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Article pp.266-278 du Vol.24 n°139 (2006)

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Texte intégral

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La Red es de todos. Cuando los movimientos sociales se aproprian de la Red (Le Net est à tout le monde. Quand les mouvements sociaux s’approprient le Net)

De Víctor Manuel MARÍ SÁEZ (dir.)

Par Benjamin FERRON

Une série de publications récente a mis en lumière l’importance acquise par l’internet dans les pratiques et représentations collectives d’une frange croissante d’organisations militantes1. La Red es de todos, ouvrage collectif publié en espagnol en 2004 chez Editorial Popular (Madrid), présente une série de réflexions théoriques et d’études de cas portant sur les modes d’appropriation des « nouvelles technologies de l’information et de la communication » (NTIC), en particulier le web, par les mouvements de résistance à la mondialisation capitaliste et de lutte contre l’exclusion sociale. Son originalité réside dans la mobilisation de travaux peu cités dans la littérature anglo-saxonne, ainsi que dans le croisement des regards entre théoriciens et praticiens de la communication cybernétique « alternative » Dès les premières pages de l’introduction, Víctor Manuel Marí Sáez, professeur à la Universidad Nacional de Educación a Distancia (UNED, Espagne), conseiller en Communication Éducative et coordinateur de l’ouvrage, définit la démarche commune des différents collaborateurs, fondée sur le refus des mythologies et stéréotypes « modernistes » dont le discours technocratique entoure les nouvelles technologies. Il propose de concevoir la communication comme un espace de luttes sociales ayant pour principaux enjeux politiques la domestication et le contrôle des agents de changement (du point de vue des agents dominants) et la création d’espaces d’autonomie et d’initiative (du point de vue des agents dominés) (p. 13).

Dans une perspective critique, interdisciplinaire et internationale, le livre regroupe douze articles de chercheurs, journalistes ou praticiens de la communication militante au croisement de différentes disciplines universitaires (sociologie, anthropologie, philosophie, information- communication), organisations sociales et militantes (dont EMA-RTV, Indymedia Barcelone, Nodo50 et CIC-Batá), et nationalités (Espagne, Amérique Latine, Etats-Unis). La problématique commune des chercheurs réunis pour ce projet prolonge en des termes voisins les discussions initiées

1. Notamment ATTON, 2004 ; BENNET, 2003 ; CARDON, 2003 ; GRANJON, 2001 ; MEIKLE, 2002.

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dans les arènes de débat du mouvement altermondialiste : une autre communication est-elle possible ?

Comme le rappelle Víctor Marí Sáez, le débat sur l’information et la communication est devenu un axe structurant du « mouvement pour une justice globale » au IIe Forum Social Mondial (FSM) de Porto Alegre de 2002 (p. 11). Appelant les mouvements sociaux à « politiser le phénomène technologique » (p. 14), La Red es de todos offre une synthèse réflexive et engagée des questions théoriques et pratiques soulevés par l’utilisation militante des réseaux télématiques : d’un côté, la critique de la raison instrumentale des défenseurs de « l’utopie techno-mercantile » (pour paraphraser Armand Mattelart), d’un autre, les modalités d’incorporation des NTIC par les groupements anti-hégémoniques (accès aux outils de communication, alphabétisation technologique, mise en réseau des mouvements sociaux, accès à l’espace public, etc.). Le regard « critique et social » (p. 7) qui oriente ce travail, nourri des réflexions d’intellectuels tels que Noam Chomsky, Manuel Castells, Ignacio Ramonet, Pierre Bourdieu, Jesús Martin-Barbero ou Armand Mattelart, en fait la force et la faiblesse.

Combinant recherche et propositions d’action, le livre séduit en effet par la cohérence d’une démarche normative assumée, dont les fondements humanistes et l’idéal émancipateur se combinent à des apports analytiques et conceptuels bien adaptés à leur objet. Mais certaines contributions laissent cependant l’impression d’un raisonnement en « circuit fermé », reprenant sans examen les concepts indigènes et présupposés des rhétoriques militantes qui semblent fournir des éléments de démonstration autosuffisants. De plus, une réflexion critique plus systématique sur les conditions sociales et historiques d’émergence et de définition de l’intérêt des mouvements sociaux pour les NTIC, aurait peut-être conduit à un examen plus systématique de l’hypothèse de convergence, qui réunit implicitement les différents travaux.

Dans l’introduction (« Quand les mouvements sociaux s’approprient le Net », p. 7-20), Víctor Manuel Marí Sáez distingue deux modèles antagonistes de la communication (p. 13). L’opposition de ces deux modèles constitue le principal fil rouge de La Red es de Todos. D’un côté, une communication marchande, allié objectif du « capitalisme informationnel » (Castells), acquise à la « raison instrumentale » (Habermas) qui structure le

« discours technocratique du capitalisme global » (p. 7). Ce modèle masque derrière le mythe du progrès technique l’accroissement des inégalités sociales et technologiques, l’hyperconcentration des médias,

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l’uniformisation-simplification des contenus médiatiques diffusés et le contrôle panoptique des espaces de la communication électronique. D’un autre côté, une communication alternative et militante, produit de la lutte des mouvements sociaux pour la libération d’espaces collectifs de communication participative, critique et créative, fondée sur des méthodes d’apprentissage originales, génératrices de solidarité. L’auteur considère la promotion de ce modèle comme « un enjeu central de l’agenda politique et du projet alternatif de société » (p. 15), défendu par les mouvements sociaux.

Pour ce faire, leur nécessaire appropriation des NTIC doit être en accord avec leurs objectifs de changement social et de résistance à la mondialisation capitaliste. Victor Marí Saez distingue ainsi trois niveaux pertinents d’appropriation : l’accès aux outils (infrastructures), la formation aux NTIC (alphabétisation technologique), le changement de vision du monde et de modèles de communication (p. 15-16).

Les contributions qui composent la première partie du livre fournissent des éléments généalogiques et conceptuels permettant de saisir les enjeux de cette réflexion sur l’incorporation des NTIC par les mouvements sociaux, qui déborde largement le cadre des pratiques militantes. Poursuivant ses analyses dans le premier chapitre, intitulé « Communication, réseaux et changement social » (p. 23-45), le coordinateur de l’ouvrage montre les difficultés de la mise en réseau des mouvements sociaux pour l’organisation des protestations et propositions contre le modèle de mondialisation néolibéral. Ces difficultés sont de quatre ordres. D’ordre contextuel d’abord, eu égard aux limites posées à tout projet d’émancipation collective et de solidarité par les principes mêmes du néolibéralisme, défini ici, à la suite de Pierre Bourdieu, comme un « programme politique dont l’objectif est la destruction méthodique des collectifs et du collectif » (p. 24). Le résultat le plus visible de ce programme est ce qu’Ignacio Ramonet a qualifié de

« pensée unique », ensemble de pseudo-théories conçu par les tenants de l’Ecole de Chicago et leurs héritiers, à la fois comme un projet social (une société fragmentée et individualiste), un projet politique (Etat minimal assurant les conditions de sécurité nécessaire au bon fonctionnement des marchés) et un projet philosophique (darwinisme social conservateur et élitiste). Le second type de difficultés posées à la mise en réseau des organisations du mouvement social sont les « visions » (Sowell) réductrices des technologies, qui limitent leurs usages potentiels : visions technophobes (rejet viscéral des NTIC), technocentriques (qui font reposer sur les outils technologies tout le processus de communication) ou indifférentes (les

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mouvements sociaux n’ayant « rien à voir » avec la question des technologies de communication). La troisième difficulté sont les « inerties organisationnelles », qui conduisent les mouvements sociaux à reprendre un modèle d’organisation de type fordiste (hiérarchisée et compartimentée, fondé sur le contrôle interne des membres). Ce modèle limite en effet les possibilités de mise en réseau. Enfin la quatrième difficulté tient à la dépendance excessive des organisations sociales et militantes au support écrit, au langage rationnel et à la culture de l’imprimé, au détriment des logiques propres du langage audiovisuel. A la fin de l’article, l’auteur propose quelques clés pour une « incorporation créative des TIC aux mouvements sociaux » (p. 34) prenant pour exemple la multiplication des réseaux de solidarité et de communication sur le modèle de la « guérilla informationnelle » zapatiste initiée en 1994, de la mobilisation de Seattle, en 1999, ou du premier Forum Social Mondial de Porto Alegre, en 2001. Le modèle de réseau qui émerge de ces expériences est caractérisé par la flexibilité, l’horizontalité, la capacité d’interconnection et de proximité entre les membres (alternative au modèle fordiste). Ces processus de mise en réseau ont abouti à la construction de représentations communes : dénonciation des injustices globales et la communication-marchandise, utilisation des NTIC par les mouvements sociaux, primat du travail en réseau, promotion des logiciels libres, adoption des principes de la communication populaire. On peut néanmoins se demander, avec Dominique Cardon, si une prise en compte sociologique des usages et pratiques des acteurs ne révèlerait pas des écart entre les principes organisationnels qu’ils revendiquent et la réalité de leur pratique (fonctionnement bureaucratique et opacité, concurrence entre organisations, diversité et parfois contradictions entre les différentes stratégies sociales et politiques des militants qui investissent l’outil technologique, etc2.

Dans le deuxième chapitre, « Société civile mondiale, mouvements sociaux et propositions pour une mondialisation alternative » (p. 46-58), Rafael Díaz-Salazar propose une analyse diachronique et synchronique de l’émergence d’une « citoyenneté internationaliste » (p. 46), qu’il résume en trois phases : la création de la Ière Internationale en 1864, sous l’action de syndicats et de partis ouvriers ; les indépendances des anciennes colonies et la naissance du « tiers monde », menées par des mouvements anti- impérialistes de libération nationale (avec l’indépendance de l’Inde en 1947

2. Voir CARDON, 2003, p. 3.

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comme moment fondateur) ; et enfin, à partir de la Conférence de Rio sur l’environnement en 1992, l’émergence des « mouvements pour une justice globale » (p. 58), opposée au nouveau modèle de domination capitaliste, qui s’est organisé à travers une série de « contre-sommets », dont le FSM de Porto Alegre. Sur un mode malheureusement assez descriptif, l’auteur présente dans un deuxième temps la structure et les évolutions actuelles (régionalisation) du FSM, autour de ses quatre grands axes de travail : la production de richesses et la reproduction sociale, l’accès aux richesses et à la « soutenabilité, l’affirmation de la société civile et des espaces publics (thèmes de la démocratisation des médias de communication), le pouvoir politique et l’éthique dans la nouvelle société.

Dans un registre d’analyse plus stimulant, l’article d’Imanol Zubero3 (critique le modèle d’analyse en termes de « structure des opportunités politiques (Sidney Tarrow), arguant du fait que « la simple existence d’opportunités politiques pour l’action n’implique pas nécessairement qu’une telle action ait lieu » (p. 61). Il soutient la thèse selon laquelle « la question fondamentale n’est pas de savoir quelles opportunités politiques offre la situation actuelle pour la mobilisation critique, mais de savoir comment rendre visibles ces opportunités de manière à ce qu’elles soient assumées par les mouvements » (p. 61). En définitive, ajoute l’auteur en citant Perry Anderson, il s’agit de conformer « des agents subjectifs capables de stratégies effectives pour remplacer des structures objectives » (id.). Le principal apport des mouvements sociaux est donc pour ainsi dire prépolitique : « la constitution d’un mouvement social alternatif est impossible si elle ne se fait pas sur la base d’une culture alternative. Créer une culture ne consiste pas à formuler des théories, mais à construire des réalités » (p. 68). Sans sous-estimer l’importance des facteurs structurels, Imanol Zubero défend ainsi l’idée, autour des notions « d’idéologie » (Marx et Engels, Mannheim), de « paradigme » (Kuhn) et de « vision dominante » (Bourdieu), que l’action des mouvements sociaux a pour enjeu « l’expansion d’opportunités culturelles », au sens d’une modification des visions de la réalité qui peut changer in fine la réalité elle-même : le « savoir » étant une précondition (nécessaire mais non suffisante) du « faire », l’avenir est à la constitution d’un « nouveau sens commun émancipateur », aux antipodes de l’information démobilisatrice et dépolitisante des médias mainstream.

3. ZUBERO Imanol, « Connaître pour mieux faire : la tâche culturelle des mouvements sociaux », p. 59-75.

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Cette vision assez abstraite, et quelque peu optimiste quant au potentiel de

« recadrage » à grande échelle de l’hétéro-doxa des mouvements sociaux, contraste avec l’approche d’Oswaldo León, Sally Burch et Eduardo Tamayo dans « Internet et organisations sociales : une étude exploratoire » (p. 76-90).

Les auteurs invitent à une réflexion davantage pragmatique et peut-être moins « enchantée » sur la question des opportunités offertes par les réseaux électroniques aux organisations sociales en matière d’organisation interne et de présence dans l’espace public. Leur approche, tirée de la pratique d’organisation membres de la Communauté Web des Mouvements Sociaux (www.movimientos.org), est basée sur l’utilisation le concept de « capital informationnel » (Hamelink). Ils distinguent entre les effets (changements superficiels et éphémères) et les impacts (changements substantiels et durables) que peuvent avoir les technologies sur les fondements de connaissance, les comportements, les organisations, les individus, les institutions ou les sociétés. Les auteurs montrent, d’une manière parfois un peu rapide et schématique, qu’un modèle causal simple (l’introduction d’outils de communication électronique révolutionne les pratiques organisationnelles et communicationnelles) ne permet pas de comprendre l’impact ou l’absence d’impact des « greffes » technologiques : c’est plutôt l’existence de dynamiques préalables qui favorise la « connectivité » des organisations et des changements « substantiels et durables ». Cinq axes d’évaluation du « volume » et de la « structure » du « capital informationnel » (pour reprendre l’image de Bourdieu dont ce concept est inspiré) sont distingués pour appuyer cette thèse : 1) l’équipement et l’accès aux réseaux électroniques (infrastructures, accès aux réseaux internet), 2) l’utilisation de la technologie (logiciels et services utilisés), 3) l’appropriation de la technologie et de l’information (ressources organisationnelles et humaines, formation), 4) le fonctionnement en réseau (flux d’information et dynamiques de coordination internes et externes), 5) les politiques et les stratégies de communication (capacité de production et de diffusion d’information, présence publique, politique vis-à-vis des médias, etc.).

Dans le cinquième chapitre, « Société de l’information et mouvements sociaux. Alternatives démocratiques au modèle de développement social dominant » (p. 91-115), Francisco Sierra discute, dans un style assez séduisant, mais avec des résultats pratiques plutôt décevants (exemple des

« proposition d’action », p. 111), les conflits et contradictions de la communication dans la « société de la connaissance », dans la perspective de

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sa « transformation démocratique ». L’auteur observe que les machines et les systèmes d’information aujourd’hui disponibles ne sont pas libérateurs, mais favorisent au contraire une pensée fataliste. Sa réflexion repose sur l’hypothèse selon laquelle le problème crucial de la localisation et de la décentralisation de l’information, parallèlement à la concentration du pouvoir culturel et du capital symbolique, sont partie intégrante de la logique sociale du capitalisme global. La communication, l’éducation et la culture sont dans cette perspective des forces matricielles et motrices du changement historique contemporain. Les mouvements sociaux se voient par là investis d’un projet « techno-culturel », dans l’esprit du rapport MacBride4: la lutte contre le pouvoir médiatique transnational et son entreprise de « colonisation culturelle ». Compte-tenu de l’ampleur et des racines historiques profondes du phénomène de la « planétarisation des consciences », la résistance à la doctrine du free flow information relève de l’enjeu de civilisation. Rappelant les liens étroits qui unissent les grandes entreprises industrielles, l’appareil militaire et la propagation de réseaux mondiaux de communication sociale, Francisco Sierra appelle les « pouvoirs locaux » à développer un agenda social de la communication pour les forces progressistes qui ne se réduise ni à une planification centralisée, ni à la logique libre-échangiste.

Le sixième chapitre, « Communiquer par des valeurs ? Une proposition éducative pour les ONG de développement » (p. 116-134), écrit par Javier Erro Sala, part du constat d’un déficit de recherches, de planification et de gestion de la communication dans les organisations non-gouvernementales de développement (ONGD). Ce déficit crée de nombreux problèmes, dont un manque de légitimité et de représentativité dans la société et un « manque à gagner » en termes de communication sociale et d’éducation au développement. Prenant l’exemple des ONGD espagnoles, Javier Erro Sala montre que leur style de communication actuel ne produit pas les effets attendus. Ainsi, la société espagnole semble ne pas connaître les causes réelles du sous-développement et ne fait pas le lien entre l’opulence des pays du Nord et la pauvreté des pays du Sud. Elle ignore par ailleurs ce que sont et font les ONGD, et ne semble plus percevoir leur action comme

« héroïque ». Les ONGD de leur côté, lorsqu’elles sont invitées sur les plateaux de télévision, parlent de moins en moins de la réalité des pays du Sud et de plus en plus d’elles-mêmes, selon une logique auto- promotionnelle. De plus, lorsqu’elles communiquent, elles le font bien

4. MC BRIDE, 1980.

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souvent dans des termes peu sincères, afin de ménager leurs bailleurs de fonds. L’auteur en conclut à un problème de communication, irréductible à un problème technique : les organisations sont dans une culture instrumentale (marquée par les logiques de la spectacularisation et de la substitution de l’image à la réalité), et non dans une optique éducative. Or la communication est un lien fondamental entre les ONGD et la société.

L’auteur propose donc de passer d’une communication marchandisée à une communication sociale éducatrice. Javier Erro Sala reprend l’analyse de Verdú, selon laquelle nos sociétés seraient actuellement, après la phase du capitalisme de production et celle du capitalisme de consommation, dans un capitalisme de fiction. L’enjeu est donc celui de la “production de la réalité”, et les mouvements sociaux ont pour tâche de récupérer la réalité perdue.

Simple problème technique ou enjeu de civilisation ? La question de l’intégration des NTIC dans la pratique des organisations sociales et militantes balaie, comme le montrent les articles de la première partie de La Red es de todos, un large éventail de questions. La seconde partie de l’ouvrage propose, « from theory to practice », une série de six articles illustrant la « pratique des mouvements sociaux en matière de communication », à travers des exemples d’organisations espagnoles et latino-américaines. Dans le chapitre VII, intitulé « Centre de médias. La proposition de communication participative pour les citoyens et les quartiers du réseau EMA-RTV » (p. 137-153), Manuel Chaparro Escudero, professeur titulaire à la faculté de Communication de Málaga et président du réseau EMA- RTV (Association Andalouse d’Émissions Municipales et Communautaires de Radio et de Télévision), présente l’expérience de ce réseau de services « de structure horizontale, participative et pensée à partir de la culture du consensus » (p. 139). Celle-ci a été crée en 1994 en Andalousie, la région la plus pauvre de l’Union Européenne, dans le but « d’intégrer la société andalouse à la défense de ses propres intérêts par a participation à des médias publics locaux à caractère communautaire » (p. 138).

Jeff Juris, docteur en anthropologie à l’Université de Berkeley, analyse dans son article « Indymedia. De la contre-information à l’utopie informationnelle » (p. 154-177), les conditions de genèse et d’organisation du réseau Indymedia, crée à l’occasion de la manifestation anti-OMC de Seattle en 1999, qui compte aujourd’hui plus de 120 collectifs dispersés à travers le monde. L’auteur a mené son enquête au sein du collectif

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Indymedia Barcelone5 (Latine, voir notamment, parmi un nombre). Jeff Juris soutient la thèse selon laquelle l’organisation « radicalement décentralisée et horizontale » d’Indymedia est « un modèle novateur de praxis politique et communicative, modelé par la logique culturelle de la ‘mise en réseau’ » (p.

156). Par leurs innovations en matière d’usage des nouvelles technologies de la communication, les militants des « centres de médias indépendants » développeraient en effet une « pratique spatiale de l’utopique » (Kevin Hethering), consistant à projeter leur « utopie informationnelle », non seulement dans des lieux physiques, mais également virtuels (p. 155-157).

La reprise du concept indigène de « mise en réseau » (enredar en espagnol) pose cependant la question déjà évoquée des écarts ou contradictions possibles entre principes d’action et pratiques effectives. Jeff Juris l’aborde certes, mais surtout en conclusion (p. 172-175), en montrant les tensions internes qui traversent le réseau Indymedia à propos de la pratique de l’open publishing. N’y a-t-il pas un risque de finalisme à se laisser pour ainsi dire enrôler dans la philosophie spontanée des acteurs de réseaux « globalisés » comme Indymedia, en considérant comme raisons d’agir (nécessaires et suffisantes) les valeurs et mythes universalistes qu’ils revendiquent ? Une analyse systématique des propriétés sociologiques des militants permettrait peut-être (ce n’est qu’un exemple) de lever une partie du voile qui recouvre les logiques de leur engagement. Par ailleurs, la notion « d’espace virtuel » mériterait d’être utilisée avec beaucoup de prudence, eu égard au risque qu’elle comporte d’une mise entre parenthèse du poids des contextes de production locaux – bien réels (conditions juridiques, économiques, sociales, politiques, etc.) – des contenus publiés dans Indymedia. Il porte également une tendance à reléguer au second plan les luttes internes qui se jouent au sein de ces collectifs pour la définition légitime des concepts et mots d’ordre qui font l’objet d’un (apparent ?) consensus « global ».

Dans le chapitre suivant, « Alphabétisation technologique en Estrémadure.

Les technologies au service du développement » (p. 178-194), Juan José Salado revient sur les logiques qui ont conduit à la mise en place d’une ambitieuse politique publique « d’alphabétisation technologique » dans l’autonomie espagnole d’Estrémadure. Responsable du projet, l’auteur fournit des éléments concrets d’un programme d’action susceptible de donner lieu à d’intéressants partages d’expérience entre projets similaires. Il

5. Pour des études générales sur Indymedia ou demonographies sur d’autres collectifs aux Etats-Unis et en Amérique considérable de références : BOIDE, 2003 ; COYER, 2003 ; DOWNING, 2001 ; ORTELLADO, 2003 ; PICKARD, 2006.

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tend néanmoins à passer sous silence ou à euphémiser les conflits ou difficultés probablement apparus dans la mise en œuvre de la démarche, et donne peu d’éléments d’appréciation des retombées concrètes du projet sur la population d’Estrémadure.

L’article de Igor Sabada et Gustavo Roig, « Nodo50. Territoire virtuel pour les mouvements sociaux et l’action politique » (p. 195-234), illustre également la question des usages politiques des NTIC par les mouvements sociaux à partir d’un cas concret : le réseau Nodo50. Collectif de contre- information et fournisseur de services internet pour les mouvements sociaux, l’organisation comptait 752 organisations membres en novembre 2003.

D’une façon à la fois prudente et réflexive, les auteurs montrent, après une habile déconstruction du discours sur les effets prétendument

« révolutionnaires » des nouvelles technologies, le rôle non négligeable de la communication dans le militantisme social. Ils commencent par une contextualisation de leur propos autour du thème de la mondialisation technologique et des mouvements sociaux, avant d’analyser les spécificités des mouvements sociaux contemporains par rapport aux « nouveaux mouvements sociaux » apparus dans les années 1960-1970 : dimension

« globale », nouveaux cadres discursifs, renouvellement des formes d’organisation et des systèmes de prise de décision, diversification des stratégies d’action collective et redéfinition des notions de conflit social et politique (p. 204-205). Les auteurs dressent une typologie des outils mobilisés par ces organisations dans leur action de communication et d’information : pages web spécialisées, sites de contre-information, weblogs, listes de diffusion, courrier électronique « conventionnel » (p. 207-208). La fin de l’article analyse l’histoire, des modes d’organisation et des principes de Nodo50, défini comme « outil de contre-information » (p. 217). Ils concluent de cette analyse que, « une fois assumées ses connotations idéologiques, le Net n’est rien de plus […] qu’un outil qui reflète la base sociale qui la soutient » (p. 226-227).

Dans l’avant dernier chapitre, « Communiquer depuis les ONG, c’est construire des réseaux. La question est : pour quoi faire ? » (p. 235-256), le journaliste Carlos Guimaraes, présente l’expérience du Centre d’Initiative pour la Coopération Batá (CIC-Batá), organisation non-gouvernementale latino-américaine de coopération pour le développement, qui se donne pour objectif principal « la recherche active d’un monde plus juste, sain et solidaire, par le soutien à des initiatives visant à renforcer la coopération pour le développement, aux niveaux culturel et économique » (p. 275). Le

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problème posé par Carlos Guimaraes est de savoir comment, du point de vue des ONG, « être en même temps un système et être contre le système » (p.

235). Ce problème conduirait selon lui nombre d’entre elles à ce qu’il considère comme une véritable « schizophrénie organisationnelle » (ibid.).

Pour rompre avec cette (fausse) problématique, l’auteur insiste sur la nécessité de se défaire du modèle de communication des mass media (émetteur-medium-récepteur) au profit d’un modèle intereactif (interlocuteur-medium-interlocuteur) inspiré des acquis théoriques de l’éducation aux médias (Edocommunication), de la communication sociale, de la communication pour le développement et de la communication populaire (p. 236-237).

Le dernier chapitre constitue l’un des apports les plus originaux de La Red es de Todos. Sous le titre « Les mouvements sociaux sur la toile. Webgraphie pour surfer sur le Net » (p. 257-273), l’article coécrit par Samuel Marí et Carlos Peláez est une « webgraphie » thématique commentée, organisée autour de sept sections : 1) les sites d’analyse critique des processus de mondialisation, 2) les mouvements sociaux de résistance, 3) l’information alternative et la contre-information, 4) les NTIC en lutte contre l’exclusion sociale, 5) les portails pour le développement communautaire et l’éducation populaire, 6) la communication et l’éducation populaire, 7) la défense des logiciels libres. Ce recensement très utile offre au lecteur un panorama diversifié des mouvements qui ont adopté internet comme outil privilégié d’organisation et de pénétration de « l’espace public ».

La Red es de todos, par les points de vue et exemples variés que proposent ses différents collaborateurs, retiendra aussi bien l’attention des chercheurs que des acteurs intéressés par la question de la communication et des technologies de l’information dans les mouvements sociaux. Pensé comme

« outil de réflexion et d’action », et résolument engagé pour « une autre communication possible », ce travail pourrait échapper à la critique simpliste et docte consistant à décrier son « biais normatif », si la mise en question épistémologique des présupposés qui fondent nombre des analyses présentées ne concernait pas directement l’action politique elle-même. En insistant sur l’opposition systématique entre des modèles de communication antagonistes, les auteurs tendent à occulter un double phénomène. D’une part, le fait que ces « idéaux-types » que sépare l’analyse sont liés en pratique par un continuum de manières de faire et de manières de voir, qui rend floue la frontière entre la « communication marchande » et la

« communication alternative ». Les passerelles et interactions entre les deux

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ne sont-elles pas plutôt la règle que l’exception ? La construction de systèmes de pratiques et de représentations distinctifs, impliquée par cette situation d’interdépendance fonctionnelle, mériterait d’être traité comme un objet d’étude en soi. Plus fondamentalement, l’insistance des auteurs à démontrer (et promouvoir) la convergence des mouvements de résistance au capitalisme vers l’appropriation des NTIC, et des formes d’organisations qui lui sont corollaires, ne contribue-t-elle pas involontairement à renforcer une sorte d’illusion de la rupture entretenue par le discours critique, et à masquer ce que Luc Boltanski et Eve Chiapello ont désigné dans Le Nouvel Esprit du Capitalisme, comme un rapport d’isomorphie entre les défenseurs de l’idéologie du new management et les critiques du capitalisme6 ?

LISTE DES OUVRAGES CITÉS

ATTON C. (2004), An Alternative Internet, Edinburgh, Edinburgh University Press.

BENNET W.L. (2003), “New media power. The Internet and Global Activism”, COULDRY N., CURRAN J. (eds), Contesting Media Power: Alternative Media in a Networked World, Lanham, Rowman and Littlefield, p. 17-37.

BOIDE P. (2003), “Indymedia, Argentina”, delivered at OurMedia/Nuestros Medios Conference III in Barranquilla, Colombia, www. ourmedianet .org/ papers /om 2003 /Boido_OM3.pdf.

CARDON D. (2003), « Médias alternatifs et mobilisations transnationales », Intervention au Colloque Internet, nouvel espace public mondialisé ?, Les Canadiens en Europe, Maison de la recherche, http://c2so.ens-lsh.fr/IMG/pdf/13- COMMINT_-_Dominique_Cardon.pdf.

COYER K. (2003), “Radio and the Indymedia Collective. A case study of Seattle, Los Angeles and London”, delivered at OurMedia/Nuestros Medios Conference III in Barranquilla, Colombia, www.ourmedianet.org/papers/om2003/Coyer_OM3.pdf.

DOWNING J. (2001), “The Seattle IMC and the Socialist Anarchist Tradition”, RABOY M. (ed.), Global Media Policy and the New Millenium, University of Montreal, Canada, Luton University Press, UK.

GRANJON F. (2001), L’Internet militant. Mouvement social et usages des réseaux télématiques, Rennes, Apogée.

MACBRID S. (1980), Voix multiples, un seul monde. Communication et société aujourd’hui et demain, Nouvelles Editions Africaines, UNESCO.

6. BOLTANSKI et CHIAPELLO, 1999, cité in Cardon, 2003, p. 2.

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MARÍ SÁEZ V. M. (dir.) (2004), La Red es de todos. Cuando los movimientos sociales se aproprian de la Red, Madrid, Rompeolas, Editorial Popular.

MEIKLE G. (2002), Future Active: Media Activism and the Internet, New York, Routledge.

ORTELLADO P. (2003), “Origen del movimiento Indymedia en Brazil”, delivered at OurMedia/Nuestros Medios Conference III in Barranquilla, Colombia, www.ourmedianet.org/papers/om2003/Ortellado_OM3.pdf.

PICKARD V. W. (2006), “United yet autonomous: Indymedia and the struggle to sustain a radical democratic network”, Media, Culture and Society, vol. 28(3), London, Thousand Oaks and New Delhi: SAGE Publications, p. 315-336.

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