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Article pp.9-15 du Vol.20 n°116 (2002)

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Academic year: 2022

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Valérie BEAUDOUIN Christian LICOPPE

Internet et ses usages ont suscité un fort intérêt dans le domaine des sciences sociales. Beaucoup d’enquêtes ont été menées sur des pratiques spécifiques, comme la navigation sur le web, les chats, les forums, les jeux en ligne, la musique…, d’autres sur le fonctionnement de communautés spécifiques, tandis que des études de taille plus conséquente, préoccupées par la question du « fossé numérique », étudiaient les facteurs de différenciation entre les individus connectés à internet et les autres. Les travaux oscillent entre des approches très ethnographiques et des études statistiques qui n’entrent pas dans le détail des pratiques. Nous proposons ici un cadre d’analyse qui réconcilie les deux approches. Celui-ci nous permet de traiter la question des usages d’internet de manière systématique en garantissant une forme de représentativité des utilisateurs et des pratiques, tout en entrant dans la compréhension fine des usages, grâce aux entretiens auprès des concepteurs et utilisateurs et à l’analyse des productions du réseau (sites, échanges électroniques…).

Internet est un média hybride qui autorise des activités de types très différents : rechercher ou consulter de l’information, échanger des messages, converser en direct, télécharger de la musique, acheter… Les frontières entre ces différentes utilisations ne sont pas forcément très claires pour l’utilisateur, car celles-ci se font toutes dans la même situation : devant un écran, avec un clavier et une souris. La confusion est accrue pour les

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utilisateurs les plus avancés par leurs pratiques d’entrelacement des tâches : il n’est pas rare en effet que certaines activités soient faites en parallèle (naviguer sur le web pendant un téléchargement de fichier par exemple) ou savamment enchaînées (lire un mail, répondre à une sollicitation sur la messagerie instantanée, consulter le web…). Disposer d’un système d’analyse qui permette de décomposer les pratiques d’internet selon ses différentes dimensions s’avère décisif.

Et c’est là qu’une des spécificités des nouvelles technologies entre en jeu. En effet, la prolifération des outils produit certes de nouveaux usages mais, dans le même mouvement, elle conduit à une prolifération des traces d’usage, puisque tout système électronique offre la possibilité d’enregistrer tout se qui transite à travers lui. S’emparer de ces traces représente un enjeu fort pour les sciences sociales, un enjeu de méthode tout d’abord, puisque l’analyse des traces nécessite le développement d’approches interdisciplinaires, mais aussi un enjeu en termes d’objet. En effet, l’exploration des traces conduit à revisiter l’analyse des pratiques, en croisant l’observation « à la source » des usages avec, d’une part, les contenus visités ou les types d’activités et, d’autre part, le discours sur ces pratiques.

La question des parcours sur internet, qui se trouve au cœur de ce numéro, constitue à ce titre un exemple paradigmatique. Parcours est ici employé dans un sens métaphorique, puisqu’il désigne tout aussi bien l’évolution des usages des internautes dans la durée, les transformations des pratiques des concepteurs de sites, l’articulation des activités dans une même session internet et en particulier l’entrelacement des pratiques de communication et de consultation.

Les différentes recherches ici présentées montrent chacune à leur manière l’importance toute particulière sur internet des ajustements entre production et réception. Ainsi, a-t-on pu montrer que les moteurs de recherche finissaient par avoir une identité propre par le biais du profil de leurs utilisateurs et des requêtes qui leur étaient adressées, que les sites personnels avaient des tonalités spécifiques en fonction de leur lieu d’hébergement ou encore que les secteurs marchands transformaient la mise en scène de leurs espaces de vente au fil des interactions qui se nouaient avec leurs clients et leurs visiteurs. Ces ajustements réciproques entre la production et la réception permettent l’émergence de territoires marqués et une organisation sociale du réseau.

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L’autre spécificité très notable d’internet, que mettent en évidence différents articles de ce dossier, est l’articulation forte entre les pratiques de navigation et de communication, entre lecture et écriture. Ainsi, pour les concepteurs de sites personnels, l’élaboration des contenus est fortement imbriquée avec l’animation des réseaux de liens qui se tissent autour du site. Dans le contexte de l’achat en ligne, la navigation sur le site et l’achat sont souvent suivis d’échanges de courriers qui alimentent la relation entre la phase de commande et celle de la réception. Enfin, dans les sessions sur internet, on observe un entrelacement fréquent entre la navigation et les échanges interpersonnels. Les analyses de parcours d’usages, parce qu’elles travaillent justement dans cet entre-deux de la médiation et de la durée, permettent de reconstruire les coévolutions des sites et des formats interactionnels sur internet, ainsi que leurs usages. Elles conduisent donc à requestionner de manière originale les articulations entre production et réception.

Le premier article, « Décrire la toile », part du constat que pour analyser les usages d’internet, il est nécessaire d’explorer la forme et les contenus des documents parcourus. Il propose une méthodologie de description des sites et des pages visitées, appliquée à deux catégories de sites, les sites personnels et les sites marchands. Cette méthode permet de mettre au jour les spécificités des premiers par rapport aux seconds, ce qui vise à mieux comprendre l’articulation de la sphère non marchande avec la sphère marchande. Ensuite, sur un corpus des pages personnelles visitées, les auteurs sont amenés à différencier des types de documents et à comprendre l’articulation entre les caractéristiques des pages et la manière dont s’organisent les visites. Située du côté de l’analyse de la production, cette méthodologie permet de montrer comment les formes produites inscrivent et réalisent des types de parcours spécifiques.

Les deux articles suivants s’appuient sur l’articulation entre l’analyse des traces et les entretiens auprès de concepteurs de sites et d’utilisateurs. Le premier, « La construction électronique du social : les sites personnels », dresse une cartographie des sites personnels et pose que ces derniers, parce qu’ils constituent des terrains d’expérimentation (de mise en scène d’une

« passion » et de la rencontre avec un public), doivent être traités en tant que processus d’apprentissage individuel. En se limitant au cas de la musique, les auteurs montrent comment la production d’un site est complètement en prise avec les modalités de sa réception, en particulier comment, peu à peu, le travail sur le site se déplace de l’élaboration de contenus propres vers

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l’actualisation de la rubrique événementielle et l’animation des collectifs qui se constituent autour du site. Dans l’article suivant, « Contribution à une sociologie des échanges marchands sur internet », les auteurs explorent les pratiques d’achat sur internet, en particulier la place que prend la comparaison des offres sur les différents sites selon le secteur et mettent en évidence les particularités propres à la médiation commerciale en ligne, par rapport au magasin. Ainsi se voient redéfinies les frontières entre achat planifié et achat d’impulsion. Les auteurs montrent également comment l’articulation entre l’offre et la demande a conduit, dans le secteur du tourisme, à un déplacement de l’offre vers des achats de dernière minute.

Viennent ensuite deux articles consacrés à une activité centrale sur internet, la recherche d’information. Ils traitent de deux types de médiation : les annuaires de sites web et les moteurs de recherche. Dans « Les annuaires du web », les auteurs mènent une étude comparative de huit annuaires francophones, du point de vue de leur organisation et de leur contenu, tout en étudiant leur utilisation par un panel d’internautes français. Cette étude permet de montrer les divergences entre annuaires du web et la grande spécificité de chacun d’entre eux. Cette diversité qui est observée à tous les niveaux (choix éditoriaux et structurels, style des descriptifs de sites, regroupement et catégorisation des sites) a un impact non négligeable sur les usages potentiels de ces sites. L’article consacré à l’utilisation des moteurs de recherche se situe quant à lui résolument du côté des usages et de la réception, puisque y est explorée la manière dont sont utilisés les moteurs.

L’article montre que chaque moteur a une identité propre, marquée par le type de requêtes qui lui sont adressées et le profil de ses utilisateurs. Les internautes se distribuent en fonction des types de requêtes qu’ils adressent au moteur, centrées sur des objets directement consommables sur le réseau ou au contraire comme des ressources pour des activités hors du réseau.

Le dernier article du dossier, « De la publication à la conversation », met au jour des profils d’utilisation très différenciés d’internet, grâce à l’analyse des traces d’usages d’un certain nombre d’outils (web, moteur, mail, chat, messagerie instantanée…) par une cohorte d’un millier d’internautes. Par- delà les écarts liés à l’intensité d’usage, s’opposent des pratiques d’exploration (sur le web) avec des pratiques qui montrent un entrelacement fort entre navigation et échanges interpersonnels. Ces différenciations dans les pratiques recouvrent des variations en termes de profil sociodémographiques et conduisent à nous interroger sur les propriétés du

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dispositif et ses modes d’appropriation. L’article tente d’éclairer ces pratiques en explicitant les spécificités des écritures électroniques et la manière dont les interactions électroniques sont utilisées dans la structuration des mondes sociaux.

CONTEXTE ET METHODOLOGIE

Les articles présentés dans le dossier de ce numéro s’appuient sur les travaux menés dans le cadre du projet TypWeb d’analyse des usages d’internet, mis en place par France Télécom R&D. Ce projet a débuté en 2000 et a donné lieu à deux partenariats, l’un consacré à l’analyse des sites, l’autre à l’analyse des parcours. Le projet comprenait également un axe d’entretiens qualitatifs menés auprès de concepteurs de sites marchands et personnels, qui a été mené en interne à France Télécom R&D.

Le premier partenariat a été constitué entre France Télécom R&D, le LIMSI (CNRS), Paris III et Paris X pour étudier la structure et le contenu de deux catégories de sites que sont les sites marchands et les sites personnels.

L’objectif était d’identifier des traits structuraux et lexicaux pertinents pour décrire les pages et les sites dans le but de constituer des typologies et de discriminer les grandes catégories de sites.

Un second partenariat entre France Télécom R&D, NetValue, HEC et Wanadoo SA avait pour objectif d’explorer de manière approfondie les données de parcours du panel NetValue. NetValue est l’un des principaux opérateurs de mesure d’audience sur internet : cette société a constitué dans de nombreux pays des panels d’internautes dont elle récupère tout le trafic sur internet. Dans le cadre du partenariat, NetValue a mis à disposition les données de parcours de son panel français, HEC a apporté son savoir-faire sur la publicité qui était un des axes de recherche important du partenariat – non traité dans ce numéro – Wanadoo SA a fait part de ses questionnements en tant que fournisseur d’accès ou portail et France Télécom R&D a mis au point les méthodes de traitement et exploité les données, avec un soutien de NetValue.

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Il s’agit donc d’un travail collectif, dont ne rend que partiellement compte la liste des contributeurs à ce numéro1 et qui n’aurait pu aboutir sans l’engagement de chacun.

Nous nous sommes donc appuyés sur des données d’usages d’une cohorte d’internautes, tirée du panel France de NetValue, en 2000. Ces internautes étaient représentatifs de la population connectée à domicile début 2000 et ont pu être suivis sur une durée de longueur inédite pour un si vaste échantillon (12 mois). Ce suivi longitudinal sur longue durée a permis de saisir des tendances, des évolutions, des apprentissages et des désaffections. Ainsi avons-nous observé qu’un quart des internautes voyait ses usages décroître de mois en mois, tandis que la pratique devenait routinière pour les autres et tendait même à croître.

Nous n’avons cessé de considérer la page visitée comme étant au carrefour de la production et de la réception, élément situé au sein d’un site et moment dans un parcours de navigation. Le site lui-même doit être traité comme un processus dynamique d’élaboration et de confrontation avec la réception, l’usage étant plus généralement redéfini comme une médiation, avec, d’un côté, des sites élaborés et des formats interactionnels proposés (redevables d’une analyse systématique avec les mêmes approches), de l’autre, la manière dont l’utilisateur saisit des prises sur ces pages pour construire un parcours que l’on peut reconstituer et typer.

Pour analyser ces usages, nous avons mis en place une plate-forme de catégorisation et de traitement qui permet de reconstituer les usages comme une séquence temporelle de contenus multimédias consultés ou produits par les internautes. L’invention et la réalisation de ces outils ont mobilisé des approches pluridisciplinaires : génie logiciel, statistique textuelle (ou linguistique informatique) et sciences sociales. Des méthodes originales de description et de catégorisation des contenus visités (catégorisation de services, analyses de contenus, identification de traits) ont ainsi été élaborées.

1. La liste complète des contributeurs est la suivante : France Télécom R&D, Laboratoire Usages, Créativité, Ergonomie : Houssem Assadi, Valérie Beaudouin, Thomas Beauvisage, Benoit Lelong, Christian Licoppe, Marie Pasquier, Cezary Ziemlicki ; NetValue : Jérôme Amouyal, Laurent Arbues, Hervé Le Jouan, Laurent Nicolas ; HEC : Jacques Lendrevie ; Wanadoo SA : Laurent Courtot, Gildas Blochet, Vang Jong Pao, François-Xavier Hussherr ;

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L’analyse des traces d’usage d’internet recueillies sur le poste des utilisateurs nous a permis de décomposer l’activité derrière l’écran, pour recomposer des figures d’utilisateurs construites sur la base de leurs pratiques. Ainsi avons-nous pu peser la place de diverses pratiques électroniques dans les usages d’internet et la manière dont s’entrelaçaient par exemple consultation et recherche d’information, d’une part, et échanges interpersonnels, d’autre part, ou encore mesurer la place des pratiques marchandes et culturelles dans les pratiques de consultation.

Le croisement avec les enquêtes qualitatives a permis, quant à lui, de replacer les usages sur internet par rapport à d’autres pratiques. Ces enquêtes ont, par exemple, permis de resituer les comportements des créateurs de sites musicaux par rapport à l’ensemble des fans et des amateurs, ou encore les achats en ligne par rapport aux achats en magasins. Ensuite, elles aident à saisir la manière dont le sens des différentes pratiques sur internet se construit et se distribue de manière différente en fonction des catégories d’utilisateurs.

On trouvera en Varia deux contributions de Christine Castelain-Meunier et Jérôme Denis. La première traite de l’usage du téléphone mobile par les jeunes comme outil d’« intimité paradoxale », instrument inscrit dans des médiations complexes, lien intergénérationnel autant qu’outil d’autonomisation, vecteur d’apprentissage de la liberté autant que des contraintes.

La seconde étudie la manière dont les chaînes de télévision françaises devenue scènes marchandes ont développé des dispositifs de visualisation qui transforment le téléspectateur en consommateur attentif, guidé par les habillages, les bandes-annonce et un certain nombre de repères identificatoires qui tendent à le fidéliser comme client.

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