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Article pp.9-15 du Vol.24 n°139 (2006)

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Texte intégral

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Présentation

Alain RALLET Fabrice ROCHELANDET

Le cinéma et l’audiovisuel figurent parmi les dernières industries de contenus à n’avoir pas achevé la numérisation de leur chaîne de valeur.

Celle-ci est loin d’être complète car il faut encore attendre pour cela la généralisation de la TNT, la fin de l’argentique, l’équipement numérique des salles et le déploiement d’un réseau de distribution numérique. Ces lenteurs contrastent avec le rythme d’adoption des TIC par les individus et d’invention de nouveaux usages pour consommer des contenus audiovisuels, souvent par des processus de détournements. Le succès des échanges pair-à- pair n’est pas le seul symptôme de ce décalage, il faut y ajouter le postage de vidéos amateurs ou professionnelles en ligne (Youtube, DailyMotion…), les blogs vidéo, la consommation de programmes audiovisuels sur les terminaux mobiles et le démarrage de la vidéo à la demande. Le numérique est donc présent partout et la consommation de contenus vidéo prend des formes très variées. Cette dynamique contraste avec l’impression d’inertie qui se dégage du modèle broadcast fondé sur des pratiques somme toute peu « actives » des individus.

Pour autant, un paradoxe marque ces évolutions contrastées, puisque la valeur économique demeure essentiellement créée par le modèle broadcast traditionnel, alors que l’innovation reste hors marché du côté de la consommation de contenus sur internet. En d’autres termes, peu d’innovations numériques débouchent sur une valorisation marchande et des modèles économiques viables, l’essentiel du financement de la production audiovisuelle provenant de services traditionnels.

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Or, l’accroissement et l’appropriation de la valeur représentent actuellement un enjeu d’autant plus crucial pour l’économie de l’audiovisuel que les coûts fixes de production et de distribution des contenus (films, séries télévisées, téléfilms, etc.) sont nettement plus élevés qu’ailleurs et de surcroît, marqués par une inflation des budgets.

Deux hypothèses peuvent être envisagées. Selon la première, l’utilisation de nouveaux services en ligne ou l’accès à des contenus sur internet ne se traduit pas par un consentement à payer significatif de la part des consommateurs. Les individus augmentent leur consommation audiovisuelle, mais pas forcément le prix qu’ils sont prêts à payer en contrepartie. On retrouve ici la thèse de la « gratuité ». La consommation audiovisuelle sur internet serait alors tour à tour une menace pour les uns (partage illégal de fichiers, cannibalisation de l’audience ou du temps consacré à la télévision classique, détournement inefficace de financements publicitaires vers internet faute d’une mesure ou d’une qualification précise de l’audience internet, remise en cause de l’idée de grille de programmation et donc du métier des chaînes de télévision), une opportunité pour les autres (internet serait un moyen de recyclage de contenus déjà valorisés sur les médias télévisuels – à l’instar de la vidéo à la demande par France Télévision s’assimilant à de la consommation télévisuelle différée –, voire un vivier technologique où les chaînes de télévision puiseraient pour ajouter de la valeur à leurs programmes – blogs et usages de SMS en direct – et ainsi se différencier de leurs concurrents).

Selon une deuxième hypothèse, un consentement à payer significatif serait associé à la consommation numérique des contenus audiovisuels. Tout le problème serait alors de traduire cette disposition à payer en valeur marchande et de s’approprier les revenus correspondants. Il faudrait laisser le temps aux modèles économiques de se mettre en place. Comment expliquer alors leurs difficultés ? Quels sont les obstacles à l’émergence de modèles viables ?

Deux facteurs permettent en fait d’expliquer leur impasse actuelle. D’un côté, le modèle broadcast et la consommation audiovisuelle classique demeurent largement prégnants en agissant comme une force d’inertie qui rend l’innovation difficile ailleurs. Ce modèle demeure très largement dominant en termes de temps consacré par les ménages aux médias audiovisuels. Ces derniers se renouvellent en permanence, en particulier en matière de contenus : renouveau des séries télévisées et des

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reportages, diffusion de séries en prime time, reality shows, renouvellement des journaux télévisés, intégration des nouveaux outils de communication du SMS en direct aux blogs, émissions intimistes… Ils parviennent ainsi à conserver et à capter une audience massive, exerçant en même temps une contrainte très forte sur les nouveaux médias en termes de contenus tout en se nourrissant des innovations en provenance de l’internet et du mobile.

D’un autre côté, le fait que les modèles innovants ne parviennent pas à générer des marchés tient vraisemblablement à leurs caractéristiques mêmes.

Certes, une pléthore de nouveautés se développe en permanence et attire une partie de la population qui se tourne vers l’internet et les nouveaux modes de consommation audiovisuels. Néanmoins, cette population est particulièrement hétérogène et « volatile » par rapport à ses nouveaux usages qui relèvent en grande partie de l’effet de mode ou bien ne débouchent pas sur de nouveaux modèles économiques. Ainsi trop de publicité associée à un service peut provoquer une migration rapide vers un service sans publicité.

Qui plus est, l’innovation est hors marché : les utilisations que font les individus des TIC est empreinte de la nature fondamentalement non marchande de l’internet fondé sur le « don/contredon » communautaire, l’impression de « gratuité » ou du moins, de pouvoir accéder librement aux contenus et partager sans restriction à la fois contenus et connaissances. Cela explique la diffusion extrêmement rapide de certains services innovants passant en très peu de temps d’une poignée d’adoptants initiaux à plusieurs millions d’utilisateurs, sans qu’il existe par ailleurs un quelconque modèle apte à créer une valeur marchande appropriable avec bénéfice par les producteurs de contenus ou les promoteurs de ces nouveaux services. Sauf à recourir au modèle traditionnel de l’audience et du financement publicitaire qui lui est associé.

Dans ce contexte, les seuls modèles « nouveaux » qui semblent devoir se développer sont ceux qui répliquent l’existant : la publicité et la vente à l’unité. Le financement publicitaire constitue dans bien des cas la seule réponse pour valoriser ces nouvelles audiences. La publicité pourrait être certes utilisée plus finement en pratiquant un ciblage fondé sur une exploitation des données personnelles. Pour autant, un autre paradoxe apparaît ici : en dehors du problème de l’exploitabilité des données ainsi collectées, les données d’usage (de navigation) ne font que révéler des pratiques génériques suivant bien souvent une loi de Pareto. La publicité ciblée sur internet n’est alors qu’un avatar du modèle bien connu de la

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publicité adaptée aux publics des chaînes radio ou télévisées en fonction de la nature spécifique des contenus qu’elles diffusent. Le marketing ciblé nécessiterait en fait la collecte de données plus personnelles qui induiraient des coûts de traitement des données recueillies et certainement des résistances de la part des individus (non divulgation ou déclarations volontairement erronées).

La vidéo à la demande constitue une autre illustration de ce problème en montrant les limites de la vente à l’unité sur internet. Très mal identifiée ou bien de façon très restrictive, la VoD ne semble pas créer en tant que telle un surcroît de valeur économique par rapport aux modèles classiques de distribution vidéo, à savoir la vente et la location de DVD (si ce n’est la valeur attribuée par le consommateur à l’immédiateté de l’accès, à contrebalancer toutefois avec la restriction d’usage puisqu’un film s’utilise en général une seule fois). La VoD n’engendrerait alors qu’un jeu à somme nulle où la distribution en ligne de fichiers vidéo (films, documentaires…) ne ferait que se substituer à la vente et à la location de DVD, voire aux abonnements à des chaînes thématiques (cinéma, documentaires). Pis encore, l’innovation pourrait en fait se révéler une destruction nette de valeur si la concurrence vive que se livrent actuellement des acteurs venus d’horizons très variés (audiovisuel, informatique, internet, grande distribution…) aboutissait à une baisse rapide des prix et à une marginalisation rapide des ventes de supports plus onéreux comme les DVD.

On le constate donc : les modèles économiques sont encore bien fragiles pour le moment et ne permettent pas de garantir la pérennité des financements. Reste pourtant une voie à explorer pour bâtir des modèles viables : différencier significativement les contenus disponibles sur internet, notamment en les adaptant plus spécifiquement aux conditions et aux terminaux de réception (mobiles, PC…), ainsi qu’aux logiques communautaires prévalant dans l’univers numérique.

L’existence de modèles viabilisant les innovations peut dépendre de la réglementation. Deux articles de ce numéro soulignent à quel point l’économie de l’audiovisuel dépend de la réglementation, ex-ante ou ex-post, à l’ère de la convergence numérique. D’une part, de nouveaux entrants venant du monde de l’internet, des télécoms ou de l’informatique, pénètrent sur les marchés de l’audiovisuel sans dépendre de la réglementation propre au secteur de l’audiovisuel. Ils bousculent les règles du jeu anciennes sans que de nouvelles aient été établies. Mais peut-être l’innovation a-t-elle

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besoin de ce temps suspendu, de ces interstices réglementaires pour faire son œuvre schumpetérienne de destruction créatrice, comme pour nous rappeler qu’à l’origine des positions les mieux établies, il y a des coups de force.

D’autre part, l’organisation interne des marchés de l’audiovisuel fait débat : faut-il par exemple qu’au monopole conféré en amont aux producteurs et éditeurs de contenu réponde en aval le monopole de distribution que confère les accords d’exclusivité aux opérateurs de télédiffusion ?

Nicola Matteucci, Antonio Nitta et Giovanni Ramello examinent ce dernier point dans leur papier. Ils prennent l’exemple de la TV payante où, en Europe, s’est développé un système d’accords d’exclusivité sur les contenus à forte valeur ajoutée (premium contents). L’exclusivité a été au départ instituée pour diriger les contenus attractifs vers la TV payante et la différencier ainsi de la TV hertzienne gratuite, l’abonnement dans l’une répondant au financement par l’audience dans l’autre. Mais l’exclusivité sur les contenus attractifs a été vite instrumentée au-delà de ce rôle de « fenêtre d’exclusivité » accordée pour différencier deux systèmes de télédiffusion.

Elle a été instrumentée par les opérateurs installés de TV payante pour fermer le marché à de nouveaux entrants. Les accords d’exclusivité ont créé un système qui s’autoreproduit. Ils ont élevé considérablement les coûts des programmes et donc créé des barrières à l’entrée. Par ailleurs, les effets réseaux et les systèmes technologiques utilisés (câble ou satellite, décodeurs…) ont verrouillé les consommateurs, rendant difficile leur basculement vers de nouveaux entrants. Conformément à l’évolution récente de la doctrine européenne sur la question, les auteurs plaident pour une structure plus concurrentielle du marché en aval. Elle passe à leurs yeux par une limitation des clauses d’exclusivité, les contenus pouvant être diffusés par des plateformes alternatives. Plutôt que de jouer sur l’exclusivité des contenus qui élèvent les prix, la concurrence serait davantage bénéfique aux consommateurs si elle portait sur les prix et l’innovation dans la qualité des services associés à la diffusion.

L’article de Thomas Paris traite de la dimension réglementaire du processus de convergence. Ce processus est marqué d’une contradiction. D’un côté, la convergence implique d’offrir un cadre réglementaire unique à tous les acteurs, quelle que soit leur origine sectorielle. On crée sinon une situation asymétrique pour les acteurs, certains étant soustraits à une réglementation qui s’impose à d’autres. De l’autre côté, les marchés de l’audiovisuel ont des caractéristiques spécifiques qui justifient une réglementation spécifique.

Thomas Paris examine ces tensions au travers de trois affaires récentes : le

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cas du P2P, la multiplication des diffuseurs sur le marché de l’audiovisuel et la question de l’exclusivité. Il revient ensuite sur les fondements technico- économiques de la chaîne de valeur de l’audiovisuel et des formes particulières de la concurrence pour examiner ensuite le « défi réglementaire » que pose l’évolution de cette chaîne. Il montre que la question de l’exclusivité est au cœur de l’affrontement entre les paradigmes réglementaires des télécoms et de l’audiovisuel. La thèse défendue est qu’il faut non pas rapprocher les réglementations mais les redéfinir. La démarche consiste à définir des objectifs (ordre public, libre concurrence, préservation de la diversité…) en fonction desquels sont examinées deux grandes questions : le régime de concurrence et le modèle de propriété intellectuelle.

Madeleine Akrich et Cécile Méadel se penchent sur l’émergence du marché de la télévision à la carte dont la vidéo à la demande (VoD) est le dernier avatar. La télévision à la carte est annoncée comme une « révolution de la télévision ». On a peine toutefois à l’identifier. S’appuyant sur une problématique de type « économie des qualités » (Michel Callon), les auteurs montrent que le problème central de cette innovation est qu’elle est encore mal « singularisée ». Elle s’appuie sur l’examen de trois expériences de « télévision à la carte », relevant d’époques différentes. Particulièrement intéressante est leur enquête auprès d’abonnés à un service de TV par internet dont la VoD est une des composantes. D’une part, l’offre de VoD joue peu dans la demande d’abonnement. D’autre part, cette offre est mal identifiée par les consommateurs, son image est floue. On ne sait pas trop s’il s’agit du recyclage de contenus déjà offerts sous d’autres formes, auquel cas l’exigence d’un prix relativement élevé apparaît peu compréhensible, de contenus nouveaux, d’un rapport différent à l’offre télévisée, d’innovation de services… Elles concluent l’article sur la question de savoir si la TV à la carte et plus encore la TV interactive sont homogènes au média TV. La VoD paraît en effet coincée entre la problématique broadcast du média TV traditionnel et la logique interactive du monde de l’internet. La VoD devrait verser plus nettement du côté de la logique internet et se différencier plus nettement du modèle broadcast dans le cadre d’une segmentation du marché TV entre deux types de préférences des consommateurs.

Marc Bourreau et Benjamin Labarthe-Piol s’interrogent sur le rôle du téléchargement de type P2P sur le marché français du disque. Ils montrent qu’il y a bien une crise des ventes d’albums en France. Les ventes d’albums diminuent mais il faut noter qu’il y a aussi émergence du marché de la musique en ligne. La crise peut donc partiellement s’analyser comme le

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passage d’un mode de consommation à un autre de la musique enregistrée.

Cependant, les ventes globales en volume et en valeur diminuent depuis 2002. Ils passent ensuite au peigne fin l’ensemble des facteurs pouvant expliquer cette crise des ventes. Le P2P n’est pas en effet la seule explication. S’appuyant sur les données disponibles pour le marché français, ils montrent que l’évolution des revenus des consommateurs, l’affaiblissement du star-système et le CD arrivé en fin de cycle fournissement d’autres explications. Enfin, ils soulignent que la numérisation abaisse les barrières à l’entrée dans la production et la distribution de la musique, ce qui remet en cause les modèles d’affaires traditionnels dans ce secteur. La crise de l’industrie musicale est un symptôme de cette transformation. On ne peut donc faire du P2P le seul responsable d’une crise complexe.

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Références

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