (et résolu) Cousin puis Oka ont montré qu’il était nécessaire de comprendre les relations existant entre leurs germes, ce qui conduit en théorie générale des faisceaux à introduire, en tout pointy∈ U, l’ensemble desrelations germiques:
Ry(M1, . . . , MQ) :=
n
(a1,y, . . . , aQ,y
∈(Ay)Q: 0 = a1,yM1y+· · ·+aQ,yMQ
y
o .
On peut vérifier (exercice) que ∪yRy(M1, . . . , MQ) constitue un sous-faisceau de la restriction (A)Q
U, les sections continues étant alors représentées dans des sous-ouverts V ⊂U :
V 3 y 7−→ A1(y), . . . , AQ(y) , au moyen de sections continuesA1, . . . , AQ ∈Γ(V,A)satisfaisant :
0 = A1yM1y +· · ·+AQ yMQ
y (∀y∈V).
Mais en général, ces diverses fibresRy peuvent être si découplées les unes des autres lorsquey ∈ U varie, qu’il n’est pas vrai, en général, qu’elles soient localement finiment engendrées même lorsque M l’est, et ce phénomène justifie — après production d’un exemple simple — l’introduction d’un nouveau concept.
Exemple 1.7. DansCnavecn >1, soient une boule ouverteB ={|z1|2+· · ·+|zn|2 < r2} de rayonr >0, de fermetureB ={|z1|2+· · ·+|zn|2 6r2}, et soit la fonction indicatrice :
1B(z) :=
z lorsque z ∈B, 0 lorsque z ∈Cn\B.
SiO = OCn désigne le faisceau des (germes de) fonctions holomorphes surCn, considé- rons les relations engendrées en divers pointsz ∈Cnpar cette unique fonction :
Rz(1B) :=
fz ∈Oz: fz1z = 0 .
Alors le principe d’unicité pour les fonctions holomorphes permet de se convaincre (exercice) que :
Rz(1B) =
(0 lorsque z ∈B, Oz lorsque z ∈Cn\B,
ce qui empêche (exercice) ces relations d’être localement finiment engendrées en tout point du bordz ∈∂B =B\B.
Définition 1.8. Un faisceauM deA-modules est ditcohérentlorsqu’il satisfait les deux conditions suivantes.
(i) M est localement finiment engendré.
(ii) Dans tout ouvertU ⊂X, pour tout nombre finiQ >1de sections : M1, . . . , MQ ∈ Γ(U,M),
la réunion disjointe de leurs relations germiques : a
y∈U
Ry(M1, . . . , MQ)
est elle aussilocalement finiment engendrée dansU, c’est-à-dire que pour toutx ∈ U, il existe un sous-ouvertx∈V ⊂U et il existe un nombre finiK>1de sections :
Ak = Ak,1, . . . , Ak,Q
∈ Γ V,AQ
(16k6K)
telles que dansV :
Ry = Ay ·A1y+· · ·+Ay·AKy (∀y∈V). Autrement dit, les relations germiques en divers pointsy près dex sont en fait engen- drées d’une manière «cohérente» par de vraies sections locales deAQdéfinies de manière
«cohérente» dans un vrai voisinage dex.
Observation 1.9. SiM est un faisceau cohérent deA-modules, alors tout sous-faisceau N ⊂M localement finiment engendré est encore cohérent.
Démonstration. Il reste à vérifier que des relations germiques quelconques deN sont lo- calement finiment engendrées, mais comme elles se plongent dans celles de M, cela est
automatiquement vrai.
La proposition suivante montre qu’on pourrait, dans la Définition 1.8, requérir de ma- nière plus générale mais en fait équivalente, que pour toutP>1, et tous :
M1, . . . , MQ ∈ Γ(U,MP), Mq = Mq,p
16p6P, la collection desPrelations germiques simultanées :
n
(a1,y, . . . , aQ,y
∈(Ay)Q: 0 = a1,yM1,p
y +· · ·+aQ,yMQ,p
y, ∀16p6Po , soit localement finiment engendré.
Proposition 1.10. SiM est un faisceau cohérent deA-modules, alorsMN est aussi co- hérent pour tout entierN >1.
Démonstration. Au moyen de sections deΓ(U,MN)du type(0, . . . , Mn, . . . ,0)avec16 n6N, on voit queMNest localement finiment engendré.
Raisonnons par récurrence surN > 2en supposant que les relations germiques deMn sont localement finiment engendrées pour tout 1 6 n 6 N−1. Soit maintenantU ⊂ X ouvert, soitQ >1, et soient des sectionsM1, . . . , MQ ∈Γ(U,MN)qui comportent doncN
composantes :
Mq = Mq,n
16n6N (16q6Q).
La réunion disjointe sury ∈U des relations germiques : a
y∈U
Ry M1, . . . , MQ
⊂ a
y∈U
Ry M1,1, . . . , MQ,1
requiert, au sujet de germes(a1,y, . . . , aQ,y)∈AyQ, qu’il satisfassentNéquations scalaires :
0 = a1,yM1y+· · ·+aQ,yMQ
y = X
16q6Q
aq,yMq,n
y
16n6N
,
donc en particulier la première qui concerne seulementMN=1: 0 = a1,yM1,1
y +· · ·+aQ,yMQ,1
y (y∈U).
Fixons un point quelconque x ∈ U. PuisqueM est cohérent, il existe un sous-ouvert x∈V ⊂U, il existeK > 1, et il existeA1, . . . , AK ∈ Γ(V,AQ)qui engendrent toutes ces relations de manière cohérente dansV :
a1,y, . . . , aQ,y
∈ X
16k6K
Ay· Ak,1
y, . . . , Ak,Q
y
,
à savoir il existe des germesb1,y, . . . , bK,y ∈Ay tels que :
aq,y = X
16k6K
bk,yAk,q
y (16q6Q, y∈V).
Puisque le germe ay ∈ AyQ satisfait déjà par construction la première équation, il lui reste à satisfaire lesN−1équations restantes :
0 = X
16q6Q
aq,yMq,n
y
= X
16q6Q
X
16k6K
bk,yAk,q
yMq,n
y
= X
16k6K
bk,y X
16q6Q
Ak,qMq,n
y
| {z }
=:Nk,n
y
(26n6N),
ce qui fait apparaître certaines sectionsN1, . . . , NK ∈Γ(V,MN−1).
Comme cesN−1équations constituent des relations germiques pourMN−1, l’hypothèse de récurrence s’applique pour produire un sous-ouvert :
x ∈ W ⊂ V ⊂ U,
ainsi qu’un nombre finiL > 1de sections B1, . . . , BL ∈ Γ(W,AK)telles que, au moyen de certains germesc1,y, . . . , cL,y ∈Ay, on ait :
bk,y = X
16`6L
c`,y·B`,k
y (16k6K, y∈W).
Ceci conduit à effectuer un remplacement pour obtenir, toujours avecy∈W :
aq,y = X
16k6K
bk,yAk,q
y
= X
16k6K
X
16`6L
c`,yB`,k
yAk,q
y
= X
16`6L
c`,y X
16k6K
B`,kAk,q
y
| {z }
=:C`,q y
(16q6Q),
ce qui signifie que les sectionsC1, . . . , CL∈Γ(W,AQ)ainsi définies : a1,y, . . . , aQ,y
= X
16`6L
c`,y
C`,1
y, . . . , C`,Q y
,
engendrent les relations de manière cohérente surW.
Proposition 1.11. Si deux sous-faisceaux R,S ⊂ M d’un faisceau cohérent de A- modules sont cohérents, alors leur intersectionR∩S est elle aussi cohérente.
Démonstration. Pour établir que R ∩S est localement finiment engendré, soit un point quelconquex∈Xet soitU 3xun voisinage ouvert dans lequel il existe des sections :
R1, . . . , RK ∈ Γ(U,R) et S1, . . . , SL ∈ Γ(U,S) qui, en tout pointy∈U, engendrent :
Ry = X
16k6K
Ay ·Rk y et Sy = X
16`6L
Ay ·S`y.
Alors des germesty ∈Ry ∩Sy appartiennent à l’intersection si et seulement si : X
16k6K
ak,yRky = ty = X
16`6L
b`,yS`y,
pour certainsak,y, b`,y ∈Ay.
Or ces égalités peuvent être ré-interprétées comme faisceau de relations :
0 = X
16k6K
ak,yRk y+ X
16`6L
b`,y − S`y
entreK+Lsections du faisceauM. Grâce à la cohérence de M, sur un sous-ouvertx ∈ V ⊂U, il existe un nombre finiJ>1de sections :
Aj,1, . . . , Aj,K, Bj,1, . . . , Bj,L
∈ Γ V,AK+L
(16j6J)
dont les germes engendrent ces relations en tout pointy∈V : a1,y, . . . , aK,y, b1,y, . . . , b`,y
∈ X
16j6J
Ay · Aj,1
y, . . . , Aj,K y, Bj,1
y, . . . , Bj,L y
,
et ceci offre (exercice mental) les deux représentations : Ry ∩Sy = X
16j6J
Ay· X
16k6K
Aj,kRk
y
= X
16j6J
Ay· X
16`6L
Bj,`S`
y
,
dont l’une seule suffit à exhiber l’engendrement fini local deR ∩S.
Pour ce qui est des faisceaux de relations de R ∩ S, l’Observation 1.9 a déjà fait comprendre qu’ils sont alors automatiquement localement finiment engendrés.
2. Faisceaux analytiques cohérents
Définition 2.1. Un faisceauM deA-modules sur un espace topologiqueX est ditlocale- ment librelorsqu’il existe un entierr > 1tel que tout pointx ∈ X a un voisinage ouvert x∈U ⊂X dans lequel :
M
U ∼= A
U
r
.
Un cas spécial mérite attention, lorsqueX est une variété complexe etA = OX est le faisceau des germes de fonctions holomorphes sur X. Tout faisceau localement libre est alors localement isomorphe à(OX)r.
Théorème 2.2. [Oka]Tout faisceau localement libre deOX-modules sur une variété com- plexeXest cohérent.
Démonstration. En effet, X ∼= Cn localement avec n = dimX, donc OX ∼= OCn est cohérent d’après le théorème standard d’Oka, puis la Proposition 1.10 donne la cohérence
de(OX)r.
3. Exercices
Exercice 1. Comme dans l’Exemple 1.7, soitB ⊂Cnune boule ouverte de rayonr >0, et soitχ:Cn−→
R+ une fonction C∞ telle queχ > 0surB tandis que χ ≡ 0dans le complémentaireCn\B. En divers pointsz∈Cn, on regarde :
Rz :=
(fz, gz)∈Oz2: 0 =fzχ
z+gz(1−χ)
z . (a) Déterminer explicitementRzen fonction de la position dez.
(b) Discuter les cas oùRzest, ou n’est pas, finiment engendré.
Exercice 2. EE