Universit´e Claude Bernard–Lyon I CAPES de Math´ematiques : Oral Ann´ee 2006–2007
Fonctions polynˆ omes
On travaille sur un corps K infini, par exemple R ou C.
1◦ D´efinition, structures (a) D´efinition
On appelle fonction polynˆome toute fonction de K dans K qui est une combinaison lin´eaire des fonctions K → K, x 7→ xn (n ∈ N).
(b) Unicit´e des coefficients (K infini)
Lemme (K infini) La famille de fonctions (x 7→ xn)n∈N est libre.
D´emonstration. Il s’agit de montrer que, si n ∈ N et (a0, . . . , an) ∈ Kn sont tels que (§) ∀x ∈ K,
n
X
k=0
akxk= 0, alors tous les ak sont nuls.
Premi`ere m´ethode (K = R ou C) : Par r´ecurrence sur n. Pour n = 0, c’est clair. Supposons la propri´et´e vraie pour n − 1. On pose
∀x ∈ K, P (x) =
n
X
k=0
akxk. On constate que
∀x ∈ K, 0 = P (2x) − 2nP (x) =
n−1
X
k=0
2k− 2n akxk.
Par hypoth`ese de r´ecurrence, on en d´eduit que (2k− 2n)ak = 0 pour k ≤ n − 1. Comme on est sur R ou C, on peut1 diviser par 2k− 2n pour obtenir : ak = 0 si k ≤ n − 1. Il vient : 0 = P (x) = anxn pour tout x, d’o`u an= 0.
Deuxi`eme m´ethode (meilleure, car valable sur un corps infini de caract´eristique quelconque) : choisissons n+1 ´el´ements distincts de K, x1, . . . , xn+1. L’´egalit´e (§) pour x = xi(i = 1, . . . , n+1) donne un syst`eme lin´eaire en a0, . . . , an, dont la matrice est
(xj−1i )i,j=1,...,n+1.
On reconnaˆıt une matrice de Vandermonde, dont le d´eterminant est, au signe pr`es, le produit des (xi− xj) (0 ≤ i < j ≤ n). Par suite, le syst`eme est de Cramer, donc tous les aksont nuls.2 Corollaire Pour toute fonction polynˆome P non uniform´ement nulle, il existe un unique n ∈ N et une unique n + 1-liste (a0, . . . , an) ∈ Kn+1 telle que
(♥) an6= 0 et ∀x ∈ K, P (x) =
n
X
k=0
akxk.
L’existence r´esulte de la d´efinition d’une fonction polynˆome, l’unicit´e du lemme.
D´efinition. Avec les notations du corollaire, le degr´e d’une fonction polynˆome P non nulle est l’entier n. On le note deg P . Par convention, le degr´e de la fonction nulle est : deg 0 = −∞.
1Ceci ne marcherait pas sur un corps de caract´eristique non nulle : par exemple, 20− 22 = 0 si on est en
(c) Apart´e : non unicit´e des coefficients sur un corps fini Remarquons que la fonction de K = Z/2Z dans lui-mˆeme d´efinie par
P (x) = x2− x
est la fonction nulle. Pourtant, on a (souvent ?) bien envie de consid´erer le polynˆome X2− X.
Plus g´en´eralement, si p est un nombre premier, le petit th´eor`eme de Fermat entraˆıne que :
∀x ∈ Z/pZ, xp− x = 0
dans Z/pZ. En d’autres termes, la fonction Z/pZ → Z/pZ, x 7→ xp− x est la fonction nulle.
Ainsi, on peut identifier polynˆomes et fonctions polynˆomes seulement sur un corps infini.
(d) Op´erations
Lemme L’ensemble des fonctions polynˆomes est stable par somme, produit et donc produit par une constante. De plus, si P , Q sont des fonctions polynˆomes et λ ∈ K×, on a :
deg(P + Q) ≤ max(deg P, deg Q), deg(λP ) = deg P, deg(P Q) = deg P + deg Q.
D´emonstration. (Dans cette preuve, les ´egalit´es sont valables pour x quelconque dans K.) On v´erifie que tout cela est vrai si l’un des polynˆomes est nul. Sinon, en vertu du corollaire, on
´ecrit P (x) =P
k≥0akxk et Q(x) =P
k≥0bkxk, avec an 6= 0, ak= 0 si k > n, bp 6= 0 et bk= 0 si k > p. Alors :
(P + Q)(x) =X
k∈N
(ak+ bk)xk=
n+p
X
k=0
(ak+ bk)xk, (P Q)(x) =X
k∈N
X
`+m=k
a`bmxk.
On constate que pour k > n + p et ` + m = k, on a : ` > n ou m > p donc a` = 0 ou bm = 0, donc le coefficient de xk est nul. Pour k = n + p, et ` + m = k, on a : ` > n ou m > p ou (` = n et m = p), donc le coefficient de xn+p est anbp 6= 0. Le reste est ´evident.2
Corollaire L’ensemble des fonctions polynˆomes est une alg`ebre int`egre.
D´emonstration. On vient de montrer la stabilit´e de l’ensemble des fonctions polynˆomes par combinaison lin´eaire et produit. La distributivit´e du produit sur la somme r´esulte de la propri´et´e analogue dans K, de mˆeme que la relation (λP )Q = λ(P Q) = P (λQ).
La seule partie nouvelle du corollaire, c’est l’int´egrit´e : le produit de deux polynˆomes non nuls n’est pas nul. En effet, le degr´e du produit est la somme des degr´es, donc il est positif ou nul si les polynˆomes ne sont pas nuls, donc le produit n’est pas nul.2
2◦ Fonction polynˆome d´eriv´ee (K corps infini quelconque)
Int´erˆet de la notion : pouvoir caract´eriser la multiplicit´e d’une racine ; avoir une formule de Taylor dans n’importe quel corps (de caract´eristique nulle).
(a) Soit P une fonction polynˆome, on l’´ecrit comme dans (♥). On d´efinit la fonction polynˆome d´eriv´ee de P par :
∀x ∈ K, P0(x) =
n−1
X
k=1
(k + 1)ak+1xk.
C’est ´evidemment une fonction polynˆome. Notons que cette d´efinition est purement formelle, elle ne repose pas sur la d´efinition des fonctions d´erivables r´eelles ou des fonctions holomorphes, mˆeme si (par chance !) elle co¨ıncide avec ces notions sur R et C.
Lemme L’application de d´erivation P 7→ P0 est un endomorphisme lin´eaire de l’espace des fonctions polynˆomes. Pour P , Q fonctions polynˆomes, on a :
(P Q)0= P0Q + Q0P.
D´emonstration. La lin´earit´e est ´evidente. Pour montrer l’effet sur un produit, il suffit donc de tester sur la base (x 7→ xn)n∈N. Pour P : x 7→ xn et Q : x 7→ xp, on a :
(P Q)0(x) = (n + p)xn+p−1 = nxn−1xp+ pxp−1xn= P0(x)Q(x) + Q0(x)P (x).2 Pour P fonction polynˆome, on d´efinit par r´ecurrence : P(0) = P et P(n+1)= (P(n))0. Corollaire (Leibniz) Soit P , Q deux fonctions polynˆomes et n ∈ N∗. Alors
(P Q)(n)=
n
X
k=0
n k
P(k)Q(n−k).
D´emonstration. Par r´ecurrence sur n. D´ej`a vu si n = 1. Si la relation est vraie pour n − 1, on calcule, en utilisant la relation de r´ecurrence, puis le cas n = 1 :
(P Q)(n)=
n−1
X
k=0
n − 1 k
P(k)Q(n−1−k)
!0
=
n−1
X
k=0
n − 1 k
P(k+1)Q(n−1−k)+ P(k)Q(n−k)
.
Un changement d’indice dans la premi`ere partie de la somme donne :
(P Q)(n)=
n
X
k=1
n − 1 k − 1
P(k)Q(n−k)+
n−1
X
k=0
n − 1 k
P(k)Q(n−k).
On conclut par une relation classique sur les coefficients binˆomiaux.2 (b) Formule de Taylor (K de caract´eristique nulle)
Proposition Soit P une fonction polynˆome et a ∈ K. Alors :
∀x ∈ K, P (x) =
deg P
X
k=0
P(k)(a)
k! (x − a)k.
D´emonstration. Par lin´earit´e, il suffit de d´emontrer la formule pour P (x) = xn (n ∈ N).
D’apr`es la formule du binˆome de Newton, le membre de gauche s’´ecrit :
∀x ∈ K, P (x) = xn= (a + x − a)n=
n
X
k=0
n k
an−k(x − a)k.
D’autre part, une r´ecurrence imm´ediate sur k donne :
∀x ∈ K, P(k)(x) =
( n!
(n−k)!xn−k si k ≤ n, 0 si k > n, d’o`u, en m´elangeant ces ´egalit´es :
P (x) =
n
X
k=0
1 k!
n!
(n − k)!an−k(x − a)k =
n
X
k=0
1
k!P(k)(a)(x − a)k.2
3◦ Racines
(a) On dit qu’un ´el´ement r ∈ K est une racine d’une fonction polynˆome P si P (r) = 0.
Lemme Soit P une fonction polynˆome et r ∈ K. Alors, r est une racine de P si et seulement s’il existe une fonction polynˆome Q telle que P (x) = (x − r)Q(x) pour tout x ∈ K.
Remarque. Avec les notations du lemme, le polynˆome Q est unique. Ceci r´esulte de l’int´egrit´e de l’alg`ebre des fonctions polynˆomes.
D´emonstration. Supposons P (r) = 0. Si P est la fonction nulle, Q = P convient. Sinon, on
´ecrit P comme dans (♥). Alors :
∀x ∈ K, P (x) = P (x) − P (r) =
n
X
k=1
ak(xk− rk) = (x − r)
n
X
k=1
ak
xk−1+ axk−2+ · · · + ak−1 .
La r´eciproque est ´evidente.2
(b) Multiplicit´e d’une racine (K de caract´eristique nulle)
On peut am´eliorer le lemme pr´ec´edent grˆace `a la notion de fonction polynˆome d´eriv´ee.
Proposition Soit P une fonction polynˆome non nulle, r ∈ K, ` ∈ N∗. Sont ´equivalentes : (i) il existe une fonction polynˆome Q telle que P (x) = (x − r)`Q(x) pour tout x ∈ K ; (ii) P (r) = P0(r) = · · · = P(`−1)(r) = 0.
D´efinition. Pour P non nulle, l’entier ` tel que P (r) = P0(r) = · · · = P(`−1)(r) = 0, P(`)(r) 6=
0 est le plus grand entier tel que (x − r)` divise P . On l’appelle multiplicit´e de r comme racine de P . (Ainsi, une racine de multiplicit´e 0 n’est pas une racine...)
D´emonstration. Supposons (i). La formule de Leibniz et le calcul des d´eriv´ees de x 7→ (x−r)` fait dans la preuve de la formule de Taylor donnent, pour k ≤ ` :
∀x ∈ K, P(k)(x) =
k
X
i=0
k i
`!
(` − i)!(x − r)`−iQ(k−i)(x).
Comme r est racine de (x − r)`−i pour tout i ≤ k ≤ ` − 1, il vient : P(k)(r) = 0 pour k ≤ ` − 1.
Inversement, si (ii) est r´ealis´ee, la formule de Taylor s’´ecrit
∀x ∈ K, P (x) =
deg P
X
k=`
1
k!P(k)(a)(x − a)k= (x − r)`
deg P −`
X
j=0
1
(` + j)!P(`+j)(a)(x − a)j.2 (c) Polynˆomes complexes
Th´eor`eme (d’Alembert-Gauss, admis) Toute fonction polynˆome non constante `a coeffi- cients complexes poss`ede une racine complexe.
Proposition Pour toute fonction polynˆome non constante `a coefficients complexes, il existe un unique a ∈ C∗, un unique ` ∈ N∗, des couples (r1, α1), . . . (r`, α`) ∈ C × N∗, avec ri 6= rj pour i 6= j, uniques `a l’ordre pr`es, tels que
∀x ∈ C, P (x) = a
`
Y
i=1
(x − ri)αi.
D´emonstration. Existence. Par r´ecurrence sur le degr´e n de P . Pour n = 1, c’est clair.
Supposons la propri´et´e est vraie pour tout polynˆome de degr´e n − 1, et soit P de degr´e n.
Par le th´eor`eme de d’Alembert-Gauss, P admet une racine r ∈ C. On peut alors ´ecrire P (x) = (x − r)Q(x) (x ∈ C) pour Q fonction polynˆome de degr´e n − 1. Par hypoth`ese de r´ecurrence, on peut ´ecrire Q comme un produit, ce qui permet d’´ecrire P comme un produit.
Unicit´e. Supposons pouvoir ´ecrire
∀x ∈ C, P (x) = a
`
Y
i=1
(x − ri)αi = b
m
Y
j=1
(x − sj)βj.
En d´eveloppant, on constate que P (x) = axP αi+· · · = bxP βj+· · · , o`u les points de suspension d´esignent des polynˆomes de degr´es strictement plus petit. Par unicit´e des coefficients, on en d´eduit queP αi = deg P =P βj, puis que a = b.
Fixons i ∈ {1, . . . , `}. Comme le produit de droite s’annule pour x = ri, c’est que ri = sj pour j convenable. D’o`u, l’inclusion {r1, . . . , r`} ⊂ {s1, . . . , sm}. L’inclusion inverse se d´emontre de mˆeme, donc ` = m et, quitte `a renum´eroter, on peut supposer ri= si pour tout i.
Reste `a voir que, pour i ∈ {1, . . . , `} fix´e, αi = βi. Par sym´etrie, on peut supposer sans perte de g´en´eralit´e que αi≤ βi. On peut donc ´ecrire :
∀x ∈ C, (x − ri)αi
Y
j6=i
(x − rj)αj− (x − ri)βi−αiY
j6=i
(x − rj)βj
= 0, d’o`u, par int´egrit´e (cette pr´ecision est indispensable pour pouvoir diviser) :
∀x ∈ C, Y
j6=i
(x − rj)αj = (x − ri)βi−αiY
j6=i
(x − rj)βj.
On en d´eduit que βi = αi : en effet, sinon, en prenant x = ri, on obtient 0 dans le membre de droite mais pas dans le membre de gauche.2
(d) Polynˆomes r´eels
Proposition Soit P une fonction polynˆome r´eelle non constante. On peut ´ecrire
∀x ∈ R, P (x) = a
h
Y
i=1
(x − ri)αi
k
Y
j=1
(x2+ bjx + cj)βj,
o`u a ∈ R∗, h, k ∈ N, r1, . . . , rh, b1, c1, · · · , bk, ck∈ R, α1, . . . , αh, β1, . . . , βk∈ N∗, et b2j− 4cj < 0 pour tout j. De plus, une telle ´ecriture est unique `a l’ordre des facteurs pr`es.
D´emonstration. Existence : Par r´ecurrence sur le degr´e. C’est ´evident en d´egr´e 1. Supposons l’existence prouv´ee pour les polynˆomes de degr´e ≤ n − 1, et soit P de degr´e n. Si P a une racine r´eelle r, on factorise : P (x) = (x − r)Q(x) et on applique l’hypoth`ese de r´ecurrence `a Q.
Sinon, on ´ecrit P comme dans (♥). Ca permet de d´efinir P (x) pour x complexe quelconque, et de prolonger P en une fonction polynˆome ˜P de C dans C. Alors, ˜P a une racine complexe non r´eelle r (une racine r´eelle de ˜P serait une racine de P ). En appliquant la conjugaison complexe
`
a la relation
n
X
i=0
airi = 0,
vu que ai = ai pour tout i, on voit que r est une racine de ˜P . Donc, il existe une fonction
on pose b = −r − r et c = rr, ce sont deux r´eels et on a : b2− 4c < 0 et pour tout x ∈ C, P (x) = (x˜ 2 + bx + c)Q(x). En d´eveloppant cette expression, on constate que les coefficients de Q sont les solutions d’un syst`eme triangulaire `a coefficients r´eels (l’´ecrire ! il semble qu’il y ait trop d’´equations, mais on sait d´ej`a qu’il existe une solution –ouf !), donc ils sont r´eels. On peut donc appliquer l’hypoth`ese de r´ecurrence `a Q et conclure.
Unicit´e : Se d´ebrouiller.
(e) Relations entre coefficients et racines
Proposition Consid´erons un polynˆome, r´eel ou complexe, unitaire et de degr´e n ≥ 1, P (x) =
n
X
i=0
aixi, avec an= 1.
Supposons que P ait toutes ses racines r1, . . . , rn dans K. Alors, si on appelle a1, . . . , an ses coefficients comme dans (♥) (avec a0 = 1 par hypoth`ese), on a :
∀i ∈ {0, . . . , n − 1}, (−1)ian−i= X
1≤k1<···<ki≤n
rk1· · · rki, c’est-`a-dire :
−an−1 = X
1≤k≤n
rk
an−2 = X
1≤k<`≤n
rkr`
· · ·
(−1)na0 = r1· · · rn. D´emonstration. Avec les propositions pr´ec´edentes, on a :
∀x ∈ K, P (x) =
n
Y
k=1
(x − rk), et il suffit de d´evelopper et d’identifier les coefficients.2 4◦ Propri´et´es analytiques (cas r´eel)
Lemme Une fonction polynˆome r´eelle a en l’infini les mˆemes limites que son terme de plus haut degr´e. Elle est ind´efiniment d´erivable.
Proposition Soit f : R → R une fonction. Alors f est une fonction polynˆomiale si et seulement si f est ind´efiniment d´erivable et une d´eriv´ee f(n) est partout nulle.
D´emonstration. Le sens direct est trivial. Inversement, montrons par r´ecurrence que si f est une fonction C∞ telle que f(n)= 0, alors f est polynˆomiale de degr´e ≤ n − 1.
Pour n = 0, rien `a d´emontrer. Pour n = 1, d’apr`es le th´eor`eme des accroissements finis, pour a < b, il existe c ∈ ]a, b[ tel que f (a) − f (b) = (b − a)f0(c) = 0 : ainsi, f est constante.
Supposons la propri´et´e vraie pour n, et soit f une fonction C∞telle que f(n+1)= 0. L’hypoth`ese de r´ecurrence appliqu´ee `a f0 donne a0, . . . , an−1∈ R tels que pour tout x ∈ R, on ait :
f0(x) =
n
X
k=0
akxk. Int´egrons, ce qui conduit `a poser :
∀x ∈ R, g(x) = f (x) −
n
X
k=0
ak
k + 1xk+1.
On constate que g est d´erivable, et que sa d´eriv´ee est nulle. D’apr`es le th´eor`eme des accroisse- ments finis, g est constante, ce qui prouve que f est polynˆomiale.