Réduction des endomorphismes
BOUGET Hélène et ESNAULT Caroline 30 mars 2012
1 Vecteurs propres
La clé de la diagonalisation est la notion de vecteur propre (dont la définition est valable en dimension infinie).
Définition 1. Soit f ∈ End
K(E). Un vecteur v ∈ E est dit vecteur propre de f si :
1. v 6= 0
2. ∃λ ∈ K : f (v) = λ(v)
Le scalaire λ est dit valeur propre correspondant à v.
Théorème 2. f ∈ End
K(E) est diagonalisable si et seulement si il existe une base de E formée de vecteurs propres.
Démonstration. La démonstration est immédiate
1.
Si {v
1, . . . , v
n} est une base formée de vecteurs propres correspondant aux valeurs propres λ
1, . . . , λ
n, on a :
f(v
1) = λ
1v
1, f (v
2) = λ
2v
2, . . . , f(v
n) = λ
nv
n. ainsi :
M(f)
vi=
λ
10 . . . 0 0 λ
2. .. ...
.. . . .. ... 0 0 · · · 0 λ
n
et donc f est diagonalisable.
1. Ce n’est en fait qu’une reformulation de la définition de vecteur propre. Si nous l’appelons
"théorème", c’est pour en souligner l’importance : dans la pratique il faut toujours avoir présent
que
diagonaliser c’est chercher une base de vecteurs propres.Réciproquement, s’il existe une base {ei} telle que M (f )
eiest diagonale :
M(f)
ei=
a
110 . . . 0 0 a
22. .. .. . .. . . .. ... 0 0 · · · 0 a
nn
En regardant les colonnes de la matrice, on voit que f (e
1) = a
11e
1, f (e
2) = a
22e
2, . . . , f (e
n) = a
nne
n, ce qui signifie que les vecteurs e
isont des vecteurs propres.
2 Recherche des valeurs propres et des vecteurs propres.
Polynôme caractéristique
Soit λ une valeur propre de f ; il existe donc un vecteur v ∈ E, v 6= 0, tel que f (v) = λv, c’est-à-dire (f − λid)v = 0. Comme v 6= 0 cela signifie que l’endomor- phisme (f − λid) n’est pas injectif, ce qui, en dimension finie, équivaut à :
det(f − λid) = 0 Aussi, si {e
i} est une base de E et :
M (f )
ei=
a
11. . . a
1n.. . .. . a
n1. . . a
nn
la condition pour que λ soit une valeur propre s’écrit :
a
11− λ a
12. . . a
1na
21a
22− λ . . . a
2n. . . . . . . . . . . . a
n1a
n2. . . a
nn− λ
= 0
En développant ce déterminant, on trouve une équation du type : (−1)
nλ
n+ a
n−1λ
n−1+ . . . + a
1λ + a
0= 0 dont les racines (dans K) sont les valeurs propres de f .
Cette équation est dite équation cartésienne et le polynôme à premier membre, appelé polynôme caractéristique de f, est noté P
f(λ). Nous avons ainsi démontré :
Proposition 3. Soit f ∈ End
K(E) où E est un espace vectoriel de dimension finie n. Les valeurs propres de f sont les racines du polynôme :
P
f(λ) := det(f − λid).
P
f(λ) est un polynôme de degré n en λ, appelé polynôme caractéristique de f .
Définition 4. L’ensemble des valeurs propres de f est dit spectre de f et est noté Sp
K(f) (ou Sp
KA, si A est la matrice qui représente f dans une base).
Remarque : λ = 0 est valeur propre de f si et seulement si det f = 0, car P
f(0) = det f.
Une fois calculées les valeurs propres, on détermine les vecteurs propres en résolvant, dans le cas où la dimension est finie, un système linéaire : le système
(A − λI)v = 0.
3 Exemple
Soit f : R
2→ R
2l’endomorphisme qui, dans la base canonique, est représenté par la matrice :
A =
1 −1 2 4
On a :
P f (λ) = det(f − λid) =
1 − λ −1 2 4 − λ
= λ
2− 5λ + 6 = (λ − 2)(λ − 3)
Donc les valeurs propres de f sont λ
1= 2 et λ
2= 3. Il existe donc deux vecteurs propres v
1et v
2tels que :
f(v
1) = λ
1v
1et f (v
2) = λ
2v
2Calcul de v
1.
Il faut résoudre l’équation f (v
1) = λ
1v
1, c’est-à-dire : (f − λid)v
1= 0. En écrivant cette équation dans la base canonique et en notant v
1=
x y
la matrice du vecteur v
1.
(A − 2I)v
1= 0 équivaut à :
−1 −1
2 2
x y
= 0
0
ce qui donne le système :
( −x − y = 0 2x + 2y = 0
dont les solutions sont engendrées par le vecteur v
1= 1
−1
(ou pour tout autre
vecteur non nul colinéaire à v
1).
Calcul de v
2.
Il faut résoudre (f −3id)v
2= 0. En posant v
2= x
y
, on a, dans la base canonique :
(A − 3I )v
2= 0, c’est-à-dire :
( −2x − y = 0 2x + y = 0
et la solution est engendrée par v
2= 1
−2
. On a donc deux vecteurs propres v
1=
1
−1
et v
2= 1
−2
. On voit immé- diatement qu’ils forment une base de R
2, car det k v
1, v
2k =
1 1
−1 −2
6= 0. Par
conséquent f est diagonalisable et
M (f )
vi=
2 0 0 3
La matrice de passage P
ei→viest la matrice : P =k v
1, v
2k
ei=
1 1
−1 −2
On vérifie facilement que : A
0= P
−1AP , où A
0=
2 0 0 3
.
4 Caractérisation des endormorphismes diagonalisables
Définition 5. Soit λ ∈ K. On note :
E
λ:= {v ∈ E | f (v) = λv}
E
λest un sous-espace vectoriel de E dit espace propre correspondant à λ.
On vérifie immédiatement, en effet, que E
λest stable par les lois d’addition et de produit par un scalaire.
Remarquons que :
1. si λ n’est pas valeur propre, E
λ= {0} ; 2. si λ est valeur propre, alors :
E
λ= {vecteurs propres associés à λ} ∪ {0} et dim E
λ≥ 1.
Proposition 6. Soient λ
1, . . . , λ
pdes scalaires deux à deux distincts. Alors les es-
paces propres E
λ1, . . . , E
λpsont en somme directe.
Ceci veut dire que si B
1, . . . , B
psont dans des bases de E
λ1, . . . , E
λp, la famille {B
1, . . . , B
p} est libre dans E ( non nécessairement génératrice).
Démonstration. Par récurrence sur p.
Pour p = 1 il n’y a rien à démontrer.
Supposons que E
λ1, . . . , E
λpsont en somme directe et montrons que E
λ1, . . . , E
λp, E
λp+1sont aussi en somme directe. Il s’agit de montrer que si x ∈ (E
λ1+ . . . +E
λp) ∩ E
λp+1, alors x = 0 : les autres propriétés sont automatiquement vérifiées d’après l’hypothèse de récurrence.
Soit donc x = x
1+ · · · + x
p∈ (E
λ1+ . . . + E
λp) ∩ E
λp+1avec x
k∈ E
λk. En prenant l’image par f on a :
f (x) = λ
1x
1+ · · · + λ
px
pD’autre part, puisque x ∈ E
λp+1f(x) = λ
p+1x ≡ λ
p+1x
1+ · · · + λ
p+1x
pEn faisant la différence :
0 = (λ
1− λ
p+1)x
1+ · · · + (λ
p− λ
p+1)x
pOr E
λ1, . . . , E
λpsont en somme directe, donc 0
E= 0
Eλ1+ · · · + 0
Eλpest la seule décomposition de 0, ce qui implique que :
(λ
k− λ
p+1)x
k= 0
Ekpour k = 1, . . . , p
Comme les λ
isont deux à deux distinctes, on a x
k= 0, pour k = 1, · · · , p, et donc x = 0.
Ainsi donc les espaces propres sont toujours en somme directe, mais il peut se faire que leur somme "ne remplisse pas" E tout entier, c’est-à-dire que l’on ait
E
λ1⊕ · · · ⊕ E
λp⊂ E
ce qui se produit si dim E
λ1+ · · · + dim E
λp< dim E. Tout le problème de la diago- nalisation tient à cela, plus précisément, comme nous allons le voir, f est diagonale si et seulement si dim E
λ1+ · · · + dim E
λp= dim E :
Théorème 7. Soit f ∈ End(E) et λ
1, . . . , λ
ples valeurs propres de f. Alors les propriétés suivantes sont équivalentes :
1. f est diagonalisable.
2. E est somme directe des espaces propres : E = E
λ1⊕ · · · ⊕ E
λp.
3. dim E
λ1+ · · · + dim E
λp= dim E
Démonstration. Puisque E
λ1⊕ · · · ⊕ E
λp⊂ E, il est clair que (b) <=> (c).
D’autre part :
- Si E = E
λ1⊕ · · · ⊕ E
λpalors en prenant des bases B
1, . . . , B
pde E
λ1, · · · , E
λp, la famille B := {B
1, . . . , B
p} est une base de E ; puisque B est formée de vecteurs propres, f est diagonalisable. Donc (b) <=> (a).
- Réciproquement, si f est diagonalisable, il existe une base B de E formée de vecteurs propres. Soit :
B = {v
1, . . . , v
n1| {z }
∈Eλ1
, . . . , w
1, . . . , w
np| {z }
∈Eλp
}.
Comme card(B) = dim E, on a : n
1+ · · · + n
p= dim E, c’est-à-dire : dim E
λ1+ · · · + dim E
λp= dim E.
Donc (a) <=> (c)
Corollaire 8. Si f admet n valeurs propres deux à deux distinctes alors f est dia- gonalisable.
En effet dans ce cas f admet n valeurs propres de multiplicité égale à 1. Il y aura donc n espaces propres de dimension 1.
Les dimensions des espaces propres interviennent donc d’une manière essentielle dans le problème de la diagonalisation. Un renseignement sur la dimension des espaces propres peut être lu directement sur le polynôme caractéristique. La proposition suivante permet d’améliorer le Théorème 7 :
Proposition 9. Soit f ∈ End
K(E) et λ une valeur propre d’ordre α. Alors dim E
λ6 α
Démonstration. En effet, supposons que dimE
λ> α + 1, et soient v
1, · · · , v
α+1des vecteurs propres indépendants correspondant à λ. Complétons cette famille en base B de E : B = {v
1, . . . , v
α+1, e
α+2, . . . , e
n}. On a :
M (f )
B=
λ 0
. .. A
0 λ
0 B
d’où
P
f(X) = det
λ − X 0
. .. A
0 λ − X
0 B − XI
= (λ − X)
α+1det(B − XI )
λ serait donc valeur propre d’ordre de multiplicité au moins égal à α + 1, ce qui est
exclu.
Théorème 10. Soit f ∈ End
K(E). Alors f est diagonalisable si et seulement si : 1. P
f(X) est scindé dans K, ce qui veut dire que P
f(X) s’écrit :
P
f(X) = (−1)
n(X − λ
1)
α1. . . (X − λ
p)
αpavec λ
1, . . . , λ
p∈ K et α
1+ . . . + α
p= n
2. Les dimensions des espaces propres sont maximales, c’est-à-dire : pour chaque valeur propre λ
ide multiplicité α
i, on a :
dim E
λi= α
iDémonstration. Si les conditions 1. et 2. sont satisfaites, on a : dim E
λ1+ . . . + dim E
λp= α
1+ . . . + α
p= n et donc, f est diagonalisable.
Réciproquement, les conditions sont nécessaires. Supposons en effet f diagonalisable, c’est-à-dire, dim E
λ1+ . . . + dim E
λp= n. Si P
f(X) n’était pas scindé il serait du type :
P
f(X) = Q(X)(X − λ
1)
α1. . . (X − λ
k)
αkavec α
1+ . . . + α
k< n.
Par conséquent : dim E
λ1+. . .+dim E
λk≤ α
1+. . .+α
k< n, ce qui est exclu. P
f(X) est donc scindé : P
f(X) = (−1)
n(X − λ
1)
α1. . . (X − λ
p)
αpavec α
1+ . . . + α
p= n.
D’autre part, s’il existait un λ
jtel que dim E
λj< α
jon aurait : dim E
λ1+ . . . + dim E
λp< α
1+ . . . + α
p= n ce qui est exclu. Donc la condition 2. est vérifiée.
5 Trois applications
5.1 Calcul de la puissance d’une matrice
Soit A ∈ M
n(K). Supposons A diagonalisable ; il existe alors une matrice diagonale A
0et une matrice inversible P telles que : A = P
−1AP , c’est à dire A = P A
0P
−1. Donc :
A
k= (P A
0P
−1)(P A
0P
−1) · · · (P A
0P
−1)
| {z }
k−f ois
= P (A
0)
kP
−1Or si A
0=
λ
10
. ..
0 λ
n
, (A
0)
k=
λ
k10 . ..
0 λ
kn
et donc A
kse calcule facilement par la formule
A
k= P
λ
k10 . ..
0 λ
kn
P
−1Exemple : Soit A =
1 −1 2 4
.
On a P
A(λ) = λ
2− 5λ + 6 = (λ − 2)(λ − 3). Ainsi A
0=
2 0 0 3
. Pour les vecteurs propres on trouve :
E
2: −x − y = 0, donc : v
1= 1
−1
E
3: −2x − y = 0, donc : v
2= 1
−2
Ainsi : P =
1 1
−1 −2
et P
−1=
2 1
−1 −1
. En effectuant les calculs on obtient :
A
k=
2
k+1− 3
k2
k+1− 2 · 3
k−2
k+ 3
k−2
k+ 2 · 3
k5.2 Résolution d’un système de suites récurrentes
Illustrons cela sur un exemple. Il s’agit de déterminer deux suites (u
n)
n∈N, (v
n)
n∈Ntelles que :
( u
n+1= u
n− v
nv
n+1= 2u
n+ 4v
n(1)
et telles que
( u
0= 2 v
0= 1
On pose X
n= u
nv
n. Le système (1) s’écrit : X
n+1= AX
navec A =
1 −1 2 4
d’où par récurrence :
X
n= A
nX
0avec X
0= 2
1
.
On est ainsi ramené au calcul de A
n. Dans notre cas, compte tenu du résultat ci- dessus :
u
nv
n=
2
n+1− 3
n2
n+1− 2.3
n−2
n+ 3
n−2
n+ 2.3
n2 1
=
2
n+2− 2.3
n+ 2
n+1− 2.3
n−2
n+1+ 2.3
n− 2
n+ 2.3
nc’est-à-dire :
( u
n= 3.2
n+1− 4.3
nv
n= −3.2
n+ 4.3
n5.3 Système différentiel linéaire à coefficients constants.
Soit à résoudre le système différentiel
dx
1dt = a
11x
1+ · · · + a
1nx
n.. .
dx
ndt = a
n1x
1+ · · · + a
nnx
navec a
ij∈ R et x
i: R −→ R dérivables.
Sous forme matricielle le système s’écrit : dX
dt = AX , où A = (a
ij) , X =
x
1.. . x
n
. (2)
Supposons A diagonalisable. Il existe alors A
0matrice diagonale et P matrice inver- sible telles que : A
0= P
−1AP . Si on considère A comme la matrice d’un endomor- phisme f dans la base canonique, A
0est la matrice de f dans la base de vecteur propre {v
i}.
De même X est la matrice d’un vecteur − → x dans la base canonique et X
0= M( − → x )
viest liée à X par
X
0= P
−1X
En dérivant cette relation :
dX
0dt = P
−1dX dt
(car A étant à coefficients constants, P sera aussi à coefficients constants). Donc : dX
0dt = P
−1AX = P
−1AP
X
0= A
0X
0Le système (2) est donc équivalent au système dX
0dt = A
0X
0Ce système s’intègre facilement, car A
0est diagonale.
Ainsi, on peut résoudre le système
dXdt= AX de la manière suivante :
1. On diagonalise A. Soit A
0= P
−1AP une matrice diagonale semblable à A ; 2. On intègre le système
dXdt0= A
0X
0;
3. On revient à X par X = P X
0.
Exemple 1 : Soit le système
dx
dt = x − y dy
dt = 2x + 4y On a A
0=
2 0 0 3
et P =
1 1
−1 −2
. Le système
dXdt0= A
0X
0s’écrit :
dx
0dt = 2x
0dy
0dt = 3y
0qui donne immédiatement
( x
0= C
1e
2ty
0= C
2e
3tet donc, en revenant à X par X = P X
0: x
y
=
1 1
−1 −2
C
1e
2tC
2e
3t=
C
1e
2t+ C
2e
3t−C
1e
2t− 2C
2e
3tc’est à dire :
( x = C
1e
2t+ C
2e
3ty = −C
1e
2t− 2C
2e
3tExemple 2 : Soit le système
dx
dt = −1
10 x + 10y dy
dt = −1
10 x + −1 10 y
Nous avons tracé le graphique de la figure 1 grâce à la fonction system sur scilab : function system ( t )
A=[−1/10 10; −1/10 −1/10]
T = [ 0 : . 0 1 : t ] l=length (T) X=zeros ( 2 , l ) X ( : , 1 ) = [ 2 ; 0 ] M= expm ( . 0 1 ∗A)
f o r i =1: l −1
X ( : , i +1)=M ∗X ( : , i ) end
c l f ( )
plot2d (X ( 1 , : ) , X ( 2 , : ) , 5 )
endfunction
-0.20 -0.15 -0.10 -0.05 0.00 0.05 0.10 0.15
-1.5 -1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0 1.5 2.0