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Uwachipa-e "elle-qui-vainc-l'ours", Bayéma

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Academic year: 2021

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uwachipa-e « elle-qui vainc-l’ours »

je retrouve dans mes papiers les histoires indiennes que j’avais desti-nées à la publication, projet que j’ai interrompu à la mort de mon maître, l’anthropologue connu cl. l.-s..

à l’époque, à sa demande, je classai différents documents qu’il avait accumulés sans leur donner de forme définitive. il me fit signe de lui donner la chemise verte que je retirais d’une des piles qui en-combraient son plancher et qui formaient un ensemble de ruelles à travers lesquelles il fallait louvoyer avec adresse.

« que penses-tu de ceci, me demanda t’il ?

– il faudrait que je lise, répondis-je, en feuilletant le contenu de cette chemise verte ;

– alors prends la chemise, tu me donneras tes conclusions en-suite. prends ton temps mais ne le perds pas !»

j’emportai donc ce précieux fardeau chez moi et à peine jeté sur mon lit, je me plongeai avec avidité dans ces feuilles de notes qui da-taient des touts débuts professionnels de mon maître et qu’il avait négligemment déposées là, dans ce dossier vert devenu presque jaune.

comment exprimer ce mélange de joie et d’émotion qui m’étreignit au fur et à mesure de ma lecture ?

un esprit neuf et déjà aigu cependant, parcourait ces lignes écrites d’une main sûre. combien de « plus tard », de « à développer », de « expliquer absolument » et toutes ces abréviations que j’avais eu le privilège d’apprendre à reconnaître, à traduire afin de rendre sa pensée…

à aucun moment je n’ai ressenti de fatigue ou la faim, j’y passai toute la nuit sans m’en apercevoir. je m’endormis d’un coup, sans m’en rendre compte et je restai au lit toute la journée. c’est un peu confus et embarrassé que je téléphonai en début de soirée à l.-s..

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« tu as tout lu ? me demanda t’il d’emblée – oui tout

– alors viens demain, nous en discuterons. au revoir ! » et il raccrocha. c’est sa manière.

le lendemain nous étions attablés autour du thé qu’eileen avait soi-gneusement préparé, comme elle avait su le lui faire apprécier lors de ses voyages en chine. elle m’y avait initié d’ailleurs. dois-je rap-porter que nous nous entendions si bien qu’un jour, alors que son mari et moi étions en plein travail, elle s’assit cavalièrement sur l’accoudoir de mon fauteuil, posa son bras sur mon épaule et dit, en me regardant, avec son sourire irrésistible : « si tu n’avais été le fils d’une autre, je t’aurais adopté ! ». voilà elle est comme ça.

l.-s. attendait ma réponse.

« je n’ai qu’une chose à dire : je dois y aller ! » et je vis mon maître sourire comme il le faisait rarement, une sorte de gratification qu’il m’accordait car il m’approuvait et s’assurait que j’étais bien son disciple.

je partis donc pour les appalaches à la rencontre des indiens djiros, un petit peuple de moins de 300 âmes, vivant relativement retiré des routes du monde, mais pas sans liens avec d’autres tribus lointaines, et avec quelques blancs que les djiros nomment « téoua tlac » qu’on peut traduire par « eux qui prennent-eux qui donnent », car quel-quefois des fonctionnaires passent deux ou trois jours par semestres, et eux-mêmes, les djiros font du commerce avec la ville « voisine », située à 120 km. ils ont en outre deux boutiques, l’une pour la viande d’ours et de quelques animaux très appréciés par les blancs comme le « wappi », sorte de petit cochon sauvage, ou les « sis-siri », sorte de grosses sauterelles à la chair succulente, ils préparent aussi un jus fermenté, « doo-doo-jiè », de baies qui ne poussent que dans cette région et dont les blancs sont très friands, car doo-doo, comme on l’appelle, possède des vertus rien moins que

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vertueuses…etc. l’autre boutique est dédiée aux objets d’art, car les djiros sont de véritables créateurs, créatrices devrais-je plutôt dire car les femmes sont des artistes à l’imagination débordante. elles tissent des « maâta », « étanches et souples », jupes colorées en poils très serrés, sur fond de cuir, de poneys au poil très long qu’on nomme « nooy-é » ici, ce qui signifie « mesuré, tranquille, qui ne s’énerve jamais ». aussi des pantalons de même facture qui fasci-nent immanquablement les touristes faisant du tourisme « nature », mais aussi les cow-boys qui les trouvent très commodes. elles pra-tiquent aussi la vannerie et ce sont elles qui sculptent au couteau ces animaux en bois étonnant de vie dans des attitudes criantes de vérité que chacun peut reconnaître . d’ailleurs mikey anderson le sheriff possède une collection unique de ces animaux ; chaque semaine les djiros le voient arriver pour s’enquérir des nouveautés, et, s’il y en a, acheter un exemplaire de chaque. sa collection est si renommée qu’elle a fait la une du « indians time » ce dont il est, naturellement, très fier. le chef oonè-kan, l’invite désormais régulièrement à son barbecue de sissiri et de « payatan », le chien sauvage de la région. les djiros peignent aussi de magnifiques tableaux réalistes aux

cou-leurs les plus vives sur du cuir qu’ils ont préparé à partir des peaux d’un cousin du lama, très abondant ici, et qui sert à tout : nourriture, habillement, toiles des tentes, petit labour et même jeu et apprentis-sage pour les petits djiros, qui organisent notamment des courses, les plus joyeuses qui soient.

je rencontrai le chef oonè-kan qui se souvint de cl. l.-.s., qu’il avait rencontré il y a cinquante ans maintenant. on lui avait donné le sur-nom de « dewiso-pâacheya », « l.-s.-le raton-laveur » car il en avait les comportements, curieux voire indiscret, familier, amical, et sa célèbre grosse paire de lunettes, etc.

c’était ma meilleure carte de présentation. je pus donc vivre deux an-nées parmi les djiros et c’est avec une nostalgie indicible que je re-brasse ces souvenirs.

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c’est le fils aîné du chef, pacan-i-lonty, le « dresseur-de-broncos », qui me fit l’honneur de m’offrir le gîte dans sa tente où il vivait avec son épouse eïa-nacl, nom qui signifie « elle-qui-voit », dont j’aurai à parler plus tard. aussi deux ravissantes fillettes, dont l’aînée de 9 ans suivait déjà les traces de son père.

chaque jours j’apprenais quelque chose de nouveau sur l’histoire de ce petit peuple, l’un des derniers à avoir été vaincu par les blancs, et à avoir négocié une paix honorable dans la dignité. dans les bou-tiques dont j’ai déjà parlées se trouvaient d’ailleurs de véritables reliques : les premières photographies de cette tribu où l’on voyait les chefs, des dessins d’artistes de l’époque qui montraient avec ré-alisme des combats auxquels ils avaient participés et dont certains avaient été leurs victoires. oonè-kan les connaissait tous et à lon-gueur de journées il me contait leurs exploits, à la guerre, à la chasse et même quelquefois dans des situations plus intimes qui conti-nuaient à faire rire la tribu quand elle se les remémorait ; par exemple comment le chef pak-ti-wè, « orage-et-feu », fut surpris par son épouse alors qu’il essayait de séduire une jeune fille, et la leçon qu’elle lui donna. et d’autres encore, qui restent bien vivantes dans la mémoire de ce peuple.

un jour que je rédigeais mes notes en relisant celles de mon maître qui ne me quittaient jamais, la tribu fut convoquée par le chef oonè-kan car il avait reçu demande par la fille chipa-tè-caluacl, nom qu’on peut traduire par « elle-qui-tuera-l’ours », de permission d’aller tuer l’ours.

je m’enquérais de cette histoire qui me fût racontée ainsi : quand chipa-tè-caluacl était jeune (9 ans), elle se nommait à l’époque « pyya » qui signifie à peu près « fierté », un immense ours tua sa mère alors qu’elle rapportait de l’eau de la source « cao-pa-can », c'est-à-dire la source du « dieu qui engendre toutes choses », afin de préparer les herbes « iïyo » pour la cérémonie annuelle.

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son époux, inquiet de ne pas la voir revenir partit avec quelques guer-riers pour combattre s’il le fallait. c’est ainsi qu’ils découvrirent la femme, déchiquetée, près de la source. les djiros ne pleurent pas la mort d’un être cher, ils se tailladent le bras d’un coup de couteau. ce que fit le père de pyya. leur investigation permit de retrouver les traces de l’ours qui fut bientôt en vue. c’était un grizzli, un véritable monstre de muscles et de férocité. d’ailleurs, lui-aussi avait senti les chasseurs et résolument se dirigeait vers eux, tantôt à quatre pattes pour mieux courir, tantôt sur ses pattes postérieures pour mieux ex-primer sa force et montrer sa fureur. les chasseurs ne craignaient rien, ils étaient quatre, expérimentés quoique jeunes et forts, et ne connaissaient pas la peur. ils se dispersèrent dans un ordre convenu, mais le grizzli mit à mal leur défense ; se précipitant sur l’un qu’il abattit d’un fantastique coup de patte, il se retournait aussitôt contre un deuxième qu’il prit littéralement à bras le corps et lui déchira le visage à coups de crocs furieux, une bave de haine folle lui coulant de la gueule. le père de pyya avait eu le temps de décocher une flèche dans l’œil du monstre qui poussa un horrible rugissement, mais, comme un démon invincible, il arracha d’un coup de patte la flèche et se rua contre son ennemi qu’il agrippa, le souleva comme une plume, l’attira à lui et, avec un regard cruel, l’égorgea. l’ours poussa alors un horrible cri de triomphe, et reprenant la dépouille du chasseur s’acharna comme on fait d’une poupée de chiffon. les hurlements de l’animal avaient été entendus par la tribu au pied de la colline et plusieurs chasseurs s’étaient précipités à la rescousse. mais il était trop tard. quand ils arrivèrent, le quatrième compagnon était blessé, à terre, gémissant de douleur. le grizzli avait disparu, emportant avec lui un bras d’un des trois qu’il avait tués.

ce furent des jours plein de tristesse qui suivirent. le soir venu les tambours rythmaient les pleurs et les cris des femmes et les chants de douleurs des hommes. les hymnes funèbres succédaient aux pleurs et aux cris. les feux étaient éteints jusqu’au moment des

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funérailles. la petite pyya, silencieuse, digne fille de sa tribu, criait vengeance contre l’ours surnaturel qui avait massacré sa mère, son père et ses compagnons.

le chef oonè-kan convoqua le conseil des « moouny-cac-pakhâny », « les cinq vieilles sages » qui avaient accouché la plupart des membres de la tribu, et que l’on consultait pour des décisions graves. pakhan-i-tè-ka, « elle-qui connaît », résuma la situation : « le grizzli doit être tué ! il faut faire adopter pyya ». le chef oonè-kan tourna la tête de la droite vers la gauche comme il sied pour toute délibération. tous les membres du conseil approuvèrent d’un hochement de tête accompagné d’un faible son guttural ; cela suffi-sait. c’est alors que pacan-i-lonty, le fils du chef oonè-kan posa sa main gauche sur son cœur pour demander la parole. les cinq sages femmes se tournèrent vers lui, ainsi que les autres membres du con-seil. le chef oonè-kan lui dit « parle ! » et il devait être ému car il ajouta « parle, mon fils ! »

– à partir d’aujourd’hui pyya est ma troisième fille » et n’aurait-on pas dit qu’un fin sourire furtif parcourut tous les visages ? pakhan-i-tè-ka parla alors :

« si tu veux être le père de ta fille, il faut lui demander si elle veut être la fille de son père !

– cela doit être ainsi, reprit le chef oonè-khan. appelez pyya ! ». ce que l’on fit aussitôt.

quand la fillette parut dans la grande tente du conseil, le chef oonè-khan fit un signe à paoonè-khan-i-tè-ka, qui s’adressa directement à la fillette :

« le guerrier pacan-i-lonty te veut pour troisième fille, le veux-tu pour père ?

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pyya se tournant vers pacan-i-lonty s’adressa à lui, et au lieu de lui poser les questions traditionnelles concernant la protection phy-sique, alimentaire, etc. le regardant fièrement dans les yeux lui de-manda :

« m’enseigneras-tu à dompter les broncos ? – oui !

– m’enseigneras-tu à chasser ? – oui !

– m’enseigneras-tu à chasser l’ours ? – oui !

– m’aideras-tu à satisfaire ma vengeance ? – oui !

– alors tu es mon père ! » et selon les rites, pacan-i-lonty, ému mani-festement, prit pyya dans ses bras et ils s’étreignirent longuement devant la tribu car tous et toutes étaient sorti.e.s de la grande tente et se rendaient vers le centre sacré, là où se trouve le grand poteau tribal du dieu cao-pa-can.

arrivé au totem sacré, le chef oonè-khan, s’adressant à pyya lui dit « si tu veux réaliser ta vengeance en tuant l’ours qui t’a rendu orpheline, alors demande à cao-pa-can la victoire.

– je ferai, répondit simplement la petite.

– alors voici ce que tu dois faire : prends une cordelette accrochée au totem, et de la main droite attaches ta main gauche au totem sans faire de nœuds et attends la réponse de cao-pa-can. ». cette cérémo-nie peut durer longtemps et l’impétrant.e doit demeurer ainsi jusqu’à ce que le dieu se manifeste. si cela dure longtemps, on ap-porte simplement de l’eau et rien d’autre ! jusqu’au moment où le supplice devient plus fort que la volonté de la ou du suppliant.e. auquel cas la cérémonie s’arrête et chacun.e rentre chez soi, le vœu n’a pas été exaucé.

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la fillette s’exécuta et toute la tribu attendit la réponse du dieu. celle-ci ne se fit pas attendre : un oiseau s’approcha du faîte du totem, tournoya puis se posa. le dieu avait exaucé la petite. toute la tribu poussa un cri de joie unanime.

puis le chef oonè-khan, d’une voix grave et posée énonça le plus dis-tinctement possible, pendant que le brouhaha cessait :

« aujourd’hui pyya est morte comme cao-pa-can l’a voulu, et il nous a donné une nouvelle fille, chipa-tè-caluacl « elle-qui-tuera l’ours », fille de mon fils pacan-i-lonty! ». à la fin de cette annonce écoutée dans un silence religieux, la tribu acclama la nouvelle née. depuis ce moment, il y a huit ans de cela, chipa-tè-caluacl, aidée de

son père, ne vécut que pour sa vengeance.

le grizzli ne perdait pas son temps, lui non plus. il y a quelques se-maines un blanc, un trappeur parti avec deux compères pour une campagne de chasse se trouvèrent nez à nez avec le monstre. lui seul put en réchapper et ne put que se diriger vers la tribu des djiros qui l’accueillirent avec compassion et se mirent en devoir de le soi-gner. il était hagard, bredouillait avec peine des mots sans suite « le gros… », « l’œil du diable… », et autres invraisemblances. ce ne fut que deux jours plus tard qu’il pût enfin s’exprimer : « nous avons été attaqués par un ours terrifiant, jamais je n’en ai vu de pa-reil ! un vrai monstre ! un envoyé du diable ! rien ne lui résiste et lui résiste aux balles ! c’est impossible ! ce n’est pas une créature terrestre ! elle vient de l’enfer c’est sûr ! ». les djiros savaient à quoi s’en tenir : le grizzli était réapparu. c’est le moment que chipa-tè-caluacl fit sa demande au chef oonè-khan.

mais avant de continuer il me semble bon d’informer la lectrice et le lecteur de certaines particularités de ce peuple. mon maître d’ail-leurs en avait constaté plusieurs, disséminées dans ses notes.

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les femmes ici sont très libres, elles sont d’ailleurs représentées dans tous les conseils de quelqu’importance, ce sont les cinq vieilles sages dont j’ai déjà parlées.

de plus un rituel, que je juge personnellement très sympathique, mais je m’interdis évidemment d’interférer du mieux que je peux, con-cerne la demande en mariage, et ce qui est proprement ébahissant pour nous autres européens, est symétrique, c'est-à-dire qu’aussi bien la femme que l’homme peuvent le pratiquer : la demanderesse ou le demandeur pose un petit oiseau vivant attaché par une patte à la tente de l’élu.e. si la demande est acceptée l’oiseau est à nouveau attaché mais à la tente de la demanderesse ou du demandeur ; ainsi toute la tribu a suivi l’échange et le mariage est conclu. une nouvelle tente apparaîtra, car les époux quittent la tente parentale. si la de-mande est rejetée, l’oiseau est détaché et s’envole, naturellement, mais l’élu.e déposera à l’entrée du wigwam demandeur un panier de fruits frais et divers. ainsi s’efface l’humiliation possible du re-fus, et d’autres significations encore.

une autre coutume permet aux femmes mariées de répondre positi-vement à une demande d’amour : si elles l’acceptent elles disent « ki-ta-ahâéma-lo-pao » (simplifié en « ki-ta »), « mon mari n’est pas de veille ! », accompagné du dessin d’une flèche bien empen-née. dans le cas contraire elles disent « mahéama-lo-pao » (simpli-fié en « mahéama »), « mon mari veille » accompagné du dessin d’une flèche brisée.

autre chose, comme nous l’avons vu pour la petite pyya, devenue chipa-tè-caluacl, lorsqu’un djiro prend une résolution, il suit le ri-tuel du totem.

il m’est arrivé de devoir suivre ce rituel, voici pourquoi. j’avais de-mandé à chipa-tè-caluacl à laquelle je m’étais attachée depuis long-temps – car j’étais l’invité de pacan-i-lonty son père, et donc nous habitions la même tente –, la permission de la suivre dans sa chasse à l’ours, puisque la tribu lui avait accordé ce droit. elle avait

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commencé par refuser mais je lui rappelai que depuis plus d’un an que je vivais ici, je m’étais moi-même quelque peu aguerri et que je participais aux chasses couramment. elle me répondit simple-ment, comme elle le faisait toujours « je ne veux pas que l’ours te fasse du mal !», sans plus, mais cette simple phrase mit mon cœur en émoi ; j’avais reconnu, car je la connaissais assez bien, une dé-claration d’amour et j’en fus si transporté que cela ne fit qu’ac-croître ma résolution. je l’accompagnerai et je tuerai le grizzli avec elle, ou je mourrais. j’en parlai au chef oonè-khan qui m’approuva et me recommanda : « pour cela, tu dois mourir au totem, perdre ton nom et en gagner un nouveau. nous verrons si cao-pa-can t’exauce ». c’est à cette époque que la femme de pacan-i-lonty, eïa-nacl annonça à la tribu les événements à venir : « d’ici peu, un froid inconnu jusqu’alors, accompagné de tempêtes effroyables, va s’abattre sur la région et semer la mort partout où les êtres vivants résident ». la tribu ne fit ni une ni deux car eïa-nacl voyait. tous les djiros, dont j’étais évidemment, replièrent leurs tentes, rassemblè-rent leurs bagages, et nous fûmes derrière la montagne à plus de 200 km d’ici. un éclaireur djiro avait été envoyé à la ville pour prévenir les blancs de la catastrophe annoncée.

c’est donc avec d’amples provisions, des vêtements propres à résister aux froids les plus rigoureux, en un véritable exode dont nous ne connaissions pas la durée, que nous nous rendîmes aux lieux dont j’ai parlés.

le froid et les tempêtes passèrent. nous revînmes dans la vallée et il me semble que nous avons tous mûri par cette expérience. chipa-tè-caluacl était plus résolue que jamais et moi aussi. je brûlai d’un amour fervent pour elle, et j’avais hâte que nous partions en expé-dition. nous ne nous quittions pratiquement plus. devant la tribu ras-semblée le chef oonè-khan exposa le sens du rituel : « cao-pa-can celui qui engendre toutes choses, c’est lui qui donne la vie et les noms. c’est lui qui retire la vie et les noms et c’est lui encore qui

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fait renaître qui mérite et lui qui donne son nom à toutes choses et à ceux qui doivent réaliser son œuvre ! ».

je m’attachai donc au totem et je criai « moi venu de l’autre côté de l’océan j’épouse la vengeance de chipa-tè-caluacl ! » et nous atten-dîmes. une journée passa et mon estomac commençait à me tour-menter, mais aucun oiseau ne vint se poser sur le faîte du totem. chipa-tè-caluacl s’était assise en tailleur près de moi, et quelques fois elle se levait pour m’apporter de l’eau fraîche ou éponger mon front. toute la tribu savait, maintenant, quels doux sentiments nous attachaient l’un à l’autre. trois jours passèrent, la souffrance deve-nait intenable mais pour rien au monde je n’aurais cédé. c’est ce que voulait cao-pa-can. à l’aube du quatrième jour, j’étais comme hal-luciné, chipa-tè-caluacl sommeillait, la tête sur la poitrine, quelques djiros se relayaient, sans conviction, de temps à autres, et voici, un djiro levant la tête vers le ciel d’un rose mauve ineffable cria en désignant de sa main un point mobile qui se rapprochait doucement en tournoyant de ci de là, mais semblant s’avancer vers nous. ce cri fit entendre l’émotion du crieur et la tribu s’éveilla et se transporta vers moi toujours attaché au totem mais quasi affalé à son pied. en-fin cao-pa-can s’approcha, fit son petit tour de totem et comme après avoir longuement réfléchi se posa. ce fut du délire. je m’éva-nouis à cet instant.

enfin le jour arriva. nous partions à sept. deux des cinq guerriers qui nous accompagnaient avait demandé chipa-tè-caluacl en mariage, et chacun avait reçu son panier de fruits. elle avait beaucoup de pré-tendants et à tous elle répondait « mahéma ».

moi-même, l’avant-veille de notre départ pour la montagne, je dépo-sais un petit oiseau attaché à son arc.

après deux jours de marche dans la neige, mais nous avions chaussé ces admirables bottes djiros, nous atteignîmes une petite forêt où nous fîmes halte. nous y restâmes deux jours comme nous l’avait

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recommandé oonè-khan. soudain chipa-tè-caluacl tendit l’oreille et leva la tête comme pour renifler l’air. « c’est lui ! » affirma t’elle avec assurance. aussitôt nous prîmes position et attendîmes, en lais-sant la nourriture en évidence. nous savions ce que nous avions à faire : tirer le plus de flèches possibles, l’attaquer par derrière pour l’égorger, lui couper les tendons et le pousser le plus possible vers le trou garni de pieux pointus que la tribu avait préparés pour nous. l’ours est un animal méfiant ; contrairement à beaucoup d’animaux qui se tranquillisent lorsqu’ils ne remarquent aucun signe d’adver-sité, c’est là ou l’ours est le plus inquiet. car il connaît tellement la nature qu’il sait que l’absence n’est pas un fait normal. aussi re-double-t-il de vigilance. c’est pourquoi il faut tout laisser en évi-dence car il peut aussi croire que les propriétaires ont eu quelqu’af-faire à régler.

la première volée de flèches l’atteignit en pleine face et il poussa un de ses cris redoutables, sottement, un de nos jeunes compagnons se précipita avec son poignard pour égorger l’ours mais celui-ci, dans une fureur extrême attrapa le pauvre jeune homme et le fracassa comme on brise une allumette. cependant, pendant que chipa-tè-ca-luacl contournait le grizzli, nous continuions à cribler le monstre de nos flèches. le monstre fléchit mais ne tomba pas. chipa-tè-caluacl en profita pour s’accrocher à l’animal et lui enfonça son couteau dans la gorge. celui-ci ne savait plus s’il devait fuir ou contratta-quer, en balayant l’espace de ses griffes pointues et aiguisées comme des rasoirs. aussi avança t’il vers la fosse dans laquelle mes compagnons et moi le poussèrent. ses cris étaient épouvantables où se mêlaient la fureur et la douleur, enfin il tomba dans la fosse et tous ses efforts pour en sortir ne faisaient qu’enfoncer un peu plus les pieux dans son corps.

notre arrivée à la tribu, malgré la mort de notre compagnon, fut triom-phale. nous avions formé un chariot sur lequel nous avions attaché

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la dépouille du grizzli, et que nous traînâmes jusqu’au camp. les festivités durèrent plusieurs jours, et ces jours étaient aussi fastes par le gibier que rapportait nos chasseurs que par l’affluence des blancs, les uns dirigés par le sheriff mickey anderson venus remer-cier les djiros de l’alerte donnée, et notamment connaître eïa-nacl, la voyante, les autres pour voir « le monstre » dont on avait tant parlé. même « national geography » s’était déplacé aux côté de « in-dians time » et d’autres encore, les chaînes de télé furent de la partie mais tous, absolument tous, voulaient connaître l’héroïne de l’his-toire renommée pour l’occasion, et cela fit fureur, « la belle et la bête ».

chipa-tè-caluacl prit le nom de uwachipa-e, « elle qui vainc l’ours ». je reçus un télégramme de cl. l.- s.. il était au plus mal et c’est avec

une tristesse extrême que je dus quitter mon aimée. quand il fut remis, et après que je lui eu raconté tout ce que vous venez de lire, il me regarda d’un air bizarre et me demanda

« alors, la veille de partir tuer l‘ours, elle t’a dit « ki-ta » ou « ma-héma ? ».

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