Annales de dermatologie et de vénéréologie (2014) 141, 141—143
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LETTRE À LA RÉDACTION
Lupus érythémateux systémique : mortalité et facteurs de mauvais pronostic dans une série maro- caine de 129 cas
Systemic lupus erythematous: Mortality and prognostic factors in 129 Moroccan patients
Le lupus érythémateux systémique (LES) est une mala- die auto-immune d’évolution difficilement prévisible.
L’établissement de facteurs pronostiques pertinents per- mettant de juger de la sévérité de cette maladie a suscité de nombreux débats. Les facteurs associés à la morta- lité du LES comprennent les complications infectieuses comme la tuberculose ; les localisations viscérales graves du LES, dominées par les atteintes rénales, neurologiques et cardiovasculaires ; et également les complications des traitements. Les publications portant sur la mortalité et le pronostic des patients lupiques nord-africains sont rares et il est difficile d’extrapoler a priori les résultats de la littéra- ture sur cette population qui a ses caractéristiques propres.
C’est pourquoi nous avons mené une étude rétrospective des patients lupiques hospitalisés dans le service de dermatolo- gie du CHU de Casablanca.
Patients et méthodes
Les dossiers de 129 patients hospitalisés entre janvier 2004 et décembre 2009 ont été inclus ; le diagnostic de LES était retenu devant l’existence d’au moins quatre des cri- tères de l’American College of Rheumatology (ACR) révisés en 1997. Le score SLEDAI (Systemic Lupus Erythematous Disease Activity Index) a été choisi du fait de sa simplicité comme indice d’activité de la maladie lupique [1]. La durée du suivi des patients a été définie par la période séparant le moment où le patient répondait aux critères de l’ACR et la date de décès ou de dernière visite. Pour chaque patient, une fiche a été établie comportant les données épidémiologiques, cliniques, biologiques, immunologiques, histologiques, thérapeutiques et évolutives. Nos patients ont été scindés en deux groupes, survivants et décédés, dont les paramètres étudiés ont été analysés statistique- ment par le test du Chi
2avec correction de Fisher pour la comparaison des effectifs. La significativité a été retenue pour des valeurs de p < 0,05. Pour l’analyse multivariée, nous avons utilisé un modèle de type régression logistique. Les
variables dont le seuil de significativité (p) était < 0,05 en analyse univariée ont été incluses dans ce modèle. Des odds ratios ajustés ont été obtenus ainsi que leurs intervalles de confiance à 95 %.
Résultats
La population étudiée comprenait 114 femmes et 15 hommes ; leur âge moyen était de 31 ans (7—54). La majorité des patients étaient de phototype IV, sauf deux qui étaient de phototype VI. La durée moyenne du suivi était de 55 mois (8 jours à 370 mois). Le score SLEDAI moyen était de 11. Les atteintes sévères les plus fréquentes étaient rénales (55 %), cardiorespiratoires (21 %) et neuro- psychiatriques (5,5 %) (Tableau 1).
Sept décès ont été notés, soit 5,5 %. Il s’agissait de 2 hommes et de 5 femmes ; leur âge moyen était de 25 ans (23—39). Le décès était imputable à une infection dans trois cas : 2 cas de septicémie à bacilles Gram négatif
Tableau 1 Principales caractéristiques épidémiolo- giques et cliniques des 129 patients lupiques de notre série.
Caractéristiques épidemio-cliniques Nombre %
Sexe masculin 15 12
Phototype VI 2 1,5
Atteinte rhumatologique 82 65
Photosensibilité 95 75
Érythème en vespertilio 85 67,4
Ulcérations bucco-pharyngées 37 29,3
Alopécie 49 38
Lupus discoïde 25 19
Livedo 5 3,9
Nécrose digitale 3 2,3
Purpura vasculaire 8 6 , 3
Néphropathie glomérulaire 59 46,8
Pleurésie 14 11
Pneumopathie interstitielle 8 6,3
Péricardite 10 8
Atteinte neuropsychiatrique 7 5,5
Thromboses vasculaires 6 4,7
Fièvre 54 42
Corticothérapie à forte dose 103 80
Immunosuppresseurs 32 26
Antimalariques 116 90
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http://dx.doi.org/10.1016/j.annder.2013.10.049
142 Lettre à la rédaction
Tableau 2 Comparaison des caractéristiques cliniques et immunologiques des patients décédés et des survivants (test du X
2).
% Patients survivants % Patients décédés p
Sexe masculin 13 2 0,06
Âge moyen 31 25 0,15
Atteinte cutanée 72 90 0,29
Ulcérations oro-pharyngées 26 55 0,029
Vasculite cutanée 12 85 0,037
Atteinte rhumatologique 76 92 0,31
Atteinte neuropsychiatrique 5,5 27 0,117
Pleurésie 11 25 0,06
Atteinte cardiaque 8 34 0,81
Néphropathie glomérulaire 55 90 0,40
Insuffisance rénale 11 53 0,030
Syndrome néphrotique 25 54 0,61
Thrombopénie 14 45 0,54
AC anti-ADN natifs 65 82 0,29
AC antinucléaires 38 51 0,07
Baisse de C3 43 80 1
Corticothérapie à forte dose 75 95 0,028
Infection 44 90 0,026
Immunosuppresseurs 29 24 0,15
Antimalariques 90 72 0,1
SLEDAI 11 19 0,12
multirésistants et 1 cas de tuberculose pulmonaire. Le décès était lié à l’activité de la maladie dans quatre cas : 2 cas de poussée de néphropathie lupique classe IV de l’OMS consé- cutifs à l’arrêt du traitement, 1 cas d’hémorragie méningée satellite d’une thrombopénie auto-immune sévère et 1 cas de cardiopathie ischémique par athérosclérose chez un patient âgé de 41 ans. Le score SLEDAI moyen des patients décédés était de 19.
La comparaison des caractéristiques des patients décé- dés par rapport aux survivants est représentée dans le Tableau 2. Les facteurs pronostiques suivants étaient sta- tistiquement significatifs : ulcérations bucco-pharyngées (p = 0,029), vasculite cutanée (p = 0,037), atteinte rénale (p = 0,027), corticothérapie à forte dose (p = 0,028) et infec- tion (p = 0,026). En analyse multivariée, le seul paramètre identifié comme facteur indépendant de mauvais pronostic était l’insuffisance rénale (p = 0,030, OR = 5,60).
Discussion
Les causes de mortalité identifiées dans notre série sont bien connues et la mise en évidence de l’insuffisance rénale comme facteur indépendant de mauvais pronostic est elle aussi en accord avec les données de la littérature. Les patients décédés avaient un score d’activité (SLEDAI) ini- tial élevé, connu pour être associé à une surmortalité [2].
La valeur pronostique défavorable du grand âge et celle, controversée, de l’origine ethnique, n’ont pas pu être éva- luées dans notre série (seulement 5 % des patients avaient plus de 50 ans, dont aucun n’est décédé ; seuls deux patients étaient de photoype VI). De même, nous n’avons pas mis en évidence de corrélation entre mortalité et sexe masculin, atteinte cardiaque ou atteinte neurologique, sans doute en raison du faible effectif de l’étude.
Notre série est remarquable par la fréquence des lésions de vasculite cutanée et des ulcérations bucco-pharyngées.
La vasculite cutanée était associée à la présence d’anticorps anti-phospholipides dans 40 % des cas. Sans qu’aucune explication ne puisse être donnée, les ulcérations bucco- pharyngées ont constitué un facteur pronostique aussi bien dans notre étude que dans la série tunisienne [3]. Parmi les paramètres biologiques, la thrombopénie constitue un facteur prédictif d’évolution fatale dans plusieurs études [4].
La mortalité du lupus paraît aujourd’hui moins liée à l’activité de la maladie elle-même qu’à une augmentation des complications infectieuses et surtout des causes cardio- vasculaires et néoplasiques [5] ; certains auteurs insistent cependant sur le fait que l’activité de la maladie lupique continue à être la principale cause de décès [6]. Dans notre étude, où l’activité de la maladie et les complications infec- tieuses se partagent les principales causes de mortalité, il faut noter que les décès secondaires à une forme sévère de la maladie sont survenus après un délai moyen de 6,3 mois.
Cela confirme le fait que les atteintes viscérales mettant en jeu le pronostic vital des patients surviennent surtout au cours des premières années d’évolution de la maladie.
Conclusion
Notre étude confirme que les infections, sans doute favo-
risées par la corticothérapie à forte dose, et l’activité
intrinsèque de la maladie lupique sont les deux principaux
facteurs de décès des malades atteints de LES suivis en
dermatologie à Casablanca, et non les causes cardiovascu-
laires et néoplasiques. Il est envisageable d’améliorer le
pronostic par une prise en charge précoce des patients, par
une éducation thérapeutique renforcée pour une meilleure
Lettre à la rédaction 143 observance du traitement, et par une épargne cortisonique
dans la mesure du possible.
Déclaration d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
Références
[1] Hochberg MC, et al. Updating the American College of Rheu- matology revised critera for the classification of systemic lupus erythematous. Arthritis Rheum 1997;40:1725.
[2] Bombardier C, Gladman DD, Urowitz MB, Caron D, Chang CH, The Committee on Prognosis Studies in SLE. Derivation of the SLEDAI.
A disease activity index for lupus patients. The Committee on Prognosis Studies in SLE. Arthritis Rheum 1992;35:630—40.
[3] Jallouli M, Frigui M, Marzouk S, Feki H, Kaddour N, Bahloul Z.
Mortalité et facteurs de mauvais pronostic au cours du lupus éry- thémateux systémique dans une série de 146 cas du Sud tunisien.
Presse Med 2008;37:1711—6.
[4] Cervera R, Khamashta MA, Font J, Sebastiani GD, Gil A, Lavilla P, et al. Morbidity and mortality in systemic lupus erythematous during a 5-year period. A multicenter study of 1000 patients.
European Working Party on Systemic Lupus Erythematous. Medi- cine (Baltimore) 1999;78:167—75.
[5] Bernatsky S, Boivin JF, Joseph L, Manzi S, Ginzler E, Gladman DD, et al. Mortality in systemic lupus erythematosus. Arthritis Rheum 2006;54:2550—7.
[6] Illei GG, Takada K, Parkin D, Austin HA, Crane M, Yarboro CH, et al. Renal flares are common in patients with severe proli- ferative lupus nephritis treated with pulse immunosuppressive therapy: long-term follow-up of a cohort of 145 patients par- ticipating in randomized controlled studies. Arthritis Rheum 2002;46:995—1002.
M. Bouras
∗, F. Hali , K. Khadir , H. Benchikhi Service de dermatologie et vénérologie, CHU Ibn
Rochd, 1, quartier des Hôpitaux, 20000 Casablanca, Maroc
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