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Article pp.9-19 du Vol.20 n°114 (2002)

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Texte intégral

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Patrice FLICHY Philippe ZARIFIAN

L’existence de centres d’appel n’est pas chose nouvelle : il suffit qu’il y ait couplage entre une ligne téléphonique, avec un numéro d’appel spécifique, et des salariés dont le rôle est de répondre aux appels passés par des usagers ou clients, pour que l’on puisse parler de centre d’appel (en l’occurrence ici : d’appels entrants. La bonne terminologie devrait être : centre de réception d’appel). Les « demoiselles du téléphone » ont préfiguré ce type de centre, et on peut établir une certaine continuité, malgré les différences de technologie et d’organisation, entre les « demoiselles » et les actuels centres de renseignement téléphonique associés au numéro 12.

Néanmoins, l’essor rapide et l’importance prise, en peu d’années et de manière récente, par les centres d’appel indique empiriquement qu’il s’est produit quelque chose de réellement nouveau. Comment en appréhender les causes ?

Les raisons du développement des centres d’appel

Un nouveau mode de relation commerciale

Si les centres d’appel traditionnels étaient fortement marqués par le

« renseignement », qui plus est un renseignement de service public, la montée en puissance de cette activité depuis le milieu des années 1990 relève d’une autre logique. Ces centres deviennent un nouveau front de l’action commerciale des entreprises. Le téléphone constitue un nouveau

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mode de communication supplémentaire avec la clientèle, par rapport au seul contact physique (dans une agence commerciale ou par rendez-vous). Dans la majorité des cas, on voit aujourd’hui se dessiner une relation clientèle multicanaux, combinant de manière variable les trois modalités que sont le contact physique, le téléphone et l’internet avec, nécessairement, un déplacement de la première modalité vers les deux autres. Le contact physique garde, néanmoins des caractéristiques et des qualités que, pas plus les clients que l’entreprise, ne peuvent retrouver au sein des deux autres canaux. C’est donc vers une relation multimodale qu’on se dirige majoritairement, posant du même coup la question de l’équilibre dynamique et de la complémentarité à trouver entre ces modes. Beaucoup d’entreprises s’interrogent sur la nature de cet équilibre, et particulièrement celles qui avaient développé, dans la période précédente, un important réseau d’accueil physique, essaimé sur l’ensemble du territoire. Jusqu’à quel point faut-il ou ne faut-il pas basculer vers l’accueil téléphonique et sur quels objets ? Sur quelle combinatoire peut se loger l’avantage compétitif d’une entreprise ? L’insertion des centres d’appel dans une logique d’action commerciale retentit directement sur l’activité des téléopérateurs. Même s’il reste encore des centres de pur renseignement, la tendance est plutôt de constituer des centres d’appel qui combinent le renseignement sur des sujets comme les

« produits et services » offerts par l’entreprise ou le traitement des problèmes de paiement et de facturation, avec la mise en avant d’un

« placement » commercial, les deux actions devant être développées dans le cours d’une même conversation téléphonique. Même dans le cas des numéros dédiés à des appels pour des dérangements, en service après vente, et même si la priorité est donnée à la résolution du problème du client, l’intégration dans une approche commerciale devient clairement présente.

Soit des conseillers commerciaux agiront sur ces plateaux qui deviennent multivalents (réponse aux dérangements et information commerciale), soit les agents seront invités à voir la résolution rapide et pertinente des pannes du client comme un moteur de fidélisation. La nouveauté est bien là : la constitution de la relation téléphonique comme nouveau front de l’action commerciale, front dont l’importance relative va croissante.

Les apports de l’informatique

Une deuxième raison est d’ordre technologique : depuis l’époque des

« demoiselles du téléphone », l’évolution du réseau téléphonique, associé désormais à des outils de traitement et orientation automatique des appels, et l’accès aisé à des grandes bases de données ont permis de concevoir un

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nouveau poste de travail de téléopérateur. Celui-ci, tout en dialoguant avec le client, a accès à des informations sur les produits et services de l’entreprise, comme à celles déjà collectées sur son interlocuteur. Se forme ici une combinaison inédite entre « communication » et « accès à l’information ».

L’opérateur humain en reste le centre : c’est lui qui mobilise les informations en fonction du déroulement d’une communication vivante. Mais déjà, pour des réponses qu’il est possible de routiniser, l’opérateur humain peut être remplacé par un automate. Là aussi, nous sommes dans une période où un équilibre se cherche, dépendant à la fois de la stratégie de l’entreprise et du comportement et des attentes des clients : quel partage faire entre une communication interhumaine vivante et le traitement informationnel des réponses par un automate à voix humaine (synthétique ou préenregistrée) ? Le développement quantitatif, en emplois, des centres d’appel montre que la voix de la communication vivante reste privilégiée, mais les progrès futurs dans la reconnaissance vocale et la standardisation des réponses peut ouvrir à un infléchissement de la tendance. Il est probable que la sensibilité des clients ou usagers à cette modalité influera sur les équilibres futurs. Mais il est certain que, dans les centres où l’on constate dès aujourd’hui une tendance à vouloir étroitement standardiser les réponses humaines des téléopérateurs, on prépare objectivement le terrain à une automatisation complète de la relation. En contrepoint à cette voix du tout automatique, l’association entre téléphonie et bases de données offre et pourra offrir, de plus en plus, une exceptionnelle richesse potentielle de la communication vivante entre client et opérateur. On ne se trouve ici qu’aux débuts d’une évolution technologique possible : les applications actuelles restent frustres et complexes à utiliser pour le téléopérateur, à la fois parce qu’elles ont été conçues sur le seul principe d’une base de données, de type documentaire, et parce que souvent des informations essentielles sur le client et ses usages en sont absentes, parce que prévaut une logique de construction de ces bases administratives (l’information sur le client est construite comme celle d’un abonné) et/ou financières (flux d’argent entre le client et l’entreprise). Il est possible que les développements du CRM (Customer Relationship Management) autorisent tout à la fois :

– un véritable traitement ad hoc, par et pour le téléopérateur, de la question soulevée par le client, avec recherche automatique de la réponse au sein d’une base unique (par interconnexion des bases existantes), économisant les fastidieuses recherches d’information ;

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– une entrée d’informations sur les usages et attentes, venant enrichir et personnaliser la base, avec possibilité d’un traitement « point à point » (client par client).

Les outils techniques existent déjà et commencent à être expérimentés.

Améliorer la productivité

Une troisième raison est clairement d’ordre économique : la tendance au regroupement de centres d’appel dispersés sur le territoire (localisés dans chaque agence par exemple) sous forme de plateaux centralisés est claire.

Elle est tout à fait rendu possible par la technologie de communication à distance – et c’est même l’un des avantages évidents du téléphone par rapport au contact physique – mais elle permet aussi de réaliser des économies d’échelle, en personnel et en investissements (d’autant plus que la complexité technologique des centres rend les investissements de plus en plus lourds). Mais en contrepartie, elle provoque à la fois :

– des risques de ruptures sociales : rupture entre collectifs de salariés, qui se trouvent séparés physiquement et socialement de plus en plus éloignés, le cas type étant fourni par la séparation entre vendeurs en accueil physique ou en prospection et groupes de téléopérateurs, alors que leurs activités sont, en principe, complémentaires, voire parfois identiques ; les occasions d’échanges sociaux disparaissent ;

– un risque d’éloignement vis-à-vis du client. Si ce dernier est et sera de plus en plus connu « informationnellement », cette connaissance prend le client en-dehors de son contexte, voire de sa culture et risque de perdre en densité d’intercompréhension possible ; par exemple, un centre d’appel situé à Paris ou à Lyon, voire au Maroc, prendra très difficilement en compte un contexte de vie locale qui peut expliquer, à la fois les besoins du client et la nature de ses problèmes ; la communication interhumaine à distance risque de tourner au dialogue de sourds ;

– enfin, une tentation à la rationalisation industrielle du travail : toute concentration, dont l’une des raisons d’être essentielle est la réduction des coûts, pousse spontanément à la reprise des recettes de l’organisation taylorienne/fordiste, par recherche d’optimisation de l’engagement des ressources humaines par rapport aux flux ; mais la qualité de service, donc une dimension essentielle de l’output du centre d’appel, impossible à réduire à un traitement fordiste industriel de flux, peut en pâtir et interroger ce type d’option.

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On voit, là encore, que nous sommes dans une période de tâtonnements et de recherche d’équilibres. La tendance actuelle à la concentration au sein de

« plateaux » est certaine, mais il n’est pas sûr qu’elle ne soit pas, dans l’avenir, contrebalancée par un mouvement inverse.

A propos du taylorisme

Avant même que l’on dispose de recherches de terrain significatives sur les centres d’appel, ces derniers ont acquis mauvaise réputation. On y voyait une pure résurgence du taylorisme, qui plus est : un taylorisme radicalisé, pire qu’un atelier industriel.

Les résultats dont on dispose aujourd’hui conduisent à une vision nettement plus complexe. Vont incontestablement dans ce sens, les centres où s’imposent, tout à la fois, une standardisation et un contrôle des réponses sous forme de scripts que l’opérateur doit respecter, et un calcul très fin des temps. Sur ces deux registres, les outils de contrôle sont même nettement

« supérieurs » à ceux de l’atelier taylorien : les temps sont contrôlés en réel et en permanence (temps de réponse, temps d’attente entre deux appels, etc.), individu par individu, et on peut contrôler le respect des scripts par double écoute. Ce contrôle est beaucoup plus fin, précis et immédiat que celui exercé dans un atelier industriel.

Néanmoins, les articles contenus dans le présent numéro montrent toutes les limites et ambivalences de ces contrôles. Nous ne sommes pas dans une problématique classique d’opposition entre « travail réel » et « travail prescrit ». C’est de la présence d’une disjonction structurelle qu’il s’agit.

Tentons de cerner les multiples facteurs qui interviennent.

Nous ne sommes pas dans un jeu à deux : salarié face à son encadrement, et donc face à la direction de l’entreprise, mais bien dans un jeu à trois : salarié, direction et client (ou usager). Avec un triple rapport, que Jean Gadrey1 a bien mis en lumière dans ses travaux sur le rapport social de service. Un rapport entre client et agent – le téléopérateur, souvent appelé téléconseiller – qui est bien au centre de l’activité concrète du centre. Un rapport de l’agent à sa hiérarchie, qui interfère, non seulement sur les modalités du contrôle, mais aussi sur les aides, accompagnement, formations que cette dernière peut

1. Jean Gadrey, L’économie des services, Paris, La Découverte, 1996.

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dispenser ou proposer. Enfin un rapport du client à la direction de l’entreprise, indirect mais déterminant. En effet, l’une des caractéristiques de ce jeu à trois est que le jugement du client – et non celui de la hiérarchie – est essentiel pour la stratégie de l’entreprise : à moyen terme, c’est lui qui s’impose. Suivant l’image qu’il se construira de l’entreprise en question, selon la réputation que tels types de centre d’appel va acquérir, selon la satisfaction de ce client (et donc des différents types de clientèles) telle qu’elle va s’éprouver à moyen terme – au-delà d’appréciations ponctuelles –, les centres d’appel seront un succès ou un échec. On peut remarquer d’ailleurs que plus l’entreprise opère sur un marché déjà mûr, voire saturé, plus l’opinion des clients importe, car l’enjeu central devient leur fidélisation.

Cette première caractéristique a des conséquences lourdes : le jugement du client sur la qualité et la pertinence des réponses qui lui sont fournies, voire sur le processus d’activité que l’appel téléphonique va déclencher (en cas, par exemple, de déplacement d’un technicien pour opérer un dépannage, ou du retraitement d’un dossier de facturation) contrebalancent les tendances à la taylorisation. Objectivement, le client peut devenir, sous ce registre, un allié pour les agents car, derrière la qualité des réponses et des processus, il y a bien les conditions de travail des téléopérateurs. Par exemple, le temps

« pour » donner une réponse pertinente n’est pas réductible, dans sa logique, au temps prescrit. Il peut être plus court, ou plus long que la norme, mais surtout son principe est foncièrement différent. Même chose pour le script : si celui-ci peut servir, non seulement de moyen de contrôle, mais de point d’appui pour le téléopérateur, c’est qu’il autorise ce dernier à opérer des mémorisations qui seront utilisées, non pas pour « respecter » le script, mais pour améliorer la pertinence de la réponse faite au client. Qu’à un moment donné le téléopérateur s’éloigne du script est à la fois normal et signe de qualité : le client sait apprécier des réponses « naturelles », qui tiennent réellement compte de ce qu’il veut exprimer au cours de la discussion et du problème singulier qu’il veut voir résolu. Il souhaite avoir un interlocuteur réellement à l’écoute et compréhensif.

Une deuxième particularité, qui distingue les situations de travail en centre d’appel d’un atelier taylorien, réside dans le fait que la situation de travail est

« complète », « globale ». Nous voulons dire par là :

– qu’elle n’est pas découpée et séquencée, comme sur une chaîne de montage ; l’effet « file d’attente des appels » ne représente pas l’enchaînement d’un travail parcellisé ;

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– que la méthode utilisée pour travailler s’identifie au « produit » (une réponse pertinente), sans aucun décalage entre les deux ; autrement dit, la qualité du

« produit » est immédiatement dépendante de la manière de travailler. Aucune distance n’existe et aucun rattrapage « en bout de chaîne » n’est possible.

Situation de travail globale, cela veut dire que le téléopérateur assume seul la responsabilité sur l’essentiel, voire la totalité de la réponse au client (il peut, bien sûr, prendre la responsabilité de transmettre ce client à plus compétent que lui pour des cas complexes, mais c’est là encore de sa responsabilité).

D’une certaine manière, le pouvoir de l’agent est à la mesure de cette responsabilité. La hiérarchie n’y peut directement rien : elle ne peut intervenir qu’après coup, après l’événement. Et bien des choses peuvent en réalité lui échapper, car la double écoute ne peut être, pour un agent donné, que rare et ponctuelle. Un agent peut saboter les réponses, voire, pour tenir les chiffres de nombres d’appels, raccrocher sans même répondre au client…

Soit la hiérarchie entre dans une course infinie entre l’intelligence rusée des agents et la sophistication des contrôles, soit elle joue le jeu de la confiance, à la mesure de la responsabilité exercée effectivement par les agents. Et elle s’éloigne donc des méthodes tayloriennes.

Enfin, on ne saurait oublier que le « produit » d’un centre d’appel est, non pas un bien industriel, mais un service. Il est certes parfaitement possible de standardiser la délivrance d’un service, selon la formule de la question ramenée à un cas type, mais il existe deux limites à cette tentative, limites que les téléopérateurs éprouvent à longueur de journée. D’abord, un appel est presque toujours plein d’imprévus : on ne peut normaliser le comportement des clients. Leur diversité, la variabilité de leur « cas », leur subjectivité et affect interviennent pour limiter l’enfermement dans des standards (de question et de réponse). Mais ensuite, et surtout, on ne peut standardiser la satisfaction de ce client. L’entreprise peut croire que les réponses données ont été bonnes et s’apercevoir d’une montée du taux d’insatisfaction, sans comprendre pourquoi. C’est qu’elle oublie que le client « juge » et « évalue », et qu’il ne le fait pas mécaniquement. Et cette évaluation repose souvent sur des critères subtils, que seul, au fond, un « bon » téléopérateur, attentif au ton et aux préoccupations du client, peut saisir. Les entreprises, qui ont déjà acquis une certaine ancienneté dans la pratique des centres d’appel, savent que des jugements seront déterminants, et commencent à reconsidérer les critères de

« contrôle » de l’activité des agents.

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Il nous semble donc que, si les pratiques inspirées du taylorisme sont incontestablement présentes, elles n’épuisent pas la réalité de ce qui se passe réellement dans un centre, non seulement par résistance des agents (aspect classique déjà présent dans l’industrie), mais pour des raisons profondes, dont les directions elles-mêmes peuvent progressivement se rendre compte, car elles impactent directement sur la réussite de leur stratégie, en particulier lorsque la fidélisation devient un critère central.

Un phénomène multiple

Si donc le développement des centres d’appel s’intègre dans les transformations de la relation de service, le phénomène prend des formes beaucoup plus diversifiées qu’on ne l’imagine souvent. Dans certaines entreprises, le centre d’appel constitue le principal, voire l’unique canal de contact avec la clientèle. Ce fut notamment la stratégie des nouveaux entrants sur des marchés monopolistiques ou oligopolistiques comme la banque, l’assurance2 ou les télécommunications. On trouve là une stratégie assez voisine de celle que mettront en place dans les années 1990 les dot.com avec un autre outil de communication : l’internet. On peut d’ailleurs noter à ce propos que, comme le montre dans ce numéro Christian Licoppe dans le cas des agences de voyage en ligne, les commerçants en ligne ont rapidement créé des centres d’appel téléphoniques. Alors qu’à l’origine, il s’agissait d’un élément complémentaire, mineur, le téléphone est rapidement devenu un canal essentiel de contact avec la clientèle.

Les grandes entreprises de service qui possèdent un important réseau de guichets ont, au contraire, choisi de faire des centres d’appel, non pas un substitut à l’accueil physique, mais un mode complémentaire qui reste souvent de dimension modeste comme dans les banques et les assurances3, mais peut également être très important, comme à France Télécom. En effet, l’opérateur public de télécommunications souhaitant à la fois développer son réseau commercial et reconvertir une partie de son personnel technique, les centres

2. Voir Marie Buscatto, « Les centres d’appels, usines modernes ? Les rationalisations paradoxales de la relation téléphonique », Sociologie du travail, vol. 44, n° 1, janvier-mars 2002.

3. Voir l’article de Chantal Cossalter.

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d’appel sont apparus comme une façon de combiner ces deux objectifs. En 2000, 25 000 salariés de l’entreprise travaillaient ainsi en centre d’appel4. Les entreprises qui ont mis en place parallèlement plusieurs canaux de contact avec la clientèle peuvent organiser le travail de leurs agents mode par mode ou de façon multimodale. Chantal Cossalter montre ainsi que certaines banques ont choisi d’intégrer la relation téléphonique dans le travail du personnel en agence. L’une d’entre elles envisage d’équiper chaque agence d’un mini- plateau téléphonique où les conseillers viendront travailler par roulement. Ce choix a le double avantage de rompre la monotonie du travail des centres d’appel qui est constaté par tous les observateurs, mais aussi de maintenir une relation plus personnalisée avec la clientèle comme on le fait dans la relation de guichet. Au contraire, une entreprise comme France Télécom qui, avec son activité de renseignements téléphoniques, avait une vieille tradition de contact à distance a créé des grands plateaux téléphoniques, avec un personnel spécialisé. De cette façon, l’opérateur peut offrir un service en soirée, six jours sur sept voire éventuellement sept jours sur sept. Il peut également utiliser les possibilités d’une organisation en réseau, pour rerouter le trafic excédentaire d’un centre à l’autre.

Quand le personnel se consacre uniquement à la relation commerciale par téléphone, on constate ordinairement (opérateurs téléphoniques, agences de voyage en ligne) que les téléopérateurs sont spécialisés dans tel ou tel domaine : conseil technique, ventes, service après vente… Cette organisation du travail en équipes spécialisées permet en principe d’être plus efficace et d’offrir un meilleur service.

A côté des choix sur une organisation monocanal ou multicanal de la relation avec la clientèle et ceux qui partent sur la spécialisation des équipes, une alternative apparaît, celle d’une organisation plus ou moins coopérative du travail. Isabel Georges nous présente, sur ce point, deux modèles fort différents. Dans un cas, le travail est complètement individualisé. Chaque conseiller travaille de façon solitaire, sa productivité est mesurée à chaque instant. Au contraire, d’autres équipes fonctionnent de façon beaucoup plus collective. Une véritable entraide s’est mise en place entre les conseillers, la productivité est mesurée au niveau collectif. Ce modèle correspond à une situation assez particulière où les agents viennent, pour l’essentiel, du monde

4. Source Institut des Métiers de France Télécom, Centres d’appels et nouveaux modes de travail, 2001, p. 14.

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de l’installation et de la réparation des lignes téléphoniques. Ils avaient donc une tradition de coopération et de fonctionnement collectif qu’ils ont pu maintenir dans les centres d’appel, car leur hiérarchie venait du même monde. Manifestement ce mode de fonctionnement coopératif des centres d’appel est plutôt une exception liée au parcours professionnel des agents.

On peut néanmoins se demander s’il n’y a pas là un modèle alternatif au fonctionnement dominant structuré autour de la compétition et du contrôle.

En effet, les centres d’appel posent de très sérieux problèmes, en ce qui concerne la définition et la mesure de la performance du travail commercial.

Marie Buscatto, dans sa monographie sur la société d’assurances Apollon5, distingue deux définitions idéal-typiques de l’activité des télévendeurs : « un acte de conquête à tout prix » et « une présentation honnête du produit pour fidéliser le client ». Mais à cette ambiguïté majeure entre la valorisation du court ou du long terme se superpose la difficulté de construire des indicateurs pertinents de la performance. Si les mesures des objectifs quantitatifs peuvent être complexes et raffinées, il est en revanche très difficile de mesurer la satisfaction du client (objectif qualitatif). Par ailleurs les indicateurs existants accordent une place très faible aux objectifs collectifs. Cette question de l’évaluation du travail est longuement étudiée par Christine Jaeger dans ce numéro.

La mesure de la performance, toute problématique qu’elle soit, a peu d’incidence sur l’évolution professionnelle des agents. Si des sociétés récentes créées de toute pièce autour de la relation commerciale par téléphone ont pu proposer au démarrage des évolutions de carrière à leurs salariés sous forme de promotions relativement rapides, il n’en est plus de même dès que l’on entre dans des phases de stabilité. Quant aux entreprises classiques qui ont développé de nombreux centres d’appel, comme France Télécom, les possibilités de promotion y sont très rares. Les salariés à qui on a souvent présenté le travail en centre d’appel comme une évolution nécessaire de leur carrière, comme une adaptation aux changements de l’entreprise se sentent « piégés », ceux qui bénéficient d’une stabilité de l’emploi se résignent, les autres s’en vont. Plusieurs études notent justement que le turn over de cette activité est très élevé6.

5. Marie Buscatto, op. cit.

6. Voir notamment Denis Bérard, Les centres d’appels téléphoniques, Lyon, ANACT, 2000.

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Le processus de rationalisation du travail que l’on peut observer dans les centres d’appel est le plus souvent analysé comme un dispositif de perte d’autonomie des télévendeurs. Ainsi, dans l’exemple des vendeurs de voyage étudié par Christian Licoppe, on constate que la mise en place des centres d’appel amène à substituer à une relation commerciale continue où un agent de voyage traitait l’ensemble d’un dossier, des « rencontres éphémères » avec des opérateurs différents traitant des éléments précis. Il existe néanmoins des cas dans le domaine de la réservation touristique où on peut constater que les vendeurs acquièrent et développent de nouvelles compétences. Céline Mounier montre, à la suite de deux enquêtes qu’elle a effectuées dans ce secteur, que plus on s’éloigne du modèle du centre de renseignement pour s’orienter vers celui du centre de contact client, plus les téléconseillers doivent faire preuve d’une grande agilité d’esprit. Il faut s’adapter à des clientèles très différentes, réagir rapidement, trouver une réponse rationnelle face à des questions inattendues, finalement jongler entre différentes attitudes (gestion de l’urgence, sens du service…).

La mémoire constitue également une compétence essentielle. Les conseillers doivent avoir constamment en tête la gamme des produits qu’ils proposent, les procédures de réservation qui sont souvent adaptées à chaque segment de clientèle… Finalement, Céline Mounier estime que la rationalisation de l’activité commerciale mise en place dans les centres d’accueil peut être vécue sous le mode de la contrainte, mais peut aussi s’inscrire dans un mouvement de développement des compétences. Une question demeure néanmoins, celle de savoir comment les entreprises peuvent reconnaître ces nouvelles compétences.

A côté du dossier consacré aux centres d’appel, on trouvera en rubrique Varia, un article de Dominique Marchetti et d’Olivier Baisnée sur les chaînes de télévision d’information. Les auteurs y montrent notamment comment le personnel y travaille dans l’urgence, y pratiquant un nouveau journalisme « assis » et polyvalent. Alexandre Largier s’intéresse quant à lui aux joueurs de jeu vidéo en ligne. Il étudie la manière dont, à travers le jeu lui-même et les forums de discussion, se constitue un collectif homogène.

Enfin Hervé Nabarette s’est penché sur « l’internet médical » et regarde comment les patients s’informent et communiquent sur leur santé par l’intermédiaire du réseau des réseaux.

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