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Article pp.139-160 du Vol.32 n°165 (2006)

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L’objectif de cet article est d’étudier la localisation des unités des réseaux de distribution. Le choix d’une zone d’implantation dépendant fortement de la localisation des

concurrents, la localisation est ici appréhendée comme un mouvement

concurrentiel. Pour chacune de leurs unités, les réseaux peuvent choisir entre une stratégie de proximité ou d’évitement de la concurrence. Les unités sont donc en totale interaction. Afin d’étudier cette dynamique complexe, un modèle de simulation informatique est construit à travers un automate cellulaire. Ce modèle est, dans un second temps, confronté à des données empiriques afin d’en tester la validité et la pertinence.

L

e choix d’une zone d’implantation dépend d’un grand nombre de facteurs qui ont été dans leur grande majorité étudiés dans des travaux acadé- miques : l’économie industrielle a très tôt tenté d’expli- quer la localisation des firmes, le marketing a cherché l’emplacement idéal des commerces, la sociologie s’est penchée sur la constitution de réseaux, etc. Malgré une multitude de travaux, la prise en compte de la concur- rence, en tant que facteur explicatif de la localisation, reste encore marginale.

Le nombre d’options par rapport à la concurrence apparaît limité, puisque seulement deux stratégies de localisation sont envisageables : la proximité ou l’évi- tement. Ces deux stratégies permettent d’atteindre des objectifs différents pouvant être de nature pacifique ou agressive. Mais, si le nombre de stratégies est réduit, la situation n’en est pas simple pour autant. Les entre- prises de distribution possèdent rapidement un grand nombre d’unités dans leur réseau. La situation n’est donc plus binaire (proximité ou éloignement). Des stratégies mixtes apparaissent puisqu’une proportion du réseau peut être implantée à proximité des concur- rents alors qu’une autre proportion peut se retrouver

Quelles stratégies

d’ implantation

vis-à-vis de la concurrence ?

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isolée. Un réseau de distribution peut, par exemple, conduire une stratégie coopéra- tive sur une zone géographique et une stra- tégie plus agressive dans une autre. Enfin, les différents réseaux de distribution se trouvent dans une situation d’interdépen- dance (Baumard, 2000) qui intensifie et accélère les relations concurrentielles (D’Aveni, 1994). Les implantations des uns vont avoir une influence sur celles des autres. S’il est courant, pour le chercheur et le praticien, d’étudier les processus spa- tiaux à travers une modélisation mathéma- tique, elle peut s’avérer particulièrement fastidieuse voire impossible dans certains cas. En effet, les modélisations mathéma- tiques se bornent le plus souvent à la réso- lution de dérivées partielles ou d’équations différentielles. De manière informatique, ces équations se traduisent la plupart du temps en algorithmes itératifs discrets.

Mais pour que de telles formalisations soient possibles, il est nécessaire que les variables possèdent des propriétés mathé- matiques particulières (en termes de conti- nuité, mesurabilité, stabilité, etc.). Mais est-il possible de mettre en équation l’at- traction ou la répulsion qu’exercent les unités des réseaux de réseaux de distribu- tions les unes sur les autres ? Prendre en considération un grand nombre d’éléments en situation d’interactions s’avère une tâche toujours extrêmement difficile à moins de caricaturer à l’extrême cette situation.

L’objectif de ce travail est donc double. Il s’agit dans un premier temps de construire un modèle de simulation simple permettant d’étudier, d’analyser et de reproduire la localisation des unités des réseaux de distri- bution en ne considérant que les relations

concurrentielles comme facteurs de locali- sation. Il s’agit ensuite de faire fonctionner le système créé dans un contexte particulier et de voir s’il est capable d’appréhender un phénomène réel afin de mieux l’analyser et de le comprendre.

I. – LES STRATÉGIES DE LOCALISATION VIS-À-VIS

DE LA CONCURRENCE : PROXIMITÉ OU ÉVITEMENT Les stratégies de localisation des réseaux de distribution vis-à-vis de la concurrence sont très peu nombreuses et très simples. Les enseignes peuvent choisir pour chacune de leurs unités entre un emplacement isolé ou proche de la concurrence (Cliquet, 1992).

L’isolement traduit une volonté d’évitement alors que la recherche de proximité peut être synonyme de coopération ou d’affron- tement.

1. L’évitement comme stratégie de localisation

Le premier objectif pour le réseau de distri- bution désirant implanter une nouvelle unité, une fois le marché cible pénétré, est de demeurer dans la compétition. Il est important de ne pas provoquer ou d’initier une attaque frontale avec les différents adversaires, car si elle intervient trop tôt, elle peut s’avérer fatale (Fudenberg et Tirole, 1984). De plus, opter pour une loca- lisation différente de celles de ses concur- rents permet de se différentier. En effet, dans le cas particulier de la localisation, où chaque consommateur n’accorde pas la même préférence à un lieu géographique, il s’agit de différenciation spatiale (Tirole, 1993). Les habitants de Paris préfèrent, par exemple, généralement les biens dispo-

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nibles à Paris à des bien identiques mais disponibles à New York.

L’éloignement géographique est égale- ment l’occasion de conquérir en premier un territoire. Cette situation engendre des effets positifs qu’un nouvel entrant doit exploiter s’il veut s’imposer comme un véritable acteur du secteur dans lequel il évolue. Le pionnier peut, en arrivant le premier sur un marché géographique, éri- ger des barrières à l’entrée à travers la maîtrise d’un leadership technologique (Gilbert et Newbery, 1982 ; Smiley et Ravid, 1983). Le pionnier bénéficie égale- ment d’avantages liés au comportement des consommateurs puisqu’il capte l’en- semble des innovateurs et des adopteurs précoces (Peterson, 1982). Le changement a un coût pour les individus, ce qui a pour conséquence de les rendre réfractaires à tout changement de point de vente (Hoch et Deighton, 1989). En présence de coûts de changement, les suiveurs doivent inves- tir des ressources supplémentaires afin d’attirer les clients. Un autre avantage de l’isolement géographique est de permettre d’occuper le premier les « meilleures » positions (Kœnig, 1996) et ainsi mettre en place une stratégie de préemption. En concentrant des capacités de production ou de distribution excédentaires sur un seg- ment de population particulier, une entre- prise peut dissuader la concurrence de pénétrer ce marché (Lieberman, 1987 ; MacMillan, 1983).

2. Les bénéfices de la proximité géographique

Marshall (1920) a très tôt souligné l’impor- tance de certaines économies externes qui engendrent des effets d’agglomération des

industries. Les économies d’agglomération (Weber, 1929) naissent du partage des infrastructures entre les firmes (transport, communication, etc.) et de la création de synergies positives par la coopération entre entreprises. Une multitude de travaux empi- riques (pour une synthèse voir : Best, 1990 ; Piore et Sabel, 1984 ; Porter, 1990) a mon- tré l’existence de ces phénomènes d’agglo- mération à travers l’étude de nombreuses régions spécialisées dans un domaine parti- culier (Italie du Nord, Sillicon Valley, Sillicon Glen, Route 128, etc.). Même si les facteurs générateurs d’économies d’agglo- mération peuvent différer, ce qui a été véri- fié pour la localisation des firmes indus- trielles, l’a également été pour les commerces. Le regroupement des magasins proposant des produits similaires a depuis longtemps été observé : les magasins d’ha- billement et de chaussures se multiplient dans les centres commerciaux, les vendeurs de voiture sont dans la plupart des cas très proches les uns des autres, etc. (Fisher et Harrington, 1996).

L’agglomération géographique est réduc- trice d’incertitude tant pour les firmes que pour les consommateurs (Weber, 1972).

Pour les entreprises, le regroupement des commerces fournit, pour les entrants les plus récents, des informations sur la faisa- bilité de leur projet et sur l’existence de la demande par l’observation des firmes éta- blies. Le regroupement géographique per- met également de réduire le coût de recherche d’informations pour le consom- mateur. Du fait du principe de l’effort minimum (Zipf, 1949), les consommateurs vont privilégier les zones où l’offre est concentrée. Les individus peuvent égale- ment regrouper leur visite et se déplacer

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qu’une fois afin de minimiser leur coût de transport par achat (Jones et Simmons, 1993).

Il existe des externalités positives inter- magasins (parfois appelées externalités de demande) qui permettent un accroissement du chiffre d’affaires (Fujita et Thisse, 2002). Le regroupement commercial génère une consommation plus importante qui se répercute sur l’ensemble des magasins.

Nelson (1958) est le premier à avoir mis en évidence une relation entre le principe de l’attraction cumulative et la localisation des commerces.

Lorsque les points de vente concurrents ont les mêmes ressources, c’est-à-dire les mêmes consommateurs, il est possible de prévoir l’accroissement de l’intensité concurrentielle lors d’implantation dans les mêmes zones. Les travaux en écologie des populations ont en effet très tôt souli- gné que l’intensité concurrentielle est fonction de la similarité des ressources nécessaires aux entreprises. Plus les res- sources nécessaires à l’entreprise sont similaires, plus le potentiel de concurrence est important (Hannan et Freeman, 1986, 1989). Dans cette optique, des entreprises partageant des ressources identiques sont des concurrents parfaits alors que des firmes utilisant des ressources totalement différentes ne se trouvent pas en concur- rence. Des points de vente situés à proxi- mité et offrant des produits substituables se partagent les mêmes ressources et se trouvent donc en situation de concurrence parfaite. Les points de vente ne se trouvant pas sur la même zone géographique ne s’adressent pas aux mêmes clients. Dans ce cas, les points de vente ne sont pas concurrents.

3. Synthèse

Il apparaît clairement que deux stratégies de localisation sont envisageables : la proxi- mité ou l’éloignement. Ainsi, deux forces opposées régissent les relations entre unités des différents réseaux de distribution. Les entreprises doivent arbitrer afin d’aller dans le sens d’une des forces et ce pour chacune des unités composant le réseau (tableau 1).

L’existence de ces deux forces opposées conduit les entreprises à hésiter entre le regroupement géographique et l’éloigne- ment. Les entreprises multi-unités n’optent que très rarement pour une stratégie pure. Il s’agit en fait de trouver le bon équilibre entre proximité et éloignement. Une pro- portion du réseau de distribution est située à proximité des unités adverses alors qu’une autre partie est isolée.

Le choix d’une stratégie par une entreprise dépend essentiellement de sa part de mar- ché, du nombre de ressources dont elle dis- pose et de sa légitimité. Or, ces trois élé- ments dépendent en fait de la taille du réseau. Le chiffre d’affaires et le résultat étant quasiment identiques d’une unité à une autre, plus une entreprise possède d’unités par rapport à ses concurrents, plus elle détient de ressources et plus sa part de marché est importante. Il en est de même pour la légitimité puisqu’elle est accordée aux entreprises les plus visibles, et celles ayant un pouvoir de négociation le plus fort avec les différents acteurs du marché.

II. – CONSTRUCTION DU MODÈLE DE SIMULATION

Afin d’étudier la dynamique produite par la localisation d’un grand nombre d’unités interdépendantes entre elles, la simulation

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informatique, et plus particulièrement les automates cellulaires, est utilisée comme méthode de recherche. Le recours à ce type d’outil de modélisation n’est pas tota- lement nouveau. Utile pour comprendre et simuler un grand nombre de phénomènes physiques et biologiques, les automates cellulaires ont dû attendre un certain temps pour trouver une utilité dans les travaux en sciences sociales. Toutefois cette recherche s’inspire de quelques travaux utilisant des automates cellulaires en sociologie (Schelling, 1960 ; Sakoda, 1971) en géographie (White et Engelen, 1993 ; Dubos-Paillard et al., 2004) ou management stratégique (Lomi et Larsen, 1996).

1. La notion générale d’automate cellulaire

Les automates cellulaires peuvent être considérés comme des systèmes multi- agents particuliers où les cellules sont des agents contigus et fixes (Ferber, 1997). Un automate cellulaire est une organisation structurée de cellules interconnectées qui dépendent les unes des autres. Elles for- ment un système cellulaire. Ce système cel- lulaire peut être spatialisé ou non. L’organi- sation des cellules est définie par les liens de voisinage entre mailles. Le fonctionne- ment global de l’automate cellulaire consiste à « calculer » un état global à chaque instant à partir de l’état global à l’instant précédent. Il est possible d’expli- Tableau 1

LES STRATÉGIES DE LOCALISATION POSSIBLES POUR CHAQUE UNITÉ

Buts poursuivis

Améliorer la position de l’entreprise

Dégrader les positions des concurrents

Stratégie 2 La proximité Bénéficier des économies d’agglomération : – réduction de coût, – réduction de l’incertitude, – apparition de synergie, – accroissement de la légitimité.

Gêner le concurrent en lui accaparant ses ressources.

Stratégie 1 L’évitement Éviter des réactions

concurrentielles importantes : – envoyer un signal de non- aggressivité,

– différenciation horizontale.

Construction d’un avantage pionnier :

– leadership sur les marchés, – exploitation des coûts de changement des

consommateurs,

– préemption des ressources rares.

Moyens utilisés

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quer le fonctionnement global à partir de mécanismes élémentaires issus de son niveau local, les cellules.

Le « Jeu de la vie » (Gardner, 1970) inventé par John Conway est un des exemples les plus célèbres d’automates cellulaires. Les règles de ce jeu sont extrêmement simples.

Les cellules peuvent se trouver dans deux états : vie ou mort. L’espace cellulaire est composé de cellules qui se trouvent dans l’état mort au départ, à l’exception d’un nombre fini d’entre elles. L’évolution de chaque cellule est déterminée en fonction de son propre état et de celui de ses huit cases adjacentes. Les règles sont : une cel- lule vivante meurt à l’étape suivante si elle n’a pas plus d’un voisin (elle meurt de soli- tude) ou si elle a plus de trois voisins dans les huit cases adjacentes (elle meurt d’étouffement) et une cellule morte entou- rée de trois voisins vivants dans les huit cases adjacentes devient vivante à l’étape suivante. La figure 1 représente l’évolution d’une configuration selon les règles du

« Jeu de la vie ».

La caractéristique essentielle du jeu de la vie est qu’il est hautement imprévisible.

L’apparition de formes stables, d’équi- libres, d’oscillateurs est impossible à déter- miner a priori.

2. Description du modèle utilisé

Dans le travail présenté, l’espace du modèle est bidimensionnel, initialement rectangu- laire et découpé en N cellules à support carré, N étant défini par l’utilisateur. L’automate utilise la topologie métrique euclidienne.

L’automate examine le nombre de cellules occupées entourant chaque cellule vide. Il comptabilise le nombre de concurrents cise trouvant dans le voisinage de la cellule. En fonction de la stratégie choisie (proximité ou évitement), la cellule vide peut devenir occupée ou rester vide. En effet, à chaque stratégie est associé un nombre minimum cimin et un nombre maximum cimax de concurrent. cimin et cimax sont définis par l’utilisateur pour chaque stratégie. Une stra- tégie de proximité signifie qu’un certain nombre de concurrents doivent être pré- sents dans le voisinage alors qu’une straté- gie d’évitement va de pair avec un voisi- nage sans concurrence.

Le choix de la stratégie de localisation est terminé par l’automate qui associe une pro- babilité à chaque stratégie en fonction du rapport des tailles de réseau (figure 2).

Le nombre d’implantations par réseau ainsi que les disparitions d’unités sont prédéfinis par l’utilisateur pour chaque période t. Les implantations sont exclusivement le fruit du

Figure 1

ÉVOLUTION D’UNE CONFIGURATION PARTICULIÈRE SELON LES RÈGLES DU « JEU DE LA VIE »

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fonctionnement de l’automate. En revanche, les disparitions se font de façon aléatoire.

Le voisinage des cellules est celui de Moore, c’est-à-dire les huit cellules entou- rant chaque case. Il est possible à l’utilisa- teur de faire varier le rayon du voisinage afin d’adapter la notion de proximité en fonction de l’objet de l’étude. Le voisinage de Moore de rayon 2 comprend les 24 cel- lules voisines (figure 3).

III. – APPLICATION : LA LOCALISATION

DES RESTAURANTS MCDONALD’S ET QUICK À PARIS

(1984-2004)

Afin de tester le modèle, une étude empi- rique s’intéressant à la localisation des res- taurants McDonald’s et Quick à Paris entre 1984 et 2004 a été mené.

Figure 2

ALGORITHME SIMPLIFIÉ DE L’AUTOMATE CELLULAIRE

Examen de la taille relative de chaque réseau à l’instant t-1

Examen du voisinage de chaque cellule vide

La cellule reste vide Choix aléatoire parmi

les cellules remplissant les conditions

La cellule vide devient occupée

Les cellules remplissent les conditions de S1

ou de S2

Association d’une probabilité p(S1) de suivre la stratégie 1 (évitement) en fonction de la taille relative de l’entreprise. La probabilité de suivre la stratégie 2 est : p(S2) = 1 – p(S1)

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1. Méthodologie utilisée pour l’étude des stratégies d’implantation

Les implantations des restaurants McDonald’s et Quick à Paris durant la période 1984 et 2004 ont été choisies pour être confrontées à notre modèle.

Nous avons décidé de nous concentrer sur un sous-segment très précis du segment de la restauration afin de considérer les pro- duits offerts de façon substituable. Les élé- ments des menus de McDonald’s et de Quick peuvent être considérés comme sub- stituables : les prix, le service et les caracté- ristiques du point de vente sont en effet identiques pour les deux enseignes. La dif- férenciation pour ces deux entreprises passe essentiellement par la localisation. Les entreprises d’un sous-segment ne sont donc pas directement en concurrence avec les enseignes présentes dans les autres sous- segments. Dans le secteur de la restauration rapide, il est même possible de considérer qu’elles sont complémentaires (Underhill, 2004).

Les entreprises McDonald’s et Quick se prêtent bien à l’étude des stratégies de loca- lisation car les deux sont toujours proprié- taires des murs lors d’une nouvelle implan- tation. Même si les réseaux sont mixtes (unités en propre et franchises), la prise de décision reste très centralisée au niveau de la direction des entreprises qui gère avec attention le développement du réseau et du patrimoine immobilier.

L’ensemble des restaurants dehamburgers appartenant à une chaîne a été identifié année par année (de 1984 à 2004) dans les pages jaunes téléphoniques. Cette pre- mière étape nous a permis de connaître les années d’ouverture et de fermeture de chaque restaurant. Les informations ont ensuite été recoupées par les renseigne- ments fournis par l’Insee à travers la base de données Sirène recensant l’ensemble des entreprises et de leurs établissements en France, que ceux-ci soient actuelle- ment ouverts ou qu’ils aient cessé toute activité.

Figure 3

VOISINAGE DES CELLULES

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Deux critères ont été retenus pour le choix de la zone géographique : disposer d’un nombre d’unités limité (pour permettre l’observation) mais suffisant (pour pouvoir tirer des conclusions fiables) et avoir la pos- sibilité d’étudier une aire géographique fer- mée et imperméable. Le périphérique entourant la ville constitue une barrière qui représente un moyen efficace pour délimi- ter une zone de chalandise particulière.

Notre zone d’étude est donc isolée et imper- méable au pouvoir d’attraction des points de vente extérieurs à Paris qui pourraient, sans l’existence de cette barrière, venir concurrencer ceux situés intra muros. Les effets de frontières posent la plupart du temps des problèmes d’analyse. Ils sont ici positifs. De plus, du fait de certaines carac- téristiques particulières (taille de la popula- tion active et étudiante, nombre important de touristes, etc.), Paris a très tôt été une zone privilégiée par les firmes évoluant sur le segment des restaurants de hamburgers,

comme en témoigne le nombre d’unités (plus de 100 en 2004). Le marché parisien n’est pas arrivé à maturation et de nouvelles unités peuvent encore s’ouvrir sans que la quantité de clients potentiels soit un pro- blème. Cette caractéristique de la zone étu- diée permet donc d’évacuer le paramètre des ressources en tant que facteur explicatif des stratégies. La proximité de plusieurs enseignes est viable dans la plupart des quartiers de Paris. Ainsi, les aires où plu- sieurs unités concurrentes se retrouvent, ne présentent pas de caractéristiques com- munes pouvant laisser présager une influence de la population (zone touristique, présence de gares, etc.).

Les établissements ont été placés sur une carte de Paris, année par année (figure 4).

La carte de Paris a ensuite été numérisée sur un carroyage doté de mailles carrées de 166 m de côté (figure 5). Nous avons numé- risé les frontières de Paris ainsi que les espaces verts et les grands ensembles

Figure 4

CARTE DE PARIS AVANT NUMÉRISATION

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urbains où il est impossible de construire un restaurant. Ces cellules font parties inté- grantes de l’automate cellulaire.

La carte numérisée de Paris est constituée de 3 475 cellules représentant des carrées de surface de 27 556 m2. Paris est représenté par une surface de 95,76 km2. La superficie réelle de Paris étant de 105 km2, il est pos- sible d’avancer que notre numérisation est proche de la réalité1.

2. Constitution des cellules, règles de vie et règles de transition

Un état et une durée de vie sont attribués à chaque cellule. La naissance sur les cel- lules vides, l’ouverture d’un restaurant, dépend des règles de transition alors que

les règles de disparition des unités sont aléatoires.

Tous les changements d’état proviennent de la simulation. Le périphérique, les espaces verts, les bâtiments de grandes tailles, la Seine et les cellules marquant l’extérieur de Paris demeurent dans l’état antérieur à la période suivante.

Pour les cellules vides à l’intérieur de Paris, la transition vers un état occupé dépend de la stratégie choisie en fonction de la taille rela- tive des entreprises et donc du voisinage. Les probabilités p(S1) et p(S2) ainsi que les seuils de na/nb et nb/na correspondant à chaque stratégie sont attribués par l’utilisateur. Le tableau 2 récapitule les principaux para- mètres introduits dans la simulation.

Figure 5

CARTE DE PARIS APRÈS NUMÉRISATION

1. Le faible écart est imputable à la numérisation par carré qui rend impossible le parfait rendu des formes courbes.

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3. Résultats

Une fois le modèle de simulation créé, le paramétrage a été effectué. Des simulations ont ensuite été réalisées afin d’étudier de manière virtuelle les interdépendances entre unités concurrentes et leurs impacts sur la localisation géographique des réseaux de distribution. Nous ne nous inté- ressons pas précisément à la localisation des unités dans l’espace mais à leurs rela- tions entre elles. Nous n’allons donc pas procéder à une comparaison de carte géo- graphique mais à une étude des points de contacts.

Le paramétrage du modèle : seuils et stratégies de localisation

Pour reproduire les comportements de loca- lisation des restaurants McDonald’s et Quick, il a été nécessaire d’attribuer les seuils de changement n/n et n /n ainsi

que les probabilités p(S1) et p(S2) asso- ciées. Pour paramétrer le modèle, deux pos- sibilités sont envisageables : donner des valeurs en fonction des discours des acteurs ou par tâtonnement. Il s’agit ici de mettre en lumière les stratégies de localisation vis- à-vis de la concurrence. Or, l’intégration de l’autre, de l’adversaire, dans la prise de décision stratégique est quelque chose de mal acceptée par les acteurs. Même si elles l’admettent tacitement, les personnes ren- contrées chez McDonald’s ou chez Quick ne veulent officiellement pas parler de stra- tégie vis-à-vis de la concurrence. De plus, cette recherche portant sur une longue période, il est très difficile de rencontrer des acteurs présents dès le début de la période d’observation et pouvant témoigner de la stratégie suivie. Le modèle a donc été para- métré par tâtonnement, de façon itérative, jusqu’à trouver les paramètres qui assurent Tableau 2

PRINCIPAUX PARAMÈTRES DU MODÈLE DE SIMULATION

Nombre de cellules actives 3 475

Taille du voisinage Rayon 1 (166 mètres)

Type de voisinage Voisinage de Moore

Nombre de périodes t 19

Limite de l’espace Espace borné

Règles Stratégie Nombre minimal 0

d’implantation d’évitement de concurrents cimin Nombre maximal

de concurrents cimax 0

Stratégie Nombre minimal

de proximité de concurrents cimin 1

Nombre maximal

de concurrents cimax 8

Règles de disparition Aléatoires

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la meilleure convergence des résultats vir- tuels et des résultats réels. La simulation informatique permet en effet, tel l’expéri- mentateur en laboratoire, l’observation des conséquences engendrées par la variation des paramètres. Le paramétrage correspond en fin de compte aux stratégies d’implanta- tion des enseignes, ce tâtonnement, rendu possible par la simulation, est un moyen de mettre à jour les stratégies des entreprises.

Pour McDonald’s, le modèle a été paramé- tré de la façon suivante :

Na est la taille du réseau (c’est-à-dire le nombre d’unités) du réseau a et Nb est celle du réseau b.

En position de faiblesse (na/nb< 1, c’est-à- dire que la taille de son réseau est inférieur à celui de Quick), McDonald’s adopte une stratégie d’évitement total. Autrement dit, McDonald’s suit la stratégie S1(évitement) dans 100 % des cas. Il s’agit pour elle d’évi- ter la pression concurrentielle du leader. Il est également important pour l’entreprise nord-américaine d’accaparer les meilleurs emplacements dès le début. Lorsque l’en- treprise domine, elle choisit d’éviter le concurrent dans quasiment deux tiers des cas (72 %). Avec la domination, débute alors la recherche de proximité. Même si gêner son concurrent ne devient pas une priorité, McDonald’s répond parfois à des attaques trop violentes ou réalisées dans des zones géographiques sensibles. La stratégie générale d’implantation reste toutefois la découverte de nouveaux marchés encore inexplorés par le concurrent. En période de très forte domination (na/nb > 2,2), McDonald’s implante très fréquemment ses

unités à proximité de celles de son concur- rent (70 % des cas). La forte domination (en nombre d’unités) encourage le géant améri- cain à exercer une pression concurrentielle plus forte sur Quick. C’est en période de forte domination que McDonald’s force son concurrent belge à fermer un certain nombre de points de vente en l’entourant de plusieurs unités. Cette stratégie de proxi- mité lui permet de récupérer des emplace- ments particulièrement intéressants.

De façon similaire, le paramétrage concer- nant les stratégies de Quick révèle ses choix stratégiques en ce qui concerne le choix des zones d’implantation :

Il est aisé de constater que Quick n’adopte pas la même stratégie de localisation que le géant américain. Les changements de stra- tégie sont plus nombreux. L’entreprise belge a une stratégie beaucoup plus fluc- tuante. Il est intéressant de noter que la période de changements répétés correspond à la période de domination de McDonald’s (nb/na < 0,8). Quick hésite entre conquérir de nouveaux territoires en évitant la pres- sion du leader et exploiter des effets d’ag- glomération. Lorsque l’entreprise belge est très fortement dominée (nb/na < 0,3), les bénéfices de la proximité l’emportent et Quick s’implante à proximité de son concurrent dans 100 % des cas (l’évitement a une probabilité égale à 0 d’être choisi).

Lorsque nb/na est compris entre 0,3 et 0,5, la stratégie de localisation est opposée : c’est l’évitement de la concurrence dans 100 % des cas. Une deuxième phase de recherche de proximité, toutefois moins 100 %

na/nb

Nb/na P(S1)

P(S1)

1 2,2 3

72 % 30 %

0 %

3 0,8

0,5 0 0,3

100 % 14 % 100 %

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intense (il y a évitement dans 14 % des cas), apparaît lorsque nb/na est compris entre 0,5 et 0,8. Nous pouvons remarquer que Quick s’adapte de façon radicale puisque le choix entre les deux stratégies de localisation se fait de manière peu nuancée. Les stratégies ne sont quasiment pas mixtes. Lorsque Quick domine le marché ou quasiment (nb/na< 0,8), il opte pour l’évitement total.

À l’instar de McDonald’s, la domination permet de pouvoir conquérir des marchés encore vierges et d’enrichir son portefeuille d’emplacements recherchés.

La localisation des unités dans l’espace La situation de départ en 1984 pour la simu- lation est conforme à la réalité. Pour les périodes suivantes, les localisations diffè- rent compte tenu des probabilités associées à chaque stratégie et des emplacements libres.

Une première comparaison entre données réelles et données simulées est réalisée pour l’année 1994. À cette période, McDonald’s a choisi d’isoler 9 unités et d’en placer 17 à proximité du concurrent.

Le modèle se comporte de manière simi- laire à la simulation car à cette même période 17,2 unités sont placées à proxi- mité de la concurrence alors que 9,8 unités sont isolées.

En 2004, 31 McDonald’s sont isolés dans la réalité contre 32,6 après simulation. Six Quick sont isolés dans la réalité contre 6,7 après simulation. La proximité touche dans la réalité 33 McDonald’s et 21 Quick. Après simulation, il est possible d’observer 31,9 McDonald’s et 20,3 Quick ayant choisi la proximité. Là encore, la proportion entre unités isolées et placées à proximité du concurrent pour les deux enseignes est res- pectée par la simulation.

Le tableau 3 synthétise le nombre d’unités placées à proximité des concurrents ou iso- lées par les enseignes et par le programme2 créé pour les années 1994 et 2004.

Les données fournies par le tableau confir- ment qualitativement que le modèle se comporte de manière semblable à la réalité.

En effet, les intervalles dans lesquels évo- luent les données simulées sont similaires aux chiffres réels.

Tableau 3

NOMBRE D’UNITÉS PLACÉES À PROXIMITÉ DES CONCURRENTS OU ISOLÉES POUR CHAQUE ENSEIGNE (1994-2004)

Proximité Évitement

Réel Simulé Réel Simulé

McDonald’s 1994 18 17,2 9 9,8

2004 33 31,9 31 32,1

Quick 1994 15 15,1 4 3,9

2004 21 20,3 6 6,7

2. Moyenne après 100 simulations.

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Le nombre de contacts désirés par les firmes

La comparaison cellule par cellule n’ayant pas vraiment de sens ici, il est nécessaire de construire un indicateur nous permettant des comparaisons plus fines. Il est en effet nécessaire de s’intéresser au nombre de contacts désirés par la firme (ncd) et non exclusivement au nombre d’unités ayant été implantées à proximité d’un concurrent.

Tenir compte des tailles de réseaux respec- tifs pour obtenir un indicateur comparable entre firmes (PcdAt) est également un point qu’il important de ne pas négliger. En effet, plus une enseigne ouvre de magasins, plus le nombre de contacts avec les concurrents a des chances d’être élevé. Dans ce cas, un raisonnement en termes de fréquence per- met de gommer cet effet. La figure 6 repré- sente l’évolution du nombre de contacts désirés par les firmes en fonction de la taille de leur réseau.

PcdAt=

Les deux réseaux débutent leurs activités sans rechercher la proximité du concurrent.

Cette stratégie d’éloignement est maintenue par McDonald’s jusqu’en 1990 et jusqu’en 1992 pour Quick. Les deux entreprises recherchent ensuite la proximité. Mais cette stratégie est beaucoup plus marquée pour Quick qui, en 1993, ouvre un nombre important de restaurants (huit) et les place en priorité à proximité du géant américain.

McDonald’s, tout en ouvrant un grand nombre d’unités au cours de la même période, adopte une stratégie plus mixte. La décroissance du nombre de contacts désirés en fin de période n’est due qu’à l’augmen- tation très importante de son parc. L’évolu- tion du nombre d’unités composant les réseaux (figure 7) doit nous aider à com-

^

t

t = 1

ncdAt }NA

Figure 6

ÉVOLUTION DU NOMBRE DE CONTACTS DÉSIRÉS PAR LES FIRMES EN FONCTION DE LA TAILLE DE LEUR RÉSEAU (PcdAt)

(15)

prendre les évolutions de stratégies de loca- lisation.

De 1984 à 1989, Quick est leader sur le marché (en nombre d’unités) et les tailles de réseaux sont très comparables. Il s’agit de la phase de démarrage de ce secteur à Paris et les positions ne sont pas encore établies. Les deux entreprises ont donc pré- féré implanter leurs premières unités loin de la concurrence afin de tester le marché et de créer leurs zones d’influence. En 1991, la croissance exponentielle de McDonald’s débute. Sa domination allant de pair, Quick se voit dans l’obligation d’opter pour une stratégie particulière propre au suiveur. La firme belge cherche alors pour survivre à bénéficier des posi- tions de son concurrent.

4. La simulation est-elle capable de reproduire la réalité ?

Il est important de noter que plusieurs méthodes de validation sont envisageables pour les modèles de simulation. Chacune

des méthodes présente des avantages et des inconvénients et certaines sont plus perti- nentes que d’autres. La plus précise est, sans aucun doute, la mesure des écarts cel- lule à cellule entre les résultats du modèle en 2004 et la situation observée dans la réa- lité à la même date. Cette démarche n’est pas pertinente ici. Compte tenu du grand nombre d’emplacements disponibles pour l’implantation d’un point de vente à Paris, il est illusoire de penser que l’on peut modé- liser précisément la configuration spatiale exacte des réseaux de distribution.

Ce n’est pas la position géographique des unités en elle-même qui nous intéresse mais les positions des réseaux les uns par rap- ports aux autres. Le nombre de contacts entre réseaux est par conséquent l’indica- teur que nous souhaitons analyser et arriver à reproduire à travers les simulations. La comparaison de l’évolution de cet indica- teur pour les données réelles et les données simulées doit nous permettre de valider notre modèle (figure 8). Plus le concurrent Figure 7

ÉVOLUTION DU NOMBRE D’UNITÉS COMPOSANT LES RÉSEAUX DE MCDONALD’S ET QUICK PARIS (1984 À 2004)

(16)

a un réseau important, plus la probabilité d’implanter une nouvelle unité à sa proxi- mité est élevée. En effet, compte tenu de l’accroissement important du réseau McDonald’s au cours de la période étudiée, Quick a statistiquement plus de chance de rencontrer une unité concurrente que l’in- verse. Pour vérifier que les contacts aient bien été volontaires, nous avons également simulé de façon aléatoire l’implantation des unités McDonald’s et Quick (en respectant le nombre et l’ordre des apparitions et des disparitions) au cours de la période étudiée.

La première comparaison possible entre données réelles et données simulées vise à établir la validité apparente (Carley, 1996), c’est-à-dire la validité du modèle représen- tatif de manière intuitive. Ce n’est pas une condition suffisante mais cela constitue une condition nécessaire. En effet, avant d’ef- fectuer des traitements statistiques, il

convient de s’assurer que les données réelles et simulées évoluent de manière similaire. Nous procédons donc à l’analyse de l’évolution du nombre de contacts dési- rés par McDonald’s (figure 8a) et Quick (figure 8b) de façon réelle et simulée.

Il est possible de constater que l’évolution du nombre de contacts désirés est de façon globale semblable en simulé et en réel et ce en tendance ou lors d’une comparaison point par point. En effet, pour McDonald’s, les valeurs de l’indicateur sont semblables années par années. Seule l’année 1985 n’est pas conforme à la réalité. Ce point est très particulier car les unités ouvertes en 1985 ont été très rapidement refermées par la suite. L’évolution en fin de période diffère également puisque la courbe « simulée » décroît alors que la courbe « réelle » croit.

Il est toutefois probable que notre modèle paramétré produise des résultats bien plus

3. Moyenne après 100 simulations.

Figure 8a

ÉVOLUTION DU NOMBRE DE CONTACTS DÉSIRÉS PAR MCDONALD’S EN FONCTION DE LA TAILLE DE SON RÉSEAU3

(17)

satisfaisants qu’un modèle tournant de façon aléatoire.

La situation est similaire pour les simula- tions des implantations des Quick (figure 8b). Hormis un décalage dans le temps du changement de stratégie, l’évolution et les valeurs prises des deux courbes sont très proches. Là encore, le modèle aléatoire donne des résultats tout à fait insuffisants.

De manière apparente, les données réelles et les données simulées évoluent de manière similaire, que ce soit une compa- raison en tendance ou une comparaison par points (Carley, 1996).

Après avoir établi la validité apparente, il est nécessaire d’établir si les données simu- lées sont significativement associées (au sens statistique du terme) aux données réelles. Il peut, encore une fois, être intéres- sant de mesurer les écarts. Mais il est

impossible à travers notre modèle d’arriver à un niveau de précision tel qu’il soit pos- sible de conclure à travers des tests de com- paraisons de moyenne. Il est donc néces- saire de réaliser un test d’association entre les deux séries statistiques (réelle et simu- lée). Les deux séries étant de nature quanti- tative, le test d’association va être effectué à partir du calcul d’un coefficient de corréla- tion. La distribution des variables ne res- pectant pas la normalité, la corrélation doit être testée à travers un coefficient de rang.

Le coefficient de corrélation de Spearman est donc utilisé (tableau 5).

Le rho de Spearman est égal à 0,646 pour McDonald’s et à 0,861 pour Quick. Le test est significatif (p < 0.01) pour les deux enseignes. Les deux séries simulées sont donc statistiquement similaires aux deux séries réelles.

Figure 8b

ÉVOLUTION DU NOMBRE DE CONTACTS DÉSIRÉS PAR QUICK EN FONCTION DE LA TAILLE DE SON RÉSEAU

(18)

CONCLUSION

Le programme de simulation mis en place permet de montrer que l’interdépendance des unités des différents réseaux de distri- bution dans un secteur particulier est une réalité. Les enseignes s’implantent en fonc- tion de la localisation des concurrents. La localisation d’un point de vente donné va donc influencer celles des concurrents qui peuvent chercher à partager le même espace géographique ou, au contraire, peuvent l’éviter en choisissant une zone isolée.

Cette recherche montre comment le chan- gement de stratégie d’une enseigne vient bouleverser l’ensemble des configurations spatiales des réseaux de distribution.

Ce travail vise également à expliquer le comportement d’un type organisationnel encore peu étudié : les entreprises multi- unités multimarchés (Greve et Baum, 2001). Le développement de la franchise ou du succursalisme incite l’étude de cette forme organisationnelle particulière. Alors que la localisation en fonction de la concur- rence est un phénomène relativement simple pour un commerce individuel (proximité ou évitement), il devient com- plexe pour des organisations possédant une multitude d’unités qui se trouvent en situa- tion d’interdépendance.

Ce travail tente aussi de montrer l’intérêt de l’utilisation de la simulation à travers une problématique particulière. Reproduire ou prédire avec exactitude l’emplacement des différentes unités n’est pas l’objectif. Il s’agit avant tout de vérifier la pertinence d’une question de recherche et la justesse du raisonnement. Mettre en évidence une stratégie à travers les paramètres de la simulation est une démarche encore peu développée. En procédant ainsi, il est pos- sible de dévoiler des stratégies de manière objective, à partir de données observées et en évitant, par conséquent, les biais liés aux discours (rationalisation a posteriori, etc.).

La méthode des cas à travers l’utilisation de données secondaires et le recours à des entretiens peut permettre d’aboutir à des résultats intéressants. Toutefois, les don- nées secondaires dont dispose le chercheur sont la plupart du temps des documents officiels qui ne correspondent pas forcé- ment à la réalité. De manière plus ou moins consciente, les dirigeants peuvent avoir ten- dance à réécrire l’histoire. Le recours aux entretiens n’est, également, pas sans poser de problèmes. Le manager est soumis à des biais qui influencent inévitablement son discours. Le risque de rationalisation a pos- teriori est, par exemple, un biais important Tableau 4

TEST DE CORRÉLATION DE SPEARMAN ENTRE LE NOMBRE RÉEL DE CONTACTS DÉSIRÉS PAR MCDONALD’S ET QUICK ET CEUX OBTENUS

PAR SIMULATION

McDonald’s Quick Coefficient de corrélation de Spearman (rho) 0,646 0,861

Significativité (bilatérale) 0,002 0,000

(19)

à l’heure de tenter de comprendre les choix stratégiques. Le recours à la simulation per- met d’aborder le problème différemment.

Des règles de comportement, qui sont des codifications des intentions du dirigeant, ont été programmées pour assurer le fonc- tionnement du modèle. Elles fixent un com- portement en fonction du contexte. De l’in- tentionnalité, absente dans la partie exploratoire, est introduite dans l’outil de recherche. Une fois le modèle construit, la correspondance entre les données simulées et les données réelles issues de l’observa- tion simple, est assurée. Comme une cor- respondance est établie entre les données réelles et les données produites avec des règles traduisant le caractère intentionnel des décisions, il est possible d’assurer que les choix des zones d’implantation sont bien le fruit d’une stratégie délibérée, choi- sie et mise en œuvre par les dirigeants des

entreprises. Il est couramment admis que les chercheurs doivent faire un choix entre l’étude des intentions stratégiques ou celle des comportements avant de mettre en œuvre leur recherche (Smith et al., 1992).

Grâce à l’utilisation de la simulation infor- matique, il est possible d’atteindre les deux objectifs conjointement.

À travers une paramétrisation plus précise et un travail plus en profondeur sur les don- nées empiriques, il peut être intéressant de compléter et enrichir le modèle. Toutefois, cette recherche illustre le fait qu’à travers un modèle extrêmement simple, il est pos- sible de montrer aux managers l’impact de leurs décisions de localisation sur l’en- semble des acteurs d’une industrie. La simulation informatique permet une multi- tude d’applications dans le monde écono- mique et ouvre, ainsi, de nombreuses pers- pectives de recherche.

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