MAT-3900 Evolution des id´´ ees en math´ematiques
Coup d’oeil sur quelques structures alg´ ebriques
Fr´ed´eric Gourdeau etBernard R. Hodgson D´epartement de math´ematiques et de statistique Universit´e Laval fredg@mat.ulaval.ca, bhodgson@mat.ulaval.ca
1 Introduction
La notion de structure alg´ebrique surgit du d´esir de classifier divers environnements math´ematiques — en particulier des syst`emes de nombres — en vertu d’op´erations qu’on y ex´ecute et de certaines propri´et´es satisfaites par ces op´erations. Les structures alg´ebriques rel`event donc d’une vision axiomatique des math´ematiques, les objets avec lesquels on tra- vaille ´etant caract´eris´es par des axiomes cherchant `a cerner divers aspects sp´ecifiques `a ces objets.
Une structure alg´ebriqueS est constitu´ee d’un ensembleE sur lequel sont d´efinies une ou plusieurs lois de composition soumises `a certaines propri´et´es. On trouvera ici une description sommaire de quelques structures alg´ebriques fondamentales ainsi que quelques exemples classiques.
L’´etude des structures alg´ebriques nous fournit de nombreux renseignements sur les objets math´ematiques auxquels ces notions s’appliquent. Il est en effet possible, `a partir des axiomes d´ecrivant un type donn´e de structure, de d´eduire des faits g´en´eraux, souvent non ´evidents, qui seront vrais de tout objet math´ematique que l’on sait ˆetre une structure de ce type. Voici deux exemples concrets d’une telle situation :
• siGest ungroupeayant un nombre fini d’´el´ements et siHest unsous-groupede G, alors le nombre d’´el´ements de H est forc´ement un diviseur du nombre d’´el´ements deG;1
• si A est un anneau dont l’´el´ement neutre additif est 0, alors, quel que soit x∈A, 0·x= 0, o`u · d´esigne la multiplication dans l’anneau.
Ainsi tout le bagage de connaissances qu’on a pu d´evelopper, dans un contexte g´en´eral, autour d’un type de structure alg´ebrique (disons la famille des groupes ) se trouve `a notre disposition lorsqu’on fait face `a une structure particuli`ere de ce type (par exemple, le
groupe de sym´etrie d’une figure g´eom´etrique), que cette structure particuli`ere nous soit d´ej`a famili`ere ou pas.
1. Ce r´esultat est connu sous le nom de th´eor`eme de Lagrange, du nom du math´ematicien fran¸cais Joseph-Louis Lagrange (1736–1813).
2 Vers les structures
La notion de base sur laquelle repose l’id´ee de structure alg´ebrique est celle de loi de composition, qui nous permet de combiner les ´el´ements d’un ensemble donn´e de fa¸con `a produire d’autres ´el´ements.
2.1 Loi de composition
D´efinition 1 Etant donn´´ e un ensemble E, une loi de composition (ou op´eration) binaire sur E est une fonction ∗ : E×E −→ E qui `a tout couple ordonn´e (a, b) d’´el´ements de E associe un ´el´ement c=∗(a, b) de E.
On convient habituellement d’utiliser la notation infixe plutˆot que la notation pr´efixe,
´
ecrivant a∗b au lieu de ∗(a, b).
Exemples
1. L’addition + dans N. On a donc
+ : N×N −→ N
(n, m) 7−→ n+m 2. + dans Z, Q ouR.
3. La multiplication · dans N.
4. La composition dans l’ensemble T de toutes les transformations g´eom´etriques du plan.
On a donc
◦ : T × T −→ T (f, g) 7−→ f◦g,
o`u la transformation f ◦g : Π −→ Π, qui va du plan dans le plan, est d´efinie par la r`egle (f◦g)(x) =f(g(x)).
Les lois de composition dont il est question ici seront toujoursbinaires, c’est-`a-dire auront deux arguments. C’est le cas notamment de l’addition et de la multiplication usuelles dansN. Notons qu’on utilise ´egalement en math´ematiques des lois de compositionunaires portant sur un seul argument (par exemple, la fonction valeur absolue | · | ou la fonction sinus dans R, ou encore l’op´eration +5 dans N) ou mˆeme ternaires (trois arguments). Plus g´en´eralement, on aurait la notion de loi de composition n-aire (on dit aussi d’arit´e n) sur un ensemble E : il s’agit d’une fonction ∗ :En −→ E qui `a chaque n-uplet (x1, x2, . . . , xn) ∈ En associe un
´
el´ement unique x∈ E. Mais de telles op´erations n’entrent pas en jeu dans la d´efinition des structures alg´ebriques qui suivent, les lois qu’on y rencontre ´etant toutes binaires.
En pratique, lorsqu’on veut v´erifier qu’une op´eration∗ donn´ee fait d’un ensemble E une structure alg´ebrique d’un certain type, une ´etape importante consiste `a s’assurer qu’on a la fermeture2 de E par rapport `a ∗, c’est-`a-dire que ∗ est une fonction bien d´efinie surE : en
2. On dit aussistabilit´e deE par rapport `a∗.
op´erant sur des ´el´ements quelconques de E, on retombe bien dans E; en d’autres termes, il faut que
a∗b ∈E, quels que soient a, b∈E.
Exemples
1. N est ferm´e pour +.
2. Il en est de mˆeme de l’ensemble des nombres pairs.
3. L’ensemble des nombres impairs est ferm´e pour ·.
4. N n’est pas ferm´e pour − (c’est pour r´egler ce probl`eme qu’on cr´ee Z).
5. L’ensemble des impairs n’est pas stable pour +.
6. L’ensemble I des isom´etries du plan est ferm´e pour ◦.
7. L’ensemble des isom´etries directes est ferm´e pour ◦.
8. L’ensemble des isom´etries indirectes n’est pas ferm´e pour ◦.
2.2 Propri´ et´ es d’une loi de composition
Une loi de composition (binaire) peut satisfaire diverses propri´et´es. Voici celles qui nous int´eressent dans la suite.
D´efinition 2
(a) Une loi ∗ surE est diteassociative si
(a∗b)∗c=a∗(b∗c), quels que soient a, b, c∈E.
(b) Une loi ∗ surE est ditecommutative si
a∗b=b∗a, quels que soienta, b∈E.
(c) Un ´el´ement e∈E est neutre pour∗ si
e∗a =a∗e=a, quel que soita∈E.
(d) Supposons que e est neutre pour ∗ et soit a ∈ E; alors un ´el´ement b ∈ E est appel´e inverse de a par rapport `a∗ si
a∗b =b∗a=e.
Une derni`ere propri´et´e concerne le lien entre deux lois de composition sur un mˆeme ensemble. On supposera donc que sont d´efinies sur E deux op´erations binaires∗:E×E −→
E et:E×E −→E.
D´efinition 3
(e) SiE est muni de deux lois ∗et, alors la loi est dite distributive par rapport `a la loi
∗ si
a(b∗c) = (ab)∗(ac), quels que soient a, b, c∈E.
Exemples
1. + dans N est associative, commutative et a pour ´el´ement neutre 0.
2. n∈N n’a pas d’inverse additif dans N, mais en aura un dansZ, `a savoir −n.
3. · dans N est associative, commutative et a pour ´el´ement neutre 1.
4. n ∈ N\ {0} n’a pas d’inverse multiplicatif dans N, mais en aura un dans Q, `a savoir 1/n.
5. · est distributive par rapport `a + : c’est la bonne vieille ´egalit´e x(y+z) = xy+xz qui, lue de droite `a gauche, porte parfois le nom de mise en ´evidence.
6. + n’est pas distributive par rapport `a ·.
7. ◦ est associative dans T et a pour ´el´ement neutre la transformation identit´e id. Ce- pendant, ◦ n’est pas commutative.
8. Lorsqu’appliqu´ee `a des translations, la composition ◦ est commutative. Il en en de mˆeme de la composition de r´eflexions dont les axes sont perpendiculaires.
3 Les structures alg´ ebriques fondamentales
Nous sommes maintenant prˆets `a aborder les principales structures alg´ebriques. Nous al- lons les pr´esenter sous forme de hi´erarchie, partant des structures les plusfaibles(alg´ebri- quement parlant), c’est-`a-dire de celles d´ecrites par le moins d’axiomes possible. Pr´esentons d’abord l’id´ee g´en´erale sous forme d’une d´efinition.
D´efinition 4 On appelle structure alg´ebrique la donn´ee d’un ensemble E sur lequel sont d´efinies une ou plusieurs lois de composition.
On dira alors de l’ensemble E qu’il poss`ede une structure alg´ebrique d’un type donn´e (sp´ecifi´e par les lois de composition en cause), ou encore, avec un certain abus de langage,3 que E est une structure alg´ebrique de ce type. Tel qu’indiqu´e plus haut, les structures alg´ebriques dont il sera question ici sont munies d’op´erations binaires. Il est d’usage de d´esigner une structure alg´ebrique en donnant le nom de l’ensemble accompagn´e, entre pa- renth`eses, de sa signature, c’est-`a-dire des symboles repr´esentant les op´erations qu’on y consid`ere. Par exemple, (N,+, ·) d´esigne l’ensemble des nombres naturels consid´er´e avec les op´erations d’addition et de multiplication — c’est le contexte de l’arithm´etique ´el´ementaire.
3. L’abus de langage est ici li´e au fait queE, en soi, n’est pas une structure : il s’agit d’un ensemble — ce n’est que lorsqu’on consid`ere cet ensemble muni de certaines op´erations que la notion de structure surgit.
On pourrait au besoin introduire une notation telleS= (N,+,·) pour bien sp´ecifier une structure donn´ee.
A cet ´` egard, la structureS0= (N,+) serait une autre structure d´efinie sur le mˆeme domaineN.
3.1 Semi-groupe
D´efinition 5 Etant donn´´ e un ensemble S, on dit qu’il a une structure de semi-groupe si est d´efinie sur S une op´eration (binaire)∗ qui est associative.
On dira habituellement, de fa¸con plus directe, qu’un semi-groupe est un ensembleS muni d’une loi de composition (binaire)∗associative. On ´ecrit (S,∗) pour d´esigner ce semi-groupe de fa¸con pr´ecise (c’est-`a-dire l’ensemble ainsi que la loi).
Exemples
1. + fait de Nun semi-groupe.
2. Voici d’autres semi-groupes num´eriques : (N,·), (Z,+), (Q,·), (R,+), (R,·).
3. (T,◦) est un semi-groupe.
4. L’ensemble de toutes les rotations autour d’un centre donn´e C est un semi-groupe.
5. (Z,−) n’est pas un semi-groupe : la soustraction n’est pas une op´eration associative.
3.2 Mono¨ıde
D´efinition 6 Un mono¨ıde est form´e d’un ensemble M muni d’une loi de composition (binaire) ∗ associative et poss´edant un ´el´ement neutre.
Exemples
1. (N,+) est un mono¨ıde, le neutre ´etant 0.
2. (N, ·) est un mono¨ıde dont le neutre est 1.
3. (T,◦) est un mono¨ıde dont le neutre est id.
4. L’ensemble de toutes les rotations autour d’un centre donn´e C est un mono¨ıde dont le neutre est id=rC,0.
5. L’ensemble des entiers positifs muni de + est un semi-groupe qui n’est pas un mono¨ıde.
6. L’ensemble des nombres pairs muni de · est un semi-groupe qui n’est pas un mono¨ıde.
7. L’ensemble de toutes les translations de vecteur positif le long de l’axe des abscisses d’un rep`ere cart´esien, muni de ◦, est un semi-groupe qui n’est pas un mono¨ıde.
3.3 Groupe
La notion de groupe occupe une place importante dans l’´edifice math´ematique en raison de son rˆole unificateur : on en retrouve des exemples abondants et extrˆemement vari´es dans des domaines tels la g´eom´etrie, la th´eorie des nombres, la combinatoire, etc.
D´efinition 7 Ungroupe est form´e d’un ensembleGmuni d’une loi de composition (binaire)
∗ satisfaisant les trois propri´et´es suivantes :
• ∗ est associative ;
• il existe dans G un ´el´ement e neutre pour ∗;
• tout ´el´ement g ∈Gadmet un inverse par rapport `a∗.
Exemples
1. (N,+) n’est pas un groupe (on n’a pas les inverses additifs), mais (Z,+) l’est.
2. (Z, ·) — ou encore (Z\ {0}, ·) — n’est pas un groupe (on n’a pas les inverses multi- plicatifs), mais (Q\ {0}, ·) l’est.
3. (R,+) et (R\ {0}, ·) sont des groupes.
4. L’ensemble {0,1,2,3,4,5} avec l’addition modulo 6 est un groupe.
5. L’ensemble {1,2,3,4} avec la multiplication modulo 5 est un groupe.
6. (T,◦) est un groupe. Il en est de mˆeme, par rapport `a la composition◦, de l’ensemble des similitudes ; de l’ensemble des isom´etries ; de l’ensemble des isom´etries directes ; de l’ensemble des translations.
7. Les groupes de sym´etrie des rosaces (Cn ouDn) sont. . . des groupes !
Dans le cas de (R,+) et de (R\ {0}, ·), la loi de composition est de plus commutative : on dit alors que ce sont des groupescommutatifs ouab´eliens.4 De fa¸con g´en´erale, les groupes de transformations g´eom´etriques sont non ab´eliens. Il y a cependant certaines exceptions.
Exemples
1. Le groupe des translations est ab´elien.
2. Le groupe de toutes les rotations autour d’un mˆeme centre C est ab´elien.
3. Le groupe D2 des sym´etries du rectangle (groupe de Klein5) est ab´elien.
4. Le groupe des isom´etries directes est non ab´elien.
5. L’ensemble des matrices 2×2
a b c d
,
aveca, b, c, ddes r´eels tels quead−bc6= 0, est un groupe par rapport `a la multiplication de matrices. C’est un groupe non ab´elien.
4. En l’honneur du math´ematicien norv´egien Niels Henrik Abel (1802–1829).
5. Du nom du math´ematicien allemand Felix Klein (1849–1925)
3.4 Anneau
Les structures qui suivent sont d´efinies en fonction de deux lois de composition.
D´efinition 8 Soit un ensembleA muni de deux lois de composition (binaires)∗ et. On dit que (A,∗,) est unanneau si ces lois sont assujetties aux propri´et´es suivantes :
• (A,∗) est un groupe ab´elien ;
• (A,) est un mono¨ıde ;6
• l’op´eration est distributive sur∗.
Si, de plus, la loi est elle aussi commutative, on parle alors d’un anneau commutatif. Ap- pelantel’´el´ement neutre pour∗, l’anneau est ditint`egre7 s’il s’agit d’un anneau commutatif dans lequel l’´el´ement associ´e par la loi `a deux ´el´ements diff´erents de e n’est jamais e.
Exemples
1. L’exemple typique d’anneau est la structure (Z,+, ·). Nous indiquons en d´etails ce que cela signifie. Pour x, y, z ∈Z, on a toujours
• (Z,+) est un groupe ab´elien :
– associativit´e de + : (x+y) +z =x+ (y+z), – 0 neutre additif : x+ 0 = 0 +x=x,
– inverse additif : x+−x=−x+x= 0, – commutativit´e de +: x+y =y+x.
• (Z, ·) est un mono¨ıde :
– associativit´e de · : (x·y)·z=x·(y·z), – 1 neutre multiplicatif : x·1 = 1·x=x.
• · se distribue sur + : x·(y+z) = (x·y) + (x·z).
De plus, l’anneau (Z,+,·) est
– commutatif, car x·y=y·x;
– int`egre, car le produit de deux entiers non nuls n’est jamais nul : si x·y= 0, on a x= 0 ou y= 0 (ou les deux).
2. On v´erifie de mˆeme que Q, R et C, munis des lois habituelles d’addition et de multi- plication, sont des anneaux commutatifs et int`egres.
3. L’ensemble {0,1,2,3,4,5}, muni de l’addition et de la multiplication modulo 6, est un anneau commutatif. Il n’est cependant pas int`egre, car 2·3≡0 (mod 6).
6. Certains auteurs r´eservent le mot anneau au cas o`u la structure (A,) est un semi-groupe et parlent d’anneau unitaire lorsque la loi admet de plus un ´el´ement neutre.
7. On dit aussi qu’un tel anneau est undomaine d’int´egrit´e.
4. Un autre exemple important d’anneau est ce qu’on appelle un anneau de polynˆomes, tel l’ensemble P de tous les polynˆomes `a coefficients entiers et `a une variable x. On a par exemple p∈ P, o`u p(x) = 5−3x+ 42x2−8x4. On d´efinit sur P deux op´erations + : P ×P −→ P et · : P ×P −→ P par les m´ethodes de calcul usuelles, l’addition de polynˆomes se faisant terme `a terme et la multiplication consistant `a effectuer le produit de l’un des polynˆomes par chacun des termes de l’autre. Ainsi pour p ∈ P comme ci-haut etq∈P d´efini parq(x) = 7x−9x2, on obtient les polynˆomesp+q ∈P etp·q ∈P suivants :
(p+q)(x) = 5 + 4x+ 33x2−8x4
et (p·q)(x) = 35x−66x2+ 321x3−378x4−56x5+ 72x6 .
Dans la litt´erature, on d´esigne habituellement cet anneau P par la notation Z[x].
3.5 Corps
D´efinition 9 Soit un ensemble C muni de deux lois de composition (binaires) ∗ et . Appelons e l’´el´ement neutre pour ∗etu l’´el´ement neutre pour. On dit que (C,∗,) est un corps si ces lois satisfont les propri´et´es suivantes :
• (C,∗) est un groupe ab´elien ;
• (C\ {e},) est un groupe ab´elien ;
• l’op´eration est distributive sur∗.
En d’autres termes, `a la diff´erence d’un anneau, tout ´el´ement d’un corps autre que e (le neutre pour l’op´eration ∗) admet un inverse pour l’op´eration .
Exemples
Q, Ret C, munis des lois habituelles d’addition et de multiplication, sont des corps.
Voici ce que cela signifie dans le cas de (R,+, ·). Soit donc x, y, z ∈R.
• (R,+) est un groupe ab´elien :
– associativit´e de + : (x+y) +z =x+ (y+z), – 0 neutre additif : x+ 0 = 0 +x=x,
– inverse additif : x+−x=−x+x= 0, – commutativit´e de +: x+y =y+x.
• (R\ {0}, ·) est groupe ab´elien :
– associativit´e de · : (x·y)·z=x·(y·z), – 1 neutre multiplicatif : x·1 = 1·x=x,
– inverse multiplicatif : x·x−1 =x−1·x= 1 pourx6= 0,
– commutativit´e de · : x·y=y·x.
• · se distribue sur + : x·(y+z) = (x·y) + (x·z).
En particulier on observera que tout ´el´ement non nul de R est multiplicativement inversible dans R.
4 Une structure particuli` ere
Nous pr´esentons une derni`ere cat´egorie de structure alg´ebrique. Le point de vue est maintenant un peu diff´erent car on consid`ere un ensemble muni de deux lois de composition, mais dont l’une est externe.
Les lois de composition (binaires) rencontr´ees jusqu’ici sont ce qu’on appelle des lois
internes, car elles op`erent toutes sur deux ´el´ements appartenant `a un mˆeme ensemble.
Elles sont donc de la forme∗:E×E −→E. Nous allons maintenant permettre d’op´erer sur des ´el´ements provenant de deux ensembles diff´erents. Mˆeme si une telle id´ee peut sembler un peu farfelue `a prime abord, nous verrons un peu plus bas qu’elle correspond `a des situations famili`eres importantes.
Dans ce qui suit, nous fixons un corps donn´e. Pour notre discussion, ce sera R, mais on pourrait tout aussi bien utiliser Qou C.
D´efinition 10 Une loi de composition externe sur un ensemble E (par rapport au corps R) est une fonction †:R×E −→E.
Exemples
1. La multiplication d’un vecteur par un r´eel est une loi de composition externe sur l’ensemble des vecteurs g´eom´etriques du plan.
2. La multiplication d’une matrice par un r´eel est une loi de composition externe sur l’ensemble des matrices r´eelles de dimensions m×n.
Soit donc un ensembleV muni de deux lois de composition, l’une interne,∗:V×V −→V, et l’autre externe, †:R×V −→V. Il est d’usage, dans notre contexte, d’appelervecteurs8 les ´el´ements de V etscalaires9 les ´el´ements de R.
8. Du latinvector, ‘qui transporte’. Introduit par le math´ematicien irlandais William R. Hamilton (1805–
1865) vers le milieu duxixe si`ecle, ce terme trouve son origine dans la notion de vecteur g´eom´etrique deR2 ou deR3, c’est-`a-dire de segment de droite caract´eris´e par sa longueur, sa direction et son orientation. Le mot
vecteuren est venu `a d´esigner tout ˆetre math´ematique qui se comporte comme un vecteur g´eom´etrique d’un point de vue alg´ebrique, c’est-`a-dire un ´el´ement d’unespace vectoriel.
9. Du latin scala, scalae, ‘´echelle, escalier’. Le terme scalaire a ´et´e introduit en math´ematiques au cours de la deuxi`eme moiti´e du xixe si`ecle pour d´esigner une grandeur, un nombre, en analogie avec les entiers qui sont comme les degr´es d’une ´echelle. Il est employ´e par opposition au mot vecteur qui, `a l’origine, d´esigne un objet math´ematique mettant en jeu `a la fois une id´ee de grandeur et d’orientation.
D´efinition 11 On dit que V est un espace vectoriel sur le corps R si les deux op´erations
∗ et † satisfont les propri´et´es suivantes, o`u v et w sont des vecteurs quelconques et r et s, des scalaires quelconques.
• (V,∗) est un groupe ab´elien ;
• les op´erations∗ et †sont reli´ees par les propri´et´es que voici :10 – r†(v∗w) = (r†v)∗(r†w),
– (r+s)†v = (r†v)∗(s†v), – (r·s)†v =r†(s†v), – 1†v =v.
Exemple
L’arch´etype d’espace vectoriel est l’ensemble R2 =n
[x, y]
x, y ∈R o
des vecteurs g´eom´etriques dans le plan muni des deux op´erations
[x1, x2]⊕[y1, y2] = [x1+y1, x2 +y2] (addition de deux vecteurs) et r[x1, x2] = [rx1, rx2] (multiplication d’un vecteur par un scalaire).
(Autrement dit, on additionne les vecteurs composante `a composante, et la multipli- cation d’un vecteur par un scalaire revient `a multiplier chacune de ses composantes.) On v´erifie en effet facilement que si [x1, x2], [y1, y2] et [z1, z2] sont des vecteurs de R2 etr, s des scalaires (dansR), on a11
• ([x1, x2]⊕[y1, y2])⊕[z1, z2] = [x1, x2]⊕([y1, y2]⊕[z1, z2])
• [x1, x2]⊕[0,0] = [0,0]⊕[x1, x2] = [x1, x2]
• [x1, x2]⊕[−x1,−x2] = [0,0]
• [x1, x2]⊕[y1, y2] = [y1, y2]⊕[x1, x2]
10. +, · et 1 d´esignent ici respectivement l’addition dans le corpsRde scalaires, la multiplication dans R et le neutre multiplicatif de R. On pourrait voir les deux premi`eres propri´et´es comme d´ecrivant des ph´enom`enes de distributivit´e et la troisi`eme, une sorte d’associativit´e ; la derni`ere propri´et´e montre l’effet du scalaire neutre.
11. R´ecrits en utilisant les notations vectorielles usuelles ~x= [x1, x2], ~y = [y1, y2] et~z = [z1, z2], les huit axiomes d’espace vectoriel pourR2 deviennent :
– (~x⊕~y)⊕~z=~x⊕(~y⊕~z) – r(~x⊕~y) =r~x⊕r~y – ~x⊕~0 =~0⊕~x=~x – (r+s)~x=r~x⊕s~x – ~x⊕−~x=~0 – (rs)~x=r(s~x) – ~x⊕~y=~y⊕~x – 1~x=~x
• r([x1, x2]⊕[y1, y2]) =r[x1, x2]⊕r[y1, y2]
• (r+s)[x1, x2] =r[x1, x2]⊕s[x1, x2]
• (rs)[x1, x2] =r(s[x1, x2])
• 1[x1, x2] = [x1, x2]
Cet exemple g´eom´etrique fournit d’ailleurs la motivation principale pour tout le vocabu- laire entourant la notion d’espace vectoriel. On v´erifie de mˆeme queR3est un espace vectoriel, et plus g´en´eralement que Rn, quel que soit n, est un espace vectoriel. Mais on rencontre de nombreux espaces vectoriels dont les vecteurs ne sont plus des objets g´eom´etriques de R2 ouR3.
Exemples
1. L’ensemble P2 de tous les polynˆomes de degr´e 2 ou moins et `a coefficients r´eels forme un espace vectoriel pour les op´erations suivantes :
• l’addition de polynˆomes se fait terme `a terme (voir la section 3.4) ;
• le produit du polynˆomeppar le scalairerest le polynˆomerpobtenu en multipliant chaque coefficient dep par r.
Par exemple, si p(x) = 5−7x+ 11x3, on a (2p)(x) = 10−14x+ 22x3.
2. L’ensemble M4 des matrices r´eelles 4×4 est un espace vectoriel, l’addition de matrices et la multiplication d’une matrice par un scalaire ´etant d´efinies de la fa¸con usuelle.
3. L’ensemble F de toutes les fonctions f : R −→ R est aussi un espace vectoriel, la somme f+g de deux fonctions ´etant d´efinie par (f +g)(x) =f(x) +g(x) tandis que le produit de la fonction f par le scalaire r est d´efinie par (rf)(x) =r(f(x)).
A chaque espace vectoriel, on peut associer une` dimension, qui d´ecrit en quelque sorte le degr´e de libert´e dont on dispose dans cet espace. Ainsi l’espace R2 des vecteurs g´eom´etriques du plan est de dimension 2, tout vecteur pouvant se d´ecomposer selon deux directions non colin´eaires (dit autrement, il est possible de recr´eer tout R2 en prenant des
combinaisons lin´eaires de deux vecteurs arbitraires non colin´eaires). De mˆeme, Rn est de dimension n. Les espaces P2 et M4 sont aussi des espaces vectoriels de dimension finie : P2 est de dimension 3 et M4 de dimension 16. L’espace F de toutes les fonctions r´eelles est, quant `a lui, un espace de dimension infinie : il est impossible de le recr´eer `a partir d’un nombre fini de fonctions r´eelles.